Il n’a pas été dressé jusqu’ici de statistiques officielles assez régulières et assez continues des affaires portées devant la juridiction administrative, pour qu’il puisse suffire d’y renvoyer le lecteur.
Les tribunaux administratifs sont moins favorisés en cela que les tribunaux judiciaires ; leurs travaux présentent d’ailleurs un intérêt moins général pour l’ensemble des citoyens et ils ne font pas l’objet de relevés annuels comparables aux comptes rendus de la justice civile et de la justice criminelle publiés, depuis 1830, par le ministère de la justice. Les tableaux annexés à ces comptes rendus ne sont pas seulement dressés avec une méthode et une exactitude dont l’éloge n’est plus à faire, ils le sont aussi avec un enchaînement et un esprit de suite qui rendent faciles les recherches d’ensemble et la déduction des conclusions générales. On n’en saurait dire autant des statistiques des tribunaux administratifs ; quelques-unes font à peu près défaut, et les meilleures présentent des lacunes qui rendent les vues d’ensemble très difficiles.
Le désir que nous avions d’ajouter aux notions historiques qui font l’objet du présent livre, des indications statistiques de nature à les compléter, nous a porté à faire des recherches et à rassembler des documents dont plusieurs sont inédits et ne seront peut-être pas inutiles à l’histoire de la juridiction administrative. Quelques-uns de ces documents sont le résultat de nos investigations personnelles, d’autres sont dus au bienveillant concours de personnes [285] doublement autorisées par leur haute compétence et par la nature de leurs fonctions (1. Nous devons à l’honorable M. Félix Renaud, procureur général près la Cour des comptes, et à son regretté prédécesseur M. Audibert, tous les éléments de nos sixième et septième tableaux statistiques, consacrés aux décisions et déclarations de la Cour des comptes pendant les périodes 1876-1885 et 1886-1894. Les documents qu’ils ont bien voulu nous communiquer et nous autoriser à publier sont d’autant plus précieux que les statistiques de la Cour des comptes étaient jusqu’ici demeurées inédites.).
Nous ne commenterons pas les différents tableaux que nous publions ci-après et qui font connaître le mouvement des affaires devant le Conseil d’État, les conseils de préfecture, le Tribunal des conflits et la Cour des comptes. Nous nous bornerons à mentionner l’objet de ces tableaux et les documents publics ou inédits auxquels nous avons eu recours pour les dresser.
Conseil d’État. —La statistique des travaux du Conseil d’État, tant en matière contentieuse qu’en matière administrative, a fait l’objet d’une importante publication, les Comptes généraux des travaux du Conseil d’État, qui a été commencée à la même époque que les statistiques de la justice civile et criminelle, et qui devait, dans la pensée de ses premiers auteurs, être poursuivie avec la même régularité.
Ces comptes généraux embrassent ordinairement des périodes de cinq ans dont la première a été la période de 1830-1834. Ils contiennent un rapport présenté au Chef de l’État par le ministre compétent, et de nombreux états statistiques comprenant toutes les affaires administratives ou contentieuses. Le rapport et les états, préparés par des commissions spéciales formées au sein du Conseil, ne laissent rien à désirer au point de vue de l’abondance et de l’exactitude des renseignements.
Malheureusement, ces publications n’ont pas été faites avec assez de continuité pour qu’on puisse en extraire des indications complètes sur le mouvement des affaires contentieuses. D’une part, la période antérieure à 1830 est restée en dehors des comptes généraux, dont la publication n’a commencé que sous le Gouvernement de Juillet (2. Pour la période antérieure à 1830, on ne possède que des résultats très sommaires qui ont été indiqués dans le rapport servant d’introduction au premier Compte général, publié en 1835. Cet état sommaire a été reproduit par M. de Cormenin (Droit administratif, édit. de 1840, t. II, Append., p. 58) et par M. Aucoc (Le Conseild’État avant el depuis 1789, p. 256). Nous y avons eu également recours, à défaut de documents plus complets, pour la rédaction d’une partie de notre premier tableau.). D’autre part, depuis 1830 jusqu’à l’époque actuelle, [286] cette publication a subi de regrettables interruptions : d’abord pendant une période de sept ans (de janvier 1845 à décembre 1851), puis pendant une seconde période de six ans et sept mois (de janvier 1866 à août 1872). Les comptes généraux des travaux du Conseil d’État, repris pour la période 1872-1877, ont été régulièrement poursuivis pour les périodes suivantes.
