Les contributions directes peuvent donner lieu à plusieurs espèces de réclamations contentieuses, parmi lesquelles on distingue : — 1° les demandes en dégrèvement, qui tendent à obtenir la décharge ou la réduction d’une contribution mal établie ; — 2° les demandes en mutation de cote, qui ont pour but de transférer une imposition d’un contribuable à un autre, par suite d’un changement survenu dans la propriété de la matière imposable ; — 3° les demandes d’inscription au rôle, par lesquelles un contribuable omis sur un rôle demande à y être porté ; — 4° les réclamations contre les opérations cadastrales, qui sont dirigées contre des opérations et décisions servant de base à la répartition de l’impôt foncier sur les propriétés non bâties ; — 5° les demandes en cessation ou en annulation de poursuites, par lesquelles le contribuable conteste les mesures coercitives prises contre lui pour l’obliger au paiement de l’impôt ; — 6° les demandes en décharge de cotes irrecouvrables et indûment imposées, par lesquelles les agents de perception demandent à être exonérés du recouvrement de certaines cotes ; — 7° les réclamations relatives aux taxes assimilées, taxes de nature diverse qui, sans être de véritables impôts directs, sont recouvrées dans les mêmes formes. Examinons successivement ces différents recours contentieux.
I. — DEMANDES EN DÉGRÈVEMENT
Nature et objet de ces demandes. — Les contributions directes étant perçues au moyen de rôles qui sont exécutoires et font titre [266] contre le contribuable, il en résulte que celui-ci doit prendre l’initiative d’une réclamation toutes les fois qu’il se croit surtaxé. Cette réclamation constitue la demande en dégrèvement, qui prend le nom de demande en décharge ou en réduction selon qu’elle tend à un dégrèvement total ou partiel. Ces demandes ressortissent au conseil de préfecture en vertu de l’article 4, § 4, de la loi du 28 pluviôse an VIII, d’après lequel il prononce « sur les demandes des particuliers tendant à obtenir la décharge ou la réduction de leur cote de contributions directes ».
La demande en dégrèvement, qui attaque un article du rôle comme erroné et lésant un droit, ne doit pas être confondue avec la demande en remise ou en modération qui n’attaque pas le rôle, et qui tend seulement à obtenir de l’administration une décision de pure équité, dispensant le contribuable d’acquitter tout ou partie de sa cotisation, à raison de pertes ayant diminué ses ressources. Aussi la demande en remise ne doit pas être portée devant la juridiction contentieuse, mais devant le préfet, sauf recours au ministre des finances agissant comme supérieur hiérarchique (1. Arrêté du 24 floréal an VIII, art. 28.).
La demande en dégrèvement ne doit pas non plus être confondue avec l’action en répétition que le contribuable peut former, pendant un délai de trois ans, contre les agents qui auraient établi ou recouvré des contributions non autorisées par la loi du budget. Cette action, créée par la loi de finances du 15 mai 1818 (art. 94), confirmée chaque année par la disposition finale de la loi du budget, met en jeu la responsabilité personnelle des agents et ressortit exclusivement aux tribunaux judiciaires (2. Cette disposition est ainsi conçue : — « Toutes contributions directes ou indirectes autres que celles autorisées ou maintenues par la présente loi, à quelque titre et sous quelque dénomination qu’elles se perçoivent, sont formellement interdites ; à peine, contre les autorités qui les ordonneraient, contre les employés qui confectionneraient les rôles et tarifs, et ceux qui en feraient le recouvrement, d’être poursuivis comme concussionnaires, sans préjudice de l’action en répétition pendant trois années… »).
Pour que l’action en répétition soit ouverte, il ne suffit pas que des illégalités aient été commises dans l’établissement ou la perception d’un impôt autorisé par le législateur, il faut que l’impôt manque absolument de base légale comme n’ayant pas été autorisé [267] par la loi annuelle du budget. L’action en répétition sert en effet de sanction à la prérogative des Chambres en matière budgétaire, au droit qu’ont les citoyens de résister aux impôts que le Parlement n’aurait pas consentis ; mais elle n’a pas pour but de transférer de la juridiction administrative à l’autorité judiciaire le jugement de toutes les questions de légalité que peut soulever la perception de l’impôt.
Bien plus, la juridiction administrative reste compétente, concurremment avec les tribunaux judiciaires, même sur les questions de légalité de la taxe qui se rattacheraient à un prétendu défaut d’autorisation. Le Conseil d’État s’est expressément prononcé en ce sens dans une espèce où le contribuable réclamait le dégrèvement de centimes additionnels communaux en se fondant sur ce qu’ils excédaient le nombre des centimes autorisés par la loi du budget (1. Conseil d’État, 26 juillet 1854, Laurentie : — « Considérant qu’aux termes de l’article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII, les conseils de préfecture sont chargés de statuer sur les demandes des particuliers tendant à obtenir la décharge ou la réduction de leur cote de contributions directes ; que pour l’exercice de cette attribution, et au cas où le réclamant soutient que la contribution ne serait pas autorisée par la loi, les conseils de préfecture ont nécessairement le pouvoir de vérifier si l’impôt a une base légale ; que la disposition des lois de finances, qui a ouvert aux contribuables le droit d’intenter devant les tribunaux une action en répétition des impôts qui auraient été perçus sans l’autorisation de la loi, n’a eu ni pour but ni pour effet de modifier les attributions conférées aux conseils de préfecture par l’article 4 de la loi du 28 pluviôse au VIII… »). Mais, même dans ce cas, la demande en dégrèvement et l’action en répétition n’en n’ont pas moins un objet très différent, puisque la première est dirigée contre le rôle afin d’en empêcher le recouvrement, tandis que le second vise les agents de l’administration et tend à leur faire restituer, de leurs deniers personnels, les taxes dont ils auraient réclamé ou effectué le recouvrement sans l’autorisation de la loi.
La compétence du conseil de préfecture sur cette question de légalité se rattache d’ailleurs aux pouvoirs généraux du juge de l’impôt, pouvoirs que nous devons maintenant préciser en ce qui touche le jugement des demandes de dégrèvement.
Étendue et limites de la juridiction du conseil de préfecture. — Le conseil de préfecture n’a pas seulement à vérifier les faits et [268] les évaluations qui ont servi de base à une imposition contestée ; il est aussi appelé à se prononcer sur la régularité et sur le caractère obligatoire de toutes les décisions administratives en vertu desquelles l’impôt est perçu. Telles sont les délibérations des conseils généraux ou municipaux relatives à l’imposition de centimes additionnels départementaux ou communaux ; tels sont aussi les arrêtés préfectoraux et les décrets du Chef de l’État qui rendent ces délibérations exécutoires. Quoique ces actes aient au plus haut degré le caractère d’actes de la puissance publique, il appartient au conseil de préfecture d’en apprécier la légalité, parce que celle de l’impôt en dépend (1. Conseil d’État, 30 novembre 1877, de Séré ; — 29 juillet 1881, Genotat ; — 9 mars 1883, Broet ; — 28 juin 1889, Loppin de Gémeaux ; — 17 mai 1890, Lafosse.). La jurisprudence décide même que la compétence du juge de l’impôt est si absolue en cette matière, qu’elle exclut celle du Conseil d’État statuant comme juge de l’excès de pouvoir : de telle sorte que tout recours directement formé devant lui, contre des délibérations et décisions servant de base à l’impôt, doit être déclaré non recevable (2. Conseil d’État, 30 novembre 1877, de Séré ; — 29 juillet 1881, Genotat ; — 9 mars 1883, Broet ; — 28 juin 1889, Loppin de Gémeaux ; — 17 mai 1890, Lafosse.).
Cette plénitude de juridiction du conseil de préfecture prend une extension plus grande encore quand il s’agit du contentieux de certaines taxes assimilées, telles que les taxes de curage, de pavage, de pâturage, les taxes syndicales, etc..
Dans beaucoup de cas, la légalité de ces taxes est subordonnée non seulement à la régularité intrinsèque des actes administratifs qui autorisent la perception, mais encore à ce qu’on pourrait appeler leur régularité extrinsèque, c’est-à-dire celle qui dépend de circonstances, de constatations administratives sans lesquelles l’impôt ne pourrait pas être levé. Ainsi les taxes de curage ne peuvent être légalement perçues que conformément aux règlements ou anciens usages ; les taxes de pavage, que si les ressources ordinaires de la commune sont insuffisantes pour pourvoir à la mise en état de viabilité des voies nouvelles ; les taxes syndicales, que si elles sont perçues au profit d’une association régulièrement organisée et pour le paiement de travaux réellement exécutés. L’appréciation que l’administration active doit nécessairement faire de ces circonstances, avant d’autoriser la perception, ne lie pas toujours [269] la juridiction contentieuse ; celle-ci a le droit de vérifier si les usages invoqués pour percevoir des taxes de curage sont des usages anciens, et quelle est leur véritable portée (1. Conseil d’État, 9 décembre 1864, Bourbon ; — 24 novembre 1876, Villedary ; —24 novembre 1882, Boyenval; — 20 janvier 1888, Vaqué.) ; si l’insuffisance de ressources, alléguée par une commune qui réclame des taxes de pavage, résulte réellement de ses budgets et de ses comptes (2. Conseil d’État, 21 décembre 1877, Portier; — 26 décembre 1879, Mesquite ; — 9 avril 1886, Oudin ; — 8 février 1890, Naveau.) ; si l’association syndicale dont les perceptions sont contestées fonctionne régulièrement et a exécuté les travaux dont elle demande le paiement aux intéressés (3. Conseil d’État, 21 mai 1880, ministre des travaux publics ; — 22 juin 1883, de Roys ; — 14 novembre 1891, de Barbenlane ; — 18 mars 1893, Association syndicale du Grand-Vey.).
Mais si le conseil de préfecture est compétent pour vérifier, en fait aussi bien qu’en droit, la légalité de la perception, il ne peut en apprécier l’opportunité, car ce serait s’immiscer dans la fonction même de l’administration ; ainsi, lorsqu’une imposition communale a été votée pour couvrir une dépense inscrite au budget de la commune, il n’appartient pas au conseil de préfecture de critiquer cette dépense, et d’accorder décharge de l’impôt sous prétexte qu’elle ne serait pas justifiée ; en effet, les questions d’inscription de la dépense sont uniquement du ressort du conseil municipal qui vote le budget et de l’autorité supérieure qui le règle (4. Conseil d’État, 30 mai 1884, Larcher ; — 30 janvier 1885, Séguin; — 20 juillet 1888, Bertrand; — 16 mars 1894, Gagnier et autres.). De même, lorsqu’une commune a été autorisée à s’imposer extraordinairement pour rembourser en partie un emprunt dont le surplus serait couvert par les ressources ordinaires, et lorsque la loi d’autorisation n’a pas fixé dans quelle proportion ces deux éléments doivent concourir au remboursement, le contribuable n’est pas recevable à contester devant le conseil de préfecture la proportion déterminée par l’autorité municipale (5. Conseil d’État, 16 décembre 1868, Mourchon ; — 14 février 1890, Guilloteaux.).
Il va de soi que le contrôle du conseil de préfecture ne saurait s’exercer sur les décisions souverainement prises par le Parlement, soit pour fixer le contingent de chaque département dans [270] la répartition de l’impôt direct, soit pour déterminer le nombre de centimes que les autorités locales pourront ajouter au principal de cet impôt.
Doit-on décider de même pour les délibérations que prennent les conseils généraux et les conseils d’arrondissement, afin de répartir entre les arrondissements, puis entre les communes, le contingent assigné au département ? La doctrine et la jurisprudence sont d’accord pour reconnaître que ces décisions ne peuvent être contestées devant le conseil de préfecture, ni directement par les collectivités intéressées, ni indirectement par les contribuables (1. Conseil d’État, 29 août 1834, Salines de l’Est ; — 14 juin 1837, Witz-Witz ; — 28 décembre 1894, commune de Sérignac. Cette jurisprudence est conforme aux déclarations faites par les auteurs de la loi du 10 mai 1838 (art. 2) dont les dispositions, sur ce point, ont été reproduites par la loi du 10 août 1871. On lit en effet dans le rapport de M. Vivien devant la Chambre des députés : « Toutes les questions relatives à la répartition de l’impôt entre les arrondissements et les communes sont résolues par les conseils généraux en dernier ressort. On a demandé si ces décisions ne pourraient être l’objet d’un recours quelconque. On a proposé de les soumettre soit à l’autorité du pouvoir législatif, soit à un recours devant le Conseil d’État. Ces deux propositions ont été écartées… La commission a voulu rendre définitives et irrévocables toutes les décisions des conseils généraux en matière de répartition des impôts directs. »). Mais nous ne pensons pas qu’on doive se fonder, pour expliquer l’interdiction du recours, sur le caractère législatif qu’auraient ces décisions, à raison de la délégation donnée par la loi aux conseils généraux et d’arrondissement pour opérer la répartition du contingent départemental. Il faut être très sobre de ces assimilations entre la fonction d’autorités administratives et celle du législateur ; répartir l’impôt est, en soi, un acte d’administration, et nous serions plus porté à regarder la répartition faite par la loi du budget entre les départements, comme un acte de haute administration accompli en forme de loi, qu’à assimiler à une décision législative les sous-répartitions opérées par les conseils locaux dans l’intérieur de chaque département. C’est à bon droit qu’un arrêt du 14 juin 1837 (Witz-Witz) a qualifié ces sous-répartitions d’opérations administratives, et l’on ne doit pas chercher en dehors de ce caractère administratif la raison d’être de l’interdiction du recours.
On la trouve d’abord, ainsi que l’indique l’arrêt du 29 août 1834 (Salines de l’Est), rendu sur le rapport de M. Vivien, dans la limite [271] que la loi de pluviôse an VIII assigne au contentieux des contributions directes, en ne déférant aux conseils de préfecture que les demandes des particuliers tendant à obtenir décharge ou réduction de leur cote de contributions, ce qui exclut implicitement tout recours contentieux relatif au contingent ; le seul recours en cette matière est celui que prévoit l’article 38 de la loi départementale du 10 août 1871, qui charge le conseil général de prononcer définitivement sur les demandes formées par les communes, afin de faire réduire le contingent fixé par le conseil d’arrondissement. On est donc en présence d’actes de pure administration ayant un caractère définitif, et dont la juridiction contentieuse ne doit pas connaître.
