Dans les années 18301, puis en 1849, année-symbole portant le poids de la révolution mort-née, il convient de rechercher toujours l’équilibre difficile entre représentation populaire et monarque. Il n’y a pas vraiment de concurrence entre monarchie et république, mais à partir de juillet 1830, le système gouvernemental « est remis en cause »2. Le leitmotiv des deux dernières décennies ne change pas – la séparation des pouvoirs est rejetée au nom de l’unité du pouvoir –, mais le rejet a une tonalité plus légère dans les écrits de Rotteck ou Welcker (§2). Afin de mieux saisir le sens du rejet modéré par libéraux, il convient, avant tout, d’aborder la question de leur positionnement général (§1).
§ 1. Le positionnement général de la doctrine libérale.
La doctrine libérale adopte une opinion mitigée sur le principe de la séparation des pouvoirs. Tout en rejetant la lecture traditionnelle et conservatrice de l’article 57 de l’Acte final de 1820. (A), les publicistes de tendance libérale rejettent également, certes avec une certaine modération, le principe de la séparation des pouvoirs (B).
A. Le rejet de la lecture traditionnelle de l’article 57 de l’Acte final de 1820.
La monarchie limitée est un véritable État de droit, résultant de la transformation du régime despotique obtenue par « la division du pouvoir entre le roi et le peuple »3. Il s’agit par conséquent d’une division qui vise à la modération de l’exercice du pouvoir, mais qui n’est pas encore arrivée au stade d’une distinction vraiment élaborée des pouvoirs. Il n’est encore question que d’une division par opposition des deux organes de l’État, le monarque et les assemblées représentatives4. L’exercice divisé des différents pouvoirs ne signifie pas ici une dislocation de l’unité de la puissance de l‘État, car, pour Rotteck, la « souveraineté au sens large » peut être partagée entre plusieurs titulaires. Il explique que, dans une monarchie limitée, tant le monarque que le peuple peuvent souverainement exercer les compétences qui leurs sont attribuées en vertu de la Constitution5. Ce type de division des pouvoirs est parfaitement compatible avec le principe de la souveraineté. C’est la raison du rejet catégorique de la lecture « intenable » de l’article 57 de l’Acte final de 1820. Rotteck insiste sur l’erreur commise par les interprètes fidèles à la vision réactionnaire de Metternich et Gentz. L’article 57 ne veut point dire que tous les pouvoirs sont unis dans la personne du prince. Dans la monarchie allemande, il ne peut y avoir qu’un monarque limité par des « actes formels et écrits ». Cette limitation formelle est rendue possible grâce à « la division des pouvoirs » et par les droits garantis du peuple, des sujets ou des citoyens.
Sans fondamentalement remettre en cause le principe monarchique6, le libéral Rotteck, « adepte du droit rationnel au sens de Rousseau et de Kant »7, donne une nouvelle interprétation de l’article 57 de l’Acte final de 1820. Le « constitutionnalisme de Rotteck porte en lui une politique constitutionnelle dans laquelle l’interprétation est une lutte (…) pour imposer une lecture libérale des textes constitutionnels des États allemands avant 1848 »8. Contrairement à Stahl9, il réfute la présomption de compétence (presumptio pro rege) dont bénéficie le monarque en l’absence de précisions textuelles. Si une telle présomption existe, elle doit jouer en faveur du peuple qui n’a fait que transférer une partie des droits du pouvoir au gouvernement. Tout droit, n’ayant pas fait « l’objet d’un transfert », ou qui « n’appartient pas exclusivement au gouvernement », est « réservé au peuple »10.
B. L’opinion modérée des libéraux sur le principe de séparation des pouvoirs.
Pour le « libéral-conservateur » Friedrich Schmitthenner (1796-1850), en ce qui concerne le principe de la séparation des pouvoirs, il n’est pas question de présenter les « différentes parties d’une partition », contrairement à toute logique, comme « différentes sortes d’une division ».
Il n’existe peut-être aucune autre théorie du droit public et de la science politique, dans laquelle règne une aussi importante divergence d’opinions, et qui sème une si profonde confusion, que celle de la division unitaire du pouvoir d’État en général ou de ses différents éléments en particulier.11
Il n’est pas possible de rester indifférent face aux « insuffisances scientifiques de cette théorie si importante »12. La trias politica chez les publicistes allemands prend la forme d’une distinction des différents éléments du « pouvoir d’État pris dans sa totalité » (gesammte Staatsgewalt). Ainsi, il y a le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir qui contrôle à la fois la conformité du législatif par rapport aux missions que doit accomplir l’État et la conformité de l’action exécutive à la loi. Cette division est signalée, comme chez Aretin ou Stahl, par le terme de « Eintheilung ». Il s’agit de « la répartition » ou de la « division unitaire », qui reflète « les trois éléments distincts composant tout agir rationnel d’une personne »13. Certes, Schmitthenner accorde une importance particulière à la division du pouvoir d’État, mais il n’arrive pas à s’affranchir du prétendu danger que porte le terme « séparation » (Trennung). Comme si, en remplaçant le terme de « séparation » par l’expression, d’apparence plus neutre, « division unitaire », on protégeait avec un bouclier théorique l’unité du pouvoir contre toute éventualité de dislocation. L’unité du pouvoir d’État, réparti en différents éléments, ou « pouvoirs », est dans un certain sens comparable à la partition musicale, qui contient plusieurs mouvements distincts, parfois même contradictoires, mais qui, pris dans leur ensemble, dévoilent la beauté de l’unité de l’opus. Le terme de « pouvoir » ne doit pas ici induire en erreur : l’existence de plusieurs pouvoirs au sein du même État n’implique pas l’absence de toute unité. La multiplicité des pouvoirs signifie les différents éléments du pouvoir unitaire, mais également, « et à juste titre », le moment où « le pouvoir politique unitaire » se trouve « brisé »14.
On trouve une position plus nuancée chez Sylvester Jordan (1792-1861), figure importante du libéralisme du Vormärz et acteur de premier rang dans le Parlement de Francfort15. Il procède à une division du pouvoir d’État en fonction des éléments formels et matériels. Les éléments formels sont les fonctions et les éléments matériels représentent les objets mêmes du pouvoir. Malgré cette division, le caractère unitaire du pouvoir reste sa caractéristique première. Les trois fonctions constituent ainsi une « unité interne parfaite » (eine vollkommene innere Einheit), car ce sont « les trois formes d’expression de l’agir d’un seul et même pouvoir d’État » qui se « complètent de manière réciproque »16. Pour Jordan, la forme d’État la plus adaptée aux États allemands est la « monarchie représentative héréditaire »17 au sein de laquelle existe une division matérielle entre le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, qui représente le « point central de l’unité », enfin le pouvoir judiciaire18.