Nous nous sommes efforcé de combler les lacunes que les statistiques officielles ont laissées subsister, en ayant recours à deux espèces de documents.
Pour la période antérieure à 1872, nous ne pouvions pas recourir aux archives du Conseil d’État, incendiées en 1871. Nous avons fait le dépouillement et le classement de toutes les décisions publiées dans le Recueil des arrêts du Conseil d’État, où sont fidèlement reproduites, depuis plus d’un demi-siècle, les décisions du Conseil en matière contentieuse. Ce travail nous a permis de reconstituer, avec une approximation suffisante, les statistiques restées en lacune antérieurement à 1872. Notons seulement que les chiffres ainsi obtenus, pour les années 1845 à 1851 et 1866 à 1870, seraient susceptibles d’un léger rehaussement si l’on voulait ajouter aux affaires jugées celles qui se sont terminées par des désistements non consignés au Recueil des arrêts.
Pour la période de sept années postérieure à la publication du dernier Compte général, et s’étendant du 1er janvier 1888 au 1er janvier 1895, nous avons eu recours à des états dressés, pour le service de la section du contentieux, et qui, bien qu’ils n’aient pas le même caractère officiel que les Comptes généraux, peuvent être considérés comme méritant toute confiance.
Les matériaux d’une statistique générale étant ainsi réunis, nous avons dressé trois tableaux qui permettent de se rendre compte du mouvement des affaires contentieuses devant le Conseil d’État.
Le premier tableau présente la Statistique sommaire des décisions rendues par le Conseil d’État du 1er août 1806 au 1er janvier 1895. Il est divisé, autant que possible, par périodes quinquennales, afin [287] que les résultats des Comptes généraux puissent facilement s’y encadrer; quelques périodes plus courtes ou plus longues ont dû cependant y trouver place, tant à raison de la durée variable des lacunes qu’il fallait combler, que de l’inégalité des périodes embrassées par quelques Comptes généraux (1. Ainsi, le Compte général publié en 1861 comprend une période de neuf ans ; celui qui a été publié en 1878, comprend cinq ans et quatre mois, etc.). Mais nous avons ramené tous ces résultats à une mesure commune en dégageant, dans chaque période, une moyenne annuelle qui figure dans la dernière colonne du tableau.
On obtient ainsi un aperçu synoptique du mouvement des affaires depuis la création de la section du contentieux.
Le même tableau contient, pour toutes les périodes où les documents existants ont permis de l’établir, la division des affaires en cinq grandes catégories, savoir : conflits, recours pour excès de pouvoir, contributions, élections, autres affaires contentieuses. On peut ainsi apprécier sur quelles catégories d’affaires a principalement porté l’accroissement. D’autres colonnes du même tableau donnent le chiffre des affaires respectivement jugées par la section du contentieux et par l’assemblée du Conseil d’État statuant au contentieux, depuis que ce double mode de décision a été établi, c’est-à-dire depuis 1852. Il y est également tenu compte des affaires jugées par la section temporaire du contentieux depuis la loi du 26 octobre 1888.
Le deuxième tableau est consacré aux affaires contentieuses jugées par le Conseil d’État depuis la mise en vigueur de la loi organique du 24 mai 1872. — Il est dressé par année et les affaires y sont divisées, d’après leur nature, en douze grandes catégories correspondant aux principales contestations portées devant le Conseil d’État. Ce tableau permet ainsi d’apprécier, avec plus de détails que le précédent, l’importance numérique des principaux litiges administratifs, l’accroissement ou le ralentissement qu’ils peuvent subir sous l’influence de causes diverses. On y voit aussi combien d’affaires sont annuellement jugées par la section du contentieux (assistée ou non de la section temporaire), ou portées à l’audience publique du Conseil d’État statuant au contentieux.
Un troisième tableau montre, sous un autre aspect, le mouvement [288] général des affaires. Il groupe par séries de 10,000 tous les pourvois, au nombre de 85,000, introduits depuis 1806 jusqu’à décembre 1894; il met en regard de chacune de ces séries la date à laquelle elle a commencé et fini et le nombre d’années et de mois écoulés entre ces deux dates. On y voit que la première série de 10,000 pourvois représente une période de vingt-cinq ans et demi, et la dernière une période de quatre ans et demi seulement.