D’ailleurs, la répartition du contingent départemental entre les arrondissements et les communes ne repose pas uniquement, comme la répartition individuelle du contingent communal, sur l’application de la loi à des faits nettement déterminés, mais aussi sur des appréciations d’ordre administratif, ayant pour objet les facultés contributives des communes.
La demande en dégrèvement, ayant le caractère d’un recours contentieux, ne saisit le conseil de préfecture que des conclusions formulées par le réclamant. C’est pourquoi le conseil de préfecture ne peut, en principe, rien adjuger en dehors de ces conclusions ; il ne saurait, par exemple, accorder la décharge d’une taxe dont on ne lui demande que la réduction (1. Conseil d’État, 19 mai 1882, ministre des finances; — 7 mars 1890, Jo’y ; — 18 juillet 1891, Delhomme-Friard.), ou étendre à la contribution mobilière les effets d’une réclamation qui n’a visé que la taxe personnelle (2. Conseil d’État, 29 novembre 1854, Bourrières.). Mais la jurisprudence admet que le conseil de préfecture peut faire droit à des conclusions qui, sans être expressément formulées dans la demande, y sont implicitement contenues.
Ainsi, il peut accorder la réduction d’une contribution dont la décharge a été réclamée, même en l’absence de conclusions subsidiaires tendant à cette réduction (3. Conseil d’État, 21 juillet 1882, Basque ; — 7 novembre 1884, Bion. —Toutefois, la demande en décharge qui serait présentée pour la première fois au Conseil d’État, le conseil de préfecture n’ayant été saisi que d’une demande en réduction, serait non recevable comme constituant une demande nouvelle : 12 novembre 1892, Eiffel.) ; il peut également prononcer d’office les dégrèvements et les remboursements qui sont la conséquence [272] nécessaire de sa décision, par exemple le dégrèvement des centimes additionnels lorsqu’il accorde décharge du principal (1. Ce dégrèvement est de droit, d’après l’article 13 de l’arrêté du 24 floréal an VIII.), et le remboursement des sommes payées, lorsqu’elles excèdent celles qui étaient réellement dues (2. Conseil d’Etat, 12 novembre 1868, Russé.).
Mais le conseil de préfecture ne peut jamais rehausser d’office la taxe dont décharge ou réduction lui est demandée ; il ne peut même pas ordonner ce rehaussement à la suite de conclusions reconventionnelles prises par l’administration, car celle-ci ne peut rien recouvrer contre les contribuables au-delà des impositions portées sur les rôles. En d’autres termes, il n’a le droit de réparer aucune omission du rôle, sinon sur la demande même du contribuable (3. Conseil d’État, 26 décembre 1879, ministre des finances. ). Il peut cependant être amené, en statuant sur une demande en décharge ou en réduction, à vérifier la situation réelle du contribuable, à reconnaître et à indiquer ainsi que la cote, loin d’être exagérée, est inférieure à celle qui serait légalement due. Une telle constatation peut avoir pour effet indirect de provoquer un rehaussement ultérieur de la taxe, en révélant à l’administration des éléments d’imposition qui lui avaient échappé ; mais elle n’excède pas les pouvoirs du conseil de préfecture, puisqu’il ne prononce pas lui-même une aggravation de l’impôt, et qu’il se borne à démontrer que le contribuable n’est pas surtaxé.
Des déclarations prévues par la loi du 21 juillet 1887. — La loi du 21 juillet 1887 (art. 2) a créé une forme particulière de la demande en dégrèvement, consistant en une simple déclaration faite à la mairie par le contribuable, et sur laquelle le conseil de préfecture n’est appelé à statuer que si la réclamation est reconnue fondée par l’administration. D’après ce texte, « tout contribuable qui se croira imposé à tort ou surtaxé pourra en faire la déclaration à la mairie du lieu de l’imposition dans le mois qui suivra la publication du rôle. Cette déclaration sera reçue sans frais ni formalités sur un registre tenu à la mairie ; elle sera signée par le réclamant ou son mandataire. Celles de ces déclarations qui, [273] après examen sommaire, auront pu être immédiatement reconnues fondées, seront analysées par les agents des contributions directes sur un état qui sera revêtu de l’avis du maire ou des répartiteurs, suivant les cas, ainsi que de celui du contrôleur ou du directeur. Le conseil de préfecture prononcera les dégrèvements ; il s’abstiendra toutefois de statuer sur les cotes ou portions de cotes qui lui auraient paru devoir être portées au rôle. »
Cette disposition a eu pour but de faire prononcer immédiatement et sans débat, par le conseil de préfecture, les dégrèvements sur lesquels il y a accord entre l’administration et le contribuable. Le conseil est saisi au moyen d’un état dressé par les agents des contributions, et sur lequel toutes les déclarations par eux admises sont analysées ; mais sa mission ne se borne pas à prendre acte de cet accord ; il doit le contrôler à l’aide des avis joints au dossier et de ceux qu’il pourra provoquer lui-même. Dans le doute, il devra s’abstenir de prononcer le dégrèvement ; le contribuable pourra alors le demander, dans la forme ordinaire, conformément au § 3 du même article : « Les contribuables dont les déclarations n’auraient pas été portées ou maintenues sur l’état dont il s’agit, et ceux sur la cote desquels le conseil de préfecture n’aurait pas eu à statuer, en seront avisés et ils auront la faculté de présenter des demandes en dégrèvement dans les formes ordinaires. »
L’application de ces dispositions peut donner lieu à quelques difficultés, notamment en ce qui touche les délais de la réclamation contentieuse ; nous les examinerons en étudiant ci-après les règles de procédure.
II. — DEMANDES EN MUTATION DE COTE ET EN TRANSFERT DE PATENTE
La demande en mutation de cote tend à faire décider qu’un immeuble cotisé sous le nom d’un contribuable doit l’être sous le nom d’un autre, par suite d’un changement survenu dans la propriété de la matière imposable. Elle a donc à la fois le caractère d’une demande en décharge pour l’ancien propriétaire, et d’une demande d’inscription au rôle pour celui qui lui a succédé.
[274] Il en résulte que l’un et l’autre peuvent en prendre l’initiative ; l’administration ne saurait le faire à leur place, parce que, d’après l’article 36 de la loi du 3 frimaire an VII, elle doit maintenir au rôle le propriétaire primitif, tant que le changement survenu dans la propriété n’a pas été constaté sur le livre des mutations, à la demande des parties elles-mêmes (1. Conseil d’État, 8 juin 1888, Vuillerme ; — 17 mars 1893, Defoin.).
La mutation de cote devant produire ses effets à l’égard de l’ancien et du nouveau propriétaire, il faut que l’instruction de la demande et la décision du conseil de préfecture soient contradictoires à l’égard de l’un et de l’autre. Celui qui n’a pas pris l’initiative de la demande doit donc être mis en cause devant le conseil de préfecture (2. Conseil d’État, 11 novembre 1891, Bonnemaison ; — 27 mai 1892, Compagnie du Gaz; — 24 février 1894, Chailley.) ; en cas de désaccord des parties sur la question de propriété, celle-ci ne peut pas être tranchée par la juridiction administrative ; le conseil de préfecture doit, conformément aux règles générales de la compétence et aux dispositions formelles de l’article 7 de la loi du 2 messidor an VII, surseoir à statuer sur la mutation de cote, jusqu’à ce que la question de propriété ait été jugée par les tribunaux judiciaires à la requête de la partie la plus diligente.
Pendant longtemps, la contribution foncière a été la seule qui pût donner lieu à des demandes en mutation de cote. Cette mesure a été étendue à la contribution des portes et fenêtres par la loi de finances du 8 juillet 1852 ; mais elle est restée inapplicable à la contribution mobilière, bien que celle-ci ait aussi le caractère d’impôt de répartition (3. Voy. dans le paragraphe suivant les questions auxquelles ont donné lieu les demandes d’inscription au rôle, tendant à faire opérer indirectement des mutations de cote en matière de contribution mobilière.).
La contribution des patentes peut donner lieu à une demande qui est analogue, mais non identique, à la mutation de cote ; c’est la demande en transfert de patente prévue par l’article 28 de la loi des patentes du 15 juillet 1880, et antérieurement par l’article 23 de la loi du 25 avril 1844. Ces textes autorisent le patentable qui a cédé son établissement, et celui qui s’en est rendu acquéreur, [275] à demander que la patente du cédant soit transférée au cessionnaire.
Ce transfert diffère, à un double point de vue, de la mutation de cote : — en premier lieu, il peut s’opérer en cours d’exercice, quelle que soit l’époque de la cession, tandis que les cotes foncières et des portes et fenêtres ne peuvent être modifiées qu’à raison de mutations de propriété survenues avant le 1er janvier ; — en second lieu, le transfert de patente n’exige pas nécessairement, comme la mutation de cote, une décision contentieuse ; il est opéré par une décision administrative émanée du préfet ; le conseil de préfecture n’a à intervenir que si cette décision est contestée, ou s’il s’agit d’accorder au cessionnaire décharge de droits qui formeraient double emploi avec ceux qui lui ont été transférés (Loi du 15 juillet 1880, art. 28).
III. — DEMANDES D’INSCRIPTION AU RÔLE
Le droit qui appartient au contribuable omis sur les rôles, de réclamer son inscription par la voie contentieuse, a été formellement reconnu par la loi du 21 avril 1832 (art. 28), qui soumet ces demandes à la même procédure que les demandes en dégrèvement. Ces réclamations présentaient un grand intérêt à l’époque où la législation électorale reposait sur le régime censitaire ; elles peuvent encore présenter aujourd’hui un intérêt de même nature, quoique très atténué, quand il s’agit de l’éligibilité d’un candidat au conseil général, municipal ou d’arrondissement, qui n’est pas électeur dans le département ou dans la commune, et qui peut s’y rendre éligible par le paiement d’une contribution directe. Un commerçant peut aussi avoir intérêt à être nominalement inscrit sur le rôle des patentes afin de pouvoir justifier de sa qualité de patenté, notamment en vue des élections commerciales.
La demande d’inscription au rôle peut s’appliquer à toute contribution directe ; elle peut tendre, selon les cas, soit à critiquer une omission complète d’éléments imposables, soit à faire attribuer au réclamant ceux de ces éléments qui auraient été attribués à un autre contribuable ; ce dernier caractère apparaît dans les [276] demandes en mutation de cote ou en transfert de patente dont l’initiative est prise par l’acquéreur d’une propriété foncière ou d’un fonds de commerce.
On s’est demandé si les demandes d’inscription au rôle de la contribution mobilière ne pouvaient pas aussi aboutir à une véritable mutation de cote, lorsque les éléments d’imposition revendiqués par un contribuable avaient été cotisés au nom d’un autre. En effet, a-t-on dit, ces mêmes éléments ne peuvent pas, sans double emploi, être simultanément imposés au nom de deux contribuables différents ; l’inscription de l’un doit donc entraîner la radiation de l’autre. Le Conseil d’État l’a d’abord ainsi décidé par un arrêt du 25 avril 1855 (Souchon), qui, après avoir constaté que l’habitation du requérant avait été cotisée sous un autre nom que le sien, dit « qu’il ne pouvait obtenir sa propre inscription qu’en demandant la rectification de celle du contribuable inscrit par erreur à sa place ».
Mais le Conseil d’État n’a pas persisté dans cette jurisprudence, dont il était facile d’abuser pour étendre la mutation de cote, contrairement au vœu de la loi, non seulement à la contribution mobilière, mais encore à des taxes qui reposent sur la possession d’objets susceptibles de changer de mains, telle que la taxe des prestations, des chevaux et voitures, etc.. Il a annulé des décisions de conseils de préfecture qui avaient admis des mutations de cote en matière de prestations en nature (1. Conseil d’État, 29 juillet 1859, Baudesson ; — 27 juin 1879, Vitalis.) ; puis il a jugé de même pour la contribution mobilière (2. Conseil d’État, 9 juin 1876, Mercier ; — 9 avril 1892, héritiers Danrée.). Cette dernière jurisprudence doit assurément être préférée, car il est de principe que les demandes des contribuables — demandes en inscription aussi bien que demandes en dégrèvement — ont un caractère absolument personnel, et ne peuvent réagir sur la situation d’autres contribuables qu’en vertu de dispositions spéciales de la loi.
[277]
IV. — RÉCLAMATIONS CONTRE LES OPÉRATIONS CADASTRALES
Réclamations contre les opérations d’art. — Parmi les opérations qui concourent à la confection du cadastre et qui préparent l’assiette de l’impôt foncier sur les propriétés non bâties, on distingue, d’une part, les opérations d’art et, d’autre part, les opérations administratives, dont l’ensemble constitue l’expertise.
Les opérations d’art sont : la délimitation du territoire de la commune, la triangulation, le levé des plans et l’arpentage. A raison de leur caractère technique, elles ne donnent lieu, en principe, à aucun recours direct par la voie contentieuse (1. Conseil d’État, 27 février 1836, commune de Gajan ; — 2 février 1877, commune de Sotteville-lès-Rouen.).
Plusieurs arrêts ont cependant admis que le contribuable peut discuter, à propos d’une réclamation contre sa cote foncière, l’inscription de tout ou partie de sa propriété sur le plan cadastral de telle ou telle commune, et que le conseil de préfecture peut vérifier, à cette occasion, si les limites du plan correspondent avec les limites réelles de la commune (2. Conseil d’État, 14 décembre 1859, de Marcieu ; — 7 août 1883, commune de Meudon ; — 10 juillet 1885, Legrand; — 16 juillet 1886, Varnier.).
En ce qui touche les opérations de levé de plan et d’arpentage, il a toujours été reconnu qu’elles ne peuvent pas être directement attaquées par la voie contentieuse ; mais la jurisprudence a admis que les réclamations contre des erreurs de contenance peuvent être assimilées à des réclamations contre le classement et être formées dans le même délai, c’est-à-dire pendant les six mois qui suivent l’émission du premier rôle (3. Conseil d’État, 18 juin 1856, Chabrol ; — 3 avril 1861, Gonnet ;— 28 janvier 1876, Pernin. — Un arrêt du 11 juillet 1864 (Hudelet) a même décidé que l’on pouvait réclamer contre les erreurs de contenance à l’occasion d’une réclamation contre les rôles annuels ; mais cette doctrine enlèverait toute stabilité aux opérations d’arpentage ; le Conseil d’État n’y a pas persisté ; il admet seulement, en tout temps, la rectification des erreurs matérielles qui ont été commises non dans l’arpentage, mais dans la constatation de ses résultats sur la matrice cadastrale (14 janvier 1863, Angebault).).
