Section V : Les principes généraux du droit
448.- Notion de principe général du droit.- Les principes généraux du droit constituent des normes découvertes par le juge administratif et plus rarement par les juges de l’ordre judiciaire. Parfois consacrés par le législateur, ils se distinguent à la fois des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » qui ont valeur constitutionnelle et des « principes fondamentaux » mentionnés par l’article 34 de la Constitution, pour la définition desquels le législateur est exclusivement compétent.
§I- Origine et source
449.- Origine.- Le juge administratif ne crée pas les principes généraux du droit mais il les découvre « à partir des conceptions idéologiques de la conscience nationale et/ou d’une masse de textes constitutionnels, internationaux ou législatifs » (P.-L. Frier, J. Petit, Précis de droit administratif, coll. Domat, Montchrestien 8ème éd. 2013, p. 108).
450.- Une notion ancienne.- La formule est plus ancienne que l’on pourrait le croire de prime abord. Elle apparaît en effet dès la fin du XIX° siècle dans l’arrêt du Tribunal des conflits du 8 février 1873, Dugave Bransiet (requête numéro 00012 : Rec. 1er suppl., p. 70), avant de réapparaître dans un arrêt Roux du Conseil d’Etat du 8 mai 1931 qui fait référence plus spécifiquement aux « principes généraux du droit électoral » (Rec., p. 510). On retrouve également cette expression dans les conclusions de commissaire du gouvernement Teissier sur l’arrêt Commune du Saint-Esprit du 17 juin 1904 (requête numéro 11851 : Rec. p., 469). Elle a pu également être utilisée par le législateur. En particulier, l’article 1er de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association précise que la convention d’association « est régie, quant à sa validité, par les principes généraux du droit applicables aux contrats et obligations ». Toutefois, ces références nombreuses n’avaient aucune implication concrète sur le terrain de la légalité administrative.
451.- Apparition de la technique des principes généraux du droit.- Le juge a eu véritablement recours pour la première fois à la technique des principes généraux du droit à l’occasion d’un arrêt de Section du Conseil d’Etat du 5 mai 1944 Dame Veuve Trompier-Gravier (requête numéro 69751 : Rec., p. 133 ; D. 1945, p. 110, concl. Chenot, note de Soto ; RDP 1944, p. 256, concl. Chenot, note Jèze). En l’espèce, le Conseil d’Etat était saisi d’un recours dirigé contre une décision préfectorale retirant une autorisation d’exploiter un kiosque à journaux au motif que son titulaire avait voulu extorquer des fonds à son gérant. Cette décision est annulée au motif que le préfet a commis une violation des droits de la défense. En effet, « eu égard à la gravité de cette sanction, une telle mesure ne pouvait légalement intervenir sans que la dame veuve Trompier-Gravier eût été mise à même de discuter les griefs formulés contre elle ».
452.- Conformation.- Cependant, si cet arrêt est à l’origine de la technique des principes généraux du droit, cette expression apparaît seulement dans son acception moderne dans l’arrêt d’Assemblée Aramu et a. du 26 octobre 1945, qui se réfère également au principe du respect des droits de la défense (requête numéro 77726: Rec., p. 213 ; D. 1946 p. 158, note Morange ; EDCE 1947, n°1, p. 48, concl. Odent ; S. 1946, III, p. 1, concl. Odent).
Les solutions retenues dans ces deux affaires sont manifestement inspirées par la loi du 24 avril 1905 qui prévoit la communication de leur dossier aux fonctionnaires qui doivent faire l’objet de poursuites disciplinaires. Cependant, ce n’est pas ce texte que les juges appliquent directement, mais le principe général du droit qui l’inspire et qui a vocation à s’appliquer à d’autres cas de figure que ceux qu’il vise.
453.- Des sources multiples.- La technique des principes généraux du droit s’est ensuite perfectionnée et leurs sources se sont diversifiées. En effet, pour qu’ils permettent la censure d’actes administratifs, les principes généraux du droit doivent être découverts dans des normes, ou des valeurs, qui les transcendent. S’il peut s’agir « des exigences de la conscience juridique du temps et … de celles de l’Etat de droit » (R. Chapus, Droit administratif général, coll. Domat, Montchrestien, 15ème éd. 2001, p. 95), les principes généraux du droit trouvent plus sûrement leurs sources dans des normes supérieures à ces actes : il peut donc s’agir aussi bien de lois, de traités internationaux ou de normes de valeur constitutionnelle.
454.- Source constitutionnelle.- La principale source des principes généraux du droit est constituée par le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 et les textes auxquels il renvoie. Comme l’a précisé le Conseil d’Etat dans son arrêt de Section Syndicat général des ingénieurs-conseils du 26 juin 1959 « dans l’exercice de ses attributions » le titulaire du pouvoir règlementaire est en effet tenu de respecter « les principes généraux du droit qui, résultant notamment du préambule de la Constitution, s’imposent à toute autorité règlementaire même en l’absence de dispositions législatives » (requête numéro 92099 : Rec., p. 394 ; AJDA 1959, I, p. 153, chron. Combarnous et Galabert ; D. 1959, p. 541, note L’Huillier ; Rev. adm. 1959, p. 381, note Georgel ; RDP 1959, p. 1004, concl. Fournier ; S. 1959, p. 202, note Drago).
Exemple :
– CE Sect., 9 mars 1951, requête numéro 92004, Société des concerts du conservatoire (Rec., p. 151 ; Dr. Soc. 1951, p. 368, concl. Letourneur, note Rivero ; S. 1951, III, p. 81, note C.H.) : le Conseil d’Etat reconnaît l’existence d’un principe général du droit d’égalité régissant l’accès aux services publics, ce principe trouvant sa source dans les textes constitutionnels.
455.- Source internationale.- Rien ne s’oppose également à ce qu’un principe général du droit trouve son inspiration dans des traités internationaux.
