La théorie organiciste de l’État délaisse le terme de séparation des pouvoirs et introduit massivement dans la doctrine publiciste la théorie des fonctions (§1). Mais l’idée de l’État-organisme souffre d’un défaut : elle est la transposition fidèle de la théorie de l’organisme des sciences naturelles. Le positivisme logiciste de l’école « Gerber/Laband » permet de mettre de côté la dimension organiciste, considérée comme non-juridique, et adopte la théorie de la personnalité juridique de l’État caractérisée par son unité. Le principe de la séparation des pouvoirs est jugé « scientifiquement dépassé » par Gerber et condamné par Laband comme incompatible avec l’idée d’unité du pouvoir de l’État (§2). Il faut attendre le tournant du siècle afin que Georg Jellinek propose une théorie des fonctions d’un point de vue matériel et formel qui n’est qu’un mode de division du travail étatique (§3).
§ 1. Les métamorphoses terminologiques du principe de séparation des pouvoirs dans la théorie organiciste de l’État.
Si, pendant le Vormärz, le principe de séparation ou de division des pouvoirs fut défendu par certains auteurs libéraux1 afin de voir la représentation populaire partager l’exercice du pouvoir monarchique, dans les décennies suivantes pendant lesquelles se cristallise le modèle de la monarchie limitée allemande, il ne s’agit plus de lutter contre un monarque réunissant dans ses mains l’intégralité du pouvoir entendu comme sa propriété. Le principe de la séparation des pouvoirs se métamorphose terminologiquement pour s’inscrire dans le tableau de l’État-organisme.
La théorie organiciste de l’État se sert d’un réquisit terminologique tendant à remplacer les termes de séparation ou division des pouvoirs en introduisant la distinction des fonctions de l’activité étatique (C). Dans la théorie de l’État-organisme (A) le pouvoir est qualifié par son indivisibilité (B) : toute « division » de celui-ci est entendue comme une « maladie » détruisant l’organisme vivant de l’État.
A. La conception de l’État-organisme : vestiges libéraux dans la doctrine publiciste post-révolutionnaire.
« La conception de l’organisme (…) appliquée à l’État, a dominé le débat théorique, politique et constitutionnel à l’époque du Vormärz. »2 Dans la pensée de Friedrich Schelling, au début du XIXe siècle, déjà, la notion d’organisme est centrale3. Mais il y a une différence de taille par rapport à la théorie organiciste du Vormärz. L’organisme, cet « ensemble vivant, enraciné dans l’absolu, à la fois spirituel, religieux et culturel, pris dans sa cohésion et son unité », précède l’État, il ne fait que se manifester dans l’État4. Ce n’est par conséquent pas l’État qu’il faut regarder comme un organisme. Il n’est que la « révélation » de l’organisme préexistant5. La doctrine constitutionnelle du Vormärz modifie ce raisonnement en introduisant la métaphore de l’État-organisme. L’idée organiciste tend à mettre fin à l’antagonisme entre l’État et le peuple6. L’organisme étatique est entendu comme une globalité qui inclut le peuple en son sein : « le rapport du peuple à l’État se renverse, puisque la figure du Volk est incluse dans l’organisme qu’est le Staat, seul détenteur de la souveraineté »7. L’incorporation du peuple à l’organisme étatique permet de mettre fin à l’opposition des représentations populaires perçues comme des entités distinctes et placées en dehors de l’État. L’État est cet organisme qui embrasse le tout en agissant par la mobilisation des membres qui le composent8.
Johann Caspar Bluntschli (1808-1881), « la figure la plus remarquable parmi les membres savants » de la première chambre du Parlement badois9, publie son Allgemeines Staatsrecht (Droit public général)10 en 1852. Dans « l’atmosphère dépressive, qui régnait chez les libéraux après 1849, c’était un livre optimiste »11. L’ouvrage s’inscrit dans la lignée doctrinale de l’organicisme historique comme l’indique son titre : Droit public général, historiquement fondé (geschichtlich begründet). L’analyse ne marque pas une nette rupture avec les idées libérales du Vormärz, mais opère une réflexion modérée sur l’évolution historico-organique de l’État12. Un livre optimiste, aux couleurs libérales, mais sagement modéré afin d’être en harmonie avec les tendances réactionnaires de l’époque. La conception de l’État en tant qu’organisme vivant a un avantage indéniable : elle permet de penser le monarque comme une partie, un organe du corps étatique et d’extirper ainsi le pouvoir à sa totale maîtrise. Cette possibilité de s’affranchir de la souveraineté du prince et de l’interprétation conservatrice du principe monarchique, qui veut que l’intégralité du pouvoir revienne au monarque, constitue le fond libéral de la théorie organiciste de l’État après 1849. Il n’est cependant pas question d’entrer immédiatement en conflit direct avec le gouvernement monarchique en soutenant la thèse du monarque-organe. Il suffit d’exposer la théorie de l’État-organisme et d’en tirer les conclusions. Le monarque, comme les assemblées représentatives, « deviennent les deux organes de l’État » en 186513. Mais en 1852, il n’est pas encore (politiquement) possible de trancher la question de savoir si les représentations ont la qualité d’organes étatiques.
Un examen approfondi du phénomène étatique nous permet de reconnaître en lui un être organique (organisches Wesen), et, en effet, cette conception de la nature organique de l’État comporte des avantages considérables pour le traitement pratique des questions relatives à l’État.14
L’État est une réunion d’hommes, prenant la forme d’un gouvernement et de gouvernés, sur un territoire déterminé, liés grâce à une personne éthico-organique15.
La théorie organiciste n’exclut aucunement celle de la personnalité juridique de l’État16. Les deux se lient dans un rapport étroit : l’organisme « État » doit sa longévité à sa personnalité juridique. L’État-organisme, « doté d’esprit et de corps, possède sa propre volonté »17. Il s’agit d’une « volonté générale habilitée à disposer de la force nécessaire à l’accomplissement des buts de l’État »18. L’organisme étatique est une « image du corps humain », capable de vouloir, et ses fonctions sont la représentation fidèle des fonctions vitales du corps19.
B. L’unité du pouvoir dans la théorie organiciste de l’État.
« L’État est l’incarnation et la personnification de la puissance populaire ». Cette puissance entendue dans « sa dignité la plus haute et son pouvoir le plus grand » est « la souveraineté »20. Les qualités du pouvoir d’État, et donc du pouvoir d’État, sont « l’indépendance de toute autorité supérieure », « la dignité étatique suprême », la « plénitude », le trait de « puissance suprême dans l’État », enfin « l’unité ». Le pouvoir de l’État-corps organique est caractérisé par son « unité » qui est une « exigence de son bien-être »21. « Unité et indivisibilité sont les caractéristiques essentielles du pouvoir d’État », selon Hermann Schulze22.
Les effets de la division (Spaltung) de la souveraineté sont la paralysie ou la dissolution de l’État, elle est donc incompatible avec la santé de l’État.23
Le passage relatif à l’unité du pouvoir étatique est l’illustration parfaite de l’utilisation de la terminologie organique : le « corps » ne supporterait pas un morcellement, un démembrement, car sa « santé » s’en trouverait immédiatement menacée. La santé de l’État dépend donc de l’unité de son pouvoir (de sa souveraineté). En suivant cette logique organique, le principe de la séparation des pouvoirs ne peut être entendu que comme une maladie envahissant l’organisme étatique.
L’État-« organisme unitaire »24, et donc « le pouvoir d’État », est « souverain et indivisible tant dans son ensemble que dans ses expressions concrètes ». La « division » du pouvoir n’est pas compatible avec la nature organique de l’État25. Pour Joseph von Held (1815-1890), juriste libéral, partisan de la monarchie constitutionnelle encadrée par les garanties de l’État de droit26, les formes particulières dans lesquelles s’exerce l’activité législative (participation de la représentation populaire) sont à l’origine d’une grave confusion. De « la division unitaire (Eintheilung) des formes d’expression (Aeusserungen) de l’activité étatique », certains déduisent, à tort, la division du pouvoir lui-même. C’est ainsi que la « théorie de la division du pouvoir d’État » est devenue tristement célèbre27. Admettre la division du pouvoir, cela signifierait qu’il existe plusieurs entités souveraines agissant dans un seul et même cadre les unes à côté des autres. Or, l’unité de l’organisme ne tolère pas « la division de la souveraineté » qui mène à un « non-État » (Nichtstaat). Les détenteurs de parties de la souveraineté divisée sont condamnés à s’engager dans une lutte qui ne finit qu’avec la victoire d’un seul28. Le « principe organique, le seul véritable idéal d’État » ((Joseph Held, « Organisation » in Carl von Rotteck/ Carl Welcker (dir.), Staats-Lexikon, Encyklopädie der sämmtlichen Staatswissenschaften für alle Stände, 3e édition, Brockhaus, Leipzig, 1864 , p. 41 : « (…) das organische Princip Staats ist (…) ».)) se transformerait alors en son opposé, une construction mécanique, un « corps (…) mort, entièrement mû par des forces extérieures (…) », qui n’est destiné qu’à « servir un être qui lui est étranger »29. La lutte entre les différents soi-disant pouvoirs cause la désintégration de l’organisme, de la matière vivante. Il n’y a que dans l’ « unité vivante et autonome » du corps que l’organisme s’épanouit pleinement. La « désorganisation (…) commence par conséquent là où l’unité n’existe plus »30.
Contrairement aux auteurs, qui excluent l’emploi du terme « pouvoirs » (Gewalten), car introduisant l’idée de la division de l’unité et de l’existence de plusieurs pouvoirs dans l’État, Lorenz von Stein, loin de bannir l’expression, l’adopte et en explique l’utilité. En effet, chaque « mission et fonction de l’État est (…) une manifestation de l’ensemble unitaire», elle « porte en soi l’essence et la force de la totalité du pouvoir d’État ». Alors, les différents « pouvoirs d’État » ne signifient rien d’autre que « la fonction de l’organe étatique particulier agissant dans l’intérêt et au nom de l’ensemble unitaire »31. Mais sa position semble isolée dans la doctrine organiciste. Pour la majorité des publicistes, admettre l’existence de plusieurs « pouvoirs » équivaut à la mort de l’État. Aucune division n’est tolérable pour l’organisme vivant, car il ne constitue pas un simple appareil mécanique porté par des forces qui lui sont étrangères.
La seule classification possible portant le souffle vital de l’organisme est celle des fonctions susceptible de traduire « l’organisation viable et énergique » de l’État. Cette vision organique s’oppose à « une division mécanique des pouvoirs »32.
C. La distinction organique des fonctions : rejet de la séparation mécanique du pouvoir.
Le principe de séparation des pouvoirs s’insère dans la construction de l’État-organisme sous la forme d’une distinction des fonctions. L’État est certes caractérisé par son unité, mais l’activité étatique n’est pas uniforme. C’est justement l’absence d’uniformité qui préside à la « nécessité scientifique »33 d’opérer une classification des fonctions de l’État, distinctes les unes des autres. Ainsi, le principe de séparation des pouvoirs est expulsé (du moins d’un point de vue terminologique) du débat doctrinal organiciste au profit de la théorie des fonctions de l’État.
Le caractère unitaire de l’organisme rend logiquement impossible l’introduction d’un principe de séparation des pouvoirs. Il existe un « principe de la distinction des fonctions » (Princip der Sonderung der Gewalten). Chez Bluntschli, le terme de division unitaire (Eintheilung) fait place à la notion de « Sonderung » qui signifie une distinction, une « discrimination » des pouvoirs. « Sonderung » n’est pas « Unterscheidung », qui veut également dire « distinction ». « Sonderung » montre l’action de distinguer les différents objets en les isolant les uns des autres, en les discriminant. Hermann Schulze opte pour l’expression plus modérée de « distinction et répartition organique » (Unterscheidung und organischen Gliederung)34 sur laquelle repose le fondement de toute liberté politique et individuelle. Les pouvoirs législatif, exécutif ou judiciaire ne sont rien d’autre que des fonctions de l’organisme de l’État. La nature de ces trois fonctions, de ces différents « emplois » est différente35.
Dans la différenciation des fonctions de l’État et leur distribution aux différents organes de ce dernier, nous reconnaissons le degré élevé de l’organisation étatique (…). Dans les corps organiques, créés par Dieu, on peut également distinguer les différentes fonctions des membres qui les composent. L’œil voit, l’oreille entend, la bouche parle, la main saisit et agit. De la même manière est constitué le corps de l’État dans lequel chaque organe a des fonctions déterminées auxquelles correspondent sa formation et son organisation.36
L’expression « séparation des pouvoirs » (Trennung der Gewalten) ne peut que conduire à l’application erronée d’un principe juste, « dont la teneur est marquée par une profonde sagesse politique »37. La distinction des fonctions n’équivaut pas à une séparation des pouvoirs, car, si les pouvoirs étaient complètement séparés, cela signifierait « la dissolution de l’unité étatique, une négation de la volonté unitaire de l’État »38. Pour les libéraux de l’époque post-révolutionnaire, la « sagesse politique » du principe réside sans doute dans la possibilité de penser la participation des représentations populaires à la fonction législative, et, par là, la limitation du pouvoir monarchique. L’ « organisation la plus aboutie des différentes fonctions du pouvoir d’État se trouve dans la monarchie constitutionnelle »39, où « le peuple participe, par le biais de sa représentation, à la législation », « le pouvoir gouvernemental est exercé par le souverain, avec la participation constitutionnelle (…) de fonctionnaires qui donne leur validité aux actes du monarque », enfin, « le pouvoir de juger est exercé par un corps autonome, composé de membres, qui, bien que nommés par le souverain et dont le pouvoir découle de ce dernier, sont complètement indépendants lorsqu’ils rendent leurs jugements »40. La participation de ces différents organes au pouvoir ne signifie en aucun cas sa division. Le pouvoir unitaire « reste concentré dans le souverain », « détenteur de l’intégralité du pouvoir d’État ». La participation de différents organes conformément aux dispositions constitutionnelles n’a comme effet que la limitation dans l’exercice du pouvoir par le souverain, et par suite, la garantie des droits et libertés des sujets, mais n’équivaut pas à un partage du pouvoir entre le monarque et la représentation41. Une contradiction est apparente dans le raisonnement de Schulze : si l’État est un organisme unitaire, et si, comme l’écrit Joseph von Held, la souveraineté est identique au pouvoir d’État lui-même, le monarque ne peut pas être le souverain. Il ne peut être qu’une partie de l’organisme étatique. Les deux perspectives sont incompatibles : la volonté d’associer la représentation populaire à l’exercice du pouvoir législatif (perspective libérale) en maintenant le statut du monarque souverain (perspective conservatrice).
Bluntschli met en exergue deux raisons de la nécessité de distinguer les fonctions. La première, héritée des idées de Montesquieu42, est relative à l’objectif d’agir contre le pouvoir absolu et de protéger la liberté de l’individu. Les différentes fonctions doivent être isolées les unes des autres et attribuées à des organes agissant de manière indépendante. La concentration, dans les mains d’un seul, de l’exercice des fonctions étatiques, sonne l’heure de l’absolutisme. Le fil conducteur de la théorie de Bluntschli est l’équilibre dans l’exercice des fonctions et la répartition entre différents organes43, qui permettent d’éviter le piège de l’exercice arbitraire du pouvoir. La deuxième raison de la distinction des fonctions est qualifiée de « moderne ». Elle découle de la « nature organique de l’État ». Ce n’est que, comme la transposition du modèle organique des sciences naturelles à l’État, la transposition fidèle des fonctions vitales du corps à la théorie des fonctions étatiques. Puisque dans les « corps naturels », on observe une multitude de fonctions attribuées à différents organes, nécessaires à la survie de l’organisme, alors dans « les corps artificiels », comme l’État, il convient d’adopter la même démarche consistant en la distinction des « fonctions publiques »44. Dans le tableau ainsi présenté, la réunion de tout pouvoir dans les mains d’un seul organe paraît une impossibilité théorique45.
La « séparation des pouvoirs » (Scheidung) est donc impensable dans l’hypothèse de l’organisme unitaire de l’État. Mais Bluntschli prend le cas de figure le plus extrême : celui de la « séparation absolue »46 pour démontrer l’incompatibilité entre ce principe et l’organisme étatique. La « séparation absolue » serait à l’origine de deux erreurs. Tout d’abord, certes, les fonctions sont distinctes, mais elles ne sont pas complètement détachées les unes des autres. Il existe toujours un lien entre les organes qui sont chargés de leur exercice. Comme dans le corps naturel, les « nerfs et les muscles » sont liés afin de « préserver l’unité de l’ensemble et la connexion de tous les membres composant l’organisme vivant »47. Par ailleurs, la séparation des pouvoirs est la plus « destructrice » en ce qui concerne les pouvoirs législatif et exécutif, alors que son application n’est pas vraiment dangereuse dans les domaines de l’administration et la justice. La summa diviso de Bluntschli est la distinction entre les organes qui ont pour mission le maintien durable de l’État et du droit (fonction législative au sens large), et ceux qui font part de l’activité administrative de l’État, chargés de décider et mettre à exécution les affaires concrètes. L’administration englobe ainsi les organes gouvernementaux, le pouvoir de police, ainsi que les tribunaux48.
Les fonctions sont différemment présentées chez Schulze, qui propose comme « critère de la division unitaire de l’activité étatique » son « contenu ». C’est la seule manière véritablement « scientifique » permettant de distinguer les fonctions étatiques. Il arrive, contrairement à Bluntschli, à trois fonctions : la législation (Gesetzgebung), le gouvernement (Regierung) et la justice (Gericht, littéralement traduit : tribunal). On remarque dans cette « ancienne division tripartite »49 une confusion entre les aspects organique et fonctionnel, une confusion donc entre les formes que prend l’activité étatique et le contenu de celle-ci qui est variable50.