En dehors de ces opérations techniques, la confection du cadastre comprend des opérations administratives : la classification, [278] ou division en classes de chaque nature de propriétés ; le tarif des évaluations, qui détermine le revenu d’après lequel chaque classe doit être imposée ; enfin le classement, qui assigne à chaque parcelle sa place dans telle ou telle classe. Ces deux dernières opérations peuvent seules donner lieu à des réclamations par la voie contentieuse.
Réclamations contre le tarif des évaluations. — Sous l’empire de la loi du 15 septembre 1807, et jusqu’à la loi du 10 août 1871, le tarif des évaluations était approuvé par le préfet en conseil de préfecture, après avis des conseils municipaux. Il n’était susceptible, en principe, d’aucun recours contentieux, mais seulement d’un recours hiérarchique au ministre des finances sous l’autorité duquel le préfet prenait sa décision (1. Conseil d’État, 11 avril 1837, commune d’Épernay.).
Exceptionnellement, le règlement du 15 mars 1827 (art. 81) et la jurisprudence du Conseil d’État ouvraient un recours, devant le conseil de préfecture, au propriétaire qui possédait à lui seul la totalité ou la presque totalité d’une nature de culture ; en effet, le tarif des évaluations n’est plus, à l’égard de ce propriétaire, une opération générale ne préjugeant rien sur le classement de ses terres, il implique d’avance ce classement d’après un revenu imposable déterminé ; il peut donc léser directement le propriétaire, et c’est avec raison qu’un droit de recours lui a été reconnu. Mais la jurisprudence n’avait pas attribué le même droit aux communes ; elle les admettait seulement à défendre le tarif des évaluations contre les réclamations du propriétaire, et à déférer au Conseil d’État la décision du conseil de préfecture, lorsqu’elle modifiait le tarif (2. Conseil d’État, 24 juillet 1862, commune de Beaubray.).
Dans quelle mesure ces solutions ont-elles été modifiées par la loi du 10 août 1871, dont l’article 87 a transféré du préfet à la commission départementale le droit d’approuver le tarif des évaluations cadastrales (3. Loi du 10 août 1871, art. 87 : « La commission départementale approuve le tarif des évaluations cadastrales, et elle exerce à cet égard les pouvoirs attribués au préfet en conseil de préfecture par la loi du 15 septembre 1807 et le règlement du 15 mars 1827. ») ? Une première conséquence à tirer de ce [279] changement de compétence, c’est que le recours administratif au ministre des finances se trouve remplacé par l’appel au conseil général, supérieur hiérarchique de la commission départementale ; cet appel est en effet ouvert, par l’article 88, aux préfets, aux conseils municipaux et à toute autre partie intéressée pour cause d’inopportunité ou de fausse appréciation des faits ».
Mais ce recours hiérarchique n’est pas le seul que l’article 88 autorise contre les décisions des commissions départementales ; il ouvre aussi un recours « au Conseil d’État statuant au contentieux pour cause d’excès de pouvoir ou de violation de la loi ou d’un règlement d’administration publique ». Les tarifs d’évaluations cadastrales peuvent-ils également être l’objet de ce recours ? Le Conseil d’État s’est prononcé pour l’affirmative par un arrêt du 2 décembre 1887 (commune de Ferron), qui a admis une commune à déférer directement au Conseil d’État une décision de la commission départementale approuvant un tarif d’évaluations. Cette solution paraît en effet imposée par le rapprochement des articles 87 et 88 de la loi de 1871 ; nous pensons qu’elle doit également profiter aux autres personnes dont l’article 88 autorise le recours, c’est-à-dire au préfet et « à toute autre partie intéressée ». Mais il ne faut pas perdre de vue que le recours de l’article 88 n’est qu’un recours en annulation pour excès de pouvoir ou violation de la loi, non un recours en réformation permettant de modifier le tarif des évaluations ; ce dernier recours n’appartient, après la loi de 1871 comme avant, qu’aux propriétaires d’une seule espèce de culture, et ils doivent continuer à le soumettre au conseil de préfecture.
Les communes ont aussi le droit de défendre à ce recours devant le conseil de préfecture, et de se pourvoir devant le Conseil d’État, droit qui leur était reconnu par la jurisprudence antérieure.
Réclamations contre le classement. — Il faut distinguer ici entre le classement des propriétés non bâties et celui des propriétés bâties.
A l’égard des propriétés non bâties, le classement est un facteur immédiat et permanent de l’impôt, car il assigne à chaque parcelle un revenu imposable d’après lequel la cote foncière sera établie, [280] non seulement pour le présent, mais pour l’avenir. Afin de concilier la permanence du cadastre avec l’intérêt qu’a le propriétaire à faire modifier un classement inexact, la loi lui a ouvert un recours contentieux : non un recours annuel, permettant de contester l’assiette de l’impôt après l’émission de chaque rôle, mais un recours unique, qui doit être exercé une fois pour toutes, dans un délai de six mois à partir de la mise en recouvrement du premier rôle cadastral (1. Ordonnance du 3 octobre 1821, art. 9.). Ce délai passé, le classement devient définitif ; il ne peut plus être attaqué même pour erreur matérielle relevée dans le classement (2. Conseil d’État, 14 juin 1847, Chanoine ; — 13 avril 1867, Tallotte. — En ce qui touche les erreurs de contenance, voy. ci-dessus, p. 277, note 3.).
Il y a cependant un cas où le principe de la permanence du cadastre doit fléchir devant de véritables nécessités de justice et de bonne administration : c’est lorsque l’état de choses qui a servi de base au classement se trouve supprimé ou profondément altéré par des événements postérieurs, indépendants de la volonté du propriétaire, et qui n’avaient pas pu être prévus à l’époque du classement. Ces faits exceptionnels peuvent se produire quand une parcelle est absorbée par un chemin ou par tout autre ouvrage public, quand elle est entraînée par les eaux, ou bien quand elle a cessé d’être propre à la culture par suite d’ensablement, de submersion, d’éboulement, ou de destruction complète des plantations qui la rendaient productive (3. Conseil d’État, 11 décembre 1853, Vial ; — 20 novembre 1856, commune de Saint-Hélen; — 12 août 1859, Gressin ; — 2 août 1878, Huiard.). Remarquons, toutefois, que si cette destruction résultait d’un fléau commun à toute une contrée, par exemple de gelées exceptionnelles, du phylloxéra, etc., elle ne pourrait pas avoir pour effet de faire modifier le classement des propriétés détériorées, — ce qui reporterait la charge de l’impôt sur d’autres propriétés également éprouvées ; — elle ne pourrait donner lieu qu’à une revision générale du cadastre de la commune, mesure qui ne peut être prescrite que par l’autorité administrative, non par la juridiction contentieuse (4. Conseil d’État, 26 novembre 1880, Saucerotte ; — 18 juillet 1884, de Baritault ; — 3 juillet 1885, Roques ; — 22 janvier 1886, Gauthier.).
La destruction générale de certaines cultures pourrait aussi donner lieu à une remise totale ou partielle de l’impôt foncier à l’ensemble [281] des propriétaires de ces cultures, mais seulement en vertu d’une loi (1. Voy. la loi du 29 décembre 1887 (complétée par le décret du 2 mai 1888), qui dispose : « Dans les arrondissements atteints par le phylloxéra, les terrains plantés ou replantés en vignes âgées de moins de quatre ans lors de la promulgation de la loi seront exempts de l’impôt foncier ; ils ne seront soumis à cet impôt que lorsque ces vignes auront dépassé leur quatrième année. » Cette loi a été appliquée par le Conseil d’État, notamment : 6 août 1892, Jeanjean.).
Lorsque l’événement étranger et postérieur au classement est de nature à motiver le changement de classe d’une propriété, la loi du 15 septembre 1807 (art. 37) et l’ordonnance du 3 octobre 1821 (art. 9) permettent d’en faire la demande devant le conseil de préfecture et le règlement du 10 octobre 1821 (art. 31) dispose que cette demande peut être formée « à toute époque ». Ce texte a d’abord été interprété comme dispensant la réclamation de tout délai, quelle que fût la date de l’événement qui la motive (2. Conseil d’État, 16 novembre 1850, Pécourt ; — 20 novembre 1856, commune de Saint-Hélen.). Mais une jurisprudence plus récente et mieux fondée a décidé que les mots « à toute époque » visent la date de l’événement par rapport à la confection du cadastre, et non la date de la réclamation par rapport à l’événement ; celle-ci doit donc rester soumise au délai de six mois fixé par l’ordonnance du 3 octobre 1821, seulement ce délai, au lieu de courir de l’émission du premier rôle mis en recouvrement après le classement primitif, se compte à partir du premier rôle qui suit l’événement donnant lieu à un changement de classe (3. Conseil d’État, il janvier 1865, Laurent ; — 27 avril 1871, Beaumier ; — 28 février 1873, ministre des finances; — 30 janvier 1880, Roux ; — 17 mai 1890, Mieulet ; — 14 février 1891, Messot.).
Réclamations relatives aux propriétés bâties. Loi du 8 août 1890. — En ce qui touche les propriétés bâties, il faut distinguer entre les règles qui étaient en vigueur antérieurement à la loi du 8 août 1890 et celles que cette loi a établies, en même temps qu’elle a transformé en impôt de quotité l’impôt foncier sur la propriété bâtie qui était auparavant un impôt de répartition.
La législation antérieure à 1890 admettait que la permanence du classement ne pouvait pas s’appliquer aux propriétés bâties, à raison des variations fréquentes qu’éprouve le revenu de ces immeubles. [282] En conséquence, les propriétaires étaient recevables, en cas de surtaxe ou de destruction totale ou partielle des bâtiments cotisés, à réclamer chaque année contre le classement dans les trois mois de la mise en recouvrement du rôle, et à demander au conseil de préfecture décharge ou réduction de leur contribution (1. Loi du 15 septembre 1807, art. 38 ; ordonnance du 3 octobre 1821 et règlement du 15 mars 1827 ; — Conseil d’État, 23 décembre 1845, Changeur ; — 29 janvier 1863, Chemin de fer d’Orléans.). Ce droit leur était même reconnu dans le cas d’une destruction accidentelle survenue postérieurement au 1er janvier (2. Conseil d’État, 27 mai 1857, Delermoy ; — 9 mars 1859, Médart ; — voy. toutefois 22 mars 1878, Boulet.).
La loi du 8 août 1890 a établi, pour la propriété bâtie, la permanence des évaluations décennales. D’après cette loi, les valeurs locatives déterminées par l’administration des contributions directes, ou, en cas de réclamation, par la décision qui a modifié cette évaluation, ne peuvent être, en principe, revisées que tous les dix ans. Il suit de là que le propriétaire qui a obtenu par la voie contentieuse réduction de la valeur locative primitivement évaluée par l’administration, n’est pas recevable à demander une nouvelle réduction les années suivantes, même s’il allègue des causes nouvelles de moins-value (3. Conseil d’État, 2 mars 1894, ministre des finances ; — 21 avril 1894, Quinquet de Montjour ; — 18 janvier 1895, Ausbert-Labbé.).
Voici dans quels cas et dans quels délais les propriétaires d’immeubles bâtis peuvent, sous l’empire de la loi de 1890, contester l’évaluation qui sert de base à leur imposition.
S’ils se bornent à soutenir que la valeur locative a été mal appréciée lors de l’évaluation primitive, ils peuvent réclamer soit dans un délai de six mois à partir de la publication du premier rôle où leur immeuble est cotisé, soit dans un délai de trois mois à partir de la publication des deux rôles suivants (Loi du 8 août 1890, art. 5 et 7, et loi du 18 juillet 1892, art. 33). Ces délais sont de rigueur, et leur expiration entraîne la non-recevabilité de la réclamation (4. Pour le délai de six mois après le premier rôle : 23 juillet 1892, Caïphes ; — 10 juillet 1893, Altery; — 5 mai 1894, Humbert. Pour le délai de trois mois après les deux rôles suivants : 2 décembre 1893, Jacob.).
Le contribuable qui réclame contre l’évaluation ne peut pas invoquer [283] tous les éléments de moins-value qui ont pu se produire jusqu’à la date de sa réclamation, ni même jusqu’au 1er janvier 1891, date de la mise en vigueur de la loi (1. Conseil d’État, 21 décembre 1894, Geneste.), mais seulement ceux qui existaient déjà lorsque le travail des évaluations a été fait par l’administration. La date de ce travail est déterminée par le procès-verbal de clôture des opérations faites dans la commune (2. Conseil d’État, 15 décembre 1893, de Vaux.). Si ces opérations ont donné lieu à plusieurs procès-verbaux correspondant à des circonscriptions différentes de la commune, on prend pour date celle du procès-verbal qui concerne la circonscription intéressée (3. Conseil d’État, 21 juillet 1894, Lecoulteux.).
Si le contribuable, au lieu de contester l’évaluation primitive, soutient que son immeuble a subi, depuis cette évaluation, une dépréciation résultant de circonstances exceptionnelles, il peut réclamer contre l’imposition portée aux rôles subséquents dans les trois mois de la publication de ces rôles (Loi de 1890, art. 7). Les communes peuvent aussi demander qu’il soit procédé à une nouvelle évaluation des propriétés bâties de leur territoire, non dans le cas ci-dessus où la moins-value n’affecte qu’une ou quelques propriétés déterminées, mais si des circonstances exceptionnelles ont produit une dépréciation générale des propriétés de la commune ou d’une fraction notable de son territoire (Loi de 1890, art. 8).
On s’est demandé si, dans ce dernier cas, le droit qu’à la commune de réclamer la revision exclut le droit des propriétaires de demander individuellement la réduction de leur imposition. Pour l’affirmative, on a invoqué par analogie les dispositions de la loi du 3 frimaire an VII et la jurisprudence rapportée ci-dessus, qui excluent les réclamations individuelles, dans les cas qui peuvent donner lieu à une revision des évaluations cadastrales à raison du caractère général de la dépréciation. Mais le principal motif de cette législation et de cette jurisprudence vient de ce que la réduction accordée à une propriété retomberait sur d’autres propriétés également éprouvées ; ce motif ne saurait être invoqué ici, puisque l’impôt foncier de la propriété bâtie a cessé d’être un impôt de répartition.