Exemple :
– CE Ass., 1er avril 1988, requête numéro 85234, Bereciartua-Echarri (Rec., p. 135 ; AJDA 1988, p. 322, chron. Azibert et de Boisdeffre ; D. 1988, p. 413, note Labayle ; JCP 1988, comm. 21071, concl. Vigouroux ; RFDA 1988, p. 499, note Genevois) : les principes généraux du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment de la définition donnée par la Convention de Genève, font obstacle à ce qu’un réfugié soit remis, de quelque manière que ce soit, par un Etat qui lui reconnaît cette qualité, aux autorités de son pays d’origine, sous la seule réserve des exceptions prévues pour des motifs de sécurité nationale par ladite convention.
Cette démarche a également été adoptée par le tribunal administratif de Strasbourg, dans une décision Entreprise de transports Freymuth du 8 décembre 1992 qui reconnaît l’existence d’un principe général du droit de confiance légitime qui impose à l’administration de prévoir des mesures transitoires dans l’hypothèse où un changement de législation ou de règlementation est susceptible d’occasionner des préjudices (AJDA 1995, p. 555, concl. Pommier ; RFDA 1995, p. 963, chron. Heers). Cependant, si le Conseil d’Etat, statuant comme juge de cassation dans un arrêt du 9 mai 2001, a reconnu l’existence d’un principe de confiance légitime, il a refusé de le qualifier de principe général du droit (requête numéro 210944 : Rec. tables, p. 865 ; D. 2001, inf. rap. p. 2090 ; Droit adm. 2001, comm. 171 ; Environnement 2001, comm. 11, note Deharbe). Selon lui, en effet, « ce principe qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, ne trouve à s’appliquer dans l’ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par le droit communautaire ». Il s’agit donc d’une norme de droit international dont le champ d’application ne concerne que les affaires relevant du droit de l’Union européenne (V. dans le même sens CE, 5 mars 2018, requête numéro 410670, Mme B…), comme par exemple celles qui concernent la TVA ( CE, 25 mars 2021, requête numéro 438050, Fédération française de rugby : JCP A 2021, act. 2018, obs. Esrtein).
456.- Source législative.- Enfin, le Conseil d’Etat peut rechercher des principes généraux du droit dans des textes qui ne s’appliquent normalement qu’aux personnes privées, et notamment dans certaines dispositions du Code du travail. Dans de tels cas, il est important d’insister, une fois encore, sur le fait que ce n’est pas le Code du travail qu’applique le Conseil d’Etat, mais le principe qui « inspire » certaines de ses dispositions, ce principe ayant vocation à s’appliquer dans d’autres cas que ceux régis par elles.
Exemple :
– CE Ass., 8 juin 1973, requête numéro 80332, Dame Peynet (Rec., p. 406, concl. Grévisse ; AJDA 1973, p. 587, chron. Léger et Boyon ; JCP G 1975, II, comm. 17957, note Saint-Jours) : le Conseil d’Etat estime que « le principe général, dont s’inspire l’article 29 du livre 1er du Code du Travail, selon lequel aucun employeur ne peut, sauf dans certains cas, licencier une salariée en état de grossesse, s’applique aux femmes employées dans les services publics lorsque, comme en l’espèce, aucune nécessité propre à ces services ne s’y oppose ».
§II- Diversité des principes généraux du droit
457.- Développement de la catégorie des principes généraux du droit.- Depuis les arrêts Aramu (préc.) et Dame Veuve Trompier-Gravier (préc.), la catégorie des principes généraux du droit s’est développée de façon importante, dans des domaines assez diversifiés, ce qui rend assez malaisée l’établissement d’une typologie.
Il semble néanmoins que ces principes peuvent être classés en deux catégories : certains se rattachent aux idéaux d’une société démocratique et à la protection des droits de l’homme, alors que d’autres se rattachent à l’idée de sécurité et de protection juridiques.
I- Principes se rattachant aux idéaux d’une société démocratique et à la protection des droits de l’homme
458.- Egalité, liberté, protection des libertés fondamentales.- De nombreux principes généraux du droit se rattachent aux notions d’égalité, de liberté et de protection des libertés fondamentales.
459.- Principes dérivant du principe d’égalité.- Le principe d’égalité a ainsi été consacré comme principe général de droit, sous les différentes formes qu’il peut revêtir. A titre d’exemples, constituent des principes généraux du droit :
– Le principe d’égal accès au service public (CE Sect., 9 mars 1951, requête numéro 92004, Société des concerts du conservatoire, préc.) ;
– Le principe d’égal accès aux emplois publics (CE Ass., 28 mai 1954, requête numéro 28238, requête numéro 28493, requête numéro 28524, requête numéro 30237, requête numéro 30256, Barel et a. : Rec., p. 308, concl. Letourneur ; S. 1954, III, p. 91, note Mathiot ; D. 1954, jurispr. p. 594, note Morange ; RDP 1954, p. 509, note Waline ; RPDA 1954, n°149, note Eisenmann ; AJDA 1954, p. 396, note Long ; Rev. adm. 1954, p. 393, note Liet-Veaux) ;
– Le principe d’égalité de traitement des usagers des services publics (CE Ass., 25 juin 1948, requête numéro 94511, Société du journal l’Aurore : Rec., p. 289 ; D. 1948, p. 437, note Waline ; S. 1948, III, p. 69, concl. Letourneur) ;
– Le principe d’égalité devant les charges publiques (CE Ass., 7 février 1958, requête numéro 39269; Syndicat des propriétaires de forêts de chênes-lièges d’Algérie : Rec., p. 74 ; AJDA 1958, 2, p. 130, concl. Grévisse et chron. Fournier et Combarnous) ;
– Le principe d’égalité devant l’impôt (CE Ass., 22 février 1974, requête numéro 86102, Association des maires de France : Rec., p. 136 ; CJEG 1974, p. 95, concl. Gentot ; D. 1974, p. 520, note Durupty) ;
– Le principe d’égalité devant le suffrage (CE, 30 novembre 1990, requête numéro 103889, Association « Les Verts » : AJDA 1991, p. 114).