Robert von Mohl (1799-1875), qui appartient « à l’aile rationaliste pragmatique du libéralisme »19, écrit que « la forme de gouvernement », « inventée par les théoriciens », qui suppose la division du pouvoir d’État « en trois parties égales », n’a pas pu se maintenir en vie à cause du « manque de justesse logique et l’absence de sagesse politique » ((Robert von Mohl, Das Staatsrecht des Königreiches Württemberg, 1e édition, Tübingen, 1829, p. 18-19: « Dieser Regierungsform liegt zu Grunde, daß sich die Staatsgewalt in drei getrennte, einander gleich stehende Theile, Gewalten, trennen lasse (…). Von Theoretikern ersonnen (…) hat sich im Leben nicht halten können aus Mangel an logischer Richtigkeit des Gedankens und an politischer Klugheit (…) ».)). La théorie du « pouvoir divisé en trois parties indépendantes et égales dissout l’organisme de l’État, l’unité dans la pluralité » et conduit « pratiquement à l’anarchie et à la destruction »20. Mohl s’intéresse aux différentes notions-clefs du constitutionnalisme allemand comme par exemple « constitution », « loi », « règlement » et leurs sphères d’action respectives. Il n’élabore pourtant pas « une théorie des fonctions ». Il « rejette la théorie de la séparation des pouvoirs », car elle constitue « une menace pour le pouvoir unitaire »21.
Afin de penser l’équilibre entre l’organe gouvernemental et le peuple, Carl von Rotteck met en exergue le besoin de concevoir un système institutionnel équilibré résultant d’une division des pouvoirs législatif et exécutif, alors que, pour Welcker, ce qui importe, ce sont les garanties apportées à la liberté et aux droits des citoyens.
§ 2. Le principe de division des pouvoirs chez Welcker et Rotteck.
Carl von Rotteck (1775-1840) et Carl von Welcker (1790-1869), professeurs révoqués en 1832 de leurs chaires à l’Université de Fribourg, car accusés d’activité démagogique, se rallient à l’« entreprise grandiose », initiée par l’économiste en exil Friedrich List : la création d’une encyclopédie politique allemande accessible au plus grand nombre de lecteurs et vecteur des idées libérales malgré le durcissement politique résultant des décrets liberticides édictés à la suite de la Conférence de Karlsbad de 1819. La première édition du Staats-Lexikon. Encyklopädie der sämmtmichen Staatswissenschaften für alle Stände commence à paraître dès 1834 chez l’éditeur Theodor Lesser à Altona. L’ouvrage est un « catalyseur politique » qui sert de « référence » dans les débats de l’Assemblée nationale de Francfort en 1848/184922.
Le principe de division des pouvoirs n’est pas honoré par une entrée autonome dans le Staats-Lexikon. L’analyse rotteckienne du principe de division des pouvoirs ne constitue pas une nouveauté du Staats-Lexikon. L’idée d’une division est présente, dès 1830, dans le deuxième tome de son Lehrbuch des Vernunftsrechts ((Carl von Rotteck, Lehrbuch des Vernunftrechts und der Staatswissenschaften, t. 2 : Allgemeine Staatslehre, 1e édition, Stuttgart, 1830. )) ; ses écrits pour l’Encyclopédie politique de l’Allemagne libérale ne font qu’illustrer les développements en faveur du principe de division des pouvoirs (A). Welcker, même s’il ne rejette pas de manière catégorique le principe, s’attache davantage à la garantie des droits et de la liberté qu’à une structure institutionnelle configurée suivant le principe de séparation des pouvoirs (B).
A. Le principe de division dans la pensée de Rotteck : l’exclusion de la justice de la sphère du pouvoir d’État.
Dans l’atmosphère hostile au principe de la division des pouvoirs, la « position favorable »23 de Carl von Rotteck fait figure d’exception. En 1840, dans la deuxième édition de son Lehrbuch des Vernunftsrechts und der Staatswissenschaft, on trouve un plaidoyer en faveur de la « Gewaltentheilung » mettant l’accent sur le malentendu dont le principe de division des pouvoirs est victime :
Le rejet de la division des pouvoirs par les publicistes de plus en plus nombreux repose, le plus souvent, sur des malentendus, ou bien sur une confusion entre les notions de division (c’est-à-dire distinction) et de séparation (c’est-à-dire la personnification séparée). Notre théorie, qui distingue les pouvoirs de manière abstraite (selon l’objet et la forme de leur action), et qui étudie leur nature et leurs rapports réciproques, puis établit, en fonction de ce rapport, un degré de participation à l’exercice de chaque pouvoir au profit des titulaires multiples du pouvoir d’État, ne fait pas l’objet d’un rejet doctrinal. Le degré de participation n’a pas comme conséquence de déterminer les pouvoirs d’un point de vue objectif ou de définir leurs sphères d’action, mais de placer les personnalités exerçant le pouvoir dans un système de freins et de contrepoids24.
La position favorable du libéral rationnel Rotteck trouve ici une expression sans équivoque. Il est clair que le professeur fribourgeois saisit la signification du principe de la division des pouvoirs en élaborant une véritable théorie de l’équilibre des pouvoirs. Sa théorie présente une originalité : il ne reconnaît l’existence que de deux pouvoirs, législatif et exécutif, car qualifier la justice de pouvoir et l’inclure dans le schéma classique de la répartition tripartite est une « absurdité » (Unding). La justice se situe en dehors de l’État, elle fait face au pouvoir politique. La place du juge résulte de l’opération d’ «élimination » (Ausscheidung), car elle ne peut raisonnablement faire partie ni « d’après sa nature », ni d’après « ses caractéristiques intrinsèques » du pouvoir d’État. Il convient alors d’attribuer la mission de prononcer un jugement à « la logique de la raison humaine » qui doit décider, « en l’absence de toute violence et de manière autonome, ce qui est le droit, et dont le jugement devient ensuite une loi pour le pouvoir d’État »25. L’activité du juge doit être comprise comme une activité « libre de tout pouvoir » (gewaltfrei). La procédure juridictionnelle ne doit pas être définie par « les traits caractéristiques du pouvoir »26, car le « juge ne commande pas, sa mission s’épuise en la reconnaissance »27 de son seul et unique principe – le droit – et en se basant non pas sur sa « volonté propre », mais « en exerçant la fonction logique de jugement »28. Il n’y a par conséquent que deux éléments du pouvoir d’État : d’une part, celui qui traduit « l’expression de la volonté générale » et, d’autre part, celui qui est chargé de sa « mise en œuvre »29. Parmi les auteurs libéraux, Rotteck n’est pas seul à ne reconnaître que deux pouvoirs : « Ces soi-disant pouvoirs d’État sont deux, législatif et exécutif ». « Car le judiciaire ne devrait pas être présenté comme un troisième pouvoir, égal aux deux premiers ; il n’est en effet que celui qui applique les lois déjà existantes (…) et est ainsi soumis aux deux autres. »30 Chez Rotteck, les raisons de l’exclusion de la justice de la sphère du pouvoir d’État traduisent sa conception de l’opposition de la société civile au gouvernement monarchique. Le juge, qui « dit le droit », ne « sert pas et il ne l’exerce [le pouvoir] pas », car « droit et pouvoir sont des concepts antonymes »31. Par conséquent, la source, dont le juge, « indépendant du pouvoir d’État », puise ses décisions est « le droit » et non pas « la puissance »32.