[284] Aussi le Conseil d’État a-t-il décidé que le droit de la commune n’exclut pas celui du propriétaire, et il a admis les réclamations individuelles dans un cas où la circonstance exceptionnelle invoquée (dans l’espèce la suppression d’un marché) avait affecté les immeubles de tout un quartier de la commune (1. Conseil d’État, 28 décembre 1894, Lambert.).
V. — CONTESTATIONS RELATIVES AUX POURSUITES
Règles générales de compétence. — Le recouvrement des contributions directes peut donner lieu à deux sortes de poursuites : les poursuites administratives qui consistent dans la sommation avec frais et la contrainte (2. D’après la loi du 17 brumaire an V, il y avait deux actes de poursuites administratives désignés sous le nom de garnison collective et de garnison individuelle. La loi du 9 février 1877 a supprimé la garnison individuelle et a remplacé la garnison collective par la sommation avec frais.) ; les poursuites judiciaires, qui consistent dans le commandement, la saisie et la vente des biens. De là une division naturelle des compétences d’après le caractère de l’acte de poursuite contre lequel le contribuable réclame.
Mais cette division doit être bien comprise : il ne faut pas l’interpréter comme créant deux périodes de temps, l’une antérieure et l’autre postérieure au commandement, pendant lesquelles tout le contentieux des poursuites appartiendrait successivement à la juridiction administrative et aux tribunaux judiciaires. Un pareil système serait doublement inexact : d’abord parce qu’il peut y avoir, avant le commandement, des actes de poursuites, et même des actes d’exécution faits en vertu de la contrainte, par exemple des saisies-arrêts, dont le contentieux est toujours judiciaire (3. Req. rej. 19 mars 1873, Legoubey. (Voy. les conclusions de M. l’avocat général Reverchon, Dali. Pér. 1878, I, 276.)) ; en second lieu, parce que les oppositions faites aux poursuites, pendant la période postérieure au commandement, peuvent soulever des questions relatives à la dette du contribuable envers le Trésor, lesquelles sont toujours du domaine de la juridiction administrative.
Il ne faut donc pas s’attacher à la date des contestations, mais à [285] leur objet ; or, on peut dire d’une manière générale que la compétence judiciaire ne s’applique qu’aux contestations dirigées contre la validité intrinsèque des actes de poursuite et d’exécution judiciaire, et non à celles qui ont pour objet les causes de ces poursuites, c’est-à-dire l’existence et la quotité de la dette du contribuable envers l’État.
Le contribuable ne peut en effet discuter sa dette, à un moment quelconque des poursuites, sans mettre en cause des actes, des décisions, des faits d’ordre administratif dont il n’appartient pas aux tribunaux de connaître. Ce caractère administratif est évident toutes les fois qu’il s’agit de la cote du contribuable, ou des décisions contentieuses ou gracieuses qui ont pu la modifier ; il apparaît également dans toutes les opérations de comptabilité de l’impôt entre le contribuable et le percepteur ; c’est pourquoi les contestations relatives aux paiements faits par le contribuable, aux émargements portés sur les registres de la perception, aux quittances délivrées par le percepteur, à l’imputation des paiements sur telle cote de contribution plutôt que sur telle autre, ne peuvent ressortir qu’à la juridiction administrative. « Dans toutes ces questions, dit très justement M. Serrigny, il s’agit toujours d’établir la quotité de la somme due au Trésor par le contribuable ; le débat a donc lieu entre l’intérêt collectif de l’État et le droit privé du redevable (1. Serrigny, Compétence administrative, t. II, n° 531.). »
La jurisprudence du Conseil d’État s’est affirmée en ce sens dès les premières applications de la législation en vigueur. Parmi ses plus anciennes décisions on peut citer : l’arrêté consulaire du 12 brumaire an XI, rendu sur conflit, qui déclare « que, d’après toutes les lois de la matière, la surveillance de la perception des contributions et le contentieux relativement au recouvrement entre le contribuable et le percepteur sont attribués à l’autorité administrative » ; le décret sur conflit du 18 juillet 1809 (Paga), qui décide qu’une contestation relative à la validité d’une quittance délivrée par le percepteur « porte sur les actes de la perception, se classe ainsi dans le contentieux des contributions directes, et rentre dans les attributions de l’autorité administrative ». Cette doctrine, [286] qu’un grand nombre d’arrêts ont également consacrée sous la Restauration (1. Conseil d’État, 24 mars 1820, Pujols ; — 30 juin 1824, Bressler ; — 15 juin 1825, Baudot ; — 15 mars 1826, Pétinaud.), trouve une nouvelle consécration dans un arrêt du 21 juillet 1876 (Ducatel), qui prononce sur la validité d’un paiement allégué par un contribuable, bien que la question fût celle de savoir si ce paiement avait été réellement effectué, et entre les mains d’une personne ayant qualité pour le recevoir (2. Voy. dans le même sens un arrêt de Ia cour d’appel de Douai du 25 janvier 1875 rappelé par M. Durieu (Poursuites en matière de contributions directes, t. II, p. 178). Nous ne pensons pas qu’on puisse invoquer en sens contraire une décision du Tribunal des conflits du 15 décembre 1888 (préfet de la Nièvre c. Moreau) qui admet la compétence judiciaire sur la réclamation d’un contribuable tendant à faire condamner le percepteur personnellement à restituer une somme qu’il avait reçue sans l’affecter à la libération de ce contribuable. En effet, dans cette espèce, le contribuable reconnaissait que le versement litigieux, dont il ne s’était pas fait donner de quittance régulière, ne pouvait pas le libérer à l’égard du Trésor ; il avait même renouvelé ce paiement en forme régulière ; son action ne tendait qu’à mettre en jeu la responsabilité personnelle du percepteur ; elle ne soulevait, comme le dit le Tribunal des conflits, qu’une « contestation entre simples particuliers » dans laquelle le Trésor était désintéressé.).
Nous ne voyons guère qu’un cas où le contentieux du paiement de l’impôt cesserait d’appartenir au juge administratif, ce serait celui où les pièces et registres opposés par le percepteur seraient argués de faux par le contribuable. Mais nous n’admettrions pas avec M. Durieu que le contentieux du paiement fût également transféré à l’autorité judiciaire, si le contribuable jugeait à propos d’invoquer la preuve testimoniale contre le percepteur, ou de lui déférer le serment décisoire (3. Op. cit., t. II, p. 157 et 395. — M. Durieu cite un arrêt du 3 décembre 1828 (Dutremblay) qui ne nous paraît pas consacrer la solution qu’il propose.) ; ces modes de preuve ne nous paraissent pas de nature à établir la libération d’un contribuable, laquelle ne peut résulter que d’une quittance du percepteur ou de son commis (4. Voy. avis du Conseil d’État des 19 avril et 18 octobre 1816 et du 4 mai 1822, cités dans les observations du ministre des finances rapportées au Recueil des arrêts du Conseil d’État, 1876, p. 701.).
La compétence judiciaire n’a donc réellement pour objet, entre le contribuable et l’administration, que la validité des actes de poursuite qui relèvent du droit commun (commandement, saisie, exécution sur les biens), c’est-à-dire la question de savoir si ces [287] actes sont réguliers en la forme et susceptibles de produire leurs effets légaux, et aussi celle de savoir si les poursuites sont frappées de déchéance pour avoir été exercées plus de trois ans après la remise du rôle au percepteur, ou pour être restées suspendues pendant ce délai (1. Loi du 3 frimaire an VII, art. 149 ; arrêté du 16 thermidor an VIII, art. 17. — Quelques arrêts du Conseil d’État ont même décidé que la question de déchéance ressortit toujours aux tribunaux judiciaires, même quand elle se pose à propos de poursuites administratives (14 novembre 1821, Héraud ; — 26 décembre 1852, ville d’Alger) ; — mais cette jurisprudence, qui reposait sur une assimilation inexacte entre cette prescription spéciale et la prescription de droit civil, a été abandonnée par le Conseil d’État, qui réserve au conseil de préfecture la question de savoir si la poursuite administrative est périmée (2 mars 1877, ville de Paris ; — 2 août 1878, de Béarn ; — 4 février 1881, Dazet).).
Il résulte de ce qui précède que la compétence judiciaire est très limitée quand il s’agit de contestations entre l’administration et le redevable. Elle est au contraire très étendue et à peu près exclusive lorsqu’il s’agit de contestations entre l’administration et des tiers, qui viennent s’opposer aux effets des poursuites, soit en revendiquant la propriété des biens saisis, soit en contestant l’exercice du privilège du Trésor sur les biens de leur débiteur commun. Nous aurons à revenir sur ce point en parlant des poursuites exercées contre les tiers.
La compétence judiciaire ne comporte même aucun partage lorsque le contribuable, ayant acquitté l’impôt sous le coup de poursuites, exerce contre le percepteur l’action en répétition prévue par l’article final de la loi de finances, en soutenant que l’impôt n’était pas légalement autorisé. L’autorité judiciaire, juge de cette action, n’a même pas à soumettre à la juridiction administrative, sous forme de question préjudicielle, la question de légalité des actes invoqués à l’appui de la perception.
Après ces indications générales sur les règles de compétence, voyons les applications dont elles sont susceptibles dans les diverses contestations auxquelles peuvent donner lieu les poursuites.
Demandes en cessation de poursuites. — Les demandes en cessation de poursuites ne tendent pas à critiquer les actes de poursuites ou d’exécution à raison de vices qui leur seraient propres, [288] mais à paralyser ou à suspendre le recouvrement que ces actes ont pour but d’assurer. Elles peuvent se fonder sur ce que la personne poursuivie n’est pas le débiteur de la taxe, ni le représentant de ce débiteur, soit à titre d’héritier, soit à titre d’associé, de directeur, d’administrateur, de gérant, si le contribuable poursuivi est une société civile ou commerciale ou toute autre collectivité imposable.
La demande en cessation de poursuites peut également se fonder sur ce que les douzièmes réclamés ne seraient pas encore échus, ou sur ce qu’ils ne seraient pas exigibles quoique échus. Ce dernier cas est prévu par l’article 28 de la loi du 21 avril 1832, d’après lequel les réclamations en matière de contributions directes doivent être jugées dans les trois mois ; si elles ne le sont pas, le contribuable a le droit de différer, jusqu’à ce que le jugement soit rendu, le paiement des termes qui viennent à échoir après ce délai.
Pour obtenir la cessation ou la suspension des poursuites, le contribuable peut s’adresser d’abord au sous-préfet, qui a visé la contrainte et qui peut en suspendre les effets ; puis au conseil de préfecture. Mais il ne peut pas s’adresser à l’autorité judiciaire, même s’il est sous le coup d’une saisie, et lui demander, soit par la voie du référé, soit par action principale, de prononcer un sursis, par application de l’article 28 précité, jusqu’à ce que le conseil de préfecture ait statué sur sa réclamation, ou de lui accorder terme et délai pour le paiement. Le tribunal ne pourrait accueillir ces conclusions sans faire obstacle au recouvrement du rôle, et à la contrainte administrative dont la saisie n’est qu’un mode d’exécution (1. Conseil d’État, 28 juillet 1819, Reybaud ; — 3 décembre 1846, sur conflit, de Genoude ; — 9 décembre 1858, syndicat de la Chalaronne ; — 21 décembre 1858, Pebernard.).
Mais si la demande en discontinuation de poursuites était fondée sur une des causes qui peuvent motiver l’annulation des actes de poursuites judiciaires, et qui sont examinées ci-après, l’autorité judiciaire, compétente pour arrêter les poursuites, aurait, à plus forte raison, qualité pour les suspendre.
Demandes en annulation des actes de poursuites. — Ces demandes [289] peuvent se fonder sur deux moyens d’ordre très différent : — 1° sur des moyens du fond, tirés de ce que les causes de la poursuite ne seraient pas justifiées, sur ce que le contribuable ne serait pas débiteur de ce qu’on lui réclame ; — 2° sur des moyens de forme, tirés de ce que les actes de poursuites, considérés en eux-mêmes, ne seraient pas conformes aux lois de procédure administrative ou judiciaire qui les régissent, et par suite ne seraient pas valables.
Lorsque les actes attaqués sont des actes de poursuites administratives, tous les moyens de forme et de fond peuvent être invoqués devant le conseil de préfecture qui est à la fois le juge de la dette et celui des poursuites. Le conseil doit donc prononcer l’annulation de ces actes, s’ils ne sont pas justifiés par une créance actuelle de l’État (1. Conseil d’état, 22 février 1821, de Yillenouvette ; — 21 juillet 1876, Ducatel ; — 3 décembre 1886, Lèchelle (4e esp.) ; — 10 février 1894, Bontroux ; — 5 mai 1894, Rocamora.) ou s’ils sont irréguliers par suite d’un vice de forme ou d’un défaut de qualité de l’agent (2. Conseil d’État, 17 janvier 1814, Pons ; — 22 février 1821, de Villenouvette ; — 6 août 1886, Giraud ; — 3 décembre 1886, Lèchelle (3e esp.).).
Ce droit d’annulation cesse-t-il d’appartenir au conseil de préfecture lorsque les actes de poursuites judiciaires ont succédé à l’acte administratif attaqué ? L’affirmative résulte de plusieurs arrêts, notamment d’un arrêt du 3 décembre 1886 (Lèchelle). Il s’agissait, dans cette affaire, d’une demande en annulation d’une sommation avec frais, qui n’avait été formée qu’au cours d’une procédure de saisie et alors que les affiches annonçant la vente avaient déjà été apposées ; l’arrêt décide « qu’en cet état des poursuites, il n’appartenait plus qu’à l’autorité judiciaire de connaître de la demande du sieur Lèchelle, sauf à elle à renvoyer à la juridiction compétente la question préjudicielle de régularité et de validité des actes administratifs de poursuite ; que dès lors le conseil de préfecture et par suite le Conseil d’État sont incompétents pour statuer sur ladite demande » (3. Même solution : Conseil d’État, 24 décembre 1886, ministre des finances ; — 29 avril 1887, Larrieu. — Cette jurisprudence est contraire à celle qui résultait d’un arrêt sur conflit du 22 février 1821, de Villenouvette.).