460.- Principes se rapportant aux libertés fondamentales.- D’autres principes se rapportent aux différentes libertés et droits fondamentaux. Sont par exemple concernés :
– La liberté d’aller et de venir (CE, 20 mai 1955, requête numéro 2399, Société Lucien et Cie : Rec., p. 276 ; RJPUF 1956, p. 204, concl. Mosset) ;
– Le principe de la liberté du commerce et de l’industrie (CE Sect., 26 juin 1959, requête numéro 92099, Syndicat général des ingénieurs-conseils, préc.- V. par exemple CE Sect., 13 mai 1994, requête numéro 112409, Président de l’Assemblée territoriale de la Polynésie française : Rec., p. 234 ; RDP 1994, p. 1557, concl. Scanvic) ;
– Le principe du respect de la dignité de la personne humaine qui relève de « principes fondamentaux déontologiques » et que la majorité de la doctrine s’accorde à classer parmi les principes généraux du droit (CE Ass., 2 juillet 1993, requête numéro 124960, Milhaud : Rec., p. 194, concl. Kessler ; AJDA 1993, p. 530, chron. Maugüé et Touvet ; D. 1994, p. 74, note Peyrical ; JCP G 1993, II, comm. 22133, note Gonod ; LPA 2 décembre 1994, p. 19, note Schaegis ; RDSS 1994, p. 52, concl. Kessler ; RFDA 1993, p. 1002, concl. Kessler) ;
La plupart de ces principes généraux du droit ont une portée assez générale. Si, comme on l’a vu, les sources de ces principes se sont diversifiées, les principes les plus récents dégagés par le Conseil d’Etat ont quant à eux un champ d’application souvent plus restreint.
461.- Principes appliqués aux étrangers faisant l’objet d’une procédure d’extradition.- Le Conseil d’Etat a ainsi consacré un certain nombre de principes généraux du droit qui s’appliquent spécifiquement aux étrangers, en particulier lorsqu’ils font l’objet d’une procédure d’extradition.
Exemples :
– CE Ass., 25 septembre 1984, requête numéro 62847, Lujambio Galdeano (Rec., p. 307 ; AJDA 1984, p. 669, chron. Schoettl et Hubac ; JCP 1984, comm. 20346, concl. Genevois, note Jeandidier ; RFDA 1985, p. 183, note Labayle ; Rev. Sc. Crim. 1984, p. 804, note Lombois) : le Conseil d’Etat consacre le principe selon lequel il est impossible d’extrader un individu lorsque le système judiciaire du pays requérant ne respecte pas les droits et les libertés fondamentaux de la personne.
– CE, 13 octobre 2000, requête numéro 212865, Kozirev (RFDA 2000, p.1365, concl. de Silva ; EDCE 2001, n°52, p.39.- V. également CE, 28 juillet 2000, requête numéro 206525, Sarr.- CE, 14 novembre 2011, requête numéro 345258, Ucar) : il résulte des principes généraux du droit que l’extradition d’un étranger peut être refusée si elle est susceptible d’avoir des conséquences d’une gravité exceptionnelle pour la personne réclamée, notamment en raison de son âge et de son état de santé.
462.- Principes appliqués aux réfugiés.- D’autres principes ont également vocation à s’appliquer spécifiquement aux réfugiés.
Exemples :
– CE Ass., 1er avril 1988, requête numéro 85234, Bereciartua-Echarri (préc.) : le Conseil d’Etat découvre l’existence d’un principe général du droit faisant obstacle à ce qu’un réfugié soit remis, de quelque manière que ce soit, aux autorités de son pays d’origine.
– CE Ass., 2 décembre 1994, requête numéro 112842, Agyepong (Rec., p. 523, concl. Denis-Linton ; AJDA 1994, p. 878, chron. Touvet et Stahl ; D. 1995, somm. comm. p. 171, obs. Julien-Laferrière ; RFDA 1995, p. 86, concl. Denis-Linton) : les principes généraux du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment des stipulations de la Convention de Genève, imposent, en vue d’assurer pleinement au réfugié la protection prévue par ladite convention, que la même qualité soit reconnue à la personne de même nationalité qui était unie par le mariage à un réfugié à la date à laquelle celui-ci a demandé son admission au statut, ainsi qu’aux enfants mineurs de ce réfugié.
463.- Principes appliqués aux relations entre les médecins et leurs patients.- Il existe également des principes qui s’appliquent aux relations entre les médecins et leurs patients.
Exemples :
– CE, 18 février 1998, requête numéro 171851, Section locale Pacifique Sud de l’ordre des médecins (Rec. tables, p. 710 ; RFDA 1999, p. 47, note Joyau) : dans l’exercice des compétences qui lui sont dévolues par les articles 9 et 56 de la loi du 9 novembre 1988, le Congrès du territoire de Nouvelle-Calédonie est tenu de respecter les principes généraux du droit, qui s’imposent à toutes les autorités réglementaires, même en l’absence de dispositions législatives. Au nombre de ces principes figurent la liberté de choix du médecin par le patient et la liberté de prescription (V. également CE, 6 avril 2018, requête numéro 416563, Syndicat des médecins libéraux de Polynésie française).
– TC, 14 février 2000, requête numéro 02929, Ratinet (Rec., p. 749 ; Dr. Adm. 2000, comm. 121, obs. Esper ; JCP G 2001, II, comm. 10584, note Hardy ; LPA 2000, n°196, note Welsch ; RFDA 2000, p. 1232, note Pouyaud) : eu égard à l’indépendance professionnelle dont bénéfice le médecin dans l’exercice de son art qui est au nombre des principes généraux du droit, il est loisible au patient, indépendamment de l’action qu’il est en droit d’exercer sur un fondement contractuel à l’encontre d’un établissement privé de santé de rechercher, sur le terrain délictuel, la responsabilité du praticien lorsque, dans la réalisation d’actes médicaux, celui-ci a commis une faute.
464.- Principes appliqués aux fonctionnaires et aux agents publics.- Enfin, il existe toute une série de principes généraux du droit qui ont vocation à protéger les droits des fonctionnaires et agents de l’administration.
Exemples :
– CE Sect., 8 juin 1973, Dame Peynet (requête numéro 80332, préc.) : le Conseil d’Etat reconnaît le principe général selon lequel aucun employeur ne peut licencier une salariée en état de grossesse, qui s’applique aux femmes employées dans les services publics lorsque, comme en l’espèce, aucune nécessité propre à ces services ne s’y oppose.