Après avoir évacué de son analyse la solution traditionnelle de la division tripartite, Rotteck s’attèle à démontrer la nécessité de la division entre les deux pouvoirs législatif et exécutif en les attribuant à différents organes qu’il qualifie d’ « artificiels » (künstiliche) ou de « naturels » (natürliche). Il commence par exposer les deux modèles possibles de division des pouvoirs. Dans le premier cas de figure, les deux pouvoirs sont confiés à deux sujets distincts (monarque, assemblée), tandis que dans le second, le partage n’est pas exclusif et plusieurs sujets peuvent intervenir dans les domaines législatif ou exécutif. Le premier modèle ne peut aucunement fonctionner, car reposant sur un dualisme qui condamne le monarque et l’assemblée de se limiter à leurs sphères d’action respectives. L’absence de toute coopération ou participation à l’exercice du pouvoir savamment équilibré entre les différents organes destinent ces derniers à une lutte de supériorité qui ne peut donner aucun vainqueur, car la victoire de n’importe lequel des deux équivaudrait à la mise en œuvre d’un régime despotique où règne, en fonction de l’issue du conflit institutionnel, l’un ou l’autre pouvoir. Ce premier modèle cause finalement la perte du caractère unitaire du pouvoir d’État33.
Face à l’impossibilité de dépasser la rigidité de la structure dualiste, dont témoigne ce premier modèle, Rotteck prône le second modèle qui est celui de la coopération des organes exerçant les pouvoirs législatif et exécutif34. Pas de distribution exclusive des compétences, il faut créer des mécanismes équilibrés qui permettent à chacun des titulaires exerçant le pouvoir d’accomplir leur mission conformément à leurs caractéristiques propres35. La devise du système constitutionnel rotteckien est « l’accomplissement plein et entier de la volonté générale »36 par l’organe naturel (natürliches), la représentation populaire, et l’organe artificiel (künstliches), le gouvernement37. La « représentation » est le titulaire du pouvoir réservé, alors que le gouvernement est celui du pouvoir transféré par le peuple. Mais il ne s’agit nullement de transférer l’intégralité du pouvoir exécutif au gouvernement et de réserver le pouvoir législatif à la représentation. Bien au contraire, le peuple entend « réserver une partie de chaque pouvoir et transfère une autre partie à plusieurs sujets », ou bien se réserve des parties du pouvoir en procédant à une « subdivision par classes ». Dans ce jeu équilibré, le monarque ne peut se transformer en titulaire exclusif du pouvoir d’État. Chez Rotteck, la « division s’opère à la fois par transfert et par réserve »38.
Appelons le titulaire du pouvoir transféré gouvernement et le titulaire du pouvoir réservé – représentation : ainsi, nous avons à l’intérieur de l’État au moins deux sujets, dont l’action réciproque, si elle est intelligemment réglée, peut garantir la liberté et le droit. Il n’est nullement question d’une opposition entre les pouvoirs, qui sont, d’une part, des personnifications idéelles, et, sont, d’autre part, nécessairement unis en vertu de l’idée même de l’État dans un seul pouvoir suprême. Il convient au contraire d’opposer les personnifications réelles, qui participent à l’exercice de ces pouvoirs, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’un équilibre des droits et d’attributions de chaque pouvoir qui leur sont confiés de manière abstraite, mais de la mise en balance des droits et prérogatives des personnes concrètes détenant le pouvoir et agissant au sein même de l’État. Il est par conséquent question d’une division subjective et non pas objective39.
La subtilité de Rotteck réside dans la distinction opérée entre le pouvoir en tant qu’objet idéel et le pouvoir en tant qu’entité concrète détenue par des personnes réelles (la personnification réelle) l’exerçant au sein de l’État. À la division objective stérile, qui ne peut conduire qu’à un rejet superficiel du principe de division car immédiatement liée à la fin de l’unité du pouvoir d’État, il faut préférer la division subjective40, seule apte à rendre compte de la réalité du fonctionnement de la machine étatique et garantissant la liberté et le droit. Dans l’hypothèse où le monarque considère que la représentation populaire s’éloigne ou risque de s’éloigner de sa mission première, l’accomplissement de la volonté générale, il convient de prononcer la dissolution et de faire appel au peuple. L’élection est pour Rotteck la faculté dont dispose le peuple afin de mettre fin à un blocage provoqué par le mauvais usage du pouvoir ou le désaccord profond entre les sujets qui l’exercent41.
À côté de l’interprétation rotteckienne du principe de division des pouvoirs marquée par quelques originalités (élimination du pouvoir judiciaire du modèle classique, rôle particulier de la volonté générale dans le système constitutionnel, notion de division subjective et mécanismes de coopération des pouvoirs législatif et exécutif), la position de Welcker diffère sur certains points tout en acceptant le principe de division.
B. La position modérée de Welcker dans la première édition du Staats-Lexikon.
C’est précisément Carl Welcker qui écrit, pour le septième volume du Staats-Lexikon, paru en 1839, l’entrée consacrée à l’ « équilibre des pouvoirs » (Gleichgewicht der Gewalten). C’est le seul article, dont le contenu se rapproche, au vu de son intitulé, du principe de division des pouvoirs qui n’est pas honoré d’une contribution autonome. On lit chez Welcker d’importants développements relatifs au principe de division des pouvoirs dans les entrées portant sur la « monarchie » (Monarchie), ainsi que la « justice de cabinet » (Cabinetsjustiz)42. Dans le quinzième tome, qui date de 1843, paru donc trois ans après la mort de Rotteck, sous « division et séparation des pouvoirs », (Theilung und Trennung der Gewalten), le lecteur ne trouve qu’un renvoi lacunaire à l’entrée relative à la « justice de cabinet » rédigée par les soins de Welcker43. Rotteck devait-il écrire l’article concernant la division et la séparation des pouvoirs ? Ses collaborateurs, notamment Welcker, y ont-ils renoncé après sa mort ? En tout cas, l’absence de cette entrée, alors qu’un renvoi explicite figure déjà dans l’article sur la « monarchie », surprend.