L’autre erreur consiste en l’idée de la prétendue égalité entre les différents pouvoirs. Le parallèle entre l’État et l’organisme, le corps naturel, est cette fois utilisé afin d’argumenter en faveur d’une hiérarchie organique des fonctions. La « tête » n’a guère la même importance que le reste du corps, et le « cœur », malgré son autonomie, n’est pas supérieur au « cerveau »51. Ainsi, l’importance de la fonction législative ne peut pas être assimilée à celle de la fonction administrative. La première conditionne l’existence de la seconde. Les fonctions de l’organisme étatique sont ainsi hiérarchisées. La fonction législative est, « d’après sa puissance et étendue, la fonction suprême du pouvoir d’État »52.
La théorie organiciste de l’État est loin de faire l’unanimité au sein des publicistes de la seconde moitié du XIXe siècle. Accusée de ne pas être suffisamment juridique, d’emprunter une voie tracée par les sciences naturelles53 sans tentative d’apporter une touche de scientificité au droit public, elle est dégradée à une simple considération politique ou sociologique de l’État. La véritable approche juridique et scientifique est celle qui passe par la théorie de la personnalité juridique de l’État, par la « quaestio diabolica » du « conflit des interprétations du constitutionnalisme allemand »54. D’inspiration libérale, cette théorie obtient, après une période d’hésitation, une réception favorable dans l’œuvre de Carl Friedrich von Gerber et Paul Laband, les positivistes les plus illustres de la seconde moitié du XIXe siècle. Le principe de séparation des pouvoirs fait l’objet de leur rejet unanime. Derrière le refus d’admettre l’application du principe à la monarchie limitée allemande se cache la volonté de ne pas laisser les assemblées représentatives s’accaparer d’une partie du pouvoir d’État et l’exercer de manière effective, en concurrençant le monarque. Le rejet théorique de la séparation dissimule ainsi l’ambition gerbérienne et labandienne de maintenir le roi dans une position confortable de domination, où le pouvoir n’est que limité, point partagé.
§ 2. La place du principe de séparation des pouvoirs dans la doctrine du positivisme conservateur de l’école « Gerber/Laband ».
Suivant la logique de Carl Friedrich Gerber (1823-1891) et de Paul Laband (1838-1918), il est impossible d’opérer un partage, encore moins une séparation du pouvoir d’État. Afin de comprendre les motifs de ce rejet du principe de séparation des pouvoirs, il convient de se pencher sur le modèle étatique dans lequel s’inscrit la conception du pouvoir d’État de l’ « école Gerber/Laband ». La construction juridique de l’objet « État » concentre toutes les tensions d’une doctrine de droit public, qui se veut positiviste, purgée de toute considération politique, historique, sociologique ou philosophique, mais qui ne fait que dissimuler son engagement politique conservateur. La difficile réception de la théorie de la personnalité juridique de l’État (A) permet de se détacher des conceptions patrimoniales de la souveraineté, mais comporte le défaut majeur d’être d’inspiration libérale. Les organes de cette personnalité juridique sont le monarque et les assemblées représentatives, mais il ne s’agit guère, selon Gerber, de deux organes placés sur un pied d’égalité. Tandis que le premier détient, toujours, en application du principe monarchique, l’intégralité du pouvoir étatique, les compétences des secondes ne sont qu’une limitation constitutionnelle sans qu’elles puissent partager l’exercice du pouvoir. Dans cette construction, il n’est évidemment nulle question du principe de la séparation des pouvoirs que Gerber qualifie de scientifiquement « dépassé » (B). Paul Laband, en déployant la méthode logiciste de Gerber au nouvel objet que constitue le droit de l’Empire allemand, rejette, lui aussi, toute éventualité de séparer ou diviser le pouvoir unitaire de l’État (C).
A. La difficile réception de la théorie de l’État-personne juridique par Carl Friedrich von Gerber.
Dans la pensée des juristes de tendance conservatrice et monarchiste du Vormärz55, et plus tard, dans l’imaginaire des auteurs représentant la conception néo-patrimoniale de l’État56, la souveraineté, et par conséquent le pouvoir, est un attribut, la propriété du monarque57. Ce dernier précède l’État, sa puissance est originaire et ne peut être qu’autolimité58. Il s’agit d’une conception patrimoniale de la souveraineté qui fait de l’État la « chose » du prince. Dans cette construction du pouvoir monarchique, il est évident que les assemblées qui représentent la société civile auprès de l’État, n’ont pas de place en tant qu’entités institutionnelles dotées de compétences propres.
C’est Wilhelm Eduard Albrecht (1800-1876) qui rompt de manière radicale avec ce modèle patrimonial de l’État. En 1837, dans une recension des Grundzüge des heutigen deutschen Staatsrechts (Principes du droit public allemand actuel) du conservateur Romeo Maurenbrecher59, il expose sa critique de la conception patrimoniale de l’État. La prise de position sur cette question juridique n’est que le reflet de ses convictions politiques. Albrecht60 est l’un des « Sept de Göttingen », un des « professeurs politiques » libéraux du Vormärz, des « démagogues » révoqués par les gouvernements monarchiques. C’est cette coloration libérale de la théorie de la personnalité juridique de l’État qui est la cause de sa difficile réception par Carl Friedrich von Gerber.
Extirper l’État de l’emprise totale du monarque permet tout d’abord d’affirmer la souveraineté de l’État qui devient ainsi le sujet de droits propres. Le monarque, comme tout individu, est marqué par une dichotomie : dans la sphère publique, il n’est pas le particulier agissant dans son propre intérêt, car se mouvoir dans le domaine public signifie la « négation de la personnalité juridique propre de l’individu ». Il faut par conséquent octroyer cette qualité à « quelqu’un » d’autre, et ce « quelqu’un », dans l’esprit d’Albrecht, ne peut être que l’État. La conséquence de ce raisonnement est l’affirmation du caractère souverain de l’État. Ensuite, la voie est ouverte à une nouvelle réflexion sur les rapports entre le monarque et les assemblées représentatives en élevant celles-ci au rang d’élément décisif dans l’exercice du pouvoir. Si l’État est un sujet disposant de droits propres, alors le monarque et les assemblées ne sont que les parties de cette personne juridique globale. L’idée d’Albrecht est claire : en rompant avec les doctrines patrimoniales de l’État, il est possible de placer les assemblées à côté du monarque.
Nous pensons aujourd’hui (…) que l’État ne doit pas être regardé comme une association d’hommes, qui n’existe que pour la réalisation des buts et intérêts individuels, qu’il s’agisse de la majorité ou de tous, ou bien d’un seul, le gouvernant (des Herrschers), mais comme un ensemble unifié, une structure qui se pose au-dessus des individus, destinée à accomplir des buts qui ne peuvent pas être la simple somme des intérêts individuels du gouvernant et des sujets, mais qui forment la base de l’intérêt général (…). Ainsi, la vie de l’individu (gouvernant ou sujet) se scinde en deux : d’une part, il agit pour le bien commun, au nom et au service de l’État, disposant, en tant que chef ou membre de ce dernier, de droits et tributaire de devoirs ; d’autre part, il agit en tant que particulier, afin de faire prévaloir ses propres droits ou afin d’exécuter les obligations qui lui incombent envers quelqu’un d’autre. Dans la mesure où, dans le premier cas de figure, nous arrivons à la négation de la personnalité juridique propre de l’individu (…), nous sommes nécessairement amené à octroyer la qualité de personne juridique, qui règne dans ce domaine, agit, dispose de droits, à l’État lui-même. Ce dernier doit par conséquent être pensé comme une personne juridique.61
Cette recension aurait pu être oubliée immédiatement après sa publication62. Mais grâce à Carl Friedrich von Gerber, élève d’Albrecht à l’Université de Leipzig63, cet écrit accède à une gloire inattendue.
En 1852, année de la parution de son opus, Ueber öffentliche Rechte64, qui marque « enfin » une « tentative d’explication strictement juridique des droits publics »65, Gerber ne peut comprendre « le concept d’État (…) autrement (…) que comme un organisme »66. Certes, il faut « poser l’État sur une base autonome et objective, et le libérer de la relation artificielle, imprégnée de la conception patrimoniale de l’État, qui le lie à la personne du gouvernant ». L’idée est bonne, mais la direction qu’elle prend est « mauvaise », écrit Gerber67. La direction est mauvaise, car affirmer que l’État est une personne juridique, c’est tout simplement transposer un concept du droit privé au domaine du droit public. La personnalité juridique est la « répétition de la personne naturelle ». On revient au point de départ sans marquer une avancée dans la théorie publiciste de l’État68. Gerber est conscient que « le concept d’“organisme éthique” contient celui de personnalité », mais « cette dernière (…) “n’est pas la notion juridique, c’est-à-dire la capacité d’une volonté dans sa tendance à la soumission d’un objet, mais seulement la conscience éthique de soi, l’unité spirituelle” »69.
Le rejet de la personnalité juridique de l’État et l’emploi du concept d’organisme démontrent la volonté de préserver la place prééminente du monarque70. La théorie de la personnalité juridique de l’État est, du moins en 1852, incompatible avec l’interprétation gerbérienne du principe monarchique. Si on admettait cette personnalité « corporative », alors il ne resterait pour le monarque que la place d’un organe constitué disposant de « droits seulement dérivés, statutaires »71. Dans cette hypothèse, les assemblées représentatives pourraient enfin accéder de manière effective au pouvoir qui se trouverait ainsi partagé entre les deux organes de la personnalité juridique de l’État. Le fondement commun de l’existence de ces deux organes, la Constitution, exclurait toute supériorité du monarque. Naturellement, un tel cas de figure, beaucoup trop libéral au goût du conservateur politiquement engagé72, est intenable au regard du principe monarchique. Les assemblées représentatives ne peuvent point partager le pouvoir exercé par le seul monarque. Les « Stände » ne disposent que des compétences négatives qui sont le reflet « des droits de ceux qu’ils représentent, les citoyens »73. Des droits négatifs, non-opposables à la puissance publique74. L’interprétation de Gerber est exclusive de toute compétence positive des assemblées représentatives.
Il faut attendre 1865 et la parution des Gründzüge eines Systems des deutschen Staatsrechts (Principes d’un système du droit public allemand)75 pour que l’organicisme ne devienne chez Gerber qu’« une considération “naturelle” ou “politique” de l’État ». Il « n’a plus besoin d’un organicisme juridique » et le classe dans la catégorie des considérations extra-juridiques76 en « ouvr[ant] la voie à la distinction entre théorie juridique et théorie sociologique de l’État, celle que portera (…) à sa plus haute expression Georg Jellinek »77. La condition indispensable à la formation de la volonté étatique en tant que volonté de domination est la personnalité juridique de l’État. Pour Léon Duguit, c’est bien Gerber qui est « coupable » de la propagation de la théorie de la personnalité juridique de l’État qu’il faut rejeter, car l’État est un « simple fait », elle n’est pas une personne dotée de droits qui lui sont propres78.
Deux organes cohabitent dans cette personne juridique : Gerber élève les assemblées au rang d’organes de l’État79, à côte du monarque80. « Pour la première fois, la représentation populaire est mise en rapport avec le sujet juridique “État”.»81 Mais celle-ci n’est pas pour autant dotée de compétences positives, elle n’est pas apte à gouverner. Son rôle s’épuise en la possibilité de participer à la formation de la volonté de l’État monarchique. Malgré la réception de la personnalité juridique de l’État dans l’œuvre de Gerber, « il faut (…) reconnaître » que la représentation du pouvoir monarchique « rend complètement superficielle et sans conséquences dogmatiques fortes et nettement discernables l’attribution de la souveraineté à l’État, dès lors que l’État et sa puissance sont tout entiers dans la main du monarque »82. Cette construction interdit toute infiltration du principe de la séparation des pouvoirs dans le système constitutionnel allemand. La théorie de la personnalité juridique de l’État devient dans l’œuvre de Gerber le simulacre conceptuel qui vise à dissimuler la toute puissance du monarque.
B. Le principe de division des pouvoirs scientifiquement « dépassé » dans le cadre juridique de la puissance de domination de l’État.
À l’image du courant pandectiste, et en s’inspirant de Georg Friedrich Puchta, Gerber forge la nouvelle conception du droit public en tant que « doctrine de la volonté de l’État ». « Le pouvoir d’État est la puissance de volonté de l’organisme éthique pensé comme une personne. »83 Il ne s’agit pas de la volonté d’une personne privée84 qui est « (…) individuelle, celle du sujet libre dans la direction qu’il peut donner à sa volonté. »85 Ce qui distingue la volonté privée de la volonté étatique, c’est le cadre particulier, dans lequel elle s’exerce. Cette forme spécifique est la domination (Herrschen)86. La volonté étatique signifie une volonté de domination, « une capacité juridique d’agir dans l’intérêt du but de l’État avec effet obligatoire pour le peuple entier »87. « Le pouvoir d’État est la puissance de volonté d’un organisme moralement personnifié », elle « n’est pas une accumulation artificielle et mécanique de plusieurs volontés individuelles, mais la force morale commune du peuple ». La « domination » (Herrschen) signifie que le peuple est « soumis dans sa totalité » à la puissance de volonté de l’État88. Le pouvoir d’État est « souverain » et sur sa signification en tant que force spirituelle du peuple repose son « indivisibilité » (Untheilbarkeit).
Dans l’analyse de Gerber, le principe de séparation des pouvoirs ne trouve, en apparence et selon sa propre affirmation, aucune application. Il ne voit pas le moindre intérêt de consacrer de nouveaux développements afin de réfuter le « soi-disant principe de la division des pouvoirs », « dépassé depuis longtemps au moins d’un point de vue scientifique »89. Le conservateur Gerber partage l’opinion du libéral Mohl : « L’inexactitude (Unrichtigkeit) de cette idée est désormais reconnue presque à l’unanimité dans le domaine scientifique »90. Mettre le principe de division des pouvoirs hors son champ de réflexion théorique en le qualifiant de scientifiquement « dépassé » ne veut pas dire que Gerber a réussi à prouver son inutilité pratique. Ce rejet ne sert qu’à masquer sa conception conservatrice du pouvoir monarchique. Ce qu’il refuse, au fond, c’est bien le partage du pouvoir entre le monarque et les assemblées représentatives. C’est ce principe-là qui est « scientifiquement » dépassé et qui ne peut aucunement trouver application dans la monarchie allemande dualiste, car, « en vertu du droit confédéral comme en vertu des droits constitutionnels des États », le principe monarchique de l’article 57 de l’Acte finale du Congrès de Vienne, toujours en vigueur, au moment où Gerber rédige les Grundzüge, exclut toute « division des pouvoirs » et toute « co-domination (Mitherrschaft) du Parlement ». La monarchie limitée n’est pas un « système politique » dans lequel le monarque est rabaissé à une figure parlementaire »91.
Mais Gerber n’ignore pas que le pouvoir monarchique indivisible prend différentes formes afin d’accomplir les buts qui lui sont assignés. Pas de séparation des pouvoirs, mais une théorie des fonctions à l’image de celle développée par la doctrine organiciste (libérale) de l’État. Seulement quelques pages après avoir condamné le principe de division, Gerber entreprend à énumérer et décrire les différentes formes de l’activité étatique signifiée par le « mot global » (Gesammtworte) « gouvernement » (Regierung).
Le pouvoir d’État exerce sa domination en prenant les formes différentes auxquelles correspond la définition de son activité. Toutes les manières particulières de cette activité sont contenues dans le mot global « gouvernement ». Eu égard aux missions, dont le monarque est en charge, cette activité ne peut pas toujours être la même. La vie du peuple présente des intérêts dont la satisfaction peut intervenir de manière exclusive ou appropriée uniquement par des décisions abstraites, par des règles générales, stables et durables. Lorsque le pouvoir d’État agit dans le cadre du règlement des intérêts nécessitant ce type de décisions, elle prend la forme législative et l’on l’appelle, dans cette forme particulière que revêt son activité, pouvoir législatif (…). Il suffit, afin de répondre à l’intérêt strictement juridique, de diviser l’activité non-législative en deux catégories, à savoir l’activité judiciaire et administrative.92
Ce sont bien les missions monarchiques qui contiennent les différentes formes de l’activité étatique. L’emploi de l’expression « pouvoir législatif » (gesetzgebende Gewalt) surprend, mais sa présence est certainement due à une commodité terminologique. Il ne faut pas l’entendre comme « indice » de l’existence de plusieurs pouvoirs. Le pouvoir législatif n’est que la dénomination de l’activité législative, la mission monarchique qui consiste en l’édiction de « règles générales, stables et durables ». Ce « pouvoir » est le lieu de rencontre du monarque et des assemblées, qui, même élevées au rang d’organes, ne disposent que des compétences négatives et « on ne domine pas en disant “non” »93. Les assemblées n’exercent pas le pouvoir, elles ne peuvent qu’empêcher, dans certains domaines constitutionnellement définis, le cours normal de son exercice par le monarque.
La pensée de Gerber fait montre d’une tentative de conciliation entre l’élément libéral (les assemblées représentatives – organes de l’État) et ses convictions conservatrices (la place suprême du monarque détenant la totalité du pouvoir). L’exercice du pouvoir d’État comme puissance de volonté prenant la forme de la domination est attribué au monarque qui seul incarne et représente la volonté étatique94. Les résultats sont semblables à ceux enregistrés chez les auteurs conservateurs du Vormärz : le monarque exprime la volonté de l’État, il exerce l’intégralité du pouvoir qui n’est aucunement partagé par l’autre organe étatique, les assemblées, mais seulement limité par celles-ci. Pas de division ou de partage des pouvoirs chez Gerber, mais un exposé des différentes formes que prend l’activité de l’État.