– CE Sect., 23 avril 1982, requête numéro 36851, Ville de Toulouse c. Aragnou (Rec., p. 151, concl. Labetoulle ; AJDA 1982, p. 440, chron. Tiberghien et Lasserre ; D. 1983, p. 8, note Auby ; RDP 1983, p. 1077, note de Soto) : il existe un principe général du droit applicable à tout salarié selon lequel tout agent non titulaire a le droit à un minimum de rémunération qui, en l’absence de dispositions plus favorables, ne saurait être inférieur au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC).
– CE, 27 mars 2000, requête numéro 155831, Brodbeck (Rec., p. 129 ; JCP G 2000, II, comm. 10428, concl. Boissard) : reconnaissance du principe en vertu duquel nul ne peut résilier ou refuser de renouveler le contrat de travail d’un salarié en considération du sexe ou de la situation de famille ou sur la base de critères de choix différents selon le sexe ou la situation de famille.
– CE, 2 octobre 2002, requête numéro 227868, Chambre du commerce et de l’industrie de Meurthe-et-moselle (Rec., p. 319 ; AJDA 2002, p. 997, obs. de Montecler et p. 1295, concl. Piveteau ; LPA 17 juin 2003, p. 17, note Toublanc) : il existe un principe général du droit selon lequel lorsqu’il a été médicalement constaté qu’un salarié se trouve de manière définitive atteint d’une inaptitude physique à occuper son emploi, il appartient à l’employeur de le reclasser dans un autre emploi et, en cas d’impossibilité, de prononcer, dans les conditions prévues pour l’intéressé, son licenciement (L’application de ce principe a ensuite été généralisé à l’ensemble des contractuels de droit public (CE, 26 février 2007, requête numéro 276863, ANPE : Rec. tables, p. 665.- V. également précisant la portée de ce principe CE, 19 mai 2017, requête numéro 397577, B. c/ Chambre de métiers et de l’artisanat des Alpes de Hautes-Provence.- sur son application aux titulaires d’un contrat à durée indéterminée V. CE, 13 juin 2016, requête numéro 387373, Talbi.- sur sa non-application aux stagiaires de la fonction publique V. CE, 17 février 2016, requête numéro 381429, Ministre de l’Intérieur : AJFP 2016, p. 280, note Robbe. – CE, 5 octobre 2016, requête numéro 386802, Communauté d’agglomération du Douaisis : Rec. tables, p. 620 ; Dr. adm. 2017, comm. 7, note Eveillard). Notons aussi que l’employeur est exonéré de son obligation de reclassement dans le cas où l’agent « manifeste expressément sa volonté non équivoque de ne pas reprendre une activité professionnelle » (CE, 25 mai 2018, requête numéro 407336 : Dr. adm. 2018, comm. 50, note Gallo ; JCP A 2018, comm. 2239, concl. Henrard).
– CE, avis, 25 septembre 2013, Sadlon, requête numéro 365139 (Rec., p. 233, concl. Botteghi ; AJDA 2013, p. 2199, chron. Bretonneau ; AJFP 2013, p. 305, obs. Chrestia ; Dr. adm. 2014, comm. 6, note Eveillard ; JCP A 2013, comm. 2360, note Niquège ; RDP 2014, p. 546, note Pauliat) : un agent contractuel ne peut tenir de son contrat le droit de conserver l’emploi pour lequel il a été recruté, lorsque l’autorité administrative entend affecter un fonctionnaire sur cet emploi. L’administration peut donc, pour ce motif, légalement écarter l’agent contractuel de cet emploi. Il résulte toutefois d’un principe général du droit qu’il incombe à l’administration, avant de pouvoir prononcer le licenciement d’un agent contractuel recruté en vertu d’un contrat à durée indéterminée pour affecter un fonctionnaire sur l’emploi correspondant, de chercher à reclasser l’intéressé (sur l’absence d’obligation de reclassement d’un agent public dont la nomination est retirée suite à la réintégration sur l’emploi qu’il occupe de l’agent précédemment irrégulièrement évincé suite à l’annulation de la mesure d’éviction de celui-ci.- V. CE, 14 février 2022, requête numéro 431760 : Dr. adm. 2022, comm. 25, note Eveillard).
Notons en revanche que le Conseil d’Etat a considéré que le principe d’opportunité des poursuites, qui trouve sa source dans le Code de procédure pénale, ne s’impose pas sous la forme d’un principe général du droit en matière administrative ou disciplinaire (CE Ass., 6 juin 2014, requête numéro 351582, Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques : Rec., p. 157 ; AJDA 2014, p. 1478, chron. Bretonneau et Lessi ; Dr. adm. 2014, comm. 66, note Eveillard ; RFDA 2014, p. 753, concl. Keller).