Pour Welcker l’ « équilibre des pouvoirs » est le garant de la « véritable liberté juridique, de la liberté, de la dignité et du droit des citoyens indépendants » qui ne sont pas soumis à l’ « autorité et à la puissance » absolues et illimitées. Il faut qu’il y ait « un équilibre politico-organique interne, une majorité, une division et un contrepoids ou un équilibre des pouvoirs, (…) ou, une forme de gouvernement mixte, une constitution libre, ou, enfin, un système organisé de modération et d’accord mutuels ». À la différence de Rotteck, Welcker n’adopte pas une stratégie offensive contre ceux qui ne n’admettent pas l’existence de la division des pouvoirs dans la monarchie limitée allemande. Il oriente son raisonnement en fonction des exemples français et surtout anglais, mais s’abstient, au moins dans cette entrée consacrée à l’équilibre des pouvoirs, de porter un jugement sur le système de la monarchie ou bien de critiquer ouvertement les auteurs qui rejettent le principe de division des pouvoirs44. Pour lui, si les droits et libertés des citoyens sont garantis, l’acceptation ou le rejet de la division des pouvoirs n’est qu’une formalité.
Dans l’article consacré à la « justice de cabinet » (qui est une justice retenue), daté de 1836, Welcker affirme le principe de la limitation formelle du monarque et les garanties accordées aux citoyens. Contrairement à Rotteck, il ne revendique pas l’existence de droits « réservés » au peuple, ni la division du pouvoir d’État. Sa position est modérée : la question qu’il convient de se poser n’est pas tellement qui détient et exerce la puissance, mais comment les libertés des citoyens sont-elles garanties face au pouvoir d’État ? À partir du moment où la garantie est suffisante et le pouvoir monarchique ne peut disposer de manière arbitraire des droits et libertés, il n’est guère nécessaire de défendre la mise en œuvre d’un principe de séparation ou division des pouvoirs. C’est bien pour cette raison que toutes ces disputes doctrinales ne sont que des mots pour Welcker. Il ne croit pas que l’opération, qui consiste en la division des pouvoirs, soit le moyen le plus sûr de garantir les droits et libertés. Mais l’affirmation, selon laquelle le monarque est une fois pour toutes lié par la Constitution, qui garantit un niveau de protection suffisant des libertés, frôle les confins de la chimère politique. La limitation du pouvoir monarchique n’est pas encore arrivée au rang de principe constitutionnel intangible. L’histoire qui se joue dans le royaume de Hanovre montre à Welcker qu’il faut sans doute quelque chose de plus qu’une simple limitation de la puissance du prince.
En 1837, lorsqu’éclate le scandale de la constitution de Hanovre, annulée par une lettre patente du roi Ernst August, il est clair que la limitation du pouvoir monarchique est encore loin d’être ancrée dans le système constitutionnel de la monarchie allemande. La limitation du pouvoir monarchique est une question politique de premier ordre, car sans elle il devient impossible de penser la stabilité de la garantie des droits et libertés des citoyens. Avec l’annulation de la Constitution de Hanovre, la structure constitutionnelle balancée et modérée est remise en cause. Ernst August déclare nul et non avenu le texte du 26 septembre 1833 résultant des négociations entre le gouvernement de son prédécesseur, Guillaume IV, et les états45 : « Nous ne pouvons pas regarder la loi fondamentale d’État du 26 septembre 1833 comme une loi à laquelle nous sommes liés, car elle fut adoptée de manière complètement irrégulière » ((« Patent über die Aufhebung der Verfassung », in Ernst Rudolf Huber, Dokumente zur deutschen Verfassungsgeschichte, vol. 1 : Deutsche Verfassungsdokumente 1803-1850, Kohlhammer, Stuttgart, 1961, p. 250 : « Das Staas-Grundgesetz vom 26. September 1833 können Wir als ein Uns verbindendes Gesetz nicht betrachten, da es auf eine völlig ungültige Weise errichtet worden ist ».)). Ce coup d’État provoque de vives protestations dans les milieux universitaires libéraux46. Les « Sept de Göttingen »47, professeurs politiquement engagés, révoqués, car ayant osé exprimer publiquement leur opposition à la décision unilatérale du roi, deviennent les symboles de l’intelligentsia libérale allemande, victime d’un pouvoir rigide aux tendances autoritaires. Welcker, Rotteck, les « Sept de Göttingen », pour ne citer que les exemples les plus connus, représentent alors ce nouveau modèle d’universitaire politisé – le « professeur politique » – qui n’est pas seulement cantonné à son activité académique, mais entend occuper le devant de la scène politique en émettant des critiques cinglantes adressées au pouvoir, en se faisant le « médiateur entre l’État et la culture, l’esprit et la puissance », mais également « le porte-parole de la société bourgeoise allemande » ((Horst Ehmke, Karl von Rotteck, der « politische Professor », C.F. Müller, Karlsruhe, 1964, p. 12 : « Das Wort bezeichnet die Rolle, die deutschen Gelehrten in einer bestimmten historischen Situation als Mittler zwischen Staat und Kultur, Geist und Macht und auch Sprecher des deutschen Bürgertums zeitweilig zuwuchs ». En langue française, Luc Heuschling/Jacky Hummel, « Le libéralisme du Vormärz : la figure du “professeur politique” », Revue française d’histoire des idées politiques, n°24, 2006, p. 227-231, spécialement p. 228. )) tout en assumant le risque de la révocation48. Après la révolution de mars 1848, ces professeurs politisés forment le centre politique du Parlement de Francfort qui devient le symbole de l’échec traumatisant de la tentative de libéraliser la monarchie allemande et de « conquérir (…) la liberté et l’unité »49.
La Constitution de l’Église de Saint-Paul ne rompt pas avec le principe monarchique, mais constitutionnalise un système d’équilibre des pouvoirs tout en rejetant le régime parlementaire.
