Le Gewaltenteilungsgrundsatz (principe de séparation ou division des pouvoirs) n’est pas expressément mentionné dans le texte de la Loi fondamentale de Bonn du 23 mai 1949. La jurisprudence constitutionnelle commence à employer, dès les premières années de son existence1, cette expression afin de désigner le mode d’organisation du pouvoir étatique ancré dans la Constitution comme « un principe organisationnel porteur de la Loi fondamentale »2. L’article 20, alinéa 2 LF sert de base à cette affirmation. Il dispose que « tout pouvoir d’État » émane du peuple « qui l’exerce au moyen d’élections et de votations et par des organes investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire »3. La répartition tripartite des organes et des fonctions est classique.
Cependant, il est ici question d’un principe qui ne se résume pas à cette répartition tripartie, nécessitant une concrétisation, qui ne peut exister que par lui-même, qui trouve toute sa teneur normative dans l’interprétation que nous livre le juge constitutionnel allemand. Une lecture attentive des décisions de la Cour constitutionnelle fédérale nous aide à cerner la définition générale dégagée par les solutions jurisprudentielles. Il convient également de s’interroger sur la stabilité de cette interprétation évolutive qui se construit progressivement (chapitre 1). La définition générale du principe de séparation des pouvoirs n’épuise pas sa teneur normative. La théorie de la décision substantielle représente une facette importante du principe constitutionnel, déduit de l’article 20, alinéa 2 LF, permettant de tracer des contours entre les compétences du législateur bénéficiant de la légitimité démocratique directe et les organes investis du pouvoir exécutif (chapitre 2).
Ce principe « porteur » (tragendes) de la Constitution allemande est protégé par la clause d’éternité (Ewigkeitsklausel) de l’article 79, alinéa 3 LF et mis par conséquent à l’abri d’une éventuelle révision constitutionnelle. Afin de mieux comprendre les effets de cette interdiction de toucher au contenu de l’article 20 LF, il faut procéder à une analyse de l’étendue de l’article 79, alinéa 3 LF et la contradiction créée par le juge constitutionnel, qui définit le principe de séparation des pouvoirs, déduit du texte de l’article 20, alinéa 2 LF, comme « principe porteur » de l’ordre constitutionnel allemand, en ajoutant cependant que le principe ne trouve nulle part une parfaite réalisation4. Afin de mieux comprendre son contenu, il faut également analyser les rapports du principe de séparation des pouvoirs avec d’autres principes constitutionnels formant ensemble un système complet : le principe de l’État de droit, le principe démocratique ou le principe fédéral (chapitre 3).
- La loi sur la Cour constitutionnelle fédérale, adoptée le 12 mars 1951, est entrée en vigueur le 17 avril 1951. La première décision datée du 9 septembre 1951 de la Cour concerne la deuxième loi relative au réaménagement territorial des Länder Bade, Wurtemberg-Bade et Bade-Hohenzollern du 4 mai 1951 (BVerfGE 1,1 « Neugliederungsgesetz »). La première décision mentionnant l’expression Gewaltenteilung (séparation des pouvoirs) date du 20 mars 1952. Voir BVerfGE 1, 184 « Normenkontrolle » du 20 mars 1952, p. 198 : « Enfin, l’obligation incombant au pouvoir judiciaire de reconnaître les actes du pouvoir législatif fut déduite du principe de la séparation des pouvoirs » (« Scließlich wurde aus dem Grundsatz der Gewaltenteilung die Pflicht der rechtsprechenden Gewalt hergeleitet, die Akte der gesetzgebenden Gewalt anzuerkennen »). [↩]
- BVerfGE 2, 1 « SPR-Verbot » du 23 octobre 1952, p.13 : « Appartiennent aux principes fondamentaux de cet ordre juridique au moins : le respect des droits fondamentaux concrétisés par la Loi fondamentale, avant tout le droit de l’individu à la vie et au libre développement, la souveraineté du peuple, la séparation des pouvoirs, la responsabilité du gouvernement, la légalité des actes administratifs, l’indépendance des juges (…) » (« Zu den grundlegenden Prinzipien dieser Ordnung sind mindestens zu rechnen : die Achtung vor den im Grundgesetz konkretisierenden Menschenrechten, vor allem vor dem Recht der Persönlichkeit auf Leben und freie Entfaltung, die Volkssouveränität, die Gewaltenteilung, die Verantwortlichkeit der Regierung, die Gesetzmäßigkeit der Verwaltung, die Unabhängigkeit der Gerichte […] »). Voir également BVerfGE 3, 225 « Gleichberechtigung » du 18 décembre 1953, p. 247 : « Freilich ist Gewaltenteilung ein tragendes Organisationsprinzip des Grundgesetzes ». [↩]
- « Alle Staatsgewalt geht vom Volke aus. Sie wird vom Volke in Wahlen und Abstimmungen und durch besondere Organe der Gesetzgebung, der vollziehenden Gewalt und der Rechtsprechung ausgeübt ». S’agissant de la version en langue française, la traduction utilisée est celle établie par Christian Autexier/Michel Fromont/Constance Grewe/ Olivier Jouanjan, Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne, Deutscher Bundestag, Berlin, 2010. Pour le texte allemand, il convient de se reporter à l’ouvrage édité par Dieter Gosewinkel/Johannes Masing (éds.), Die Verfassungen in Europa 1789-1949, C.H. Beck, München, 2006, p.837 et suiv. pour le texte de la Loi fondamentale de 1949. [↩]
- BVerfGE 3, 225 « Gleichberechtigung » du 18 décembre 1953, p. 247: « Dieses Prinzip ist jedoch niergends rein verwirklicht ». [↩]