II- Principes se rattachant à l’idée de protection et de sécurité juridique
465.- Principes protecteurs des administrés.- Il existe différents principes généraux du droit qui ont vocation à assurer le bon fonctionnement de l’ordre juridique interne, dans le souci d’une protection des droits des administrés. A ce titre peuvent notamment être mentionnés :
– Le principe de non-rétroactivité des actes administratifs (CE Ass., 25 juin 1948, requête numéro 94511, Société du journal l’Aurore, préc.) ;
– Le droit d’exercer un recours pour excès de pouvoir contre toute décision administrative (CE Ass., 17 février 1950, requête numéro 86949, Dame Lamotte : Rec., p. 110 ; RDP 1951, p. 478, concl. Delvolvé, note Waline) ;
– Le caractère contradictoire de la procédure contentieuse suivie par les juridictions administratives (CE Sect., 12 mai 1961, requête numéro 40674, Société La Huta : Rec., p. 313) ;
– Le principe garantissant aux administrés que toute autorité administrative est tenue de traiter les affaires les mettant en cause de façon impartiale (CE, 27 octobre 1999, requête numéro 196251, Fédération française de football : JCP 2000, comm. 10376, note Piastra). Le principe d’impartialité s’applique également dans le cadre des procédures de passation des contrats de la commande publique. La méconnaissance de ce principe est dans ce cas constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence (CE, 12 septembre 2018, Syndicat mixte des ordures ménagères de la vallée de Chevreuse, requête numéro 420454 : AJDA 2018, p. 2246, note Agresta et Hul ; BJCP 2019, p.12, concl. Pellissier ; Rev. CMP 2018, p. 241, note Ubaud-Bergeron) ;
– Le principe selon lequel l’autorité compétente, saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, est tenu d’y déférer (CE Ass., 3 février 1989, requête numéro 74052, Compagnie Alitalia, requête numéro 74052, préc.) ;
– L’obligation dans laquelle l’autorité administrative se trouve de publier dans un délai raisonnable les règlements qu’elle édicte, sauf lorsqu’elle justifie, sous le contrôle du juge, de circonstances particulières y faisant obstacle (CE, 12 décembre 2003, requête numéro 243430, Syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de la police nationale : Rec., p. 506 ; AJDA 2004, p. 442, note H. M.) ;
– Le principe selon lequel l’autorité administrative ne doit pas appliquer un règlement illégal, même en l’absence de toute décision juridictionnelle qui en aurait prononcé l’annulation ou l’aurait déclaré illégal (CE, avis, 9 mai 2005, requête numéro 277280, Marangio : JCP A 2005, comm. 1253, note Billet) ;
– Le principe selon lequel : « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie (CE Ass., 23 décembre 2011, requête numéro 335033, Danthony : AJDA 2012, p. 195, chron. Domino et Bretonneau ; Dr. adm. 2012, comm. 22, note Melleray ; JCP A 2012, comm. 2089, note Broyelle ; JCP G 2012, comm. 558, note Connil ; RFDA 2012, p. 284, concl. Dumortier et note Cassia) ;
– Le principe selon lequel une autorité administrative ne peut sanctionner deux fois la même personne à raison des mêmes faits (CE, 23 avril 1958, Commune de Petit-Quevilly : AJDA 1958, II, p. 383). Cette règle – qui n’est nulle autre que la traduction du principe nul bis in idem cher aux pénalistes – s’applique tant lorsque l’autorité avait initialement infligé une sanction que lorsqu’elle avait décidé de ne pas en infliger une (CE, 30 décembre 2016, requête numéro 395681, Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires) ;
– Le principe selon lequel une sanction infligée en première instance par une juridiction disciplinaire ne saurait être aggravée par le juge d’appel que lorsqu’il est régulièrement saisi d’un recours du plaignant (CE, 15 mars 2017, requête numéro 398325, Chapalain) ;
– Le principe selon lequel les justiciables peuvent se prévaloir du « droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable (…) lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice » (CE, 10 juin 2020, requête numéro 424835) ;
– Le principe selon lequel une décision administrative obtenue par fraude ne crée pas de droits au profit de son titulaire et peut être retirée à tout moment (CE Sect., 30 mars 2016, requête numéro 395702, Société Diversité TV France : Rec., p. 114 ; AJDA 2016, p. 1161, chron. Idoux ; RFDA 2016, p. 954, concl. Marion, note Regourd).
Concernant les agents publics, peut aussi être mentionné le principe selon lequel lorsqu’un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe normalement à la collectivité publique dont il dépend de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui (CE Sect., 8 juin 2011, requête numéro 312700, Farre : Rec., p. 170.- V. également CE, 11 février 2015, requête numéro 372359, garde des Sceaux, ministre de la Justice : JCP A 2015, comm. 2112, note Jean-Pierre). Cette solution s’applique également aux collaborateurs occasionnels du service public (CE, 13 janvier 2017, requête numéro 386799, Fievet).
466.- Principes protecteurs de l’administration.- De moins en moins rarement des principes généraux du droit ont été dégagés, non pas dans un but de protection des administrés, mais en vue de protéger l’administration dans l’exécution de ses missions. Sont concernés, à ce titre, le principe de continuité du service public (CE, 13 juin 1980, requête numéro 17995, Bonjean : Rec., p. 274.– CE, 3 octobre 1986, requête numéro 59102, Commune d’Ozoir-la-Ferrière) et le principe selon lequel les biens des personnes publiques sont insaisissables (Cass. civ. I., 21 décembre 1987, pourvoi numéro 86-14167, B.R.G.M. c. Sté Lloyd Continental : Bull. civ. n°348, p. 249 ; RFDA 1988, p. 771, concl. Charbonnier et note Pacteau ; CJEG 1988, jurispr. p. 107, note Richer ; JCP G 1989, II, comm. 21183, note Nicod ; RTD civ. 1989, p. 145, note Perrot).
Peut également rattaché à cette sous-catégorie le principe général du droit en vertu duquel, sous réserve des dérogations découlant de dispositions législatives expresses ou, le cas échéant, des stipulations de conventions internationales régulièrement incorporées dans l’ordre juridique interne, les personnes morales de droit public ne peuvent pas se soustraire aux règles qui déterminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d’un arbitre la solution des litiges auxquelles elles sont parties (CE, 23 décembre 2015, requête numéro 376018, Territoire des îles de Wallis-et-Futuna, préc.).
467.- Jurisprudence Czabaj.- Enfin, de façon plus nette encore, à l’occasion de l’arrêt d’Assemblée Czabaj du 13 juillet 2016, le Conseil d’Etat a estimé que le principe de sécurité juridique doit conduire à limiter en principe à un an le délai de recours contre une décision dont le destinataire a eu connaissance alors même que toutes les formalités requises pour le déclenchement de ce délai n’ont pas été accomplies (requête numéro 387763 : Rec., p. 340, concl. Henrard ; AJDA 2016, p. 1629, chron. Dutheillet de Lamothe et Odinet et p. 1769, Tribune Julien-Lafferrière ; Dr. adm. 2016, comm. 63, note Eveillard ; JCP A 2016, comm. 2238, note Pauliat ; JCP G 2016, II, comm. 1396, note Souvignet). Cette jurisprudence met en échec les dispositions de l’article 421-5 du Code de justice administrative selon lequel « les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ».