Conseils de préfecture. — Le quatrième tableau est consacré aux conseils de préfecture. Aucune statistique officielle des décisions de ces tribunaux administratifs n’a été publiée antérieurement à la loi du 21 juin 1865.
Après la promulgation de cette loi, des circulaires du ministre de l’intérieur ont prescrit de dresser des statistiques annuelles, conformément à des états-types arrêtés par le ministre. Ces états, rédigés au siège de chaque préfecture, sont centralisés au ministère de l’intérieur qui publie chaque année un état général résumant les travaux de tous les conseils de préfecture (1. La publication de ces états a été faite dans le Bulletin du ministère de l’intérieur et, depuis quelques années, dans la Revue générale d’administration.).
Nous n’avons pas reproduit l’ensemble de ces tableaux, mais nous y avons eu recours pour dresser un état général contenant le chiffre total des décisions rendues pendant la dernière période décennale (1884-1893).
Dans ce tableau, les affaires sont ramenées à dix grandes catégories correspondant aux principales contestations portées devant les conseils de préfecture et parmi lesquelles les réclamations en matière de contributions directes et de taxes assimilées sont de beaucoup les plus nombreuses. Outre les affaires contentieuses proprement dites, le même tableau donne le chiffre des décisions rendues chaque année par les conseils de préfecture en matière de comptabilité.
Conflits. — Il ne suffisait pas de réserver aux conflits une colonne spéciale dans le tableau des affaires jugées par le Conseil d’État jusqu’en 1872. Pour se rendre compte du mouvement des conflits, [289] il était nécessaire de relever les décisions rendues par le Tribunal des conflits soit en 1850 et 1851, soit depuis 1872 ; il fallait aussi distinguer entre les conflits positifs et les conflits négatifs et enregistrer leurs résultats. C’est ce que nous nous sommes efforcé de faire, dans le cinquième tableau, mais nous n’avons pu l’entreprendre que depuis 1830, les documents faisant défaut pour la période antérieure (1. On trouve cependant, pour les périodes antérieures à 1830, quelques résultats généraux que M. de Cormenin avait enregistrés en 1810 et que M. Boulatignier a complétés dans le chapitre VI de sa savante monographie des Conflits, publiée dans le Dictionnaire général d’administration de M. Alfred Blanche. Ces résultats, groupés par longues périodes et qui ne comprennent que les conflits positifs, sont les suivants : Sous le Directoire : 196 conflits élevés ; 163 confirmés en tout ou en partie ; 33 annulés. Sous le Consulat, l’Empire et la Restauration : 1,574 conflits élevés ; 1,068 confirmés en tout ou partie ; 492 annulés ; 14 non jugés comme devenus sans objet.).
Cour des comptes. —Les sixième et septième tableaux sont consacrés aux décisions de la Cour des comptes qui n’ont pas fait, jusqu’ici, l’objet de publications statistiques officielles. Mais les éléments de ces statistiques sont régulièrement recueillis, pour le service de la Cour, dans des états trimestriels établis par les soins du parquet et du greffe. C’est au moyen de ces états, dont les résultats ont été rapprochés et groupés dans un ordre méthodique, qu’a pu être dressée la statistique publiée ci-après. Elle comprend la période décennale (1876-1885) et la période de neuf ans (1886-1894). Elle fait connaître, pour chacune des années qui y sont comprises, le nombre des arrêts, décisions et déclarations de la Cour, classés d’après les diverses natures d’affaires auxquelles ils correspondent.
Des notes jointes aux tableaux expliquent quelques désaccords qui semblent exister entre le nombre des comptes soumis au jugement de la Cour et celui des arrêts rendus. Elles expliquent aussi pourquoi ces arrêts n’ont pas pu être classés d’après leur caractère d’arrêts provisoires et définitifs, caractère qui, en général, appartient moins aux arrêts eux-mêmes qu’à des dispositions diverses d’un même arrêt visant des parties différentes d’un même compte. [290]
Premier-tableau-Conseil-dEtat-p-290-et-291 Deuxième-tableau-Conseil-dEtat-p-292-et-293 Troisième-et-quatrième-tableau-Conseil-dEtat-p-294-et-295 Cinquième-tableau-Conflits-p-296-et-297 Sixième-tableau-Cour-des-comptes-p-298-et-299 Septième-tableau-Cour-des-comptes-p-300-et-301