- La Révolution de Juillet fut, pour l’Allemagne, le facteur qui précipita les États allemands dans les conflits institutionnels et qui ouvrit la voie à la « révolution allemande » de 1848/1849. Sur ces points, Thomas Nipperdey, Deutsche Geschichte (1800-1866). Bürgerwelt und starker Staat, t.1, C.H. Beck, p. 366: « Es ist die französische Julirevolution von 1830 gewesen, die die Dinge in Deutschland in Bewegung gebracht hat. (…) Im partikularisierten Deutschland hat die Revolution zunächst in einer Reihe von Einzelstaaten Bewegungen und Veränderungen ausgelöst (…) ». [↩]
- Thomas Nipperdey, Deutsche Geschichte (1800-1866). Bürgerwelt und starker Staat, op.cit., p.366 : ces mouvements révolutionnaires « montrent par conséquent comment, à partir de 1830, le système gouvernemental est remis en cause » (Sie zeigen im Grunde, wie das herrschende System serit 1830 in Frage gestellt wurde). [↩]
- Carl Welcker, « Monarchie », in Carl von Rotteck/Carl Welcker (dir.), Staats-Lexikon, t. 10, 1e édition, Altona, 1840, p. 674: « (…) das neue constitutionelle System hat keinem anderen Sinn als den, mittelst der Theilung der Gewalt, und zwar zwischen König und Volk, die Despotien in wahre Rechtsstaaten umzuschaffen ». [↩]
- Il faut également rappeler la position que prend Welcker concernant l’interprétation réactionnaire et conservatrice de la notion « landständische Verfassung » adoptée par Friedrich von Gentz (voir ce chapitre, section 1, §1). [↩]
- Carl von Rotteck, « Monarchie », in Carl von Rotteck/Carl Welcker (dir.), Staats-Lexikon, t. 10, 1e édition, Altona, 1840, p. 674 : « (…) staatsrechtlich aber jeder Inhaber auch nur eines Theiles der Staatsgewalt, in so fern er bei ihrer Ausübung selbstständig oder unabshängig ist, der Eigenschaft der Souveränität oder Selbstherrlichkeit im weiten Sinne theilhaftig wird ». [↩]
- Selon Hans Boldt, Deutsche Staatslehre im Vormärz, op.cit., p. 93, l’idée répandue notamment par Treitschke qui veut que Rotteck défende la république comme étant la meilleure et juste forme de gouvernement en l’opposant à la monarchie est erronée. En effet, Rotteck emploie le terme de « république » en opposition au gouvernement despotique ou anarchique. [↩]
- Michael Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne (1800-1914), op.cit., p. 198. [↩]
- Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918). Idéalisme et conceptualisme chez les juristes allemands du XIXe siècle, op.cit., p. 199. [↩]
- Friedrich Julius Stahl, Philosophie des Rechts, t. 2, op.cit., p. 384 et suiv. Plus tard, Georg Jellinek, Allgemeine Staatslehre, 3e édition, 1914, p. 677, écrira que l’idée selon laquelle le monarque détient l’intégralité du pouvoir est devenue une pure « fiction » qui ne répondait plus « à la réalité » du droit positif (« […] bietet aber die Lehre vom Monarchen, der alle Rechte der Staatsgewalt in sich vereinigt, keine reale Erkenntnis mehr, sonder ist zu einer Fiktion geworden, die nicht mehr mit der Wirklichkeit des rechtlichen Tatbestandes übereinstimmt »). [↩]
- Carl von Rotteck, Lehrbuch des Vernunftrechts und der Staatswissenschaften, t. 2 : Allgemeine Staatslehre, 2e édition, Stuttgart, 1840, p. 254 : « Alle Rechte der Staatsgewalt, welche nicht ausdrücklich (…) an die Regierung, übertragen wurden, oder nicht ausschließend derselben angehören, sind als vorbehalten für das Volk oder dessen Ausschuß (…) ». Sur ce point, voir les développements substantiels de Jacky Hummel, Le constitutionnalisme allemand (1815-1918) : le modèle allemand de la monarchie limité, PUF, coll. Léviathan, 2002, p. 132-133. [↩]
- Friedrich Schmitthenner, Grundlinien des allgemeinen oder idealen Staatsrechts, Giessen, 1845, p.291 : « Vielleicht gibt es keine Lehre des Staatsrechts und der Politik in welcher eine größere Abweichung der Ansichten und eine buntere Verwirrung herrscht, als in derjenigen von der Eintheilung der Staatsgewalt überhaupt und ihrer Momente (Contenta) ». [↩]
- Friedrich Schmitthenner, Grundlinien des allgemeinen oder idealen Staatsrechts, op.cit., p. 291: « Es ist leicht in unsern gewöhnlichen Lehrbüchern nachzuweisen, wie hier gegen die bestimmtesten Gesetze der Logik verstoßen wird, indem die Theile einer Partition (…), als Arten einer Division behandelt (…) werden. (…)Wer den Gang der modernen Staatsentwicklung kennt (…), wird gewiß die wissenschaftliche Unvollkommenheit einer so wichtigen Lehre nicht für gleichgiltig halten ». [↩]
- Friedrich Schmitthenner, Grundlinien des allgemeinen oder idealen Staatsrechts, op.cit., p. 293: « Bei deutschen Publicisten ist in der neuern Zeit eine andere Auffassung der sogennantes Trias politica ziemlich allgemein geworden. Sie unterscheiden nämlich in der gesammten Staatsgewalt : 1) die gesetzgebende Gewalt (…) ; 2) die ausübende oder exekutive (…) ; 3) die aufsehende, welche das Gesetz und die Ausführung überwacht, damit jenes dem Zwecke des Staates, diese dem Gesetze angemessen sei (…). Bei dieser Eintheilung schweben offenbar die drei Momente vor, die sich in jedem bernünftigen Handeln einer Person unterscheiden lassen ». [↩]
- Friedrich Schmitthenner, Grundlinien des allgemeinen oder idealen Staatsrechts, op.cit., p. 295 : « Was endlich der Bezeichnungen : Gewalten, hohe Rechte, Hoheitsrechte oder Hoheiten, Regalien und Regierungsrechte für die Momente der Staatsgewalt anbelangt ; so sind dieselben, wenn weiterer Verwirrung vorgebeugt werden soll, nach ihrer ganz verschiedenen geschichtlichen und etymologischen Bedeutung auch in scharfer Unterscheidung zu nehmen. Der Ausdruck Gewalten (Potestas, pouvoirs), als der allgemeinere, mag füglich auch für die Momente, zu denen die gesammte politische Gewalt sich in dem Staate bricht und unterscheidet, gebraucht werden ». [↩]
- Michael Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne (1800-1914), op.cit., p. 207-209 : « (…) son libéralisme s’apparente fortement au libéralisme “historico-organique” de Karl-Theodor Welcker ou de Friedrich Dahlmann ». [↩]
- Sylvester Jordan, Lehrbuch des allgemeinen und deutschen Staatsrechts, Cassel, 1831, p. 52-53 : « Da man bei der Staatsgewalt die Form und die Gegenstände (Materie) ihrer Thätigkeit unterscheiden kann, so lassen sich hiernach die Rechte der Staatsgewat in formale (Functionen) und materiale abtheilen. (…) Sie (diese drei Functionen) bilden aber gleichwohl in ihrer Verbindung eine vollkommene innere Einheit, insofern sie, als die Thätigkeiten einer und derselben Staatsgewalt, sch gegenseitig ergänzen ». [↩]