Il résulte de cette jurisprudence que les poursuites doivent toujours [290] être considérées dans leur dernier état ; qu’il n’appartient pas au contribuable d’en attaquer directement les préliminaires administratifs lorsque les procédures judiciaires sont en cours d’exécution ; qu’il doit prendre à partie ces procédures elles-mêmes qui absorbent, en quelque sorte, toutes celles qui les ont précédées. Cette manière de concevoir le contentieux des poursuites est conforme à la tendance générale qu’a la jurisprudence du Conseil d’État d’attribuer exclusivement compétence à l’autorité judiciaire (sous réserve des questions préjudicielles), lorsque des actes administratifs n’ont fait que précéder et préparer des actes de droit commun. Ce sont alors ces derniers actes, une fois consommés, qui doivent être l’unique objectif de la réclamation, ainsi qu’on le décide, par exemple, lorsqu’il s’agit de contrats civils passés à la suite d’autorisations administratives.
Lorsque les actes auxquels le contribuable fait opposition sont des actes de poursuites et d’exécution judiciaires (commandement, saisie, vente, saisie-arrêt), le tribunal civil est seul compétent pour apprécier la régularité de ces actes et les effets légaux dont ils sont susceptibles (1. Conseil d’État, 10 février 1835, Regnault ; — 31 mai 1854, Robert ; — 22 mars 1878, Seillon ; — 22 juin 1888, Estier ; — 13 décembre 1890, Blancou. Tribunal des conflits, 2 avril 1881, Busselet.).
Mais il n’en est pas de même s’il s’agit d’apprécier les causes de la poursuite, les titres en vertu desquels l’administration veut contraindre son débiteur. L’autorité judiciaire ne peut alors qu’appliquer les décisions émanées de l’autorité administrative, ou provoquer, dans certains cas, par voie de question préjudicielle, les solutions qui lui seraient nécessaires pour statuer sur le litige.
Ainsi, il appartient aux tribunaux judiciaires d’annuler une saisie, à la suite d’une décision du conseil de préfecture ou du Conseil d’État qui a déchargé le contribuable de la taxe pour laquelle il était poursuivi, ou qui a annulé la contrainte servant de base au commandement et, par suite, à la saisie (2. Conseil d’État, 22 mars 1878, Seillon ; — 30 juillet 1880, Maurel.). Le tribunal ne fait alors qu’assurer, en ce qui le concerne, l’exécution d’une décision émanée de la juridiction compétente ; il n’aurait à surseoir que si le sens et la portée de cette décision étaient contestés et donnaient [291] lieu à une question préjudicielle d’interprétation. La solution serait la même si, au lieu d’une décision contentieuse, le contribuable produisait une décision gracieuse lui accordant remise de la taxe.
Supposons maintenant qu’il n’existe pas de décision administrative libérant le contribuable, et que celui-ci demande l’annulation de la saisie, en se fondant sur ce qu’il a été mal imposé ou sur ce qu’il s’est libéré par un paiement. Le tribunal est manifestement incompétent pour statuer sur ces moyens ; mais doit-il rejeter de piano la demande, ou bien doit-il la retenir en renvoyant à la juridiction administrative les questions préjudicielles dont la solution lui paraîtrait nécessaire ?
Cette question est délicate, et nous pensons qu’elle doit être résolue d’après certaines distinctions.
Si la validité de la saisie ou de tout autre acte d’exécution judiciaire dépend de la régularité des sommations ou de la contrainte, le tribunal doit retenir la contestation, mais surseoir à statuer jusqu’à ce que le conseil de préfecture ait apprécié la régularité de ces actes administratifs. Le Conseil d’État s’est prononcé en ce sens, notamment par l’arrêt précité du 3 décembre 1886 (Lèchelle).
Nous pensons qu’il doit en être de même si le contribuable allègue qu’il s’est libéré, depuis la contrainte, par un paiement dont l’existence et le caractère libératoire sont contestés par l’administration. Dans ce cas, le paiement invoqué ne tend pas à infirmer la contrainte, puisqu’il lui est postérieur ; il tend seulement à infirmer la saisie, et à juste titre, puisque celle-ci ne peut subsister que s’il y a dette, et pour le montant actuel de la dette. Il est donc naturel que le juge de la saisie puisse demander au juge de l’impôt si la dette a été éteinte ou réduite par des paiements.
Il en doit être autrement si la validité de la saisie n’est pas l’objectif réel de la réclamation portée devant le tribunal, et si elle n’est mise en question qu’à raison de difficultés pendantes entre le contribuable et l’administration au sujet de la taxe, ou de paiements antérieurs à la contrainte. Dans ce cas, en effet, la véritable question est de savoir si le contribuable a été bien imposé ou si la contrainte décernée contre lui l’a été pour le chiffre réel de sa dette. De telles questions ne peuvent être portées devant la juridiction [292] administrative que par voie d’action principale, parce qu’elles aboutissent réellement soit à une demande en dégrèvement, soit à une demande en annulation d’actes de poursuites administratives ; or ces deux sortes de réclamations ne peuvent se produire que dans un délai de trois mois, qui court de la publication des rôles, s’il s’agit d’une demande en dégrèvement, ou de la signification de l’acte de poursuite, s’il s’agit de l’annulation de cet acte (1. Conseil d’État, 18 novembre 1881, de Saint-Ours.). Si donc on admettait que ces réclamations peuvent se produire incidemment, au cours d’une contestation sur la saisie, et sous forme de questions préjudicielles affranchies de tout délai, on permettrait au contribuable de faire revivre, au moyen d’une procédure judiciaire, des contestations qui sont définitivement éteintes en vertu des lois administratives.
En vain essaierait-on ici de distinguer entre l’action directe qui resterait périmée, et une décision purement préjudicielle qui apprécierait la validité de la taxe ou de la contrainte, sans infirmer la force exécutoire du rôle ni celle de l’acte de poursuite.
Une telle distinction ne pourrait conduire qu’à des résultats inadmissibles : à quoi servirait en effet que le conseil de préfecture, par une décision préjudicielle, déclarât que la taxe a été mal imposée ou que la contrainte n’était pas justifiée ? Du moment que le rôle ou la contrainte n’auront pas été directement attaqués ou annulés, la taxe n’en devra pas moins être recouvrée et la contrainte exécutée. Nonobstant la décision préjudicielle, le percepteur restera toujours chargé, sous sa responsabilité personnelle, d’assurer le recouvrement par toutes les voies de droit. Cette décision préjudicielle ne serait donc pas seulement inutile, elle serait nuisible, puisqu’elle ne servirait qu’à mettre en lumière l’irrégularité d’un impôt qui n’en devrait pas moins être recouvré.
Il suit de là qu’il n’y a pas, en pareil cas, matière à question préjudicielle, et que le tribunal doit rejeter de piano l’opposition faite au commandement ou à la saisie, toutes les fois que le contribuable conteste la dette mise à sa charge par le rôle ou par la contrainte (2. Pour les raisons exposées ci-dessus, nous ne pouvons pas accepter sans réserve la doctrine d’une décision du Tribunal des conflits (2 avril 1881, Busselet) qui a renvoyé au conseil de préfecture le jugement d’une question préjudicielle dans les circonstances suivantes : — le président d’une société philharmonique, imposé au droit des pauvres en vertu d’un rôle exécutoire, avait fait opposition au commandement et assigné le percepteur en dommages-intérêts, en se fondant notamment sur ce que la taxe n’était pas due, et sur ce qu’en tout cas elle n’était pas due par lui en sadite qualité. — L’arrêt décide « que le sieur Bussolet soulevait ainsi des difficultés sur la taxe même, ainsi que sur la personne qui en serait redevable et que si, envisagée à ce point de vue, sa réclamation ne constituait pas absolument une demande en décharge, elle soulevait tout au moins des questions préjudicielles qui n’étaient pas de la compétence de l’autorité judiciaire et dont il ne pouvait appartenir qu’au conseil de préfecture de connaître… ; que de ce qui précède il résulte que, si le préfet de la Dordogne n’a pu valablement revendiquer dans son ensemble pour l’autorité administrative la connaissance de la contestation, il y a lieu toutefois de confirmer son arrêté en ce qu’il a décliné la compétence du tribunal et a élevé le conflit d’attributions, en tant que le débat portait sur les questions et difficultés précitées, dont l’appréciation ne rentrait pas dans la compétence de l’autorité judiciaire. » Nous adhérons à la doctrine de cet arrêt en ce qui touche l’incompétence des tribunaux judiciaires sur les questions dont il s’agit, et qui n’étaient autres que des questions de dégrèvement ; mais nous nous en séparons en ce qui touche la réserve d’un débat préjudiciel ayant ces questions pour objet, parce qu’elles ne pouvaient être soulevées que par voie d’action principale dirigée contre le rôle. Par cela seul que le contribuable n’apportait pas au tribunal une décision du conseil de préfecture le déchargeant de l’impôt et mettant le rôle à néant à son égard, le tribunal ne pouvait, selon nous, que rejeter de piano l’opposition faite au commandement, et non subordonner le sort de cet acte à une appréciation préjudicielle de la légalité de la taxe.).
[293] Des poursuites exercées contre des tiers. — Nous n’avons parlé jusqu’ici que des poursuites exercées contre le contribuable inscrit au rôle ; nous devons maintenant examiner le cas où des tiers sont tenus de payer l’impôt en l’acquit du contribuable, et où des poursuites peuvent être exercées contre eux.
On doit d’abord rechercher, pour déterminer les compétences, si le tiers est poursuivi comme étant devenu personnellement débiteur de l’impôt, ou comme étant nanti de valeurs qui appartiennent au contribuable et sur lesquelles le Trésor prétend faire valoir ses droits.
Un propriétaire peut devenir personnellement débiteur d’un impôt qui n’est pas le sien, lorsqu’il laisse déménager ses locataires, assujettis à la contribution mobilière ou à celle des patentes, sans s’assurer qu’ils ont entièrement acquitté l’impôt de l’année courante et sans avoir, à défaut de cette justification, donné avis du déménagement au percepteur (1. Loi du 21 avril 1832, art. 22 et 23 ; — loi du 15 juillet 1880, art. 30.). En pareil cas, il paraît conforme aux principes de la matière que les contestations qui s’élèvent entre le propriétaire et l’administration soient jugées [294] par le conseil de préfecture, puisque ce propriétaire est poursuivi comme débiteur personnel de l’impôt, à raison de la responsabilité que sa négligence lui a fait encourir. Le contraire avait cependant été jugé par un arrêt du 17 septembre 1838 (Lavaud) qui posait en principe « que l’application de ladite responsabilité et les poursuites faites en exécution contre des tiers non compris au rôle sont de la compétence des tribunaux », mais cet arrêt reposait sur une confusion entre le cas où le tiers devient personnellement débiteur de l’impôt, et celui où il est seulement détenteur des deniers du contribuable ; aussi n’a-t-il pas fait jurisprudence ; le Conseil d’État a toujours reconnu, depuis, que la compétence appartient au conseil de préfecture (1. Conseil d’État, 2 mars 1849, Bourgeois ; — 31 juillet 1856, Ardisson ; — 19 février 1863, de Calvière; — 8 novembre 1878, Pierlot ; — 6 décembre 1889, Grou ; — 24 mai 1890, Debord.).
Il en est de même pour les poursuites qui peuvent être exercées, en vertu de l’article 147 de la loi du 3 frimaire an VII, contre les fermiers ou locataires, pour le paiement de la contribution foncière assise sur l’immeuble qu’ils tiennent à ferme ou à loyer. A la vérité, ce paiement ne leur est réclamé qu’en l’acquit du propriétaire, la loi leur permet même de l’imputer sur le premier terme de leurs loyers ou fermages ; mais ils n’en sont pas moins tenus, sous réserve de ce remboursement ultérieur, d’effectuer le paiement de leurs deniers personnels comme débiteurs directs du Trésor. A ce titre, ils sont, eux aussi, justiciables au conseil de préfecture (2. Conseil d’État, 27 janvier 1843, Chanard.).
Au contraire, la compétence appartient à l’autorité judiciaire lorsque le tiers est personnellement étranger à la dette de l’impôt, et n’est poursuivi que comme détenteur de sommes et valeurs appartenant au contribuable et affectées au privilège du Trésor. Ce cas est prévu par la loi du 12 novembre 1808, dont l’article 2 enjoint à « tous fermiers, locataires, receveurs, économes, notaires, commissaires-priseurs et autres dépositaires et débiteurs de deniers provenant du chef des redevables et affectés au privilège du Trésor public » d’acquitter les impôts dus par ces redevables, sur le montant des sommes qu’ils doivent ou qui sont entre leurs mains. On [295] voit que cette disposition crée de plein droit une sorte de saisie-arrêt au profit du Trésor (1. Cette saisie s’opère en vertu d’une sommation faite au tiers par le percepteur et, s’il y a lieu, d’une contrainte nominative.). Il est donc naturel que la compétence appartienne aux tribunaux judiciaires, soit sur les questions relatives à la qualité du tiers saisi, à ses rapports avec le redevable, aux privilèges réclamés sur les sommes saisies par d’autres créanciers du contribuable, soit sur la forme et les effets des poursuites exercées par le Trésor. C’est pourquoi la jurisprudence du Conseil d’État reconnaît à ces tribunaux le droit d’annuler les actes de poursuites reconnus irréguliers, d’ordonner le remboursement des sommes perçues à tort, et d’allouer au tiers des dommages-intérêts en cas de poursuites manifestement abusives (2. Conseil d’État, 11 janvier 1865, Gallut ; — 4 juin 1870, Christophe ; — 27 décembre 1878, Colard ; — 12 mars 1880, Salin. Cf. Tribunal des conflits, 30 juin 1877, Monet.).
Mais si le tiers, au lieu de discuter ses rapports avec le contribuable, entendait discuter les rapports du contribuable avec l’État, par exemple la légalité ou la quotité de la taxe ou les effets de paiements effectués par le redevable, il va de soi que la compétence ferait retour au conseil de préfecture, seul juge de la situation du contribuable au regard du Trésor (3. Conseil d’État, 22 août 1838, Hamel ; — 19 février 1833, de la Carrière ; — 22 décembre 1882, percepteur de Lille.).