Le Conseil d’Etat a adapté ces principes concernant des décrets libérant leurs bénéficiaires de leurs liens d’allégeance à l’égard de la France. Ces décrets concernent des personnes qui possèdent une nationalité française et une autre nationalité et qui ont demandé à perdre la nationalité française. Si cette demande est acceptée, elle s’applique aux enfants mineurs du demandeur. Pour un décret de cette nature, le délai de recours « ne saurait, eu égard aux effets de cette décision, excéder, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, trois ans à compter de la date de publication du décret ou si elle est plus tardive de la date de la majorité de l’intéressé » (CE, 29 novembre 2019, requête numéro 411145, requête numéro 426372, Boumrar et Megueddem : AJDA 2020, p. 406, concl. Odinet ; JCP A 2019, act. 770 ; Procédures 2020, comm. 52, note Chifflot.- V. aussi CE, 27 novembre 2020, requête numéro 43365).
La jurisprudence Czabaj a vu champ d’application s’étendre rapidement. Elle s’applique en effet également aux titres exécutoires (CE, 9 mars 2018, requête numéro 401386, Communauté d’agglomération du pays ajaccien : Rec. tables, p. 532 ; AJDA 2018, p. 1791, note Connil ; JCP A 2018, comm. 2153, concl. Daumas), aux cas où le recours juridictionnel doit obligatoirement être précédé d’un recours administratif (CE Sect., 31 mars 2017, requête numéro 389842, Ministre des Finances et des Comptes publics : Procédures 2017, comm. 146, note Ayrault), aux recours en responsabilité pour illégalité fautive d’une décision à objet pécuniaire (CE, 9 mars 2018, requête numéro 405355, Communauté de communes du pays roussillonnais : Rec. tables, p. 532 ; JCP A 2018, act. 260 ; Dr. adm. 2018, alerte 69 ; JCP A 2018, comm. 2247, chron. Le Bot), aux recours formés contre une autorisation d’urbanisme (CE, 9 novembre 2018, requête numéro 409872), à la contestation d’une décision individuelle par voie d’exception (CE, 27 février 2019, requête numéro 418950), à la contestation du rejet implicite d’un recours gracieux (CE, 12 octobre 2020, requête numéro 429185, Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation : JCP A 2020, comm. 2319, note Pauliat ; JCP A 2020, act. 586 ; Procédures 2020, comm. 237, obs. Chifflot) et à la contestation d’une décision implicite de rejet née du silence gardé par l’administration sur une demande présentée devant elle, dès lors qu’il est établi que le demandeur avait eu connaissance de la décision (CE, 18 mars 2019, requête numéro 417270, Jounda Nguegoh : Rec., p. 67 ; JCP A 2019, comm. 2222, chron. Le Bot ; JCP G 2019, doctr. 1070, chron. Eveillard ; Procédures 2019, comm. 177).
Plus récemment, le Conseil d’Etat a admis l’application de cette jurisprudence à des décisions autres qu’individuelles, dès lors que leurs modalités de publication consistent en une notification, comme c’est le cas pour les décisions d’incorporation au domaine public communal d’une voie privée ouverte à la circulation générale (CE, 25 septembre 2020, requête numéro 430945, SCI La Chaumière et Gaiddon : Dr. adm. 2021, comm. 2, note Eveillard ; JCP A 2020, act. 529, obs. Erstein ; JCP A 2020, comm. 2319, note Pauliat ; Procédures 2020, comm. 237, note Chifflot). Sont ici concernées les décisions ni réglementaires ni individuelles, également dénommées décisions d’espèce (sur ce point V. Quatrième partie, Chapitre un, Section trois).
Dans un autre domaine, la cour administrative d’appel de Marseille a eu l’occasion d’appliquer la jurisprudence Czabaj au recours de pleine juridiction contestant la validité d’un marché public (CAA Marseille, 25 avril 2022, requête numéro 19MA05387, requête numéro 19MA05388 : Contrats–marchés publ. 2022, comm. 221, note Rees).
Il a aussi été jugé que l’impossibilité d’exercer un recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable en application de la jurisprudence Czabaj peut fonder le rejet par ordonnance d’une requête comme manifestement irrecevable, sans même que le juge ne soit tenu de communiquer un moyen relevé d’office (CE, 10 février 2020, requête numéro 429343 : Procédures 2020, comm. 88, note Chifflot).
La jurisprudence Czabaj connaît toutefois deux exceptions notables.
Tout d’abord, elle n’a pas vocation à s’appliquer dans le cas de recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité extracontractuelle d’une personne publique (CE, 17 juin 2019, requête numéro 413097, Centre hospitalier de Vichy : Dr. adm. 2019, comm. 46, note Eveillard ; JCP A 2019, act. 423, obs. Erstein ; Procédures 2019, comm. 242, note Deygas). Si la règle de la décision préalable a été généralisée, il y a lieu en effet de considérer que l’objet d’une action en responsabilité consiste avant tout à obtenir l’allocation de dommages intérêts étant entendu, par ailleurs, que la règle de la prescription quadriennale suffit à préserver les droits de l’administration, ce qui a pour effet d’assurer la sécurité juridique recherchée. La même solution s’applique d’une façon générale au plein contentieux indemnitaire. Il en va ainsi s’agissant de l’action d’un agent public qui sollicite le règlement de sommes impayées, un bulletin de paie ne constituant pas une décision (CE, 10 juillet 2020, requête numéro 430769, Ministre de l’Economie et des finances : Rec. tables, p. 2020 ; JCP A 2020, act. 428). Il en va de même concernant les litiges relatifs au règlement d’un marché (CAA Lyon, 7 octobre 2021, requête numéro 21LY00022, Société majolane de construction : JCP A 2022, act. 617, obs. Erstein), à la différence des recours en responsabilité pour illégalité fautive d’une décision à objet pécuniaire (CE, 9 mars 2018, requête numéro 405355, Communauté de communes du pays roussillonnais, préc.).