- Lehrbuch des allgemeinen und deutschen Staatsrechts, Cassel, 1831, p. 49 : «Für die deutschen Staaten insbesondere ist nach dem angegebenen Maassstabe die repräsentative Erbmonarchie diejenige Staatsform, welche sowohl dem Kulturstande als den geschichtlichen Verhältnissen der Deutschen am Meisten entspricht ». [↩]
- Lehrbuch des allgemeinen und deutschen Staatsrechts, op.cit., p. 53 : « Die regierende Gewalt ist (…) die lenkende, bildende und belebende Kraft und darum auch der Centralpunkt der Einheit » ; p. 58 : « Daher zerfällt die materielle Staatsregierung in drei Hauptzweige, in die Gesetzgebung (Ausübung der gesetzgebenden Gewalt), Rechtspflege (Ausübung der richterlichen Gewalt) und Regierung (Ausübung der regierenden Gewalt). [↩]
- Michael Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne (1800-1914), Dalloz, 2014, p. 213-219. [↩]
- La position de Mohl sur le principe de la division des pouvoirs reste la même après 1848 : Robert von Mohl, Die Geschichte und Literatur der Staatswissenschaften, vol. 1, Erlangen, 1855, p. 273-274, où il refuse par ailleurs de reconnaître Montesquieu comme le premier à avoir véritablement théorisé la répartition tripartite des pouvoirs : « Ebenso ist nicht richtig, wenn Montesquieu gewöhnlich als der Urheber der Lehre von der Dreitheilung der Gewalten angesehen wird » ; « Die Zersplitterung der Staatsgewalt in drei von einander getrennte und unabhängige Gewalten löst den Organismus des Staates, die Einheit in der Vielheit, auf, und führt practisch zu Anarchie und Zerrüttung » ; du même Encyklopädie der Staatswissenschaften, Laupp, Tübingen, 1859, p. 112 : « Die Unrichtigkeit dieses Gedankens ist zwar jetzt fast allgemein in der Wissenschaft anerkannt ». [↩]
- Ernst-Wolfgang Böckenförde, Gesetz und gesetzgebende Gewalt. Von den Anfängen der deutschen Staatsrechtslehre bis zur Höhe des staatsrechtlichen Positivismus, 1e édition, Duncker & Humblot, Berlin, 1958, p.181 : « Dabei interessieren Mohl vornehmlich die Begriffe von Verfassung, Gesetz, Verordnung und ihre Abgrenzung ; eine Funktionenlehre als solche entwickelt er nicht (…) » ; p. 187 : « Die Gewaltengliederung lehnt Mohl ab. Auch er gehört zu denen, die in iht eine Bedrohung der einheitlichen Staatsgewalt sehen (…) ». [↩]
- Ingrid Rademacher, « La première éncyclopédie allemande : le Staats-Lexikon de Rotteck et Welcker (1834-1848), in Revue Française d’Histoire des Idées politiques, n°24, 2006, p. 255-297 et notamment p.256. [↩]
- Ernst-Wolfgang Böckenförde, Gesetz und gesetzgebende Gewalt, 1e éd., op.cit., p. 104 : « Zur “Gewaltenteilung” als verfassungsorganisatorischen Prinzip hat Rotteck ein positives Verhältnis ». [↩]
- Carl von Rotteck, Lehrbuch des Vernunftrechts und der Staatswissenschaften, t. 2 : Allgemeine Staatslehre, 1e édition, Stuttgart, 1830, p. 204 (p. 218 dans la deuxième édition de 1840) : « Die unter den neuesten Publizisten vielstimmig ertönende Verwerfung der Gewaltentheilung (…) beruht meist auf Mißverständnissen, und zumal auf Verwechslung des Begriffs der Theilung (d.h. Unterscheidung) mit jenem der Trennung (d.h. der gesonderten Personifikation). Unsere Lehre, welche die abstrakten Gewalten blos im Begriff (nach Gegestand und Form des Wirkens) unterscheidet, und ihre daraus hervorgehende Natur und Wechselverhältnis untersucht, sodann aber ein auf eben dieses Verhältnis gebautes Maß der Theilnahme an jeder einzelnen Gewalt für die mehreren Inhaber der allgemeinen Staatsgewalt festsetzt, folglich nicht die objectiven Gewalten oder Gewaltsphären, sondern blos die mit Macht zu bekleidenden Persönlichkeiten einander entgegen oder ins Gleichgewicht stellt, trifft jene Verwefung nicht ». [↩]
- Carl von Rotteck, Lehrbuch des Vernunftrechts und der Staatswissenschaften, t. 2 : Allgemeine Staatslehre, 1e édition, Stuttgart, 1830, p. 206 : « Allerdings müssen daher die Gerichte in ihrer Funktion des Rechtsprechen, d.h. muß das Rechts selbst unabhängig sein, sowohl von der gesetzgebenden Gewalt (…) als von der administrativen. Aber nicht durch eine Theilung der Staatsgewalt word solche Unabhängigkeit bewirkt, sondern bloß durch Ausscheidung dessen, was nach seiner Natur und Wesenheit der Staatsgewalt gar nicht angehört, und durch Uebertragung desselben an möglichst zuverlässige Organe – keineswegs der Staatsgewalt, sondern der rechtlichen Menschenvernunft – welche da, gewaltlos doch selbständig, zu entscheiden haben, was Recht sein, und deren Ausspruch sodann Gesetz wird für die Staatsgewalt ». Dans le même sens, Carl von Rotteck, « Constitution », in Carl von Rotteck/Carl Welcker (dir.), Staats-Lexikon oder Encyklopädie der Staatswissenschaften, vol. 3, 1e édition, Altona, 1836, p. 776-777 : « (…) also die richterliche sogennante Gewalt, welche blos in der logischen Funktion des Urtheilens oder Erkenntnis besteht, aus der Rehe der eigentlichen Gewalten auszuschließen ist » [↩]
- Regina Ogorek, Aufklärung über Justiz, t.2 : Richterkönig als Subsumtionsautomat. Zur Justiztheorie in 19. Jahrhundert, 2e édtition, Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main, 2008, p. 312 : « (…) die richterliche Tätigkeit nicht als Ausdruck von Staatsgewalt gedacht sollte, mußte auch dafür gesorgt werden, daß ihre Ausübung als gewaltfrei verstanden werden konnte, daß also die Merkmale der Gewalt (…) aus der Beschreibung des Rechtsanwendungsverfahrens verschwanden ». [↩]
- Carl von Rotteck, Lehrbuch des Vernunftrechts und der Staatswissenschaften, t. 2 : Allgemeine Staatslehre, 1e édition, Stuttgart, 1830, p. 305 : « Der Richter befiehlt nicht, sondern er erkennt ». [↩]
- Carl von Rotteck, « Justiz », in Carl von Rotteck/Carl Welcker (dir.), Staats-Lexikon oder Encyklopädie der Staatswissenschaften, vol. 8, 1e édition, Altona, 1839, p. 743 : « (…) die Justiz (d.h. hier das Gericht) als ihr Princip lediglich und allein das (…) Recht erkennt und bei ihren Ansprüchen durchaus keinen eigenen Willen äußert, sondern bloß die logische Function des Urtheils ausübt (…) ». [↩]