Carl Friedrich von Gerber entreprend la systématisation scientifique du droit public en mobilisant des concepts présidant à un tronc commun aux divers États allemands. L’œuvre de Paul Laband, même si elle est l’héritière fidèle de cette entreprise gerbérienne, se transforme en l’exploration d’un droit déterminé, celui de l’Empire. La conception labandienne du pouvoir n’est pas fondamentalement différente de celle de Gerber. Il adopte les mêmes lignes directrices en perfectionnant le modèle conservateur du pouvoir de domination, qui est, en tant que forme juridique de l’expression de la volonté de l’État, le concept central du droit public. Laband, à l’instar de Gerber, rejette catégoriquement le principe de la séparation des pouvoirs en le jugeant incompatible avec la conception monarchique du pouvoir.
C. La négation du principe de séparation des pouvoirs chez Paul Laband comme moyen conceptuel de justifier la puissance monarchique.
L’hégémonie de la science du droit public labandienne est une des caractéristiques de la doctrine de l’Empire. Même si Paul Laband, l’ « exécuteur testamentaire de Gerber »95, exerce une « domination intellectuelle (…) s’étendant sur plusieurs années » ((Sur l’influence de Laband et l’état de la science publiciste, Manfred Friedrich, « Paul Laband und die Staatsrechtswissenschaft seiner Zeit », AöR, vol. 111, 1986, p. 197-218, p. 198 pour la citation : « (…) jahrzehntelanger geistiger Vorherrschaft (…) ». Sur l’injuste « reproche » de domination totale adressé à l’ « école Gerber/Laband » : Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne. Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit., p. 195. )), son œuvre fait l’objet de vives critiques. Parmi les opposants de la science labandienne, il convient de rappeler « le nom le plus souvent cité comme étant l’antipode d’un Laband à peine plus jeune que lui », le libéral Albert Hänel96 et celui d’Otto von Gierke97, représentant de l’aile « germaniste » de l’Ecole historique du droit, ennemi du courant pandectiste, l’origine intellectuelle de l’« école Gerber/Laband ».
Le tableau du droit impérial dressé par Laband laisse entrevoir une structure étatique, dont le contenu est marqué par le conservatisme de son auteur, et la forme – parée de la théorie libérale de la personnalité juridique de l’État. La pensée labandienne est certes neutralisante mais jamais neutre. L’« État-puissance » (Machtsstaat) doté d’une volonté unique ne tolère aucune division du pouvoir. Il n’y a donc pas de « place pour l’introduction d’une doctrine de la séparation des pouvoirs »98 chez Laband. Seule est acceptable une distinction des fonctions, des différentes expressions du pouvoir, qui permettent à l’État, et à son organe suprême, le monarque, d’exercer la puissance de domination sur les sujets-objets. Les arguments avancés par Laband afin de justifier le rejet de la séparation des pouvoirs sont en effet une manière déguisée de protéger le pouvoir monarchique. Comme le remarque à juste titre Otto Mayer, « le créateur et le classique » de la méthode moderne du droit administratif allemand99, et collègue de Laband à l’Université de Strasbourg, ce que « la doctrine allemande rejette de manière si énergique n’est pas le véritable principe de séparation des pouvoirs, mais l’épouvantail que l’on en a fait »100. Ce n’est pas avec le concept d’État que le principe de séparation des pouvoirs est incompatible, mais bien avec la représentation labandienne de l’État monarchique.
Dans ses cours dispensés à l’Université impériale de Strasbourg, comme dans son opus monumental, Das Staatsrecht des Deutschen Reiches (Droit public de l’Empire allemand)101, Laband conclut à l’incompatibilité du principe de séparation des pouvoirs avec le droit constitutionnel du jeune Empire allemand, mais reconnaît que la diversité de l’activité de l’État suppose une classification. Classer ou distinguer les formes de l’activité publique ne signifie pas une séparation ou division des pouvoirs. La doctrine, développée par Locke et surtout par Montesquieu, qui l’extrait à partir des données de la structure constitutionnelle anglaise, « est incompatible avec le concept même d’État », elle est « intenable d’un point de vue logique », car l’État représente une « personne et une unité » dotée d’ « une volonté unique ». Unité de la volonté est exclusive d’une division des pouvoirs.
Cette théorie est devenue le fondement de la doctrine constitutionnelle et a ainsi acquis une grande importance pratique. Elle n’est cependant pas compatible avec le concept d’État, car intenable d’un point de vue logique, pratiquement irréalisable et politiquement pernicieuse. Elle nie la véritable nature de la monarchie constitutionnelle. Elle est incompatible avec le concept d’État, car l’État est une personne et une unité. Toute personne est dotée d’une volonté unitaire ; elle ne peut être dissoute dans différents sujets indépendants les uns des autres, sans courir à sa propre perte.102
(…) aussi, le pouvoir d’État est toujours le même, qu’il agisse en tant que législatif, exécutif ou qu’il rende la justice ; ce ne sont là que des formes différentes sous lesquelles s’exprime le pouvoir d’État. Il n’est nullement question de pouvoirs séparés les uns des autres. La théorie de la séparation des pouvoirs cause la perte de la souveraineté ; le souverain devient uniquement l’organe du pouvoir exécutif.103
Il y a dans ces phrases une contradiction insurmontable. L’État constitutionnel, la monarchie limitée allemande, ne supporte pas la séparation des pouvoirs104, car la personne juridique dotée de volonté unitaire est toujours la même malgré les formes diverses que peut revêtir son expression. C’est donc la personne de l’État qui dispose de la totalité du pouvoir. Si on suivait ce raisonnement jusqu’au bout, on ne pourrait pas conclure, comme le fait Laband, à l’identité entre le souverain et l’organe du pouvoir exécutif. Il aurait pu s’arrêter à la première raison de l’incompatibilité de la séparation des pouvoirs avec la personnalité juridique de l’État : le caractère unitaire de cette dernière et l’impossibilité de morceler sa volonté exclut toute séparation ou division. C’est l’argument utilisé par Georg Meyer lorsqu’il rejette la théorie de la division des pouvoirs car celle-ci « détruit l’unité de l’État en transformant les expressions particulières de la puissance publique en pouvoirs autonomes et indépendants les uns des autres »105. La doctrine allemande, continue Meyer, « a donc parfaitement raison lorsqu’elle rejette » la théorie de la division106.
Alors, pourquoi ajouter que séparer les pouvoirs équivaudrait à la « perte de la souveraineté » et, par conséquent, au déclassement du « souverain » au niveau de simple organe du pouvoir exécutif ? La raison de cet ajout innerve toute l’œuvre de Laband : dans l’imaginaire de cet auteur conservateur, le monarque ne peut pas être un simple organe exécutif. Si le pouvoir était divisé, cela voudrait dire que les assemblées se verraient attribuer le pouvoir législatif ou du moins une partie essentielle de celui-ci107. Dans cette configuration, le monarque serait enfermé dans la sphère d’action limitée du pouvoir exécutif. Malgré les apparences, l’État n’est que théoriquement détaché du monarque. En pratique, ce dernier est l’organe suprême qui n’est pas cantonné à un seul domaine d’action. Bien au contraire, même qualifié d’organe, il continue à détenir et effectivement exercer l’intégralité du pouvoir. Cet exercice ne fait pas l’objet d’un partage avec les assemblées, il n’est que limité par leurs compétences constitutionnellement attribuées. La puissance de domination, le cadre formel de la volonté étatique, est réservée au seul monarque.
L’indentification du monarque au souverain et le refus catégorique du principe de la séparation des pouvoirs108 a des conséquences pratiques directes. Malgré le refus d’admettre un partage du pouvoir entre le parlement et le monarque, Laband ne nie pas le « principe suprême (…) de la monarchie constitutionnelle » veut « que le souverain ne puisse édicter aucune nouvelle règle de droit sans l’approbation de la représentation », car « l’exercice du pouvoir législatif est conditionné par la participation » des assemblées109. Mais, martèle Laband, la « participation du peuple au pouvoir d’État unitaire et indivisible est autre chose que la décomposition (Spaltung) du pouvoir en plusieurs parties indépendantes les unes des autres ». En définissant la loi au sens matériel comme l’acte contenant une règle de droit et en l’opposant à la loi formelle110, qui exige l’approbation des assemblées conformément aux dispositions constitutionnelles sans qu’elle comporte une règle de droit, Laband réussit à utiliser le confit budgétaire prussien afin de justifier le rôle secondaire des assemblées. Par une interprétation aussi élégante que politiquement utile, il conclut que l’autorisation budgétaire, comportant des règles de droit, adoptée par une loi formelle, « produit un effet permanent ». Afin qu’elle soit abrogée, il convient d’avoir le commun accord des chambres et de la Couronne. Le gouvernement monarchique était dans son droit d’engager les dépenses nécessaires à la réforme militaire prussienne.
Le désir de diminuer le rôle des assemblées représentatives, nourri par l’engagement politique conservateur de Laband, est également perceptible dans la définition de la sanction monarchique. La sanction du monarque n’est pas une simple formalité, mais un acte législatif sans lequel le processus d’élaboration de la loi ne peut être parfait. Dans la monarchie limitée allemande, « le monarque, en tant qu’unique « porteur (Träger) du pouvoir d’État indivisé (ungetheilten) et indivisible (untheilbaren), est apte à édicter une loi d’État, c’est-à-dire de donner l’ordre d’agir conformément à la loi »111. Sans la sanction, point de loi. Les assemblées n’ont pas d’accès à l’exercice de la domination, au pouvoir de commandement. Leur participation est limitée à la détermination du contenu de l’acte législatif112, c’est-à-dire « à la fixation du contenu de la volonté publique, mais ne lui confèrent pas la puissance de la domination. »113 Au « sens constitutionnel, seule la sanction constitue un acte de législation », car la « question du sujet du pouvoir législatif est identique à celle relative au porteur (Träger) du pouvoir d’État »114. La sanction monarchique n’est pas une faculté d’empêcher le cours de la procédure législative mais se transforme chez Laband en une véritable faculté de statuer. La détermination du contenu législatif par les chambres ne constitue qu’une limitation du pouvoir monarchique imposée par le texte constitutionnel.
Le principe de séparation des pouvoirs poursuit un des objectifs les plus « nobles » : il tend à empêcher l’abus de pouvoir et protéger la liberté de l’individu. Hélas, dans l’imagination labandienne, ce principe n’est pas apte à atteindre son objectif. Il a un défaut majeur : son esprit mécanique n’arrive pas vraiment à organiser le pouvoir en évitant l’arbitraire de la puissance. La répartition purement artificielle du pouvoir de l’État d’après des critères formels ne peut pas répondre à l’objectif poursuivi. L’accusation de Laband selon laquelle la séparation des pouvoirs est un procédé mécanique incompatible avec le caractère unitaire de l’État est aussi celle formulée par les auteurs de la théorie organiciste de l’État.
§ 3. La théorie des fonctions dans l’œuvre de Georg Jellinek ou la vaine tentative de saisir « la vie réelle de l’État ».
Georg Jellinek (1851-1911)115 est à l’origine du profond changement de la physionomie du positivisme de l’ « école Gerber/Laband ». Le rapport qu’il entretient avec le positivisme de droit public est ambigu116. Jellinek n’est ni l’ « ami ni l’ennemi polémique » de l’ « école Gerber/Laband », mais bien son « critique »117. Il n’entend pas évacuer du droit public les éléments sociaux, historiques ou politiques. Cependant, il ne les intègre pas dans sa théorie juridique de l’État. Dans les concepts juridiques, il est possible de voir deux stades d’élaboration : il faut d’abord partir d’éléments sociologiques qui servent de base pour les types empiriques pour ensuite les reformuler en tant que catégories du droit118. Sa démarche est la suite logique du raisonnement de Gerber selon lequel l’objet « État » peut être perçu de deux perspectives différentes119. La séparation rudimentaire, « non réfléchie »120 de l’observation juridique et de l’observation naturelle de l’État, devient, grâce au « lien interne » que construit Jellinek, la Zwei-Seiten-Lehre de l’État. Ces deux points de vue, social et juridique, forment le socle de la théorie générale de l’État. La méthode positiviste n’est donc pas rejetée, elle est cantonnée à l’étude juridique de l’État, tandis que la perspective extra-juridique est celle qui permet d’élaborer la théorie sociale de l’État.121.
Il ne s’agit plus de partir à la recherche de concepts définis par leur substance, des concepts qui existent donc en soi. Il faut réfléchir en termes de « concepts fonctionnels », qui sont les « véritables concepts opératoires de la science juridique », et abandonner « les concepts substantiels »122. La question qu’il convient de se poser, écrit Jellinek, est « comment, d’un point de vue juridique, dois-je penser l’État », car le « monde des juristes » n’est pas un « monde des choses en soi », mais de ce que « les choses représentent pour nous ». C’est cette question qui constitue «l’interrogation juridique scientifique »123. Il s’agit de voir comment Jellinek pense les fonctions (B) du pouvoir d’État indivisible (A).
A. L’indivisibilité du pouvoir politique de l’État.
Avec Jellinek, il ne s’agit plus de construire l’État autour du seul concept de domination en condamnant les sujets à être les « choses » sur lesquelles s’exerce la puissance. Même s’il n’abandonne pas complètement la domination, Jellinek réussit à détecter et surmonter l’incohérence majeure dans le programme Gerber/Laband. La construction de l’État comme personne juridique constitue « le fondement et la pierre angulaire du droit public »124. Mais cette construction suppose en effet l’existence d’une relation, d’un rapport liant deux sujets de droit. Le concept même de personne n’est possible que dans un rapport relationnel, entre l’État et les citoyens qui doivent être entendus comme de véritables sujets disposant de droits subjectifs opposables à l’État-personne125.
Dans ce rapport relationnel, la souveraineté étatique est un « superlatif dont l’intégrité ne se laisse pas entamer, et qui ne souffre à côté de lui que des grandeurs analogues de la même espèce ». Il est impossible de concevoir une « souveraineté partagée, fragmentaire, diminuée, limitée, relative ». L’État-personne juridique se caractérise par son unité : « de là résulte aussitôt, comme conséquence nécessaire, la doctrine de l’unité et de l’indivisibilité du pouvoir étatique »126.
L’indivisibilité de la souveraineté appelle l’indivisibilité du pouvoir de l’État. Alors, comment penser le principe de la séparation des pouvoirs ? Pour Jellinek, il n’y a qu’une solution : il ne peut y avoir de séparation ou de division du « pouvoir politique, considéré comme contenu de la souveraineté ». Il est possible en revanche d’élaborer une théorie des fonctions matérielles ou formelles de l’État. L’unité ne se « laisse fractionner » au point qu’on puisse « faire un partage pur et simple des fonctions entre les organes correspondants »127.
La classification traditionnelle, qui sépare la législation, l’exécution (gouvernement et administration) et la juridiction, est la plus « durable ». La complexité de la structure étatique suppose des classifications variées en prenant en compte la nature des phénomènes qu’elle présente.
B. La distinction des fonctions matérielles et formelles comme mode de division du travail étatique.
Pas seulement la connaissance de la nature de l’État et ses organes, mais également le regard dans la nature intime de l’activité étatique fait partie des supposés indispensables à toute étude féconde de l’État.128
Une formation aussi complexe que l’État peut être considérée sous les points de vue les plus divers et par suite donner lieu aux divisions les plus différentes suivant la nature des phénomènes qu’il présente. Il en est de même de ses fonctions.129
Le principe de séparation des pouvoirs n’est pas assimilé à la théorie de la distinction des fonctions, car il s’agit, selon Jellinek, de deux modes différents de division du pouvoir de l’État. En effet, la première « véritable division » est celle qui apparaît « sous le voile de la doctrine de séparation des pouvoirs »130. La division du travail constitue « la base de l’organisation étatique ». Les organes, qui disposent de compétences objectivement attribuées, ne sont que la manifestation extérieure des fonctions matériellement distinctes131. Le principe fondamental de la théorie de la distinction des fonctions reste le caractère unitaire du pouvoir de l’État. Ainsi, l’ « unité du pouvoir politique ne se laisse fractionner dans ses manifestations au point qu’on puisse faire un partage pur et simple des fonctions entre les organes correspondants ». Le principe de séparation ne peut jamais être épuisé dans une division machinale des fonctions et organes. Car, même si un système constitutionnel admet la division, le « partage pur et simple » n’est pas réalisable en pratique. Le théoricien, qui souhaite traduire cette idée « surannée » dans la vie réelle de l’État, ne fait qu’occulter les aspérités de la matière vivante132. « L’État constitutionnel n’est pas le produit de la nécessité esthétique de la répartition architectonique de l’organisation étatique, mais résulte de la modification des strates de la société intervenue ces derniers temps. »133
Ainsi, il convient de classer les fonctions en deux grandes catégories : les fonctions matérielles (objectives) et les fonctions formelles (subjectives). Le critère distinctif des fonctions au sens matériel est la notion de but de l’État134. Leur contenu dépend par conséquent du but qu’elles sont censées accomplir135. Car, pour Jellinek, « le monde des hommes est un monde des buts »136. Il existe trois types de buts étatiques137: la conservation de l’existence même de l’État (le but de la puissance), le maintien et le développement du droit (le but juridique) et la culture (le but culturel). Parmi ces trois types de buts, uniquement le but juridique, celui qui vise au maintien et au développement du droit, est « spécifique à l’État »138. Ce sont les fonctions matérielles de la législation et de la justice qui permettent sa réalisation. Quant aux deux autres buts (la puissance et la culture), selon Jellinek, ils s’apparentent à l’activité de l’être humain et ne portent pas les caractéristiques intrinsèques de l’État. La fonction matérielle chargée de leur réalisation est l’administration. Ainsi, « la totalité de l’activité (gesammte Thätigkeit) de l’État est matériellement divisée en législation, justice et administration »139. Les fonctions matérielles ont un point commun : dans chacune d’entre elles, on retrouve une sphère d’activité libre (ou pouvoir discrétionnaire). Cette activité libre est élevée par le maître de Heidelberg au rang de condition indispensable à l’existence-même des fonctions matérielles. Sa « quantité » dépend de la fonction : la législation bénéficie de la marge de manœuvre la plus large, l’administration dispose d’une liberté d’agir moins importante140. Malgré la diversité des fonctions matérielles, il n’est point question d’un pouvoir étatique fractionné.