Remarquons en terminant que, dans le cas où un tiers revendique la propriété de meubles saisis pour le paiement de contributions, l’article 4 de la loi du 12 novembre 1808 veut que l’action à exercer devant les tribunaux judiciaires soit précédée d’une demande formée devant l’autorité administrative. Il ne s’agit pas là d’une réclamation contentieuse devant le conseil de préfecture, lequel ne saurait connaître de l’action en revendication, mais d’une requête au préfet, afin qu’il puisse ordonner la suspension de la poursuite et même donner mainlevée de la saisie, si la réclamation du tiers lui paraît fondée. La compétence du préfet, sur laquelle des doutes s’étaient d’abord élevés, a été définitivement reconnue par un avis du Conseil d’État du 28 août 1823 et consacrée par la jurisprudence du contentieux (4. Conseil d’État, 17 février 1853, Brosse ; — 28 février 1856, Peyte.).
[296]
VI. — RÉCLAMATIONS DES PERCEPTEURS
États de cotes irrecouvrables. — Les rôles de contributions ne sont pas seulement obligatoires pour les contribuables ; ils le sont aussi pour les percepteurs chargés de leur recouvrement. D’après la loi du 17 brumaire an V (art. 2) et l’arrêté du 16 thermidor an VIII (art. 30), les percepteurs sont personnellement responsables du recouvrement des contributions portées sur les rôles, et débiteurs envers le Trésor du montant de chaque cote.
Mais s’il importe que l’État soit ainsi protégé contre la négligence du percepteur, il est de toute justice que celui-ci ne soit pas exposé à des risques excessifs et ne réponde pas de recouvrements devenus impossibles. L’impossibilité de recouvrer le montant intégral du rôle peut résulter de ce que des contribuables, recensés à l’époque de la confection des rôles, sont morts ou ont quitté la commune sans faire connaître le lieu de leur nouvelle résidence, ou bien sont devenus insolvables. Dans ce cas, les cotes sont dites irrecouvrables ; le percepteur en dresse un état qu’il présente au préfet dans les deux mois qui suivent l’expiration de l’exercice ; le préfet le décharge du montant de ces cotes qu’il impute sur le fonds de non-valeur.
En cas de refus du préfet d’admettre en non-valeur tout ou partie de ces cotes, le percepteur peut s’adresser par la voie hiérarchique au ministre des finances ; mais il ne peut attaquer par la voie contentieuse ni la décision du préfet ni celle du ministre, parce que les imputations à faire sur le fonds de non-valeur relèvent uniquement de l’administration active (1. Arrêté du 24 floréal an VIII, art. 28. — Conseil d’État, 9 mars 1853, Sando ; — 27 mars 1857, percepteur de Coudat,). Les états de cotes irrecouvrables sont donc pour les percepteurs ce que les demandes en remise ou modération sont pour les contribuables, c’est-à-dire des demandes administratives et gracieuses qui ne peuvent être portées ni devant le conseil de préfecture ni devant le Conseil d’État.
États de cotes indûment imposées. — Entre la date de la confection [297] des rôles et celle de leur remise au percepteur, il peut se produire des faits qui modifient ou font disparaître la matière imposable, de telle sorte que la cote n’a plus de raison d’être au moment où le percepteur est chargé de la recouvrer. Tel est le cas où le contribuable imposé à la contribution mobilière ou à la patente a cessé, avant le 1er janvier, d’avoir une habitation meublée ou d’exercer sa profession, ou le cas où une maison a été démolie avant cette date. La cote est dite alors indûment imposée, car l’impôt se règle d’après les faits existants au 1er janvier et non d’après ceux qui existaient à l’époque de la confection des rôles, souvent antérieure de plusieurs mois. La cote indûment imposée ne doit plus figurer au rôle ; mais lorsqu’elle concerne une taxe susceptible de réimposition, elle ne doit pas grever le fonds de non-valeur, elle doit être réimposée l’année suivante. De là naît un autre recours qui est, pour le percepteur, ce que la demande en décharge ou en réduction est pour le contribuable, et qui est porté devant la juridiction contentieuse.
Pendant longtemps ce recours a été exercé sans avoir l’appui d’aucun texte. Le Conseil d’État admettait, d’accord avec le ministère des finances, que le percepteur pouvait, à raison de sa responsabilité personnelle, exercer l’action en dégrèvement qui appartenait au contribuable indûment imposé, et agir devant le conseil de préfecture en vertu de l’article 4 de la loi de pluviôse an VIII et des articles 28 et 29 de la loi du 21 avril 1832. Mais cette jurisprudence, qui avait donné lieu, en doctrine, à de graves objections (1. Voy. Gabriel Dufour, Droit administratif, t. IV, p. 215 et suiv.), fut abandonnée en 1844 ; le Conseil d’État décida, par un arrêt du 27 décembre 1844 (percepteur de Limoges), qu’aucune loi ne conférait aux percepteurs le droit de demander aux conseils de préfecture la décharge ou la réduction des taxes inscrites sur les rôles dont le recouvrement leur est confié, et que les percepteurs n’avaient d’autre droit que de se faire exempter de toute responsabilité, quand ils justifiaient, en fin d’exercice, que les cotes étaient irrecouvrables.
Cette jurisprudence, quoique fondée en droit, avait plusieurs inconvénients : elle infirmait des pratiques anciennes et officiellement [298] consacrées par l’instruction générale du ministre des finances du 17 juin 1840 ; elle faisait retomber sur le fonds de non-valeur le montant de toutes les cotes indûment imposées, lesquelles ne pouvaient plus désormais figurer que sur les états de cotes irrecouvrables ; elle obligeait les percepteurs à prouver que la cote était irrecouvrable, par des poursuites reconnues inutiles et dont les frais étaient frustratoires. C’est pourquoi le Gouvernement jugea nécessaire de faire consacrer par une loi le droit de recours des percepteurs ; l’article 6 de la loi de finances du 3 juillet 1846 les autorisa à présenter, dans les trois mois de la publication des rôles, des états de cotes indûment imposées, sur lesquels le conseil de préfecture prononce, après une instruction faite par les agents des contributions directes, comme s’il s’agissait de demandes en dégrèvement. Ce texte décida en outre que le montant des décharges serait reporté au rôle de l’année suivante, pour les impôts de répartition susceptibles de réimposition.
Malgré cette solution législative, de nouvelles difficultés survinrent. Les percepteurs, ne pouvant pas toujours reconnaître dans le délai de trois mois toutes les cotes indûment imposées, prirent l’habitude de les faire figurer, lorsqu’elles leur avaient échappé, sur les états de cotes irrecouvrables présentés en fin d’exercice. Le Conseil d’État refusa de sanctionner cette pratique qui tendait à éluder le délai fixé par la loi de 1846, et à faire imputer sur le fonds de non-valeur des cotes qui auraient dû être réimposées (1. Conseil d’État, 17 mars 1853, Leharivel.).Cette fois encore la loi est intervenue pour étendre le droit de recours des percepteurs ; l’article 16 de la loi de finances du 22 juin 1854 les a autorisés à demander, en fin d’exercice, au conseil de préfecture, décharge des cotes indûment imposées qui n’auraient pas été comprises en temps utile dans l’état prévu par la loi de 1846, mais à une condition, c’est qu’il s’agisse de cotes « dont l’irrecouvrabilité serait d’ailleurs dûment constatée ». Le percepteur ne peut donc pas, après le délai de trois mois, demander décharge d’une cote indûment imposée, s’il n’a pas fait toutes les diligences nécessaires pour en démontrer l’irrecouvrabilité.
Le Conseil d’État, tout en reconnaissant les nouveaux droits accordés [299] aux percepteurs par les lois de 1846 et de 1854, n’a cependant pas pensé qu’ils pussent avoir pour conséquence de dispenser les contribuables de former eux-mêmes les demandes en décharge qui leur incombent, et de faire du percepteur une sorte de negotiorum gestor des redevables négligents. L’exposé des motifs de la loi du 22 juin 1854 déclare d’ailleurs que « les percepteurs ne seront pas admis à inscrire sur leurs états de fin d’année des cotes indûment imposées, omises dans leurs premiers états et qui concerneraient des contribuables connus et solvables ». C’est pourquoi le Conseil d’État n’admet pas que le percepteur puisse demander décharge au lieu et place de contribuables solvables, qui ont continué de résider dans la commune ou qui, l’ayant quittée, ont une nouvelle résidence connue du percepteur et où celui-ci peut les poursuivre au moyen de contraintes extérieures (1. Conseil d’État, 27 avril 1854, Fontaine ; — 20 novembre 1856, Brocard ; 18 mars 1857, Taquet ; — 18 janvier 1860, percepteur de Vergt.).
En résumé, les percepteurs peuvent se faire décharger de leur responsabilité par trois sortes de demandes, qui sont : —1° pour les cotes bien imposées, mais irrecouvrables, des états présentés en fin d’exercice au préfet, sauf recours au ministre des finances, et qui ne peuvent donner lieu à aucun débat contentieux (arrêté du 24 floréal an VIII, art. 28) ; —2° pour les cotes indûment imposées, même si elles sont recouvrables, des états de cotes indûment imposées, présentés au conseil de préfecture dans les trois mois de la publication des rôles, et qui ont le caractère de réclamations contentieuses (Loi du 3 juillet 1846, art. 6) ; —3° pour les cotes qui sont à la fois indûment imposées et irrecouvrables, des états présentés en fin d’exercice au conseil de préfecture et qui ont également le caractère de réclamations contentieuses (Loi du 22 juin 1854, art. 16).
En dehors des états que les percepteurs peuvent ainsi présenter, l’article 3 de la loi de finances du 21 juillet 1887 prévoit de nouveaux états de cotes indûment imposées qui pourront être soumis, à toute époque, au conseil de préfecture non par le percepteur, mais par le directeur des contributions directes : « Les cotes ou portions de cotes qui seront reconnues former double emploi, ou avoir été mal établies par suite d’erreurs matérielles d’écriture ou de [300] taxation, pourront en tout temps être inscrites par le directeur des contributions directes sur des états particuliers de cotes indûment imposées, et être soumises au conseil de préfecture pour qu’il en prononce le dégrèvement ».
Pourvoi des percepteurs devant le Conseil d’État. — Les percepteurs sont-ils recevables à déférer au Conseil d’État, en leur nom personnel, les décisions des conseils de préfecture qui refusent de les décharger d’une cote indûment imposée ? Pendant longtemps, le Conseil d’État s’est prononcé pour la négative et n’a reconnu le droit de recours qu’au ministre des finances (1. Conseil d’État, 17 mars 1853, Riquet ; — 27 avril 1857, percepteur d’Allanche ; — 26 mars 1863, Linas ; — 7 août 1872, Bacre.) ; toutefois, il se tenait pour valablement saisi si le ministre, sur la communication qui lui était faite du pourvoi du percepteur, déclarait se l’approprier. Cette jurisprudence se fondait sur ce que les réclamations des percepteurs pour cotes indûment imposées intéressent le service du recouvrement de l’impôt qui doit, comme les autres services publics, être représenté devant le Conseil d’État par le ministre compétent. Mais une jurisprudence plus récente a reconnu qualité au percepteur pour former le pourvoi (2. Conseil d’État, 7 mai 1880, percepteur de Baume-les-Dames ; — 12 mai 1882, percepteur de Spincourt ; — 8 juin 1888, Marx.). Nous la croyons mieux fondée que celle qui avait d’abord prévalu. En effet, dans les recours dont il s’agit, ce n’est pas à proprement parler le recouvrement de l’impôt qui est en jeu, mais la responsabilité personnelle du percepteur ; le service public est désintéressé, puisque si la cote n’est classée ni comme irrecouvrable ni comme indûment imposée, et si, d’autre part, le contribuable n’en a pas obtenu décharge, le percepteur est tenu d’en représenter le montant. Par la même raison, le percepteur a un intérêt personnel et pécuniaire à obtenir du Conseil d’État la décharge de responsabilité qui lui aurait été refusée à tort par le conseil de préfecture. Il est donc juste qu’il puisse lui-même faire appel, sauf au ministre des finances à émettre tel avis que de droit sur le pourvoi qui lui sera communiqué.
Toutefois, le Conseil d’État n’admet pas qu’un percepteur lui [301] défère, par la voie de l’appel, un arrêté du conseil de préfecture qui a accordé à un contribuable décharge ou réduction d’une contribution qu’il avait été contraint de payer, et a ordonné que le montant lui en serait remboursé. La seule voie de recours ouverte dans ce cas au percepteur est la tierce-opposition (1. Conseil d’État, 3 novembre 1882, percepteur de Livry ; — 26 février 1886, Monnier ; — 13 février 1892, Arnal.).
En ce qui touche les états particuliers de cotes indûment imposées que l’article 3 de la loi du 21 juillet 1887 permet au directeur des contributions directes de présenter au conseil de préfecture, nous ne pensons pas que les décisions par lesquelles ce tribunal refuserait de prononcer le dégrèvement de tout ou partie de ces cotes, puissent être déférées au Conseil d’État autrement que par un pourvoi du ministre des finances. Dans ce cas, en effet, le service public est seul en jeu, et non la responsabilité personnelle du directeur qui présente l’état.
VII. — RÈGLES DE PROCÉDURE
Les contributions directes donnent lieu chaque année à plus de trois cent mille réclamations (2. Le chiffre a varié, dans ces dix dernières années, de 300,000 à 380,000, et même à 400,000 (en 1887), y compris les réclamations contre les impôts communaux et les autres taxes assimilées aux contributions directes qui ont varié de 70,000 à plus de 150,000. — Voy. les tableaux statistiques, t. I, p. 295.). La procédure doit donc être très rapide pour que le recouvrement des rôles ne soit pas longtemps incertain, très économique pour que le contribuable ne soit jamais gêné dans l’exercice de son droit. Elle a pour base trois articles (28, 29 et 30) de la loi du 21 avril 1832, et l’arrêté consulaire du 24 floréal an VIII, auxquels se sont ajoutées quelques dispositions des lois de finances du 29 décembre 1884 et du 21 juillet 1887. La loi du 22 juillet 1889 sur la procédure des conseils de préfecture n’a pas modifié ces règles, pour tout ce qui touche l’introduction et l’instruction des réclamations. Elle les a même formellement maintenues par son article 11, § 1, qui porte que « les réclamations en matière de contributions directes continueront à [302] être présentées et instruites dans les formes prescrites par les lois spéciales de la matière ».