Ensuite, des règles particulières s’appliquent en matière fiscale, matière dans laquelle le contribuable ne peut saisir le juge avant d’avoir exercé un recours administratif préalable obligatoire (Livre des procédures fiscales, art. R. 190-1). Le Conseil d’Etat a certes précisé que la jurisprudence Czabaj a vocation à s’appliquer, faute de l’indication des voies et délais de recours dans la notification de la décision expresse de rejet de sa réclamation. En revanche, si, en cas de silence gardé par l’administration sur la réclamation, le contribuable peut soumettre le litige au tribunal administratif à l’issue d’un délai de six mois, aucun délai de recours contentieux ne peut courir à son encontre, tant qu’une décision expresse de rejet de sa réclamation ne lui a pas été régulièrement notifiée. Dans ce cas, la question du délai raisonnable d’un an n’a pas à se poser, dès lors que le délai de recours contentieux n’est pas susceptible de courir (CE, avis, 21 octobre 2020, numéro 443327, Société Marken trading : Dr. fisc. 2021, comm. 248, concl. Victor ; : JCP A 2020, act. 605, note Friedrich).
Enfin, dans le cas où pendant le délai d’un an prévu par la jurisprudence Czabaj, le requérant a saisi à tort une juridiction compétente – et notamment le juge judiciaire alors que la juridiction administrative était compétente – il conserve le bénéfice de ce délai raisonnable dès lors qu’il a introduit cette instance avant son expiration. Un nouveau délai de deux mois est décompté à partir de la notification ou de la signification du jugement par lequel la juridiction judiciaire s’est déclarée incompétente (CE, 9 mars 2018, requête numéro 401386, Communauté d’agglomération du pays ajaccien, préc.). Le Conseil d’Etat a pu ensuite préciser que le délai de deux mois court à compter de la seule décision par laquelle la juridiction saisie à tort s’est déclarée incompétente de manière irrévocable (CE, 31 mars 2022, requête numéro 453904, Département du Val-d’Oise : AJDA 2022, p. 1171, concl. Ciavaldini ; Contrats-Marchés publ. 2022, comm. 187, note Dietenhoffer ; Dr. adm. 2022, comm. 29, notre Eveillard ; JCP A 2022, act. 278, obs. Friedrich).
468.- Sécurité juridique.- Ces nombreux principes renvoient pour la plupart aux notions plus générales de confiance légitime et de sécurité juridique tels qu’ils ont été dégagés par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Cependant, le Conseil d’Etat a longtemps été réticent à reconnaître l’existence de ces principes en tant que tels. Ainsi, par exemple, dans un arrêt Entreprise Chagnaud et a. du 30 décembre 1998, les juges ont estimé que ces principes n’avaient vocation à s’appliquer que pour les situations régies par le droit communautaire (requête numéro 189315 : AJDA 1999, p. 96 ; BJCP 4/1999, p. 384, obs. Schwartz). Le Conseil d’Etat a toutefois fini par opérer un revirement de jurisprudence conduisant à reconnaître l’existence d’un principe général du droit de sécurité juridique à l’occasion de l’arrêt d’Assemblée Société KPMG et a. du 24 mars 2006 (requête numéro 288460, requête numéro 288465, requête numéro 288474, requête numéro 288485 : AJDA 2006, p. 1028, chron. Landais et Lenica ; Dr. adm. 2006, comm. 71 ; JCP A 2006, comm. 1120, note Belorgey ; RFDA 2006, p. 545, concl. Aguila ; Europe 2006, comm. 142, note Simon.- V. également CE Sect., 27 octobre 2006, requête numéro 260767, Société Techna : JCP A 2007, comm. 2001. – CE Sect., 13 décembre 2006, requête numéro 287845, Lacroix : Rec. p. 541, concl. Guyomar ; AJDA 2007, p. 358, chron. Lenica et Boucher ; D. 2007, p. 847, note Bui-Xuan ; RDP 2007, p. 590, note Guettier ; RFDA 2007, p. 6, concl. Guyomar et p. 275, note Eveillard .- CE, 16 juin 2008, requête numéro 296578, requête numéro 296590, Fédération syndicale dentaires libéraux et a.). Ce principe oblige l’autorité investie du pouvoir règlementaire à édicter les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, une règlementation nouvelle, en particulier lorsque les règles nouvelles sont susceptibles de porter une atteinte excessive à des situations contractuelles en cours qui ont été légalement nouées.
Comme l’écrivent les auteurs des Grands arrêts de la jurisprudence administrative, la notion de sécurité juridique « apparaît comme un principe général, non seulement en ce qu’il est non écrit, mais en ce qu’il est une matrice pour l’adoption de solutions nouvelles » (M. Long, P. Weil ; G. Braibant ; P. Delvolvé ; B. Genevois, Dalloz 22 ème éd. 2019, p.823).
Ce principe a ainsi été mis en œuvre par la Cour des comptes, qui a repris le considérant de principe de l’arrêt KPMG (Cour des comptes, 20 juillet 2017, numéro S2017-2022 : AJDA 2017, p. 1934, note Péhaut et Hauptmann).
Il est repris par l’article L. 221-5 du Code des relations entre le public et l’administration dont il résulte que « l’autorité administrative investie du pouvoir réglementaire est tenue, dans la limite de ses compétences, d’édicter des mesures transitoires (…) lorsque l’application immédiate d’une nouvelle réglementation est impossible ou qu’elle entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause ».
Si le principe de sécurité juridique n’est pas toujours expressément visé, il sous-tend un grand nombre de décisions dans l’ensemble favorables aux droits des administrés.
Exemples :
– CE, 25 juin 2007, requête numéro 304888, Syndicat CFDT du ministère des Affaires étrangères : l’autorité compétente peut modifier le contenu du programme et des épreuves d’un concours. En effet, le pouvoir règlementaire dispose de la possibilité de modifier à tout moment les normes qu’il définit sans que les personnes auxquelles sont, le cas échéant, imposées de nouvelles contraintes puissent invoquer un droit au maintien de la règlementation existante. Les nouvelles normes ont vocation à s’appliquer immédiatement, dans le respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité des actes administratifs. Toutefois, dans le cas où des nouveautés substantielles sont introduites dans les épreuves du concours, lorsque ces modifications exigent de la part des candidats un travail long et spécifique et qui du point de vue de l’administration ont pour objet d’adapter le recrutement de fonctionnaires à l’évolution des métiers administratifs, cette dernière doit avancer des motifs d’intérêt général qui exigent leur application immédiate. Si tel n’est pas le cas, l’administration a l’obligation de prendre des mesures transitoires relatives aux concours.