- Carl von Rotteck, « Constitution », in Carl von Rotteck/Carl Welcker (dir.), Staats-Lexikon oder Encyklopädie der Staatswissenschaften, vol. 3, 1e édition, Altona, 1836, p. 776 : « (…) unter Gewalt blos ein Recht der Willens-Aeußerung, oder der Willens-Durchführung versteht (…) ». [↩]
- Friedrich Christoph Dahlmann, Die Politik, auf den Grund und das Mass der gegebenen Zustände zurückgeführt, t. 1, 2e édition, Leipzig, 1847 (1835 pour la 1e édition), p. 82 : « Dieser sogennanten Staatsgewalten sind zwei, die ausübende und die gesetzgebende Gewalte. Denn die richterliche darf sich ihnen nicht gleichstellen wollen, da sie als Anwenderin bereits vorhandener Gesetze (…) jenen beiden Staatsgewalten untergeordnet ist ». Cependant, il faut nuancer cette comparaison : pour Dahlmann, le pouvoir de rendre la justice est une sous-catégorie du pouvoir exécutif, car il est chargé d’appliquer la loi, tandis que pour Rotteck ce pouvoir est en dehors du domaine de l’État. [↩]
- Olivier Jouanjan, « Le contrôle incident des normes et les contradictions de l’État monarchique en Allemagne », in du même (dir.), Figures de l’État de droit. Le Rechtsstaat dans l’histoire intellectuelle et constitutionnelle de l’Allemagne, PUS, 2001, p. 284. « État de droit » signifie ainsi dans la conception rotteckienne du pouvoir que « le système tout entier doit être bâti sur l’équilibre entre ces deux contraires ». [↩]
- Carl von Rotteck, Lehrbuch des Vernunftrechts und der Staatswissenschaften, t. 3 : Materielle Politik, 1e édition, Stuttgart, 1834, p. 178 : « (…) von der Staatsgewalt unabhängige, und zur Entscheidungsquelle bloß an das Recht, also durchaus nicht an die Macht angewiesenen Autorität ». [↩]
- Carl von Rotteck, Lehrbuch des Vernunftrechts und der Staatswissenschaften, t. 2 : Allgemeine Staatslehre, 1e édition, Stuttgart, 1830, p. 210 : (…) dieses ganze Theilungsprinzip (…) ist mangelhaft und verderblich. (…) Wo immer so getheilt ist, und die Theilung geltend gemacht werden kann durch physische Kraft, so wird entweder die Einheit des Staatslebens verloren gehen durch die vielleicht verschidenen Richtungen der gesonderten Gewalten (…). In dem hieraus hervorgehenden Streit der beiden Gewaltn wird, mag eine oder die andere siegen, Despotie das endliche Ergebnis sein ; ja es wird, wo kein Streit besteht, wo demnach die gesetzgebende Gewalt entweder unter dem unwiderstehlichen Einfluß der vollstreckenden handelt, oder entgegen die vollstreckende sich wahrhaft unterworfen hat, die Despotie schon der ursprüngliche Charakter der Verfassung sein ». [↩]
- Carl von Rotteck, « Constitution », in Carl von Rotteck/Carl Welcker (dir.), Staats-Lexikon oder Encyklopädie der Staatswissenschaften, vol. 3, 1e édition, Altona, 1836, p. 776-777 : « (…) beide Persönlichkeiten zur gemeinschaftlichen Theilnahme an beiden Gewalten oder Gewaltsphären, nur hier und dort in verschiedenem Verhältnis oder Maß zu berufen. Dieses Verhältnis oder Maß nämlich soll durch die natürlichen Eigenschaften der beiden Persönlichkeiten bestimmt (…) ». La volonté de permettre aux titulaires du pouvoir d’accomplir leur mission en suivant leurs caractéristiques « naturelles » (natürlichen) n’est pas sans rappeler le principe de la justice fonctionnelle qui apparaît dans la jurisprudence constitutionnelle allemande en 1984 avec la décision « Atomwaffenstationierung » (BVerfGE 68, 1) (v. le second titre de cette partie). La position de Rotteck est reprise par Welcker (qui est désigné comme co-auteur de l’entrée « Constitution ») dans la troisème édition du Staatslexikon (Carl Welcker, « Constitution », in Carl von Rotteck/Carl Welcker [dir.], Staatslexikon oder Encyklopädie der Staatswissenschaften, vol. 4, 3e édition, Brockhaus, 1860, p.100 et suiv.). [↩]
- En ce sens, Sylvester Jordan, Lehrbuch des allgemeinen und deutschen Staatsrechts, Cassel, 1831, p. 54 : « De l’indépendance et des différences substantielles résulte la nécessité d’opérer une distinction subjective de leur véritable exercice (des fonctions) afin qu’on évite tout mélange ou confusion d’une part, et organiser les fonctions de telle manière que leur exercice corresponde le plus possible à leurs caractéristiques propres » (« Aus der Selbstständigkeit und wesentlichen Verschiedenheit derselben folgt aber die Nothwendigkeit, ihre wirkliche Ausübung subjectiv zu sondern, damit ihrer Vermischung und Verwechselung vorgebeugt, und innerlich so zu organisieren, dass eine jede derselben auf eine ihrer eigenthümlichen Natur am Meisten entsprechende Weise ausgeübt werden »). [↩]
- L’analyse de Rotteck n’est pas nouvelle. Dès 1820, Karl Salomo Zachariä, Vierzig Bücher vom Staate, t.1, 1e édition, Stuttgart und Tübingen, 1820, p. 192 et 200, développe l’idée de l’exercice de la puissance conformément à la volonté de la majorité : « In einem Staate muss die Herrschermacht gemäss dem Willen der Mehrheit ausgeübt worden »). Zachariä qualifie de « contraire au droit » (widerrechtliche), la Constitution qui ne résulterait que de l’emploi de moyens artificiels, et établie contre la volonté de la majorité (« Eine widerrechtliche Verfassung, (…) ist nur die zu nennen, welche durch künstliche Mittel, z.B. durch ein aus Fremdlingen bestehendes Heer, gegen den Willen der Mehrheit aufrecht erhalten wird »). Un des principes de la monarchie allemande est, selon Zachariä, la séparation des trois pouvoirs principaux (Grundgewalten) : ils sont séparés (gesondert) en pouvoir législatif, pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire et sont dans les mains de différentes administrations sans que cela porte préjudice à leur action commune (« Die drei Grundgewalten des Staats, – die gesetzgebende, die vollziehende und die richterliche Gewalt, – sind in der konstitutionellen Monarchie voneinander gesondert, d.h. in den Händen verschiedener Behörden, jedoch unbeschadet ihres Zusammenwirekns »). [↩]
- Carl von Rotteck, Lehrbuch des Vernunftrechts und der Staatswissenschaften, t. 2 : Allgemeine Staatslehre, 1e édition, Stuttgart, 1830, p. 213 : (…) jede Erstrebung der Staatszwecks nichts anderes als Vollzug des allgemeinen Willens (…) ist. Aber da dieses oberste Gesetz noch so unendlich vieles unbestimmt läßt, was bei der wirklichen Erstrebung bestimmt werden muß ; so ist das Dasein eines Organes nöthig, welches jedesmal solche Bestimmung ausspreche ; und dieses Organ ist entweder ein künstliches (die eingesezte Regierung), dessen Aussprüche als Gesammtwille gelten, oder ein natürliches, (die Landesgemeinde ode rein freiwilliger Ausschuß derselben) dessen Aussprüche (…) der Gesammtwille sind ». Voir les développements de Jacky Hummel, Le constitutionnalisme allemand (1815-1918) : le modèle allemand de la monarchie limitée, op.cit., p. 133. [↩]