La rapidité de la procédure est assurée par deux dispositions, dont l’une oblige le contribuable à réclamer dans les trois mois de la publication des rôles, et dont l’autre prescrit au conseil de préfecture de statuer dans les trois mois de la réclamation ; de telle sorte que, dans le vœu de la loi, toutes les rectifications à faire au rôle doivent être opérées dans les six mois de leur publication (1. Ce vœu est devenu plus difficile à réaliser, depuis que la loi de finances du 21 juillet 1887 a créé, sous forme de déclarations, des réclamations préalables qui peuvent reculer la date des réclamations contentieuses, mais qui, souvent aussi, ont l’avantage de les prévenir. (Voy. ci-dessus, p. 272.)). L’économie, on peut même dire la gratuité des instances, résulte de l’exemption de tous frais, sauf ceux du papier timbré de la requête lorsque la cote atteint trente francs, et ceux de l’expertise lorsque cette mesure d’instruction a été réclamée par le contribuable. Aussi, plus des neuf dixièmes des réclamations ne donnent elles lieu à aucune espèce de déboursés, et ceux-ci ne dépassent pas soixante centimes dans la plupart des affaires non gratuites. D’un autre côté, il est nécessaire que la gratuité des instances ne nuise pas à la vérification attentive des réclamations ; de là des règles spéciales d’instruction que nous aurons à indiquer.
Formes et délais des réclamations. — La requête doit être présentée sur timbre, non seulement si la cote est supérieure à 30 fr., mais encore si elle atteint ce chiffre, car l’article 28, § 3, de la loi du 21 avril 1832 n’exempte de timbre que « les réclamations ayant pour objet une cote moindre de 30 fr. ». On ne considère que le montant de la cote, non celui du dégrèvement demandé. Si une même requête est signée par plusieurs contribuables ayant des cotes de 30 fr., elle n’est recevable que si la valeur du timbre correspond à l’ensemble de leurs requêtes individuelles ; dans le cas contraire, elle n’est valable que pour le premier signataire, ou pour les suivants jusqu’à épuisement de la valeur du timbre (2. Conseil d’État, 14 février 1876, Sabatier ; — 20 mai 1881, Aldrophe ; — Ces décisions visent des requêtes multiples formées sur une seule feuille timbrée à 60. cent., qui ne peut évidemment servir que pour un seul contribuable. Une autre décision (31 janvier 1891, Husson) vise le cas où la valeur du timbre correspond à l’ensemble des requêtes. Le contribuable avait formé une requête unique contre quatre arrêtés du conseil de préfecture, mais il l’avait présentée sur deux feuilles timbrées chacune à 1 fr. 80 c, soit 3 fr. 60 c, excédant par conséquent le timbre qu’auraient exigé quatre requêtes. Aussi le pourvoi a-t-il été considéré comme recevable.). Le Conseil d’État admet que la nullité d’une requête sur papier libre peut être couverte, si le contribuable en confirme les conclusions par une requête sur [303] papier timbré présentée avant la décision du conseil de préfecture (1. Conseil d’État, 8 janvier 1867, Alata ; — 8 août 1884, Bardou.).
La réclamation doit être accompagnée, sous peine de nullité, de la quittance des termes échus de la cotisation (loi de 1832, art. 28, § 1). Toutefois, le Conseil d’État admet, dans ce cas encore, que la nullité peut être couverte par la production ultérieure de la quittance, pourvu qu’elle ait lieu avant la décision du conseil de préfecture (2. Conseil d’État, 20 février 1880, Théron ; — 2 mars 1833, Duroy ; — 25 avril 1891, Maurel.).
On s’est demandé si le contribuable pourrait être entièrement dégagé de l’obligation de produire la quittance, par ce fait que le rôle mis en recouvrement n’aurait été publiée qu’après l’expiration de l’année qu’il concerne. Jusqu’en 1891, le Conseil d’État s’est prononcé pour la négative (3. Conseil d’État, 16 décembre 1887. Leyer ; — 14 mars 1891, Hennequin.) ; mais il est revenu sur cette jurisprudence par une série de soixante-quinze arrêts des 10 et 18 juillet 1891 (Préfet et maire d’Oran c. Marty et autres) qui décident que l’obligation de produire la quittance a pour contre-partie la faculté de s’acquitter par douzièmes et que, lorsque l’expiration de l’année a rendu le rôle recouvrable en totalité, le contribuable cesse d’être tenu de justifier d’un paiement préalable pour former sa réclamation. Cette jurisprudence est équitable puisqu’elle s’inspire de cette idée que les retards de l’administration ne doivent pas aggraver la situation du contribuable, mais on ne peut se dissimuler qu’elle diminue les garanties que l’article 28 de la loi de 1832 a voulu donner au Trésor, et quelquefois sans qu’on puisse relever une véritable négligence à la charge de l’administration, notamment si le rôle mis en recouvrement est un rôle supplémentaire du quatrième trimestre.
Il est à remarquer que la réclamation, quoique contentieuse, ne doit pas être déposée au greffe du conseil de préfecture ; elle doit [304] être adressée au préfet ou au sous-préfet, qui sont chargés de la faire instruire et de la transmettre au conseil de préfecture. C’est sans doute pour cela que l’article 29 de la loi du 21 avril 1832 qualifie cette réclamation de pétition, comme si elle était adressée à l’autorité administrative et non à la juridiction contentieuse. Cela est vrai en ce sens que le préfet doit la recevoir et la mettre, d’office, en état d’être jugée (1. Une décision du 18 mars 1892, Mazet, a admis la recevabilité d’une réclamation déposée dans une mairie de Paris, mais c’est là une décision d’espèce motivée par ce fait que la mairie avait délivré au contribuable « un récépissé qui doit être considéré par les indications qu’il contient et les mentions qu’il renferme comme émanant de la préfecture du département de la Seine ». — Cf. 2 mars 1858, Leroy.).
Le contribuable doit former sa demande dans un délai de trois mois, qui court de la publication des rôles et qui se compte de quantième à quantième, sans comprendre ni le jour de la publication ni celui de l’échéance. Ainsi, le rôle ayant été publié le 1er mai, la réclamation est recevable jusqu’au 2 août inclusivement (2. La loi du 21 avril 1832 faisait courir le délai « de l’émission des rôles » ; la loi du 4 août 1844 a donné plus de précision à cette disposition en décidant que ce délai ne courrait « qu’à partir de la publication desdits rôles ». Cette publication, prévue par l’article 14 de l’arrêté du 16 thermidor an VIII, doit avoir lieu par les soins des municipalités ; dans la pratique, elle consiste, non dans la publication des rôles eux-mêmes, mais dans celle d’une affiche informant les contribuables que les rôles sont déposés à la mairie, et qu’ils peuvent en prendre connaissance.).
La publication des rôles est le point de départ du délai, parce qu’elle met de plein droit en demeure tous les contribuables de la commune de vérifier leurs cotes de contributions et de réclamer s’il y a lieu. Ils ne sauraient éluder les effets de cette mise en demeure en alléguant qu’ils étaient momentanément absents de la commune lors de la publication (3. Conseil d’État, 27 février 1880, Rousseau ; — 5 février 1886, Regnault ; — 25 avril 1891, Libéria.), ou qu’ils n’ont pas reçu l’avertissement qu’il est d’usage d’adresser aux contribuables (4. Conseil d’État, 16 avril 1880, Giafferi ; — 13 juillet 1883, Vayssières ; — 8 juin 1888, Mahieux.).
La publication du rôle atteint même les contribuables qui n’habitent pas la commune, mais qui y ont un représentant. Sont considérés comme ayant un représentant dans la commune tous ceux qui y possèdent soit un immeuble exploité, habité ou surveillé par un tiers, soit une habitation meublée, soit un établissement commercial [305] ou industriel géré en leur nom ; dans ce cas, la publication des rôles produit effet pour l’ensemble des contributions imposées dans la commune, et non pas seulement pour celles qui grèvent l’immeuble ou l’établissement occupé (1. Conseil d’État, 23 février 1877, Lavenas.).
Mais si le contribuable n’a ni résidence ni représentant dans la commune, la publication du rôle ne suffit pas pour le mettre en demeure, il faut alors que l’imposition soit officiellement portée à sa connaissance, soit par la remise d’un avertissement, soit par des actes de poursuites.
En dehors de cette exception consacrée par la jurisprudence, il en est d’autres qui résultent de dispositions spéciales de la loi. Ainsi, en matière de contribution foncière, les demandes en dégrèvement pour destruction ou démolition totale ou partielle de bâtiments ont pour point de départ les faits qui les motivent (2. Loi du 15 septembre 1807, art. 37.). En matière de patentes, le délai de la demande de transfert, lorsqu’il y a eu cession d’établissement, court de cette cession, ou de la publication du rôle supplémentaire sur lequel le cessionnaire est personnellement imposé à raison de cet établissement (3. Loi du 15 juillet 1880, art. 28.). En cas de fermeture d’établissement pour cause de décès ou de faillite, le délai court de la date du décès ou du jugement déclaratif ; il peut courir aussi de la fermeture effective, si celle-ci n’a pas eu lieu immédiatement (4. Conseil d’État, 20 novembre 1856, Bergeriaux ; — 6 mai 1857, Pilat ; — 12 février 1868, Petit.).
Le point de départ du délai peut être modifié, pour toute nature de contribution, lorsque la demande en dégrèvement se fonde sur un faux ou double emploi. L’article 4 de la loi de finances du 29 décembre 1884 décide que, dans ce cas, le délai court du jour où le contribuable indûment imposé a eu connaissance des poursuites exercées contre lui.
Enfin, la durée du délai, aussi bien que son point de départ, peuvent être modifiés lorsque la demande en dégrèvement a été précédée de la déclaration prévue par l’article 2 de la loi de finances du 21 juillet 1887 (5. Voy. ci-dessus, p. 257.). D’après ce texte, les contribuables dont la [306] déclaration a été écartée doivent en être avisés par l’administration, « et ils auront la faculté de présenter des demandes en dégrèvement dans un délai d’un mois à partir de la date de la notification, sans préjudice des délais fixés par les lois du 21 avril 1832, art. 28, et du 29 décembre 1884, art. 4 ».
La rédaction de ce texte laisse beaucoup à désirer. Littéralement il voudrait dire que le délai de trois mois subsiste toujours, puisqu’il ne lui est pas porté préjudice. Mais cette interprétation est inadmissible ; en effet, le contribuable a un délai d’un mois pour faire sa déclaration ; de son côté, le conseil de préfecture (auquel on a omis d’assigner un délai) peut ne statuer qu’après un ou deux mois, de sorte que le délai ordinaire de trois mois serait singulièrement réduit et pourrait même être entièrement épuisé au moment où le contribuable serait dans la nécessité de former sa demande en dégrèvement. Le résultat pourrait être le même si le délai spécial d’un mois, imparti par la loi de 1887, venait simplement s’ajouter au délai de trois mois des lois de 1832 et de 1884 ; il se pourrait en effet que le contribuable ne reçût notification du rejet de sa déclaration que quatre mois et plus après la publication des rôles, et n’eût plus alors le temps de réclamer par la voie contentieuse.
La seule interprétation possible nous paraît donc être la suivante : le contribuable peut, à quelque époque que sa déclaration ait été écartée par le conseil de préfecture, présenter sa réclamation audit conseil dans un délai d’un mois à partir de la notification l’informant du rejet de sa déclaration. Mais si, au moment où ce délai spécial expire, le délai ordinaire de trois mois court encore, le contribuable continuera à en bénéficier jusqu’à son entière expiration. En d’autres termes, le délai spécial de la loi de 1887 peut proroger, et même faire revivre pendant un mois, le délai ordinaire des demandes en dégrèvement, mais il ne peut jamais le réduire (1. Cette interprétation est conforme à celle qui résulte de la circulaire du directeur général des contributions directes du 19 novembre 1887, où on lit : « Les réclamations seront recevables, au moins et en tout état de cause, jusqu’à l’expiration du troisième mois après la publication des rôles, d’après les règles actuellement existantes, règles qui sont maintenues. C’est, du reste, ce qui ressort de la discussion du projet de loi devant le Sénat, dans la séance du 19 juillet 1887. La jurisprudence du Conseil d’État s’est prononcée dans le même sens : — 24 mars 1891, Jeanperrin ; — 13 février 1892, Arnaud ; — 11 février 1893, Lacroix.).
Les demandes en dégrèvement sont non recevables, non seulement [307] quand elles sont tardives, mais encore lorsqu’elles sont prématurées. Elles ne doivent pas précéder la publication des rôles (1. Conseil d’État, 5 mars 1880, compagnie le Phénix ; — 16 novembre 1883, petit séminaire de Bordeaux ; — 21 mars 1883, Sautière ; — 27 décembre 1890, Ravazé. — Il a cependant été jugé qu’une réclamation est recevable, quoique antérieure à la publication des rôles, si elle est postérieure à l’arrêté préfectoral qui a rendu le rôle exécutoire (21 avril 1864, Piquesnal).), ni devancer les faits sur lesquels elles se fondent, par exemple la cession ou la fermeture effective d’un établissement commercial (2. Conseil d’État, 21 avril 1882, Fontalirant ; — 21 juillet 1882, Domenjoud.).
Les fins de non-recevoir tirées de ce que les réclamations sont tardives ou prématurées sont d’ordre public ; l’administration peut les opposer en tout état de cause ; le conseil de préfecture et le Conseil d’État peuvent même les opposer d’office.
Mesures d’instruction. — L’instruction des réclamations comprend : — 1° des vérifications et avis des agents de l’administration, qui sont requis dans toutes les affaires ; — 2° des expertises, qui sont obligatoires toutes les fois qu’elles sont demandées par le contribuable ; — 3° des contre-vérifications administratives, auxquelles il est procédé par l’inspection des contributions directes, et qui ne sont jamais obligatoires.