– CE, 30 décembre 2013, requête numéro 352901, Union des syndicats de l’immobilier : le requérant soutient que le ministre ne pouvait légalement procéder, eu égard au principe de sécurité juridique, à l’extension d’avenants à une convention collective, faute pour ceux-ci de prévoir les mesures transitoires nécessaires à l’adaptation ou à la dénonciation des contrats en cours. Toutefois, il apparaît que les organisations d’employeurs ont pu informer les entreprises de la branche, dès la signature de l’avenant, des obligations qui seraient mises à leur charge à compter du premier jour du mois suivant la publication de l’arrêté d’extension. Dans ces conditions, le principe de sécurité juridique n’a pas été méconnu.
– CE, 24 février 2023, requête numéro 468221, Syndicat national de la publicité extérieure (Dr. adm.2023, Alerte 42, obs. Courrèges) : l’article 4 du décret n°2022-1294 du 5 octobre 2022 portant modification de certaines dispositions du Code de l’environnement relatives aux règles d’extinction des publicités lumineuses et aux enseignes lumineuses est annulé en tant qu’il n’a pas différé d’un mois l’entrée en vigueur de l’obligation d’extinction nocturne pour les publicités lumineuses autres que celles supportées par le mobilier urbain et dont le fonctionnement ou l’éclairage n’est pas pilotable à distance.
Toutefois, comme on l’a vu dans l’affaire Czabaj précité, où la notion de sécurité juridique apparaît expressément, l’application de ce principe peut également avoir pour objet de préserver les intérêts de l’administration.
§III- Valeur des principes généraux du droit
469.- Une valeur intra-législative et supra-décrétale.- La question de la valeur des principes généraux du droit a longtemps agité la doctrine, et tous les auteurs ne sont pas encore d’accord sur ce point.
On pourrait penser, de prime abord, que les principes généraux du droit ont une valeur constitutionnelle, ce qui peut se justifier par le fait que la plupart de ces principes trouvent leur source dans le préambule de la Constitution de 1958. Toutefois, cette thèse soulève deux difficultés majeures. D’une part, comme on l’a vu, tous les principes généraux du droit ne trouvent pas leur source dans le préambule. D’autre part, elle confond la question de la source de ces principes – qui peut être constitutionnelle – et celle de leur valeur.
Une seconde thèse confère aux principes généraux du droit une valeur législative. Cette explication est plus convaincante que la précédente puisque ces principes peuvent en effet permettre au juge de pallier les carences du législateur pour réaliser un contrôle étroit des actes administratifs, ce qui est particulièrement avéré lorsqu’il s’agit de règlements autonomes. Cependant, cette thèse peut faire l’objet d’une objection majeure : les principes généraux du droit ne sauraient avoir une valeur législative puisque la loi prévaut toujours sur eux.
Enfin, selon la thèse de René Chapus, les principes généraux du droit ont une valeur infra-législative et supra-décrétale (De la valeur des principes généraux du droit et autres règles jurisprudentielles du droit administratif : D. 1966, chron. p. 119). L’analyse de Chapus prend comme point de départ le rôle du juge administratif et la portée de ses décisions. Il observe, tout d’abord, que le rôle du juge administratif est de contrôler les actes administratifs par rapport à la loi. Si un acte administratif est illégal, il peut donc l’annuler, et cela même s’il émane des plus hautes autorités administratives de l’Etat. Par conséquent, les principes généraux du droit ont une valeur supra-décrétale. En revanche, le juge administratif a l’obligation de respecter la loi, ce qui implique que ces principes ont une valeur infra-législative. Relevons aussi que compte tenu de la hiérarchie de normes en droit interne français, les principes généraux du droit ont également une valeur infra-conventionnelle (CAA Bordeaux, 10 décembre 2015, requête numéro 15BX01807, Chambre de commerce et d’industrie Pau Béarn : AJDA 2016, p. 562, concl. Munoz-Pauziès).
Cette troisième thèse est de loin la plus convaincante puisque, en effet, les principes généraux du droit ne s’appliquent qu’à défaut d’un texte de loi contraire. Toutefois, matériellement, de nombreux principes généraux du droit – le principe d’égalité par exemple – sont identiques à des principes de valeur constitutionnelle, ce qui tient au fait qu’ils trouvent souvent leur source dans le préambule de la Constitution. Cependant, dans l’hypothèse où une loi contraire à un principe de valeur constitutionnelle serait malgré tout adoptée, le juge administratif ne pourrait pas sanctionner l’acte administratif pris en application de cette loi, alors même qu’il existerait un principe général du droit dont le contenu est identique. Dans ce cas, en effet, la théorie de la loi écran lui interdirait de censurer l’inconstitutionnalité de la loi. En revanche, le Conseil constitutionnel pourrait être saisi dans le cadre de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité.
Pour aller plus loin :
– Chapus (R.), De la valeur des principes généraux du droit et autres règles jurisprudentielles du droit administratif : D. 1966, chron. p. 119.
– Gonod (P.) et Jouanjan (O.), A propos des sources du droit administratif : AJDA 2005, p. 992.
– Labetoulle (D.), Le juge administratif et la jurisprudence : Rev. adm. 1999, n°spécial, p. 59.
– Letourneur (M.), Les principes généraux du droit et la jurisprudence du Conseil d’Etat : EDCE 1951, p. 19.
– Melleray (F.), Le droit administratif doit-il redevenir jurisprudentiel ? Remarques sur le caractère paradoxal de son caractère jurisprudentiel : AJDA 2005, p. 637.
– Moderne (F.), Actualité des principes généraux du droit : RFDA 1998, p. 495.
– Moderne (F.), Légitimité des principes généraux du droit et théorie du droit : RFDA 1999, p. 722.
– Teboul (G.), Nouvelles remarques sur la création du droit par le juge administratif dans l’ordre juridique interne : RDP 2002, p. 1363.
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