- Carl von Rotteck, Lehrbuch des Vernunftrechts und der Staatswissenschaften, t. 2 : Allgemeine Staatslehre, 1e édition, Stuttgart, 1830, p. 211 : « Also bleibt nur noch die Art der Theilung übrig, daß einen Theil von jeder der beiden Gewalten das Volk übertrage und den anvorbehalte. Jenen kann es vielleicht an mehrere Persönnlichkeiten übertragen; und auch diesen kann es vielleicht nach einigen Klassenabtheilungen sich vorbehalten. Doch bleibt die Hauptidee: Theilung durch Uebertragung und Vorbehalt ». [↩]
- Carl von Rotteck, Lehrbuch des Vernunftrechts und der Staatswissenschaften, t. 2 : Allgemeine Staatslehre, op.cit., p. 213 : « Nennen wir die Inhaberin der übertragenen Gewalt Regierung und die Inhaberin der vorbehaltenen Gewalt Repräsentation : so haben wir nunmehr zwei Persönnlichkeiten im Staate, deren Wechselwirkung, wofern sie klug geregelt ist, Freiheit und Recht verbürgen kann. Keineswegs die Entgegensetzung der Gewalten, welche einerseits nur ideale Persönlichkeiten sind, und anderseits durch die Idee des Staates nothwendig zu einer und derselben nämlich überhaupt der obersten Staatsgewalt sich vereinen ; sondern die Entgegensetzung der lebendigen Persönlichkeit, die an solchen Gewalten Theil nehmen, ist die Hauptidee, d.h. also keineswegs die Abwägung der jeder einzelnen Gewalt als solcher, idealisch zuzuschreibenden Rechte oder Attributionen, sondern die Abwägung der den beim Staatsleben in wahrer Wechselwirkung stehenden und mit Gewalt zu bekleidenden Personen beizumessenden Rechte oder Kräfte, demnach die subjektive Theilung, nicht aber die objektive ». [↩]
- La distinction subjective est aussi chez Sylverster Jordan, Lehrbuch des allgemeinen und deutschen Staatsrechts, Cassel, 1831, p. 54, qui insiste sur la « distinction subjective du véritable exercice » (ihre wirkliche Ausübung subjektiv zu sondern) des fonctions composant le pouvoir unitaire détenu par le monarque. Il ne partage donc pas l’avis de Rotteck sur le rôle de la volonté générale comme source et finalité du pouvoir d’État, le monarque est pour Jordan celui qui détient l’intégralité du pouvoir. [↩]
- Lehrbuch des Vernunftsrechts und der Staatswissenschaften, t. 2 : Allgemeine Staatslehre, op.cit., p. 247 : « Doch kann eine wirkliche landständische Versammlung, eine wirklich bestehende Kammer von gewählten Deputieren, wenn sie nach des Königs Meinung vom Pfad des wahren Gesammtwillens sich entfernt hat, oder zu entfernen droht, durch einen königlichen Befehl aufgelöset weden, wonach sodann in kurzer Frist eine neue Wahl statt finden und die Einberufung der neu gewählten Deputieren statt finden muß ». Pour Jacky Hummel, Le constitutionnalisme allemand (1815-1918) : le modèle allemand de la monarchie limitée, op.cit., p.134, l’ « appel au peuple », prôné par Rotteck, s’inspire de la pensée de Benjamin Constant, et ne signifie aucunement l’émergence d’un gouvernement parlementaire en Allemagne : « L’intention de ces auteurs n’est pas de court-circuiter la relation entre le gouvernement et le parlement et d’établir par là une pratique politique par laquelle les ministres seraient pris dans la majorité parlementaire (…). Le centre de gravité du mécanisme de l’appel au peuple se trouve bien plus dans le corps électoral que dans le parlement ». [↩]
- La « justice de cabinet est l’influence exercée par le gouvernement, ou les fonctionnaires qui en dépendent, sur les décisions des juges prises dans les affaires civiles ou criminelles » (Carl Welcker, « Cabinets-Justiz », in Carl von Rotteck/Carl Welcker [dir.], Staats-Lexikon oder Encyklopädie der Staatswissenschaften, vol.3, 1e édition, Altona, 1836, p. 164-165). [↩]
- Staats-Lexikon oder Encyklopädie der Staatswissenschaften, vol. 15, 1e édition, Altona, 1843, p. 408 : « Theilung und Trennung der Gewalten, s. Cabinetsjustiz ». [↩]
- Carl Welcker, « Gleichgewicht der Gewalten », in Carl von Rotteck/Carl Welcker (dir.), Staats-Lexikon oder Encyklopädie der Staatswissenschaften, vol. 7, 1e édition, Altona, 1839, p. 61-62 : « Da, wo wahre rechtliche Freiheit, Freiheit und Würde und Recht selbstständiger Bürger, (…) da darf nicht irgend eine einzige Auctorität und Gewalt (…) absolut und alleinherrschen. (…) es muß ein inneres politisches organisches Gleichgewicht, es muß eine Mehrheit, eine Theilung und ein Gegengewicht oder ein Gleichgewicht der Gewalten (…) oder eine freie Verfassung, oder endlich ein organisirtes System gegenseitiger Mäßigung und gegenseitiger Vereinbarung bestehen ». [↩]
- En tant que prince héritier, Ernst August de Hanovre avait déjà exprimé son opposition au projet constitutionnel de 1833. Sur ce point: Ernst Rudolf Huber, Dokumente zur deutschen Verfassungsgeschichte, vol.1: Deutsche Verfassungsdokumente 1803-1850, Kohlhammer, Stuttgart, 1961, p. 243: « Nach den Unruhen von 1830 kam es zu Verfassungsverhandlungen zwischen der Regierung und den Ständen ; ihr Ergebnis war die Verfassung vom 26. September 1833 ». [↩]
- Sur le conflit constitutionnel de 1837: Willy Real, Der hannoversche Verfassungskonflikt von 1837/1839, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 1972, p. 7-8. [↩]
- Les « Göttinger Sieben » sont Friedrich Christoph Dahlmann, l’instigateur de ce « soulèvement » universitaire, professeur à l’Université de Göttingen, les frères Wilhelm et Jacob Grimm, Wilhelm Eduard Albrecht, Georg Gottfired Gervinus, Wilhelm Eduard Weber et Heinrich Georg August Ewald. [↩]
- Horst Ehmke, Karl von Rotteck, der « politische Professor », op.cit., p. 11 : « (…) so scheint sich das Wort vom “politschen Professor” als Etikett für einen Professor, der praktisch politisch tätig war und diese Tätigkeit mit dem Verlust seines Lehrmates bezahlen mußte (…) ». [↩]
- Luc Heuschling/Jacky Hummel, « Le libéralisme du Vormärz : la figure du “professeur politique” », Revue française d’histoire des idées politiques, art. précit., p. 228. [↩]
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