Dans l’Allgemeine Staatslehre (Théorie générale de l’État), Jellinek entreprend d’élaborer une distinction à la fois d’un point de vue formel et matériel, « c’est-à-dire entre les grandes directions que prend l’activité étatique et l’activité des différents groupes d’organes »141. Il garde la classification matérielle selon le but poursuivi en la modifiant par l’introduction de critères formels.
D’un point de vue matériel, les fonctions constituent un lien entre « l’activité de l’État et les buts de l’État ». À partir de ce lien, il est possible de dégager trois fonctions matérielles: « la législation, la juridiction, l’administration »142. De ces trois fonctions, c’est l’administration qui est au centre du système car garantissant la survie même de l’État. La législation, pendant de longues périodes, est un phénomène inconnu, mais l’administration, elle, « est de tous les instants »143. L’existence même de l’État serait corrompue, si l’administration disparaissait144. Ses organes donnent une image complète de « l’ensemble des fonctions matérielles ». L’administration dispose ainsi d’un pouvoir de réglementation et d’un pouvoir de décision qui lui permettent de participer à la fois à la législation et à la juridiction. C’est justement la place qu’occupe l’administration, jouant à la fois un rôle capital dans le cours de la procédure législative, mais aussi dans la phase de l’exécution de la loi, et représentant un facteur de premier ordre dans l’activité des tribunaux, qui démontre l’impossibilité d’opérer une division absolue des fonctions étatiques. Jellinek conclut lui-même : « C’est un vain effort que de vouloir déterminer pour chaque cas concret où commence et où s’arrête une fonction matérielle »145.
La distinction matérielle des fonctions à partir du critère téléologique ne convainc pas vraiment, car on s’aperçoit rapidement qu’une même fonction peut accomplir deux buts différents ou bien, inversement, un seul but peut être atteint par le concours de deux, voire de trois fonctions matérielles. Comme le remarquent Raymond Carré de Malberg et Léon Duguit, qui dépassent ici leurs divergences doctrinales afin d’adresser une critique à la distinction matérielle des fonctions, « la science du droit n’est point une science des buts », elle a « pour objectif » de définir « les institutions ou les actes juridiques (…) par leur structure, leurs éléments constitutifs, leur contenu et surtout leurs effets de droit ». Le critère du but poursuivi ne peut qu’« apporter le trouble et la contradiction dans la distinction des fonctions », car incohérent. Un « acte juridique » peut contribuer à la réalisation de deux buts146. Il ne s’agit pas d’une classification juridique des fonctions de l’État, car déterminer celles-ci « en raison des diverses activités que celui-ci doit réaliser, c’est déterminer les fonctions de l’État du point de vue économique »147.
Quant aux fonctions formelles, elles sont la description de l’activité des organes de l’État, contrairement aux fonctions matérielles, définies, indépendamment de l’organe qui en est chargé, par leur contenu. Ainsi, même si, dans un monde théorique idéal, le champ des fonctions formelles devait coïncider avec celui des fonctions matérielles, il n’y aurait pas d’inconvénient à ce que, dans la réalité, les fonctions matérielles se trouvent partagées entre plusieurs organes, dont l’existence découle de « la seule nature de l’État, unité, groupe organisé »148. Pour la vie de l’État, seules les fonctions formelles sont décisives. Il n’est pas question de diviser ces fonctions de manière superficielle, car « seules sont importantes, les divisions qui pénètrent au cœur de l’activité de l’État et ne s’en tiennent pas à l’extérieur »149. Quelle que soit la division, formelle ou matérielle, elle ne saura jamais rendre compte du véritable fonctionnement de la machine étatique, car celui-ci n’est pas soumis aux règles d’une « logique rigoureuse ». Vouloir arrêter une division rigide et absolue des fonctions ne correspond pas à la réalité de l’État, c’est une « chose impossible »150.Tout ce qui est vivant, tout ce qui touche à la pratique, « manque souvent de logique ». Seule une « scolastique surannée peut chercher partout la logique ; elle ne saurait, d’ailleurs, la trouver »151. Finalement, après avoir proposé deux manières de distinguer les fonctions, Jellinek leur reproche de n’être pas aptes à rendre compte de la vie réelle de l’État. Le fonctionnement complexe de l’appareil étatique est le résultat des jeux et des combinaisons les plus variées de ces soi-disant fonctions, qui se trouvent dans un état d’interpénétration permanente, qui traversent sans aucune difficulté les limites imaginaires dans lesquelles la théorie souhaite les enfermer. L’objectif, que remplit une classification, qu’elle s’attache au but ou à la description formelle, n’est pas d’établir une définition immuable des éléments constitutifs de chacune des fonctions. Il s’agit avant tout d’aboutir à une optimisation du travail dont sont chargés les différents organes de l’État.
La distinction matérielle (objective) et formelle (subjective)152 ne peuvent jamais complètement coïncider, car, même si la théorie postule une distinction statique en ne prenant pas en compte les considérations d’utilité politique, la réalité est tout autre153. L’approche est pragmatique : pas de séparation des pouvoirs, mais distinction relative des fonctions avec éléments du système des freins et contrepoids (checks and balances). Il est étonnant que chez Jellinek disparaisse l’objectif premier du principe de séparation des pouvoirs : la protection de la liberté de l’individu.
Jellinek, décédé prématurément en 1911, ne voit pas la fin de l’Empire bismarcko-wilhelmien. Sa Théorie générale de l’État représente un des derniers monuments d’un régime révolu qui illumine les premières années de Weimar et constitue un point de départ important pour les juristes de la nouvelle génération « républicaine ».
Au début du XXe siècle, l’Empire souffre de son impossibilité de s’adapter aux exigences d’une nouvelle époque. La Grande guerre achève ce mastodonte, dont le corps est solide, composé de différents États plus ou moins puissants, mais qui, posé sur ses pieds constitutionnels fragiles, n’arrive plus à marcher.
- V. cette partie, chapitre 2, section 2. [↩]
- Ernst-Wolfgang Böckenförde, « L’État comme organisme. Théorie de l’État et politique constitutionnelle aux débuts du constitutionnalisme », in du même, Le droit, l’État et la constittion démocratique. Essais de théorie juridique, politique et constitutionnelle, réunis et présentés par Olivier Jouanjan avec la collaboration de Willy Zimmer et Olivier Beaud, Bruylant/LGDJ, 2000, p. 119. [↩]
- Michael Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne (1800-1914), op.cit., p. 151 et suiv., particulièrement p. 153-154. [↩]
- Ernst-Wolfgang Böckenförde, « L’État comme organisme. Théorie de l’État et politique constitutionnelle aux débuts du constitutionnalisme », in du même, Le droit, l’État et la constittion démocratique. Essais de théorie juridique, politique et constitutionnelle, op.cit., p. 123. Sur les origines philosophiques de l’État-organisme, voir l’essai critique d’Albert van Krieken, Ueber die sogenannte organische Staatstheorie, Duncker & Humblot, Leipzig, 1873, spécialement p. 60 et suiv. sur la pensée organiciste de Fichte et de Schelling et p. 68 sur la construction de l’organisme dans la forme de l’État dans l’oeuvre de Schelling. [↩]
- Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit., p. 172 : « L’État colle à la peau du peuple, plutôt : il en est la peau et le visage, l’enveloppe visible, la révélation » (en italique dans le texte). [↩]
- L’idée de l’État comme incoporation, manifestation organique du peuple est présente chez Friedrich Carl von Savigny, System des heutigen Römischen Rechts, t. 1, Berlin, 1840, p. 22 : « Le peuple, auquel nous devrions donner des contours flous en tant qu’ensemble naturel, n’apparaît jamais nulle part de cette manière abstraite. (…) l’unité invisible est révélée par une apparition visible et organique. L’État est la figure corporelle de la communauté populaire spirituelle, et avec lui sont immédiatement définies les strictes limites de l’unité » (« Das Volk, dem wir als einem unsichtabren Naturganzen unbestimmte zuschreiben müßten, besteht jedoch nirgend und in keiner Zeit auf diese abstracte Weise. (…) die unsichtbare Einheit in sichtbarer und organischer Erscheinung zu offenbaren. Diese leibliche Gestalt der geistigen Volksgemeinschaft ist der Staat, und mit ihm sind zugleich scharf bestimmte Gränzen der Einheit gegeben »). Voir sur ce point, Ernst-Wolfgang Böckenförde, « L’État comme organisme. Théorie de l’État et politique constitutionnelle aux débuts du constitutionnalisme », in du même, Le droit, l’État et la constittion démocratique. Essais de théorie juridique, politique et constitutionnelle, op.cit., p. 124 et Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit., 171-172. [↩]
- Yan Thomas, Mommsen et l’ « Isolierung » du droit (Rome, l’Allemagne et l’État), Éd. De Boccard, Paris, 1984, p. 29 et suiv. [↩]
- Contre la théorie organiciste de l’État : Max von Seydel, Grundzüge einer allgemeinen Staatslehre, Würzburg, 1873, p. 11, qui écrit que « cette expression métaphorique » est le signe d’un « raisonnement opaque » privé de toute « réflexion juridique » et de toute « valeur philosophique » (« Es ist daher ein Gedanke ohne jeglichen rechtswissenschaftlichen und jeden philosophischen Wert, dass der Staat ein Organismus sei. Diese bildliche Ausdruckweise beruht auf einem unklaren Denken […] »). [↩]
- Robert von Mohl, Lebenserinnerungen (1799-1875), vol. 2, Stuttgart/Leipzig, 1902, p. 153: « Weitaus die auffallendste Erscheinung unter den gelehrten Mitgliedern war zu meiner Zeit aber ohne Zweifel Bluntschli (…) ». Bluntschli et Mohl furent tous les deux membres de la première chambre du Parlement du Bade. D’ailleurs, en 1861, c’est Bluntschli qui succède à Robert von Mohl à l’Université de Heidelberg. [↩]
- Johann Caspar Bluntschli, Allgemeines Staatsrecht, geschichtlich begründet, 1e édition, München, 1852. Au moment de la parution de l’ouvrage, Bluntschli est professeur ordinaire de droit privé et de droit public allemands à l’Université de Munich. Il occupe ce poste de 1848 jusqu’à 1861, lorsqu’il accepte l’ « appel » (Ruf) de l’Université de Heidelberg. Sur la pensée organiciste de Bluntschli, voir Ernst-Wolfgang Böckenförde, Gesetz und gesetzgebende Gewalt, 1e édition, op.cit., p. 195-196. [↩]
- Michael Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne (1800-1914), op.cit., p. 600. Les mots de Hermann Schulze en disent long sur le climat politique après 1849 : « Dans un temps d’un profond épuisement politique, où l’espoir de voir un développement politique positif de notre peuple et la conviction de voir la nature éthique de l’État passer à un stade supérieur sont complètement anéantis, l’ouvrage de l’intellectuellement vif Bluntschli nous a vraiment rafraîchis » (la préface de Loening, in Johann Caspar Bluntschli, Lehre vom modernen Staate [Théorie de l’État moderne], 1e partie : Allgemeine Staatslehre [Théorie générale de l’État], 6e édition, Stuttgart, 1886, p. VIII : « In einer Zeit tiefer politischer Abgespanntheit, wo bei so manchem der Glaube an eine staatliche Fortentwicklung unseres Volkes, die Ueberzeugung von einer höheren sittlichen Natur des Staates völlig zu Grunde gegangen ist, hat uns das Werk des geistvollen Bluntschli wahrhaft erfrischt »). [↩]
- Michael Stolleis, Histoire du droit public allemand (1800-1914), op.cit., p. 601 : « (…) il transmettait sous une forme modérée la tradition du Vormärz dépouillée de ses éléments révolutionnaires ». [↩]
- C’est Carl Friedrich von Gerber qui élève les assemblées au rang d’organes de l’État dans ses Grundzüge des deutschen Staatsrechts (Principes du droit public allemand) qui paraissent en 1865. Sur Gerber, infra, cette section, §2. [↩]
- Johann Caspar Bluntschli, Allgemeines Staatsrecht, geschichtlich begründet, 1e édition, München, 1852, p.22 : « Eine gründliche Prüfung der staatlichen Erscheinungen läßt uns ferner in demselben ein organisches Wesen erkennen, und in der That ist mit dieser Einsicht in die organische Natur des Staates sehr viel gewonnen auch für die praktische Behandlung der staatlichen Fragen ». [↩]
- Johann Caspar Bluntschli, Allgemeines Staatsrecht, geschichtlich begründet, 1e édition, München, 1852, p. 24: « Der Staat ist eine Gesammtheit von Menschen, in der Form von Regierung und Regierten auf einem bestimmten Gebiete verbunden zi einer sittlich-organischen Persönlichkeit ». Dans le même sens, Lorenz von Stein, Verwaltungslehre, 1e partie, 2e édition, Stuttgart, 1869, p. 5, qui évacue l’élément « éthique »: « L’État n’est ni une institution, ni une exigence juridique, encore moins une formation éthique ou un concept logique (…). L’État est la forme matérielle suprême de la personnalité » (« Der Staat ist weder eine Anstalt, noch eine Rechtsforderung, noch eine ethische Gestaltung, noch ein logischer Begriff […]. Der Staat ist eine – die höchste materielle – Form der Persönlichkeit »). [↩]
- Sur la théorie de la personnalité juridique de l’État, voir infra, cette section, §§ 2 et 3. [↩]
- Johann Caspar Bluntschli, Allgemeines Staatsrecht, t.1, 3e édition, München, 1863, p. 39 : « (…) schreibt dem Staate eine Persönlichkeit zu, die mit Geist und Körper begabt ihren eigenen Willen hat (…) ». [↩]
- Hermann Schulze, Einleitung in das deutsche Staatsrecht mit besonderer Berücksichtigung der Krisis des Jahres 1866 und Gründung des Norddeutschen Bundes, nouvelle édition, Leipzig, 1867, p. 161 : « Der Staat (…) bedarf eines Gesammtwillens, welcher befugt ist, über die Gesammtkraft zur Erreichung der Staatszwecke zu verfügen ». [↩]
- Johann Caspar Bluntschli, Allgemeines Staatsrecht, geschichtlich begründet, 1e édition, München, 1852, p. 26 : « Der Staatskörper ist das Abbild des menschlichen Körpers ». Cette analogie est qualifiée par Robert von Mohl de « folle comparaison » (Robert von Mohl, Lebenserinnerungen [1799-1875], vol. 2, Stuttgart/Leipzig, 1902, p. 153 : « einfach verrückten Vergleichung des Staates mit dem menschlichen Körpers »). Sur le parallèle entre les fonctions étatiques et les fonctions du corps humain, voir infra, ce paragraphe, B. [↩]
- Johann Caspar Bluntschli, Lehre vom modernen Staate, 1e partie : Allgemeine Staatslehre, 6e édtiion, Stuttgart, 1886, p. 563 : « Der Staat ist die Verkörperung und Personification der Volksmacht. Indem man sich diese Volksmacht in ihrer höchsten Würde und ihrer grössten Gewalt denkt, spricht man von Souveränität ». Dans le titre de la partie on voit que « Souveränität est entre parenthèses et suit immédiatement le terme de « Staatsgewalt », pouvoir d’État. Pour Bluntschli « souveraineté » est une expression française qui ne trouve pas d’équivalent parfait en langue allemande (p. 563-564). [↩]
- Johann Caspar Bluntschli, Lehre vom modernen Staate, 1e partie : Allgemeine Staatslehre, 6e édtiion, Stuttgart, 1886, p. 565-566 : « (…) Unabhängigkeit der Staatsgewalt von jeder übergeordneten Staatsautorität, (…) Höchste staatliche Würde (…) Fülle der Staatsmacht (…) ist die souveräne Macht ihrer Natur nach die oberste im Staate. Es kann somit keine andere staatliche Gewalt in dem Staatsorganismus ihr übergeordnet sein ». [↩]
- Hermann Schulze, Einleitung in das deutsche Staatsrecht, 1e édition, Leipzig, 1865, p. 174 : « Einheit und Untheilbarkeit ist eine wesentliche Eigenschaft der Staatsgewalt ». [↩]
- Johann Caspar Bluntschli, Lehre vom modernen Staate, 1e partie : Allgemeine Staatslehre, 6e édtiion, Stuttgart, 1886, p. 566 : « Da der Staat ein organischer Körper ist, so ist Einheit der Souveränität ein Erfordernis seiner Wohlfahrt. Die Spaltung der Souveränität führt in ihrer Konsequenz zur Lähmung oder Auflösung des Staates und ist daher mit der Gesundheit des Staates nicht verträglich ». [↩]
- Hermann Schulze, Einleitung in das deutsche Staatsrecht mit besonderer Berücksichtigung der Krisis des Jahres 1866 und Gründung des Norddeutschen Bundes, nouvelle édition, Leipzig, 1867, p. 161 : « (…) als einheitlicher Organismus (…) ». [↩]
- Joseph von Held, System des Verfassungsrechts der monarchischen Staaten Deutschlands mit besonderer Rücksicht auf den Constitutionalismus, 1e partie, Würzburg, 1856, p. 61 : « Wie der Staat, so ist auch die Staatsgewalt souverän und untheilbar im Ganzen wie in ihren einzelnen Ausflüssen (…) ». Pour Held, c’est l’histoire même de son pays qui démontre l’incompatibilité de la division du pouvoir d’État avec la nature de l’État » (p. 61 : « Aber auch die Geschichte unseres eigenen Vaterlands beweist die Unvereinbarkeit der Theilung der Staatsgewalt mit dem Wesen des Staats »). [↩]
- Michael Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne (1800-1914), op.cit., p. 440. [↩]
- Joseph von Held, System des Verfassungsrechts der monarchischen Staaten, op.cit., p. 310 : « Gerade aber hierdurch hat die Lehre von der formellen Eintheilung der Staatsgewalt eine traurige Berühmtheit erlang, indem aus der Eintheilung der Aeusserungsformen des Untheilbaren eine wirkliche Theilung des letzteren gefolgert wurde (…) ». [↩]
- Joseph von Held, System des Verfassungsrechts der monarchischen Staaten, op.cit., p. 312 : « Dasjenige Staatsgrundgesetz, welches wirklich die Theilung der Souveränetät ausspricht, würde sich selbst, weil den Staat, negiren ; es wurde den Staat geradezu aufheben, weil es die Souveränetät vernichtet hätte (…).Die mehrern Subjekte der mehreren sog. Souveränetäten müssten nothwendig auf Leben und Tod miteinander kämpfen, bis die Einheit und Untheilbarkeit der Souveränetät im Princip wie in der Form, wiederhergestellt, und entweder nur Eines von ihnen oder ein Dritter diesen Sieg des Staats über den Nichtstaat errungen hätte ». « Le conflit entre les pouvoirs, écrit Hermann Schulze, finit habituellement par la victoire de l’exécutif » (Einleitung in das deutsche Staatsrecht, 1e édition, Leipzig, 1865, p. 182 : « […] ein Conflict der Gewalten eintrat, welcher gewöhnlich mit dem Siege der Exekutive endigte »). [↩]
- Joseph Held, « Organisation » in Carl von Rotteck/ Carl Welcker (dir.), Staats-Lexikon, Encyklopädie der sämmtlichen Staatswissenschaften für alle Stände, 3e édition, Brockhaus, Leipzig, 1864, p. 41 : « sein (des Organismus) eigentlicher Gegensatz (…) ist der Mechanismus (…) ein für sich allein todter, ganz und gar nur von äußen bewegter (…) künstlich zusammengesetzter Körper, der nur einen fremden Dasein dient (…) ». [↩]
- Joseph Held, « Organisation » in Carl von Rotteck/ Carl Welcker (dir.), Staats-Lexikon, Encyklopädie der sämmtlichen Staatswissenschaften für alle Stände, 3e édition, Brockhaus, Leipzig, 1864, p. 41 : « In dem Ausdruck “Organismus” liegt der Begriff eines aus verschiedenen Elementen zusammengesetzten und zwar so zu einer lebendigen und selbständigen Einheit verbundenen Körpers (…). Die Desorganisation (…) beginnt folglich da, wo die (…) Einheit aufhört (…) ». [↩]
- Lorenz von Stein, Verwaltungslehre, 1e partie, 2e édition, Stuttgart, 1869, p. 15-16 : « (…) jede einzelne Aufgabe und Funktion des Staates wieder ein Ausdruck des Ganzes ist (…) daher das Wesen und die Kraft der gesammten Staatsgewalt in sich trägt. (…) Die “einzelne Staatsgewalt” bedeutet alsdann die Funktion des einzelnen Staatsorganes für das Ganze und im Ramen des Ganzen (…) Die Worte Staatsgewalt und Staatsgewalten sind daher als Bezeichnungen sehr gut zu benutzen ». Il peut y avoir par conséquent autant de « pouvoirs » qu’il existe des fonctions. Ces pouvoirs d’État ne sont pas basés sur « une conception organique ou scientifique » (« keiner organischen, wissenschaftlichen Auffassung »). Ce sont des « catégories vides » (« leeren Kategorien »), car ils ne représentant que « les manifestations extérieures » des organes étatiques, mais ne renseignent pas sur « la nature » de ceux-ci (« sie sich nie auf das Wesen der Sache, sondern nur auf die Erscheinung beziehen »). [↩]
- Hermann Schulze, Einleitung in das deutsche Staatsrecht, 1e édition, Leipzig, 1865, p. 184 : « Dies ist eine lebensfähige, kräftige Organisation, welche von der mechanischer Theilung der Gewalten (…) zu unterschieden ist ». [↩]
- Hermann Schulze, Einleitung in das deutsche Staatsrecht, 1e édition, Leipzig, 1865, p. 174 : (…) ist es (…) ein wissenschaftliches Bedürfnis, verschiedene Funktionen der Staatsthätigkeit zu unterscheiden ». [↩]
- Hermann Schulze, Einleitung in das deutsche Staatsrecht, 1e édition, Leipzig, 1865, p. 182-183 : « Zwar nicht in der Trennung oder Theilung der Gewalten, wohl aber in ihrer Unterscheidung und organischen Gliederung liegt das Fundament aller politischen und bürgerlichen Freiheit ». [↩]
- Johann Caspar Bluntschli, « Staatsgewalten », in Johann Caspar Bluntchli/Karl Brater (dir.), Deutsches Staats-Wörterbuch, t. 9, 1865, p. 727 : « (…) erst die moderne Zeit hati eine grundsätzliche Sonderung der Aemter je nach der Natur ihrer Thätigkeiten eingeführt ». [↩]
- Johann Caspar Bluntschli, Allgemeine Staatslehre, t. 2, 3e édition, 1863, p. 449-450 : « In der Ausscheidung der verschiedenen Functionen des Staates und in der Zuweisung derselben an verschiedene Organe desselben erkennen wir eine höhere Stufe der staatlichen Ausbildung (…) ». [↩]
- Hermann Schulze, Einleitung in das deutsche Staatsrecht, 1e édition, Leipzig, 1865, p. 182 : « (…) liegt in der Lehre von der Theilung der Gewalten ein Kern riefer Staatsweisheit verborgen ». [↩]
- Hermann Schulze, Einleitung in das deutsche Staatsrecht, 1e édition, Leipzig, 1865, p. 182 : « Jede Theilung oder Trennung der Gewalten wäre eine Auflösung der Staatseinheit, eine Vernichtung des einheitlichen Staatswillens », avec une référence à Georg Waitz. [↩]
- Hermann Schulze, Einleitung in das deutsche Staatsrecht, 1e édition, Leipzig, 1865, p. 183 : « (…) die vollkommenste Organisation der verschiedenen Funktionen der Staatsgewalt findet sich in der konstitutionellen Monarchie ». [↩]
- Hermann Schulze, Einleitung in das deutsche Staatsrecht, 1e édition, Leipzig, 1865, p. 183-184 : « (…) nimmt das Volk Theil durch seine Volsvertretung an der Gesetzgebung (…) ; die Regierungsgewalt wird von dem Souverän ausgeübt, unter der verfassungsmässigen Theilname eines (…) Beamtenthums, ohne welches er keinen Staatsakt gültig vollziehen kann (…), die Richtergewalt durch einen selbständigen Richterstand, welcher zwar vom Souverän angestellt wird und von ihm seine Gewalt ableitet, im Rechtsprechen aber völlig unabhängig ist ». La positition de Schulze concernant la participation de la représentation populaire reflète son penchant libéral, mais l’assimilation du souverain au pouvoir gouvernemental, et donc, au monarque, témoigne d’un certain conservatisme politique (ou volonté de ne pas placer le monarque au même niveau que les représentations populaires ?). [↩]
- Hermann Schulze, Einleitung in das deutsche Staatsrecht, 1e édition, Leipzig, 1865, p. 184 : « (…) diese verfassungsmässige Theilnahme verschiedener Organe ist keine Theilung der einheitlichen Staatsgewalt, welche im Souverän concetrirt bleibt. Dieser ist der Inhaber der vollen Staatsgewalt, aber in der Ausübung beschränkt durch Verfassung und Gesetz und nothwendig gebunden an mehr oder minder selbständige Organe ». [↩]
- Mais, pour Bluntschli, la distinction des fonctions prend, dans L’Esprit des lois, la forme erronée de « séparation des pouvoirs » (Trennung der Gewalten). Or, la séparation est à l’origine de l’apparition de « plusieurs pouvoirs souverains » qui ne peuvent jamais co-exister dans le même État. [↩]
- Johann Caspar Bluntschli, « Staatsgewalten », in Johann Caspar Bluntchli/Karl Brater (dir.), Deutsches Staats-Wörterbuch, t. 9, 1865, p. 728 : « Die verschiedenen Gewalten erfordern verschiedene Organe. Kein Organ darf zugleich verschiedene Gewalten ausüben ». [↩]
- Johann Caspar Bluntschli, « Staatsgewalten », in Johann Caspar Bluntchli/Karl Brater (dir.), Deutsches Staats-Wörterbuch, t. 9, 1865, p. 728 : « Die moderne Sonderung hat aber noch eine zweite Ursache. Sie entspricht nämlich der organischen Natur des Staates besser als die Verbindung. Wie in den natürlichen Körper des Menschen für die verschiedenen Funktionen auch eigentliche Organe eigens eingerichtet sind, ebenso werben in dem künstlichen Körper des Staates die verschiedenen öffentlichen Funktionen desselben dann am besten geeignet sein, wenn jedes Amt für die besondere Thätigkeit ausgebildet ist und denselben Aemtern ganz verschiedenartige Funktionen zugewiesen werden ». [↩]
- Impossibilité théorique, car, dans la réalité, un État qui concentre la toute puissance dans les mains d’un seul, est parfaitement possible. Mais alors cet État ne serait pas un organisme agissant par le moyen de différentes fonctions. Il suivrait la logique de la conception patrimoniale de la souveraineté et représenterait la « chose » du monarque, sur laquelle il exerce un pouvoir incontrôlable et illimité. [↩]
- La séparation absolue des pouvoirs signifierait que les assemblées sont compétentent uniquement dans le domaine législatif, et le monarque et son gouvernement – exclusivement dans les affaires administratives. Il n’y aurait aucun point de rencontre entre ces deux masses organiques : les assemblées d’une part, et le gouvernement monarchique d’autre part. L’exemple d’une séparation absolue se trouve aussi chez Max von Seydel, Grundzüge einer allgemeinen Staatslehre, Würzburg, 1873, p. 25 : « Si on voulait coorectement appliquer le principe de la division des pouvoirs, alors on devrait attribuer l’adoption des actes juridiques exclusivement aux “corps législatifs”, l’intégralité des affaires administratives – au “chef de l’État” de sorte que le “chef de l’État” soit seul chargé de l’exécution des lois, et en déduire que les “corps législatifs” ne devraient jamais se voir confier l’exécution des lois » (« Wollte man nun den Grundsatz der Theilung der Gewalten folgerichtig durchführen, so musste man die gesammte Rechtsordnung den “gesetzgebenden Factoren”, die gesammte Verwaltung dem “Staatsorberhaupte” allein zuweisen, sonach […], dass das Staatsoberhaupt nur zur Vollziehung der Gesetze selbständig thätig werden könne, und andrerseits aussprechen, dass die “gesetzgebenden Factoren” mit der Vollziehung der Gesetze niemals betraut sein sollen »). [↩]
- Johann Caspar Bluntschli, « Staatsgewalten », in Johann Caspar Bluntchli/Karl Brater (dir.), Deutsches Staats-Wörterbuch, t. 9, 1865, p. 729 : « Aber in dem ganzen Gedanken der absoluten Scheidung der Gewalten lag ein Fehler. Weil der Staat ein einheitlicher Organismus ist, so müssen die Organe desselben, wie sie für besondere Verrichtungen besonders ausgebildet sind, auch wieder mit dem ganzen Körper und naher unter einander verbunden bleiben, ganz wie in dem natürlichen Körper die Nerven und Muskeln den Zusammenhang aller Glieder und die Einheit des Ganzes bewahren ». [↩]
- Johann Caspar Bluntschli, « Staatsgewalten », in Johann Caspar Bluntchli/Karl Brater (dir.), Deutsches Staats-Wörterbuch, t. 9, 1865, op.cit., p. 729-730. [↩]
- Hermann Schulze, Einleitung in das deutsche Staatsrecht, 1e édition, Leipzig, 1865, p. 179 : « Die (…) Dreitheilung der Funktionen der Staatsgewalt (…) ist uralt ». Il s’agit en effet de la trias politica érigée par « Aristote en un thème caractéristique de la théorie de l’État » (« […] wurde durch Aristoteles zu einem Eigenthume der Staatslehre erhoben »). [↩]
- Hermann Schulze, Einleitung in das deutsche Staatsrecht, 1e édition, op.cit., p. 175 : « Die einzig wissenschaftliche (…) Eintheilung der Wirksamkeit der Staatsgewalt erhalten wir nur dann, wenn wir den innern Gehalt ihrer Thätigkeit zum Eintheilungsgrunde nehmen. Danach unterscheiden wir drei innerlich verschiedene Funktionen der Staatsgewalt : 1. (…) Gesetzgebung, 2. (…) Regierung, 3. (…) Gericht ». Schulze souligne par ailleurs la représentation faussée que porte l’emploi du terme « exécutif » (Exekutive), qui n’épuise nullement la nature de l’activité gouvernementale » (« Fälschlich wird sie als Exekutiv bezeichnet. […] damit erschöpft sich ihr Wesen keineswegs »). Il existe, à côté de l’application des lois, une sphère d’activité libre, à l’intérieur de laquelle se meut la fonction gouvernementale. Dans la monarchie constitutionnelle, la fonction gouvernementale doit respecter le cadre posé par « la constitution et les lois » (« […] in der konstitutionellen Monarchie darf die Regierung die Grenzen der Verfassung und der Gesetze nicht überschreiten »). [↩]
- Johann Caspar Bluntschli, « Staatsgewalten », in Johann Caspar Bluntchli/Karl Brater (dir.), Deutsches Staats-Wörterbuch, t. 9, 1865, op.cit., p. 729. [↩]
- Hermann Schulze, Einleitung in das deutsche Staatsrecht, 1e édition, Leipzig, 1865, p. 176 : « Die Gesetzgebung ist nach Macht und Wirkung die oberste Funktion der Staatsgewalt, denn sie bestimmt die anderen Funktionen (…) ». [↩]
- Voir, par exemple, Conrad Bornhak, Allgemeine Staatslehre, 2e édition, Berlin, 1909, p. 14 : « Il est en revanche douteux si on doit qualifier l’État d’organisme. Tandis que le concept de personnalité est juridique et peut par conséquent sans problème être employé dans les débats de droit public, le concept d’organisme fait partie des sciences naturelles » (« Ob man den Staat als Organismus bezeichnen kann, ist dagegen zweifelhaft. Während der Begriff der Persönlichkeit ein rechtlicher ist und deshalb ohne weiteres für die staatsrechtliche Erörterung verwertet werden darf, gehört der Begriff des Organismus der Naturwissenschaft an »). [↩]
- Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit., p. 235. [↩]
- Karl Ludwig von Haller, Restauration der Staatswissenschaft, t.1, 2e édition, 1820, p. 510-511 : « Les princes (…) ne règnent pas en vertu de droits qui leur ont été transférés, mais en vertu de droits propres ([…] jure proprio). Aucun pouvoir ne leur a été transféré par le peuple, (…) Les princes ne sont pas les administrateurs d’un être commun, (…) ne sont pas les premiers serviteurs de l’État, car en dehors de leur existence, l’État n’est rien (…) » (« Die Fürsten […] herrschen nicht aus anvertrauten sondern aus eigenen Rechten ([…] jure proprio). Es ist ihnen keine Gewalt übertragen worden, […]. Die Fürsten sind nicht Administratoren eines gemeinen Wesens, […] nicht die ersten Diener des Staates, denn außer ihnen ist der Staat nichts […] ») ; Romeo Maurenbrecher, Grundzüge des heutigen deutschen Staatsrechts, 2e édition (inchangée), Frankfurt am Main, 1843, p. 246 : « La souveraineté n’est pas simplement une notion juridique, mais représente un objet que l’on peut posséder, conquérir ou perdre. Depuis les temps anciens, le droit public allemand en particulier la conçoit, et ceci par analogie avec la propriété, comme le droit privé de son titulaire (…) » (« Die Souverainität ist aber nicht blos ein juristischer Begriff, sondern sie ist etwas Gegenständliches, das man besitzen, erwerben und verlieren kann. Insbesondere fasst das deutsche Staatsrecht sie von Alters her als das Privatrech ihres Inhabers auf, und zwar nach Analogie des Eigenthums […] »), p. 246, note a) : « L’idée d’une (…) délégation du pouvoir suprême par la volonté populaire et encore d’une souveraineté populaire toujours existante contredit l’histoire allemande tout entière » (« Die Idee von […] Uebertragung der höchsten Gewalt durch den Volkswillen oder wohl gar von noch fortbestehender Volkssouverainität widerstreitet daher der ganzen deutschen Geschichte »). [↩]
- Pour Max von Seydel, Grundzüge einer allgemeinen Staatslehre, op.cit., p. 2, l’État est « la création de la volonté humaine » (« ein Erzeugnis menschlichen Wollens ») ; p. 4 : il n’est pas « le sujet de cette volonté, mais son objet » (« er ist nicht der Wille, sondern dessen Gegenstand »), car « la volonté du monarque est au-dessus de l’État » (« der Herrscherwille ist über dem Staate »). Le peuple et le territoire ne sont appelés «État » que lorsqu’ils sont l’objet du gouvernement du gouvernant (Herrscher). Le vocabulaire est semblable à celui de Haller : « État et gouvernant sont dans le même rapport que la propriété et le propriétaire » (« Staat und Herrscher sind so sehr zweierlei, wie Eigenthum und Eigenthümer »). Mais Seydel (p. 19) apporte une limite à « la volonté de domination ». Elle ne peut avoir « la maîtrise que sur l’aspect extérieur de la vie des individus. Si cette limite était franchie, alors le souverain entre en contradiction directe avec la nature même de la domination » (« der herrschende Wille […] regelt nur das äusserliche Leben, die Thätigkeit der Individuen. Jeder Versuch des Herrschers, über diese Schranke hinauszugehen, bringt ihn in Widerstreit mit der Natur seiner Herrschaft selbst »). Dans le même sens, Conrad Bornhak, Allgemeine Staatslehre, 2e édition, Berlin, 1909, p. 13 : « (…) il n’existe pas de personnalité juridique de l’État, distincte du détenteur du pouvoir de domination, mais celui, qui possède le pouvoir étatique en tant que droit propre, est lui-même l’État » (« […] besteht keine besondere vom Inhaber der Herrschaft verschiedene Persönlichkeit des Staates, sondern derjenige, der die staatliche Gewalt aus eigenem Rechte inne hat, ist eben selbst der Staat »). [↩]
- Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit., p. 258, note n°5, avec une référence à Seydel : « La Staatsgewalt n’est pas “Gewalt des Staates”, mais Gewalt am Staate (…). Cette thèse est liée à la réfutation de la personnalité de l’État : il n’est nul besoin de construire l’État comme le support de sa puissance ; il n’est que l’objet d’une puissance qu’exerce le “dominant”, le “gouvernant” » (Herrscher) » (souligné dans le texte). [↩]
- C’est tout le problème de la limitation du monarque par la constitution octroyée ou celle résultant d’un pacte. Selon la conception monarchiste, ni la constitution octroyée, ni le pacte constitutionnel ne peuvent traduire une volonté monarchique de s’autolimiter. Le monarque reste toujours libre de disposer du texte constitutionnel, ou même de simplement l’annuler, comme le montre l’exemple du conflit constitutionnel du Hanovre de 1837. Voir supra, cette partie, chapitre 2, section 2. [↩]
- V. cette partie, chapitre 2, section 2. [↩]
- Sur Albrecht, voir Michael Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne (1800-1914), op.cit. p. 91-92 et 118. Sur la controverse entre Maurenbrecher et Albrecht, Walter Pauly, Der Methodenwandel im deutschen Spätkonstitutionalismus: ein Beitrag zu Entwicklung und Gestalt der Wissenschaft vom öffentlichen Recht im 19. Jahrhundert, Mohr Siebeck, Tübingen, 1993, p. 77 et suiv. [↩]
- Wilhelm Eduard Albrecht, Göttingische Gelehrte Anzeigen, 1837, p. 1491-1492 : « Wir denken uns heutzutage (…) den Staat nicht al seine Verbindung von Menschen, die lediglich und unmittelbar für individuelle Zwecke und Interessen derselben, sei es Aller oder Vieler, oder auch eines Einzelnen, namentlich etwa des Herrschers, berechnet ist, sondern als ein Gemeinwesen, als eine Anstalt, die über den Einzelnen stehend, zunächst Zwecken gewidmet ist, die keineswegs bloß die Summe individueller Interessen des Herrschers und der Unterthanen, sondern ein höheres, allgemeines Gesammtinteresse bilden (…). Somit zelegt sich das Leben des Einzelnen (Herrschers und Unterthanen) in zwei Partien, die eine, in der er um jenes Allgemeinen willen, im Namen und Dienste des Staats, als Haupt oder Glied desselben, berechtigt oder verpflichtet ist, die andere, in der er, als selbständiges Individuum, um seiner selbst willen Rechte, oder um eines Anderen willen Verpflichtungen hat. Indem wir somit in Bezeichnung auf das erste Gebiet dem Individuum alle selbständige juristische Persönlichkeit (…) absprechen, werden wir nothwendig dahin geführt, die Persönlichkeit, die in diesem Gebiete herrscht, handelt, Rechte hat, dem Staate selbst zuzuschreiben, diesen daher als juristische Person zu denken (…) ». [↩]
- Michael Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne (1800-1914), op.cit., p. 91-92. [↩]
- Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit., p.188. [↩]
- Carl Friedrich von Gerber, Ueber öffentliche Rechte, Laup & Siebeck, Tübingen, 1852. [↩]
- Georg Jellinek, System der subjectivten öffentlichen Rechte, 1e édition, 1892, p. 4 : « (…) wird endlich (…) der Versuch einer streng juristischen Erfassung der öffentlichen Rechte unternommen ». [↩]
- Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit., 236. [↩]
- Carl Friedrich von Gerber, Ueber öffentliche Rechte, 1852, p. 18 : « Den angeführten Meinungen liegt das richtige Streben zu Grunde, den Staat auf eine objektive, selbständige Basis zu stellen, und ihn aus der unnatürlichen Verbindung mit der Person des Landesherrn in der Form des Privatrechts zu lösen. Aber die Richtung, in der dieses Ziel verfolgt wird, ist eine verkehrte ». [↩]
- Carl Friedrich von Gerber, Ueber öffentliche Rechte, 1852, p. 18 : « Aber die juristische Person ist nu reine Wiederholung der natürlichen Persönlichkeit, so jedoch, daß sie nicht einman vollständig die Kraft der letzteren in sich aufnehmen kann und soll, indem si nur den Zweck hat, für einzelne juristische Bedürfnisse des Verkhrslebens eine Aushülle zu gewähren. Setzt man nun an die Stelle der beseitigten privaten Persönlichkeit des Regenten die juristische Persönlichkeit, so kommt man unvermerkt auf den Punkt zurück, den man vermeiden wollte, nämlich auf das privatliche Subjektsverhältnis, und zwängr die unendliche Mannigfaltigkeit des staatsrechtlichen Stoffs von neuem in den engsten und ungeeignetsten Rahmen ein ». [↩]
- Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit. 236-237, note n°1 : « Gerber reprend à son compte l’idée de Friedrich Julius Stahl d’une “personnalité politique” de l’État » (souligné dans le texte) ; Carl Friedrich von Gerber, Ueber öffentliche Rechte, 1852, p. 19-20 : « Nun soll freilich nicht in Abrede gestellt werden, daß im Begriffe des sittlichen Organismus die Idee der Persönlichkeit nothwendig enthalten, daß die Gemeinschaft der Menschen im Staate “eine Personificirung dieser Gemeinschaft ist”. Aber dieser Begriff der Persönlichkeit ist nicht der juristische, Fähigkeit eines Willens in seiner Richtung auf Unterwerfung eines Objekts, sondern der ethische des Selbstbewußtseins, der geistigen Einheit. Nur in dieser Hinsicht spricht Stahl, und zwar mit vollem Rechte, von einer politischen Persönlichkeit des Staates ». [↩]
- Carl Friedrich von Gerber, Ueber öffentliche Rechte, 1852, p. 19-20 : « Jener Zweck, die Unterwerfung des Staates unter den Privatwillen eines Einzelnen zu vermeiden, wird schon auf das Vollständigste durch die Annahme des Organismus erreicht . (…) Bei dieser Auffassung, welche jetzt immer mehr anerkannt wird, ist der Staat kein äußerlich der monarchischen Gewalt unterworfenes Objekt, er ist aber auch kein Subjekt neben dem Monarchen, sondern der Monarch ist eben eines (und zwar das hervortretendste) der vielen Glieder, die innerhalb des Organismus selbst ihre lebensvolle Stelle finden ». [↩]
- Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit., p. 238-239. [↩]
- Walter Pauly, « Carl Friedrich von Gerber », in Michael Stolleis (dir.), Juristen. Ein biographisches Lexikon. Von der Antike bis zum 20. Jahrhundert, nouvelle édition, Beck’sche Reihen, München, 2001, p. 238. [↩]
- Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit., p. 240. [↩]
- Les « droits publics » de Gerber, ce ne sont pas les sujets, mais les droits subjectifs dont dispose la puissance publique. Si les « Unterthanen », les sujets-objets du pouvoir, peuvent se prévaloir de certains droits, il ne s’agit que de droits concédés par cette même puissance, des droits-réflexes. La conception du pouvoir en tant que puissance de domination ne permet pas à Gerber, ni à Laband, de penser l’existence de droits publics subjectifs, car il n’existe pas de relation juridique qui lie l’État aux sujets. Le rapport de domination est unilatéral. C’est Georg Jellinek, System der subjektiven öffentlichen Rechte, Mohr, Freiburg im Breisgau, 1892, qui réussit à dépasser le cadre de l’unilatéralité afin de penser les droits publics subjectifs, opposables à l’État. [↩]
- Carl Friedrich von Gerber, Grundzüge eines Systems des deutschen Staatsrechts, 1e édition, Tauchnitz, Leipzig, 1865. [↩]
- Carl Friedrich von Gerber, Grundzüge des deutschen Staatsrechts, 1e édition, Tauchnitz, Leipzig, 1865, p.1-2 : « Die natürliche Betrachtung des im Staate geeinten Volks erzeugt den Eindruck eines Organismus, d.h. eine Gliedrung, welche jedem Theile seine eigenthümliche Stellung zur Mitwirkung für den Gesammtzweck anweist. Die juristische Betrachtung des Staats aber ergreift zunächst die Thatsache, dass das Volk in ihm zum rechtlichen Gesammtbewusstsein und zur Willensfähigkeit erhoben wird, m.a.W. dass das Volk in ihm zur rechtlichen Persönlichkeit gelangt ». [↩]
- Olivier Jouanjan, « La volonté dans la science juridique allemande du XIXe siècle : itinéraires d’un concept, entre droit romain et droit politique », Droits, n°28, 1999, p. 47-69, p. 66 pour la citation. Sur la double perspective de Gerber, voir également Christoph Schönberger, Das Parlament im Anstaltsstaat : zur Theorie parlamentarischer Repräsentation in der Staatsrechtslehre des Kaiserreichs, op.cit., p. 22 : « Gerbers “Grundzüge” weisen ein Nebeneinander von Organismuslehren und begrifflicher Konstruktion auf, das seine Stelleung im Übergang zum staatsrechtlichen Positivismus kennzeichnet. Er unterscheidet die “natürliche” Betrachtung des Staates al seines “Organismus” von der “juristischen” Betrachtung des Staates als “rechtlicher Persönlichkeit“. Diese “organische” und die “juristische” Herangehensweise stellen “zwei Betrachtungen desselben Gegenstandes von verschiedenen Standpunkten aus” dar, wobei die juristisch-konstruktive eindeutig dominiert. Gerber nimmt insoweit in gewisser Weise die Zwei-Seiten-Lehre Georg Jellineks vorweg ». Mettant en garde contre une conclusion facile consistant en l’affirmation d’une ligne ininterromue partant d’Albrecht, passant par Gerber et s’achevant avec l’œuvre de Georg Jellinek : Jens Kersten, Georg Jellinek und die klassische Staatslehre, Mohr Siebeck, 2000, p. 38-39. [↩]
- Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, t. 2, 3e édition, E. De Boccard, Paris, 1928, p. 81, p. 86: « Je dis que l’État n’est pas une personne, que l’État n’est pas une personne souveraine, que le concept de souveraineté est un concept sans valeur et sans réalité (…). Toutes les doctrines allemandes modernes, à la suite de Gerber, enseignent que la puissance publique, la souveraineté, est un droit subjectif, dont l’État personne juridique est le titulaire ». Pour la réception de la théorie de la personnalité morale de l’État, Léon Michoud, La théorie de la personnalité morale et son application au droit français, 1e partie, 1e édition, LGDJ, Paris, 1906, p. 16 et suiv., spécialement p. 24-25 : « (…) la notion de personnalité publique de l’État peut seule lui conserver son unité. (…) Il ne faut donc pas, comme on le fait trop souvent en France, réserver le mot de personnalité morale ou juridique au droit privé » ; Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État, vol.1 (1920), réimpression Dalloz, 2005, p. 40 et suiv., et p. 243 et suiv. [↩]
- Christoph Schönberger, Das Parlament im Anstaltsstaat Anstaltsstaat : zur Theorie parlamentarischer Repräsentation in der Staatsrechtslehre des Kaiserreichs, op.cit., p. 21. [↩]
- Contre la présentation du monarque comme organe de l’État, Conrad Bornhak, Allgemeine Staatslehre, 2e édition, Berlin, 1909, p. 13 : « La tentative de désigner le lien entre le peuple et le détenteur du pouvoir de domination comme formant l’État et de présenter ce détenteur comme organe suprême de l’État, subit un échec, car un rapport de droit ne peut être en même temps un sujet de droit » (« Der Versuch, die Verbindung von Volk und Inhaber der Herrschaft als Staat und den Inhaber der Herrschaft als höchstens Organ des Staates zu bezeichnen, scheitert an der Tatsache, daß ein Rechtsverhältnis nicht Rechtsubjekt sein kann »). [↩]
- Christoph Schönberger, Das Parlament im Anstaltsstaat : zur Theorie parlamentarischer Repräsentation in der Staatsrechtslehre des Kaiserreichs, op. cit., p. 21 : « Erstmals wird damit die Volksvertretung auf das Rechtssubjekt “Staat” bezogen ». [↩]
- Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe sicècle, op.cit., p. 252. [↩]
- Carl Friedrich von Gerber, Grundzüge des deutschen Staatsrechts, 1e édition, 1865, p. 19-20 : « Die Staatsgewalt ist die Willensmacht eines persönclich gedachten sittlichen Organismus ». [↩]
- Carl Friedrich von Gerber, Grundzüge des deutschen Staatsrechts, 1e édition, 1865, p. 21, note n°3 : « La puissance de volonté de l’État n’est pas absolue et inconditionnelle comme la volonté privée, mais tire la direction de son action et ses limites du fondement éthique de son existence » (« Die Willenskraft des Staats ist nicht wie die privatrechtliche absolut und voraussetzungslos, sondern enthält ihre Richtung und Grenze durch den ethischen Grund ihres Daseins »). [↩]
- Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique allemande (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit., p. 246. [↩]
- Carl Friedrich von Gerber, Grundzüge des deutschen Staatsrechts, 1e édition, 1865, p. 21, note n°3 : «(…) la manière particulière d’exercice de la volonté étatique, la domination, qui correspond (…) à une assujétisation au sens de la soumission » (« […] die besondere Art der staatlichen Willenswirkung, das Herrschen, welchem eine Unterwerfung im Sinne eines Gehorsams […] entspricht »). [↩]
- Carl Friedrich von Gerber, Grundzüge des deutschen Staatsrechts, 3e édition, Tauchnitz, Leipzig, 1880, p. 4, n°2, cité par Olivier Jouanjan, « La volonté dans la science juridique allemande du XIXe siècle : itinéraires d’un concept, entre droit romain et droit politique », Droits, n°28, 1999, p. 6. [↩]
- Dans le même sens, Georg Jellinek, Gesetz und Verordnung, op.cit., p. 196 : « La nature juridique du pouvoir d’État réside dans sa définition en tant que puissance de domination » (« Die rechtliche Natur der Staatsgewalt besteht in ihrer Eigenschaft als herrschende Macht »), l’État trouve le fondement de cette domination « en soi-même » (« findet den Grund seiner Rechte und Pflichten in sich selbst »). [↩]
- Carl Friedrich von Gerber, Grundzüge des deutschen Staatsrechts, 1e édition, 1865, p. 22 : « Es bedarf hier keiner erneuten Widerlegung des wenigstens wissenschaftlich längst überwundenen s.g. Princips der Theilung der Gewalten ». Plus modéré, Ludwig von Rönne, Das Staatsrecht der Preussischen Monarchie, t. 1, 1e partie, 2e édition, Brockhaus, Leipzig 1864, p. 118-119, note n°3 : « (…) le monarque réunit en soi l’intégralité du pouvoir d’État. (…) [L]a théorie de la division des pouvoirs n’est transposée dans les constitutions en vigueur ni dans les États constitutionnels allemands, encore moins dans celle de la Prusse » ([…] vereinigt der König alle Rechte der Staatsgewalt in sich. […] [E]s ist die Lehre von der Theilung der Gewalten keineswegs in die positiven Verfassungen Deutscher konstitutioneller Staaten, un dam wenigsten in die Preuß. Verfassung, übergegangen »). [↩]
- Robert von Mohl, Encyklopädie der Staatswissenschaften, Laupp, Tübingen, 1859, p. 112 : « Die Unrichtigkeit dieses Gedankes ist (…) fast allgemein in der Wissenschaft anerkannt (…) ». [↩]
- Carl Friedrich von Gerber, Grundzüge des deutschen Staatsrechts, 1e édition, 1865, p. 72 et note n°1 : « nach dem deutschen Bundesrechte (…) » ; « Also keine Theilung der Gewalten, und keine Mitherrschaft des Parlaments ! (…) nicht ein politisches System (…) bei dem der Monarch zu einer parlamentarischen Figur herabsinkt ». [↩]
- Carl Friedrich von Gerber, Grundzüge des deutschen Staatsrechts, 1e édition, 1865, p. 25-26 : « Die Staatsgewalt herrscht, indem sie eine den verschiedenen Ansprüchen ihrer Bestimmung entsprechende Thätigkeit äussert. Alle einzelnen Arten dieser Thätigkeit umfasst man in dem Gesammtworte “Regierung”. Gegenüber den monarchischen Aufgaben des Staatslebens kann sie aber nicht immer die gleiche sein. Das Volksleben bietet zunächst Interessen dar, deren Regulirung ausschliesslich oder doch zweckmässig nur durch abstracte Ordnungen, durch feste und dauernde allgemeine Normen geschehen kann ; indem man die Staatsgewalt diese Art der Regulirung unternimmt, wirkt sie gesetzgebend, und man nennt sie in deser besonderen Form ihrer Wirksamkeit die gesetzgebende Gewalt (…). Für die rein juristische Interesse nun genügt es, die nicht gesetzgeberische Thätigkeit der Staatsgewalt in zwei Klassen zu scheiden, nämlich in die richterliche und die verwaltende Thätigkeit ». [↩]
- Olivier Jouanjan, « La volonté dans la science juridique allemande du XIXe siècle : itinéraires d’un concept, entre droit romain et droit politique », Droits, n°28, 1999, p.65 : « (…) la volonté du monarque s’identifie à la volonté de l’État. Les assemblées, les Stände, n’expriment pas la volonté de l’État : puisqu’elles se limitent à approuver la loi, elles n’ont de pouvoir que négatif ; or, un tel pouvoir négatif n’est que limitation de la volonté de l’État et ne peut pas avoir pour contenu l’objet propre de la puissance publique, Herrschen : on ne domine pas en disant “non” ». [↩]
- Carl Friedrich von Gerber, Grundzüge des deutschen Staatsrechts, 1e édition, 1865, p. 72 : « Le monarque est l’organe suprême de la volonté de l’État. Sa volonté vaut en tant que volonté générale, en tant que volonté de l’État » (« Der Monarch ist das oberste Willensorgan des Staats. Sein Wille soll als allgemeiner Wille, als Wille des Staats gelten »). [↩]
- E. Landsberg, Geschichte der deutschen Rechtswissenschaft, t. 3, 2e partie, München/Berlin, 1910, p. 833, ici cité par Olivier Jouanjan, « Carl Friedrich von Gerber et la constitution d’une science du droit public allemand », op.cit., p. 11. [↩]
- Albert Hänel (1833-1918) qui est aussi activement politique (membre de la Chambre des députés prussienne, puis du Reichstag), ne suit aucunement l’approche scientifique de Laband. Il s’attache au contraire à démontrer l’importance des éléments historiques, politiques ou philosophiques pour la construction conceptuelle du droit public. Il est un des rares adeptes du régime parlementaire, et donc de la dépendance politique du gouvernement vis-à-vis du parlement basé sur la souveraineté populaire. Pour Hänel, le parlement doit constituer le coeur décisionnel politique de l’État. Sur Hänel, voir Michael Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne (1800-1914), op.cit., p. 483 et suiv. [↩]
- Otto von Gierke (1841-1921), théoricien du droit corporatif, auteur de Das deutsche Genossenschaftsrecht (quatre volumes paraaissent entre 1868 et 1913), accuse la science positiviste d’un extrême conceptualisme excluant toute perspective sociologique. Sur Gierke, Michael Stolleis, Histoire du droit public allemand (1800-1914), op.cit., p. 489 et suiv., et Willy Zimmer « Une conception organiciste de l’État : Otto Bähr et Otto von Gierke », in Olivier Jouanjan (dir.), Figures de l’État de droit : le Rechtsstaat dans l’histoire intellectuelle et constitutionnelle de l’Allemagne, PUS, 2001, p. 219-234. Sur l’ « autre Ecole historique », celle des Germanistes, on se reportera à Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle,, op. cit., p. 78 et suiv. [↩]
- Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit., p. 251. [↩]
- Ernst Forsthoff, Lehrbuch des Verwaltungsrechts, t 1, 9e édition, 1966, p. 49, cité par Olivier Jouanjan, « La Belle époque du droit administratif. Sur la formation de la science moderne du droit administratif en Europe (1880-1920) », in Ius Publicum Europäum, vol. 3, 2009, p. 4 (version dactylographiée). [↩]
- Otto Mayer, Deutsches Verwaltungsrecht, vol.1, Duncker & Humblot, Leipzig, 1895, p. 69, note n°2 : «(…) was die deutsche Wissenschaft so einmütig verwirft, ist gar nicht die wirkliche Trennung der Gewalten, sondern der Popanz, den man daraus gemacht hat », en se référant à Laband. Dans la troisème édition du Verwaltungsrecht, qui date de 1924, le paragraphe consacré à la distinction entre les pouvoirs législatif et exécutif disparaît. Mayer le remplace par des développements consacrés au « règne de la loi » (Herrschaft des Gesetzes). Cette disparition est sans doute dictée par le changement de circonstances consitutionnelles qui intervient en 1919. Le rejet doctrinal si énergique qui visait à défendre le principe monarchique des assauts de la théorie libérale de la séparation des pouvoirs associée dans l’esprit des publicistes allemands au principe néfaste de la souveraineté nationale n’avait plus sa raison d’être dans un régime dans lequel « tout pouvoir d’État émane du peuple » (article 1er de la Constitution de Weimar du 11 août 1919). Pour Mayer, le principe de séparation des pouvoirs empêche l’exercice arbitraire du pouvoir et permet de former différents « morceaux » du pouvoir d’État, des « forces d’action (…) disposant de propriétés juridiques particulières » (« Diese Gewalten […] sind nicht Summen von Befugnissen, sondern Stücke der Staatsgewalt, Wirkungskräfte […] jede ausgestaltet gegenüber den andern mit besonderen rechtlichen Eigenschaften »). [↩]
- Das Staatsrecht des Deutschen Reiches, trois volumes entre 1876 et 1882. L’ouvrage est rendu accessible au lecteur français : la traduction de Camille Gandilhon, Le droit public de l’Empire allemand paraît en six volumes entre 1900 et 1904, préfacé par Ferdinand Larnaude. [↩]
- Bernd Schlüter (éd.), Paul Laband, Staatsrechtliche Vorlesungen, Duncker & Humblot, Berlin, 2004, p.120 : « Diese Theorie ist die Grundlage der constitutionellen Doctrin geworden und hat dadurch eine große practische Bedeutung erlangt. Sie ist aber mit dem Begriff des Staates nicht zu vereinigen, logisch unhaltbar, practisch unausführbar und politisch verderblich. Ihr liegt eine Verkennung des wahren Wesens der constitutionellen Monarchie zu Grunde. Mit dem Begriff des Staates ist sie unvereinbar, weil der Staat eine Persönlichkeit ist und eine Einheit. Jede Person muß einen einheitlichen Willen haben ; sie kann nicht aufgelöst werden in verschiedene von einander selbständige Subjecte, ohne zu Grunde zu gehen » (souligné dans le texte). Le passage presque identique se trouve également dans Paul Laband, Das Staatsrecht des deutschen Reiches, t. 2, 1e édition, Tübingen, 1877, p. 7, note n°1 : « Une critique de cette doctrine, qui détruit l’unité de l’État et qui n’est ni tenable d’un point de vue logique, ni réalisable d’un point de vue pratique, ne va pas être entreprise ici. Car, dans la littérature allemande politique et constitutionnelle règne depuis longtemps un accord quasi total sur le rejet de cette théorie » (« Eine Kritik dieser Lehre, welche die Einheit des Staates zestört und welche weder logisch nocht praktisch durchführbar ist, kann hier nicht unterbleiben, da in der deutsche, politischen und staatsrechtlichen Literatur über die Verwerflichkeit dieser Theorie seit langer Zeit fast vollkommenes Einverständniß besteht »), avec une référence à Robert von Mohl et sa Geschichte und Literatur der Staatswissenschaft, t.1, p. 280-282. [↩]
- Bernd Schlüter (éd.), Paul Laband, Staatsrechtliche Vorlesungen, Duncker & Humblot, Berlin, 2004, p.120 : « (…) ist auch die Staatsgewalt immer diesselbe, mag sie gesetzgebend, vollziehend, richtend handel ; es sind dies nur verschiedene Formen, in denen sich die Staatsgewalt äußert, aber nicht von einander getrennte Gewalten. Bei der Theorie von der Trennung der Gewalten geht den Begriff der Souverainität verloren ; der Souverain ist nur das Organ der executiven Gewalt » (souligné dans le texte). [↩]
- Pour Max von Seydel, Grundzüge einer allgemeinen Staatslehre, Würzburg, 1873, p. 25, au contraire, l’État constitutionnel « doit son existence à la théorie de la séparation des pouvoirs » (« seine Entstehung der Theorie von der Trennung der Gewalten verdankt »). Mais il y a chez cet auteur aussi, représentant de la conception néo-patrimoniale de l’État, une confusion entre le principe de séparation des pouvoirs et la participation des assemblées à l’exercice du pouvoir législatif : « Cette théorie pose l’exigence selon laquelle le gouvernant (Herrscher) doit être lié, dans l’exercice du pouvoir législatif, par la participation d’une représentation populaire (le soi-disant corps législatif) » (« Diese Theorie stellte die Forderung auf, dass der Herrscher in Ausübung der Gesetzgebung an die Mitwirkung einer Vertretung des Volkes [sog. Gesetzgebende Factoren] gebunden sein solle »). Selon Seydel, c’est bien « l’introduction de la séparation » entre les sphères d’action respectives du monarque et des assemblées « rend possible la distinction entre loi et règlement dans le cadre mono-gouvernemental » (« mit Durchührung dieser Trennung konnte in der Einherrschaft der Unterschied des Gesetzes und der Verordnung überhaupt auftreten »). [↩]
- Georg Meyer, Lehrbuch des deutschen Staatsrechts, 1e édition, Duncker & Humblot, Leipzig, 1878, p.14 : « (…) vernichtet die Einheit des Staates, indem sie die einzelnen Ausflüsse der Staatsgewalt zu selbständigen und unabhängigen Gewalten erhebt ». Mais Meyer opère, comme Laband, une distinction des fonctions. Il distingue ainsi la législation, de l’administration : la loi est volonté (Gesetz ist Wille), l’administration, force factuelle (That). Meyer emprunte ici la définition de Lorenz von Stein, Die Verwaltungslehre, 1e partie, Stuttgart, 1869, p. 10 et 48. [↩]
- Georg Meyer, Lehrbuch des deutschen Staatsrechts, 1e édition, Duncker & Humblot, Leipzig, 1878, p.14 : « (…) vernichtet die Einheit des Staates, indem sie die einzelnen Ausflüsse der Staatsgewalt zu selbständigen und unabhängigen Gewalten erhebt. (…) [V]on der (…) Staatswissenschaft ist sie mit Recht völlig verworfen werden ». Dans la septième édition du Lehrbuch, préparée et retravaillée par Gerhard Anschütz, ce passage condamnant le principe de la division des pouvoirs disparaît. Voir Georg Meyer/Gerhard Anschütz, Lehrbuch des deutschen Staatsrechts, 7e édition, 1919, réimpression, Duncker & Humblot, 2005, p. 31, note e) et sur la conception positive d’Anschütz, infra, ce chapitre, section 2, §2. [↩]
- Telle est la conclusion d’Albert Hänel, Studien zum Deutschen Staatsrechte, vol. 2 (Die organisatorische Entwicklung der deutschen Reichsverfassung/Das Gesetz im formellen und materiellen Sinne), Haessel, Leipzig, 1888, p. 146 et suiv. : « L’intégralité du “pouvoir législatif, toute loi” repose, conformément aux dispositions des constitutions des monarchies limitées allemandes, sur l’action commune du chef de l’État et de la représentation populaire » (« Alle “Gesetzgebung, jedes Gesetz” beruht nach Massgabe der konstitutionellen Verfassungen Deutschlands auf dem Zusammenwirken des Staatsoberhauptes und der Volksvertretung »). Les représentations populaires ne sont uniquement un organe d’assistance ou de compétence négative, mais sont des « organes constitutionnels » (konstitutionelle Organe) qui sont « placés à côté » (nebengeordnete) du monarque et « par conséquent organes suprêmes de l’État » (darum oberste Organe des Staates). Plus modéré, Otto Mayer, Deutsches Verwaltungsrecht, vol. 1, 1e édition, Duncker & Humblot, Leipzig, 1895, p. 70 : « (…) l’acte enfin qualifié de loi n’est pas uniquement le produit de la volonté du seul prince, mais également d’une autre volonté sans laquelle la loi ne peut pas exister. Cela suffit amplement pour la compréhension exacte de la notion de la séparation des pouvoirs » (« […] ist das, was als Gesetz schließlich herauskommt, nicht das Erzeugnis des Willens des Fürsten allein, sondern zugleich eines anderen Willens, ohne den es nicht entstehen konnte. Das genügt aber vollkommen für den richtig verstandenen Begriff der Trennung der Gewalten »). [↩]
- « Si les nouveaux théoriciens du droit public réussissent leur entreprise, écrit Gierke, ils iront bientôt jusqu’à contester le caractère même d’ “État” de l’État allemand, ou des États particuliers, uniquement parce que leur concept d’État exclut une division du pouvoir entre plusieurs sujets associés ! » (Otto von Gierke, « Die Grundbegriffe des Staatsrechts und die neuesten Staatsrechtstheorien I », Zeitschrift für die gesamte Staatswissenschaft, vol. 30, 1874, p. 153-198, p. 158 pour la citation : « Bringen doch die neuesten Staatsrechtstheoretiker es fertig, bald dem deutschen Reich, bald dem deutschen Einzelstaat die besondere Existenz als “Staat” abzusprechen, lediglich weil ihr vorgefasster Staatsbegriff die Möglichkeit einer Theilung der Staatsgewalt unter mehrere Verbandssubjekte ausschliesst ! »). [↩]
- Paul Laband, Das Budgetrecht nach den Bestimmungen der Preussischen Verfassungs-Urkunde unter Berücksichtigung der Verfassung der Norddeutschen Bundes, Berlin, 1871, p. 5 : « (…) ist der oberste Grundsatz (…) der konstitutionellen Monarchie, daß der Souverain keine neuen Rechtsätze ohne Zustimmung der Landesvertretung anordnen kann. (…) Die “Ausübung der gesetzgebenden Gewalt” ist an die Mitwirkung des Landtages gebunden ». [↩]
- Il est impossible d’exposer tous les problèmes que soulève la distinction de la loi au sens matériel et au sens matériel. Sur cette question, on se reportera, de manière générale, à l’étude d’Ernst-Wolfgang Böckenförde, Gesetz und gesetzgebende Gewalt, 1e édition, Duncker & Humblot, 1958 ; en langue française : Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit., p. 265-273. Si Laband est le plus saillant représentant de cette doctrine, il n’est pas le premier à l’avoir exposée. Voir, par exemple, E. A. Chr. von Stockmar, « Studien über das preussische Staatsrecht », Zeitschrift für Deutsches Statsrecht und Deutsche Verfassungsgeschichte (Aegidi Zeitschrift) numéro unique, 1867, p. 179 et suiv. [↩]
- Paul Laband, Das Staatsrecht des deutschen Reiches, t. 2, 1e édition, Tübingen, 1877, p. 6 : « Der Monarch als der alleinige Träger der ungetheilten und untheilbaren Staatsgewalt ist allein im Stande ein Staatsgesetz zu erlassen, d.h. den staatlichen Befehl seiner Befolgung zu ertheilen ». [↩]
- Paul Laband, Das Staatsrecht des deutschen Reiches, t. 2, 1e édition, Tübingen, 1877, p. 8 : « Presque toutes les présentations du droit public allemand, même lorsqu’elles rejettent la théorie de la séparation des pouvoirs et situent leur point de départ dans le soi-disant principe monarchique, exigent pour la validité de la loi la “volonté concorande” entre le roi et l’assemblée, sans reconnaître que l’adoption d’une loi par l’assemblée est une déclaration de volonté d’une toute autre teneur que l’adoption de la loi par le roi » (« Fast alle Darstellungen des Deutschen Staatsrecht, auch wenn sie die Lehre von der Theilung der Gewalten verwerfen und von dem sogen. Monarchischen Prinzip ausgehen, erfordern zum Zustandekommen eines Gesetzes den “übereinstimmenden Willen” des Landesherrn und des Landtages, ohne zu erkennen, daß die Genehmigung eines Gesetzes durch den Landtag eine Willenserklärung von ganz anderem Inhalte ist als die Genehmigung eines Gesetzes durch den Landesherrn »). [↩]
- Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit., p. 251. [↩]
- Paul Laband, Das Staatsrecht des deutschen Reiches, t. 2, 1e édition, Tübingen, 1877, p. 6-7 : « (…) die Sanction allein ist Gesetzgebung im staatsrechtlichen Sinne des Wortes. (…) die Frage nach dem Subject der gesetzgebenden Gewalt ist identisch mit der Frage nach dem Träger der Staatsgewalt ». [↩]
- Des éléments biographiques en langue française : Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle,PUF, coll. Léviathan, 2005, p. 283 et suiv ; du même, « Georg Jellinek ou le juriste philosophe » (préface), in Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, t. 1, LGDJ Diffuseur, 2005, p. 5 et suiv.; en langue allemande : Jens Kersten, Georg Jellinek und die klassische Staatslehre, Mohr Siebeck, Tübingen, 2000, p.17 et suiv. ; Stanley L. Paulson/Martin Schlute (dir.), Georg Jellinek : Beiträge zu Leben und Werk, Mohr Siebeck, Tübingen, 2000. Georg Jellinek connaît une consécration universitaire tardive : il devient à l’âge de trente-neuf ans un « vrai » professeur de droit en obtenant enfin, après de longues années d’attente, une nomination à la chaire de droit public, de droit international public et de science politique de l’Université de Heidelberg. [↩]
- Jens Kersten, Georg Jellinek und die klassische Staatslehre, op.cit., p. 32 : « (…) das Verhältnis Jellineks zum staatsrechtlichen Positivismus zwiegespalten war (…) ». [↩]
- Jens Kersten, Georg Jellinek und die klassische Staatslehre, op.cit., p. 33 : « (…) definierte sich Jellinek selbst nicht als polemischer Freund oder Feind, sondern als Kritiker des staatsrechtlichen Positivismus ». [↩]
- Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit., p. 311. Pour le français Maurice Hauriou, Précis élémentaire de droit constitutionnel, 2e édition, Sirey, Paris, 1930, p. 2-3, l’observation empirique est tout aussi importante car elle permet de dégager des principes juridiques. [↩]
- Dans la continuité du raisonnement gerbérien, Jellinek, Allgemeine Staatslehre, 3e édition, 1914, p. 63, affirme que « (…) deux points de vue scientifiques sont possibles qui permettent d’observer l’État, l’un social, l’autre juridique » (« […] zwei mögliche wissenschaftliche Standpunkte gibt, von denen aus der Staat betrachtet werden kann, der soziale un der rechtliche »). Ainsi, la théorie de l’État jellinékienne, la Zwei-Seiten Lehre, prend une dimension sociale (factuelle) et juridique en donnant suite à l’analyse de Gerber entamée en 1852 dans les Öffentliche Rechte et confirmée en 1865 dans les Grundzüge. [↩]
- Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit., p. 309. [↩]
- Sur la théorie de la double face de l’État, voir Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918), op. cit., p. 309 et suiv. et Jens Kersten, Georg Jellinek und die klassische Staatslehre, Mohr Siebeck, Tübingen, 2000, p. 145 et suiv. Sur la perspective naturelle et juridique de Gerber, supra, cette section, §2. [↩]
- Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit., p. 307. Jellinek introduit « une dimension téléologique » qui est la conséquence logique de la typification des faits individuels. [↩]
- Georg Jellinek, System der subjektiven öffentlichen Rechte, 1e édition, Freiburg im Breisgau, 1892, p. 13 et p. 16 : « Wie habe ich mir den Staat rechtlich zu denken ? » ; « (…) die Welt des Juristen ist (…) eine Welt der Dinge für uns, nicht der Dinge an sich. (…) die Weise wissenschaftlicher juristischen Fragestellung ». [↩]
- Gesetz und Verordnung, op.cit., p.195 : « Die Erfassung des Staates als Person ist der Grund- und Eckstein des Staatsrechtes ». [↩]
- Georg Jellinek, System der subjektiven öffentlichen Rechte, 1e édition, 1892, p. 9 : « Tout droit est une relation entre sujets de droit. Un titulaire de droits isolé est une représentation insensée. L’État aussi ne peut disposer de droits que si en face de lui on trouve des personnes. La domination factuelle ne devient juridique que si les deux parties : le gouvernant et les gouvernés se reconnaissent comme titulaires de droits et obligations mutuels » (« Alles Recht ist Beziehung von Rechtssubjekten. Ein isolirt gedachter Rechtsträger ist eine unvollziehbare Vorstellung. Auch der Staat kann nur Rechte haben, wenn ihm Persönlichkeiten gegenüberstehen. Ein faktisches Herrschaftsverhältniss wird zum rechtlichen nur dann, wenn beide Glieder : Herrschender und Beherrschter als Träger gegenseitiger Rechte und Pflichten sich anerkennen »). [↩]
- La puissance souveraine n’est pas illimitée. Elle est sujette à ce que Jellinek appelle, dès Gesetz und Verordnung, op.cit., p. 197-198, l’autolimitation (Selbstbeschränkung), qui repose sur la faculté d’autodétermination de l’État : « Die ausschliessliche Rechtsmacht über die staatliche Competenz ist die erste Consequentz der Souveränetätsbegriffes. (…) Indem der Staat die Fähigkeit der Selbstbestimmung besitzt, hat er auch die der Selbstbeschränkung ». La théorie de l’autolimitation, qui est « la condition de possibilité de la pensabilité d’un ordre juridique », subit une mutation et atteint l’âge de la « maturité » dans la Théorie générale de l’État. Selon Olivier Jouanjan, la « première » théorie de l’autolimitation, « destinée à décrire la constitutionnalisation de la puissance monarchique », n’est pas celle exposée en 1900. Dans la « relation de l’État à l’individu, si l’on ne pose pas l’idée d’autolimitation, c’est-à-dire si l’on ne fait pas l’hypothèse que la règle de droit vaut pour l’État comme pour l’individu qui lui est soumis, il y a plus qu’un déséquilibre ou une inégalité », car l’ « un des deux membres de la relation, l’État ne peut être pensé comme sujet de droit, personne (…) comme relation juridique » (Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne [1800-1918]. Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit., p. 321-326, spécialement p. 321-323). L’autolimitation est donc une « autoliaison » de l’État à son droit dictée par la qualité de personne juridique. [↩]
- Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, t. 2, op.cit., p. 315 : « Mais jamais l’unité du pouvoir ne se laisse fractionner dans ses manifestations au point qu’on puisse faire un partage pur et simple des fonctions entre les organes correspondants. Ce sont plutôt des considérations d’utilité qui, partout, ont décidé quelle espèce de fonctions seraient assignées à tel ou tel organe » ; p. 317 : « La naïve assimilation de l’activité de l’organe et de la fonction politique, telle que l’a pratiquée la doctrine politique depuis Aristote jusqu’à nos jours, ne saurait résoudre d’une manière satisfaisante les importants problèmes théoriques et pratiques de la théorie des fonctions ». [↩]
- Georg Jellinek, Gesetz und Verordnung, op. cit., p. 213 : « Nicht nur die Erkenntnis des Wesens des Staates und seiner Organe, auch die Einsicht in die innere Natur der Staatsthätigkeit gehört zu den unerlässlichen Voraussetzungen fruchtbarer staatsrechtlicher Untersuchung ». [↩]
- Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, t.2, op.cit., p. 312 ; Allgemeine Staatslehre, 2e édition, 1905, p. 591 : « Ein so kompliziertes Gebilde wie der Staat kann unter den verschiedensten Gesichtspunkten betrachtet und daher gemäß allen Erscheinungen, die er darbietet, den verschiedensten Einteilungen unterworfen werden. Si auch seine Funktionen ». [↩]
- Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, t. 2, op.cit., p. 314 ; Allgemeine Staatslehre, 2e édition, 1905, p. 592 : « Die erste echte Einteilung ist die im Gewande der Lehre von der Gewaltenteilung zum Bewusstsein gekommene ». [↩]
- Georg Jellinek, Gesetz und Verordnung, op.cit., p. 222-223 : « (…) die innerlich geschiedenen Staatsfunktionen auch äusserlich als Aufgaben besonderer in ihrem Wirkungskreise getrennter Organe darzustellen. Es war im Grunde nur das ins Ethische und Politische erhobene Princip der Arbeitstheilung, welches die constitutionelle Lhere von der Theilung der Gewalten zur alleinigen Basis der staatlichen Organisation erheben wollte. Der praktische Erfolg dieser Theorie zeigt sich in dem Baue der modernen Staates darin, dass die Staatsorgane unter dem Souverän sich gliedern in Organe der Gesetzgebung, der Justiz und der Verwaltung. Und es ist nicht zu läugnen, dass diese Scheidung die Güte der staatlichen Leistungen in erheblichstem Masse gefördert hat » ; une analyse semblable dans L’État moderne et son droit, t.2, op.cit., p. 315 : « (…) il est naturel que les diverses fonctions aient tendance à s’établir dans des organes divers. À la séparation des fonctions correspond la division du travail des organes. Dans cette mesure, il est parfaitement licite de conclure de la diversité des organes à la diversité des fonctions ». [↩]
- Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, t.2, op. cit., p. 315 : « Par suite, comme nous l’avons déjà dit, même les pays qui reconnaissent le principe de séparation des pouvoirs ne présentent jamais une séparation complète, absolue de ces pouvoirs, tout en ayant pleinement conscience qu’ils s’écartent ainsi du type pris pour modèle ». [↩]
- Gesetz und Verordnung, op.cit., p. 224 : « Der constitutionelle Staat ist nicht etwa dem aestetischen Bedürfnisse architektonischer Gliederung der staatlichen Irganisation entsprungen, sondern aus der im Laufe der neuern Zeit von Grund aus veränderten Schichtung der Gesellschaft hervorgegangen. Die Gedanken der Theilnahme der Beherrschten an der Herrschaft und die Sicherung der Rechte der Beherrschten gegen den Herrscher sind die Grundideen des constitutionellen Systems. Die Theilnahme an der Herrschaft erweist sich nun zwar in der Mitwirkung an der Rechtssetzung, aber der Staat herrscht nicht nur in der Rechtssetzung, sondern in allen seinen Funktionen ». [↩]
- Parmi les auteurs qui adoptent le critère du but pour construire une théorie des fonctions : Otto Mayer, Deutsches Verwaltungsrecht, t. 1, 1e édition, Leipzig, 1895, p. 3-4 ; Georg Meyer, Lehrbuch des deutschen Staatsrechts, 6e édition, p. 641. [↩]
- La détermination du caractère de l’activité étatique par les buts qu’elle accomplit se trouve, déjà, dans Gesetz und Verordnung, op.cit., p. 213 : « Der Charakter der Staatsthätigkeit (…) ist gegeben durch ihre Zwecke ». [↩]
- Gesetz und Verordnung, op.cit., p. 213 : « Die Welt des Menschen ist eine Welt der Zwecke ». Il paraît problématique de passer de ce « monde des hommes » qui est « un monde des buts » à la classification juridique des fonctions étatiques. Contre cette classification en fonction des buts : Otto Mayer, Deutsches Verwaltungsrecht, 1e édition, Duncker & Humblot, Leipzig, 1895, p. 69 : « La doctrine a cru pouvoir livrer la définition des propriétés juridiques propres [des pouvoirs] en désignant le but auquel est en principe appelée chacune de ces différentes forces conformément l’arsenal dont elle dispose en vue de l’accoplissement du but assigné. La pratique en droit positif actuel a aussitôt démontré que ces pouvoirs, une fois formés, agissent en fonction de leur nature juridique des façons les plus diverses sans qu’il y ait une stricte délimitation par rapport au but initialement assigné (…) » (« Die Bestimmung dieser besonderen Eigenschaften hat die Theorie einfach geben zu können geglaubt durch die Bezeichnung des Zweckes, dem jede dieser Kräfte vorzugsweise zu dienen berufen ist und für welchen sie demnach ausgerüstet sein muß. Die Verwirklichung im geltenden Rechte hat alsbald dazu geführt, daß diese Gewalten, einmal gestaltet, jede nach ihrer rechtlichen Natur in mancherlei Weise neben einander thätig werden, ohne strenge Beschränkung auf den bezeichneten Zweck […]»). Dans le même sens, Maurice Hauriou, Précis élémentaire de droit constitutionnel, 2e édition, Sirey, Paris, 1930, p. 51-52, écrit qu’il « ne faut surtout pas confondre séparation des pouvoirs et séparation des fonctions », car « les différentes fonctions de l’État réclament la participation de différents pouvoirs ». Les « fonctions (…) sont les tâches à remplir par les organes avec leurs pouvoirs » (le mot « pouvoir » devrait probablement être entendu au sens de « compétences »). [↩]
- Les « buts de l’État » dans la théorie juridique de l’État élaborée par Jellinek sont pour un auteur weimarien anti-positiviste, Hermann Heller, La crise de la théorie de l’État, tr. fr. Olivier Jouanjan, Dalloz, coll. Tiré-à-part, 2012 (publié initialement sous le titre « Die Krisis der Staatslehre », Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, n°55, 1926, p. 289-316), p. 20, le signe de l’introduction de « la métaphysique, pourtant éliminée de son programme ». Pour Heller, Jellinek « n’a pas su mener jusqu’au bout sa propre méthode » et les « deux parties » de sa théorie de l’État « n’ont entre elles aucune cohésion interne » et manifestent « une insuffisance d’unité que les très sèches abstractions de la partie sociologique ne suffisent pas à racheter ». [↩]
- Gesetz und Verordnung, op.cit., p. 214 : « Erhaltung der eigenen Existenz, des Rechtes, der Cultur haben sich uns als Zwecke des Staates dargestellt. Er ist nämlich der specifische Zweck des Staates, den er mit keiner anderen Persönlichkeit theilt ». [↩]
- Gesetz und Verodnung, op.cit., p. 222 : « (…) zerfällt denn die gesammte Thätigkeit des Staates ihrer materiellen Sinne nach in Rechtssetzung, Rechtsprechung und Verwaltung ». Pour Jellinek : « De toutes ces fonctions, c’est l’administration qui forme le centre », « un État sans administration serait une pure anarchie (…). C’est à elle qu’incombe le soin de préparer les lois, c’est elle qui soutient l’activité du juge, qui assure l’exécution de la fonction judiciaire ». Jellinek souligne tout de même l’importance que prend progressivement la fonction législative qui, « à un certain degré de développement de l’État », met l’administration dans un rapport de dépendance (L’État moderne et son droit, t. 2, op.cit., p. 320-322) ; dans le même sens, Gesetz und Verordnung, op.cit., p.220. Pour Richard Thoma, « Der Funktionen der Staatsgewalt », in Gerhard Anschütz/Richard Thoma (dir.), Handbuch des deutschen Staatsrechts, t.2, Mohr Siebeck, Tübingen, 1932, p. 110 : « La fonction vitale de l’État est l’administration » (« Die lebensnotwendige Funktion des Staates ist die Verwaltung »), mais il ne s’agit que d’une considération sociologique (« ist dies eine soziologische Betrachtung »). D’un point de vue « strictement juridique », « la fonction fondamentale de l’État est la législation » (« rein juristisch gesehen ist die Gesetzgebung die fundamentale Funktion des Staates »). [↩]
- La présence d’une sphère de libre activité dans chaque fonction matérielle n’est pas sans rappeler la théorie de la formation du droit par degrés de Merkl et Kelsen, qui repose sur le « double visage » des normes juridiques comportant à la fois la production et l’appliction du droit. Sur cette théorie : ce chapitre, section 2, §1. [↩]
- Georg Jellinek, Allgemeine Staatslehre, 2e édition, 1905, p. 594 : « (…) d.h. zwischen den großen Richtungen der Staatstätigkeit und den Tätigkeiten bestimmter Organgruppen » ; dans la traduction de Georges Fardis, le terme de « Staatstätigkeit » est rendu par « activité politique » (L’État moderne et son droit, t. 2, p. 317). [↩]
- Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, t.2, op.cit., p. 318 : « La législation pose des règles juridiques abstraites réglant une série de cas ou même un fait isolé. La juridiction fixe pour le cas particulier le droit incertain ou contesté ou encore les conditions juridiques det les intérêts. L’administration remplit des tâches concrètes en obéissant à l’impulsion donnée par les règles juridiques qui résultent de ces règles, et cela par des moyens dans lesquels une recherche approfondie nous découvre un système très compliqué ». La classification des fonctions « normales » de l’État dévoile la summa divisio des différents actes étatiques : les los et les actes administratifs. [↩]
- Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, t. 2, op.cit., p. 321. [↩]
- Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, t.2, op.cit., p. 321 : « L’État ne pourra exister une minute sans elle. (…) L’administration est, en même temps, la fonction la plus importante. C’est à elle qu’incombe le soin de préparer les lois ; c’est elle qui soutient l’activité du juge, qui assure l’exécution de la sentance judiciaire. Historiquement aussi, l’administration apparaît comme la fonction fondamentale ; la fonction législative, à son origine, tantôt s’y ajoute, tantôt sen détache ; d’autre part, l’activité judiciaire elle-même, réduite à peu de chose au début, tient, avec le développement croissant de l’État, une place de plus en plus grande ». [↩]
- Gesetz und Verordnung, op.cit., p. 223 : « Die Unmöglichkeit absoluter formaler Scheidung der staatlichen Funktionen ergiebt sich aber namentlich, wenn man die Stellung der Verwaltung zu den beiden andern in Betracht zieht. (…) Alles die Akte der Gesetzgebung oder den Richterspruch Vorbereitende, alles ihnen Nachfolgende fällt ihr anheim. Rechtssetzung und Rechtsprechung bedingen hinwieder vielfach die Thätigkeit der Verwaltung, sie selbst bedarf abstrakter Regeln, welche ihren Gang normiren, sowie der Fähigkeit zwischen widerstreitenden Ansprüchen zu entscheiden. Es ist vergebliche Mühe, in jedem conkreten Falle bestimmen zu wollen, wo die eine materielle Funktion beginnt, die andere aufhört ». [↩]
- Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État, t. 1 (1920), réimpression, Dalloz, 2004, p. 264. [↩]
- Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, t. 2 (Théorie générale de l’État), 2e édition, Éd. de Boccard, Paris, 1923, p. 135. Dans le langage de Duguit, l’activité de l’État correspond aux différents buts poursuivis par ce dernier. [↩]
- Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, t.2, op.cit., p. 225. [↩]
- Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, t.2, op. cit., p. 313. [↩]
- Gesetz und Verordnung, op.cit., p. 223 : « (…) das Beginnen einer durchgängigen scharfen Trennung der Staatsfunktionen in den sie versorgenden Organen eine Unmöglichkeit ist. Die in sich einheitliche Staatsthätigkeit lässt sich zwar nach logischen und sachlichen Gesichtspunkten zergliedern, aber eine streng formale, in der Gliederung des staatlichen Organismus mit unfehlbarer Sicherheit zum Ausdruck kommende Scheidung des seiner Natur nach innerlich Zusammenhängenden lässt sich nicht erreichen. Das verhängnisvolle Fehler, den Staatswissenschaft und praktische Politik begehen können, ist das Unternehmen, mit abstrakten Kategorien das wirkliche Leben des Staates beherrschen zu wollen. Alles Leben spottet der von Aussen an dasselbe herangebrachten Schablonen ; von Innen sich entwickelnd geht es seinen eigenen, nur durch seine Gesetze beherrschten Gang ». [↩]
- Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, t.2, op.cit., p. 313. On peut ici faire le lien avec la terminologie organiciste. Pour des auteurs comme Bluntschli, von Held ou Schulze, il ne s’agit pas de procéder à une séparation absolue qui aboutirait à la mort de l’État-organisme et le transformerait en un objet mécanique, donc inanimé. [↩]
- Gesetz und Verordnung, op.cit., p. 225 : « So hat denn der objektive Gegensatz von Rechtssetzung, Rechtsprechung und Verwaltung zwar den subjektiven von Gesetzgeber, Richter und Verwalter im Organismus der modernen Staaten hervorgetrieben, aber eine mechanische Vertheilung der drei Funktionen unter die drei Klassen von Organen ist weder möglich, noch wie eine genaue Kenntniss der Entwickelungsgeschichte des constitutionellen Staates lehrt, jemals beabsichtigt worden », avec une référence au publiciste libéral du Vormärz Friedrich Schmitthenner (voir, sur Schmitthenner et sa position dans la doctrine libérale du Vormärz : ce titre, chapitre 2, section 1). [↩]
- Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, t. 2, op.cit., p. 325 : « Cependant les fonctions matérielles et les fonctions formelles ne peuvent jamais tout à fait coïncider subjectivement, parce que, si la théorie admet des lignes de séparation bien nettes, il n’en est pas de même de la vie. Ce ne sont pas les considérations d’art, les considérations de beauté, ce sont les considérations d’utilité politique, qui déterminent l’ordre réel de l’État, et qui amènent toutes sortes d’infractions aux règles même le plus expressément reconnues ». [↩]
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