Mesures d’instruction administratives. — Les vérifications et avis des agents de l’administration qui sont requis dans toutes les affaires, sont prévus par l’article 29 de la loi du 21 avril 1832, ainsi conçu : « La pétition sera renvoyée au contrôleur des contributions directes, qui vérifiera les faits et donnera son avis après avoir pris celui des répartiteurs. Si le directeur des contributions directes est d’avis qu’il y a lieu d’admettre la demande, il fera son rapport et le conseil de préfecture statuera. Dans le cas contraire, le directeur exprimera les motifs de son opinion, transmettra le dossier à la sous-préfecture et invitera le réclamant à en prendre communication et à faire connaître dans les dix jours s’il veut fournir de nouvelles observations ou recourir à la vérification par voie d’experts… »
[308] Toutes ces formalités sont considérées comme substantielles par la jurisprudence du Conseil d’État ; elle déclare nulles les décisions rendues à la suite d’instructions où quelqu’une d’entre elles a été omise ou irrégulièrement accomplie : tel est le cas où le maire, les répartiteurs, le contrôleur ou le directeur n’ont pas donné leur avis (1. Conseil d’État, 4 août 1876, Moutier ; — 2 juillet 1886, Perrier.) ; où les répartiteurs ont délibéré sans être au nombre de cinq prescrit par la loi (2. Loi du 3 frimaire an VII, art. 23. — Conseil d’État, 18 décembre 1874, Leblanc ; — 21 novembre 1891, Oxner ; — 2 décembre 1893, de Ribier.) ; où l’avis du directeur, n’étant pas entièrement conforme à la réclamation, n’a pas été communiqué au contribuable ou à son mandataire (3. Conseil d’État, 1er mars 1878, Maire ; — 20 mars 1885, Lépine ; — 24 mars 1893, Lange ; — 18 janvier 1895, Ribière.) ; où cette communication et celle du dossier de la réclamation n’ont pas duré pendant dix jours (4. Conseil d’État, 9 avril 1886, Rongieras ; — 14 janvier 1893, Calon.).
Dans tous ces cas, l’annulation de la décision du conseil de préfecture donne lieu à un renvoi devant ce tribunal pour qu’il statue de nouveau après instruction régulière ; le Conseil d’État n’use jamais du droit qu’il pourrait avoir, comme juge d’appel, d’évoquer le fond après avoir annulé pour vice de forme la décision des premiers juges (art. 47 C. procéd. civ.) ; il considère en effet que l’affaire n’est pas en état, tant que les mesures d’instructions prescrites par l’article 20 de la loi de 1832 n’ont pas été régulièrement accomplies, et cela alors même qu’il s’agit d’une simple question de déchéance (5. Conseil d’État, 9 mai 1879, Blain ; — 16 décembre 1887, Noguès. — Voy. cependant 6 juillet 1888, chemin de fer de Lyon. — L’évocation n’est pas prononcée non plus lorsque le contribuable a été privé du droit de présenter des observations orales.).
Il n’est point dérogé aux règles qui précèdent, lorsque la demande en dégrèvement se produit après une déclaration écartée par les agents des contributions ou par le conseil de préfecture. A la vérité, la loi du 21 juillet 1887 exige que cette déclaration soit soumise au maire, aux répartiteurs, au contrôleur et au directeur des contributions directes, mais ce n’est pas une raison pour que l’avis de ces mêmes agents ne soit pas donné de nouveau lorsque la réclamation se reproduit en forme contentieuse. La loi de 1887 n’autorise sur ce point aucune dérogation à la loi de 1832.
[309] En dehors des vérifications et avis exigés par la loi, le conseil de préfecture et le Conseil d’État peuvent toujours ordonner une contre-vérification par l’inspecteur des contributions directes, conformément à l’article 29 de la loi du 26 mars 1831 ; l’administration peut aussi la prescrire d’office, mais l’absence de cette mesure d’instruction ne peut jamais vicier la procédure, alors même que la partie l’aurait expressément demandée.
La contre-vérification par l’inspecteur pourrait-elle être remplacée par une autre mesure d’instruction, par exemple par une visite sur les lieux confiée à un membre du conseil de préfecture conformément à l’article 25 de la loi du 22 juillet 1889 ? Nous ne le pensons pas, l’intention de cette loi, formellement exprimée dans son article 11, ayant été de ne pas innover en matière de contributions directes. Un arrêt du 26 décembre 1891 (de Beauséjour) avait paru admettre implicitement la solution contraire, mais un arrêt très explicite du 20 avril 1894 (Min. des finances c. Mazuc) a annulé comme entaché d’un vice de procédure un arrêté rendu à la suite d’une visite de lieux.
Expertise et tierce expertise. — L’expertise est obligatoire toutes les fois qu’elle est réclamée par le contribuable, à moins cependant qu’elle ne soit manifestement inutile et frustratoire, à raison d’une déchéance encourue (1. Conseil d’État, 20 juillet 1853, Renouard ; — 14 mars 1884, Bonyala ; — 29 janvier 1886, Rouillier ; — 30 novembre 1888, ville de Paris.) ou du défaut de pertinence des faits allégués (2. Conseil d’État, 22 avril 1857, Maurouard ; — 28 mars 1860, Bastien ; — Cf. t. 1er, p. 326 et 327.) ; ou parce que la solution du litige dépend d’une question de droit que l’expertise ne saurait éclaircir (3. Conseil d’État, 4 mai 1894, Jacquier ; — 18 janvier 1895, Sébul.).
D’après l’article 29 de la loi de 1832, l’un des experts doit être désigné par le sous-préfet, l’autre par le réclamant. Ils peuvent être récusés devant le conseil de préfecture, mais la récusation prononcée devant le Conseil d’État serait tardive et non recevable (4. Conseil d’État, 30 avril 1875, Blanchard ; — 30 juillet 1880, Turquand.).
Les causes de récusation ne sont fixées par aucun texte. Les dispositions que la loi du 2 messidor an VII contenait à cet égard ont [310] été considérées comme implicitement abrogées par l’arrêté du 24 floréal an VIII, qui a créé un nouveau mode d’expertise ; mais ni cet arrêté, ni la législation postérieure des contributions directes n’ont rien statué sur la récusation. Le Conseil d’État n’a jamais admis que les articles 308 et 310 du Code de procédure civile fussent textuellement applicables en cette matière. L’esprit de sa jurisprudence est de n’admettre la récusation que lorsqu’il y a une véritable incompatibilité entre la situation personnelle de l’expert et la mission qui lui incombe comme auxiliaire de la justice. Ainsi, de même qu’une partie ne pourrait pas expertiser dans sa propre cause, de même le mandataire qui la représente dans l’instance ne saurait être son expert (1. Conseil d’État, 29 décembre 1872, Rouillé-Glétrais.). Le Conseil d’État a également jugé qu’un expert condamné correctionnellement pour outrages adressés aux agents des contributions directes pendant les opérations d’expertise est à bon droit récusé par l’administration (2. Conseil d’État, 27 mai 1887, Berthier.). Il en serait de même si d’autres circonstances nettement caractérisées semblaient faire obstacle à la liberté des appréciations de l’expert. Mais la jurisprudence n’admet pas qu’il y ait atteinte présumée à cette liberté, par cela seul que l’administration aura choisi pour expert un agent attaché à un service public (3. Conseil d’État, 9 décembre 1887, Terrier.).
La tierce expertise n’existe, en matière de contributions directes, que depuis la loi du 29 décembre 1884. Antérieurement, il y était suppléé par l’avis du contrôleur présent aux opérations d’expertise (4. Arrêté du 24 floréal an VIII, art. 6.) et, s’il y avait lieu, par une contre-vérification de l’inspecteur ordonnée par le conseil de préfecture en vertu de l’article 29 de la loi du 26 mars 1831 ; la jurisprudence déclarait illégales les tierces expertises ordonnées par les conseils de préfecture (5. Conseil d’État, 16 mars 1877, Boillot ; —4 avril 1884, Daudin.). Cet état de choses a été modifié par l’article 5 de la loi précitée de 1884 qui dispose : « S’il y a désaccord entre l’expert de l’administration et celui du réclamant, ce dernier ou l’administration pourra réclamer une tierce expertise. Le tiers expert sera désigné, sur simple requête de la partie la plus diligente et sans [311] frais, par le juge de paix du canton. Le tiers expert devra déposer son rapport dans la quinzaine de sa nomination, faute de quoi le conseil de préfecture pourra refuser de le comprendre dans la liquidation des dépens. »
La jurisprudence de la section du contentieux a interprété cette disposition comme créant une tierce expertise qui doit avoir lieu de plein droit si l’une des parties la requiert, et qui dépend exclusivement d’elles et non du juge ; aussi refuse-t-elle au conseil de préfecture le droit de l’ordonner, soit d’office (1. Conseil d’État, 19 mars 1886, ministre des finances c. Castillon.), soit même si l’une des parties la requiert, et d’apprécier s’il existe ou non entre les experts un désaccord rendant une tierce expertise nécessaire (2. Conseil d’État, 1er avril 1887, Arnaud ; — même date, Germain-Duforestel. On lit dans ce dernier arrêt : « Que le texte susvisé (loi du 29 décembre 1884) donnant à la partie la plus diligente le droit de réclamer au juge de paix la désignation d’un tiers expert, il n’appartenait pas au conseil de préfecture de décider s’il y avait lieu à tierce expertise, que dans ces conditions il devait surseoir à statuer jusqu’à ce qu’il eût été procédé par le tiers expert régulièrement désigné… » Même solution : 15 mars 1889, Fieschi ; — 16 juin 1893, Bellière ; — 2 décembre 1893, Masselin.). A plus forte raison ce droit d’appréciation ne saurait appartenir au juge de paix dont la fonction se borne à désigner le tiers expert sans rien préjuger sur la régularité de son intervention. Mais il ne nous paraît pas douteux que ce droit d’appréciation revit tout entier au profit du conseil de préfecture, lorsque les parties reviennent devant lui pour faire statuer sur les résultats de l’expertise. Le conseil pourra alors refuser de tenir compte d’une tierce expertise qui n’aurait pas pour cause un véritable désaccord des experts, et qui constituerait en réalité la vérification personnelle d’un troisième expert.
La faculté, reconnue aux parties par la loi de 1884, de provoquer une tierce expertise en cas de désaccord des experts, suppose que les parties ont connaissance de leurs avis contraires. S’ensuit-il que ces avis doivent être officiellement portés à leur connaissance sous peine d’irrégularité de la procédure ? Le Conseil d’État a d’abord pensé que, dans le silence des textes, cette communication n’était pas obligatoire (3. Conseil d’État, 22 novembre 1890, Perrier.) ; mais ses arrêts les plus récents ont reconnu l’obligation, et ont considéré l’instruction comme irrégulière [312] lorsque la communication n’a pas eu lieu (1. Conseil d’État, 5 février 1892, Leber et Sanguin ; — 10 décembre 1892, dame Biot.). Nous pensons toutefois que ce serait aller trop loin que d’exiger une notification intégrale du texte des avis, car il suffit que la partie en connaisse les conclusions pour exercer le droit que la loi de 1884 lui confère.
La disposition précitée de la loi du 29 décembre 1884 contient une autre innovation en ce qui touche les frais d’expertise. Antérieurement, et conformément à l’article 18 de l’arrêté du 24 floréal an VIII, ces frais étaient entièrement supportés par l’administration toutes les fois que la réclamation était partiellement admise (2. Conseil d’État, 26 mars 1886, Société du Crédit industriel.). La loi de 1884 permet de les répartir « suivant l’appréciation du juge, dans les termes des articles 130 et 131 du Code de procédure civile ».
Avant la loi du 22 juillet 1889, la liquidation des frais d’expertise et de tierce expertise était faite par le préfet, sauf réclamation des experts ou des parties devant le conseil de préfecture (3. Conseil d’État, 16 avril 1880, Thévenin ; — 3 juin 1881, Boiscourbeau.).
Mais d’après l’article 23 de cette loi, dont les dispositions sont générales et s’appliquent en matière de contributions, c’est au président du conseil de préfecture qu’il appartient de faire cette liquidation (4. Conseil d’État, 19 janvier 1894, Dumortier.) ; les parties et les experts ont le droit de faire opposition à la décision du président devant le conseil de préfecture en chambre du Conseil, dans le délai de trois jours à partir de la notification de cette décision.
Les frais d’expertise étaient liquidés, avant 1889, soit comme ceux des expertises civiles, soit d’après un tarif établi dans le département par arrêté préfectoral ; mais depuis que l’article 23 de la loi du 22 juillet 1889 a été reconnu applicable en matière de contributions, les expertises et les tierces expertises se trouvent régies par le tarif du 18 janvier 1890, promulgué en exécution dudit article 23.
Décision du conseil de préfecture. — La décision doit être rendue dans les formes prescrites par la loi du 22 juillet 1889, et elle [313] doit intervenir dans le délai de trois mois à partir du dépôt de la réclamation (Loi du 21 avril 1832, art. 28). Toutefois l’expiration de ce délai n’a pas pour effet de rendre nulle la décision du conseil de préfecture, ni de faire considérer la réclamation comme rejetée et d’ouvrir de piano le droit de recours au Conseil d’État (comme en matière d’élections municipales). Elle a seulement pour résultat d’affranchir le contribuable de l’obligation d’acquitter les termes de la contribution contestée qui viennent à écheoir après le délai de trois mois (1. Conseil d’État, 20 avril 1888, Boisgontier.).
Recours au Conseil d’État. — Avant la loi de procédure du 22 juillet 1889, le recours au Conseil d’État était régi par l’article 30 de la loi du 21 avril 1832, portant que « le recours contre les arrêtés du conseil de préfecture ne sera soumis qu’au droit de timbre. Il pourra être transmis au Gouvernement par l’intermédiaire du préfet et sans frais ». Ce mode de transmission, que la loi de 1832 semblait mentionner comme facultatif pour le contribuable, était considéré comme obligatoire parce qu’il avait pour but d’assurer, en même temps que la transmission de la requête, celle de la décision et de toutes les pièces de l’instruction déposées à la préfecture. C’est pourquoi il ne pouvait y être suppléé ni par un dépôt direct de la requête au secrétariat du contentieux (2. Le Conseil d’État n’a pas à prononcer par arrêt la non-recevabilité des requêtes déposées au secrétariat du contentieux, parce que celui-ci ne les enregistre pas et les retourne à leurs auteurs avec avis de les faire transmettre par le préfet.), ni par un dépôt à la sous-préfecture (3. Conseil d’État, 24 mai 1878, Lefèvre.). Le délai du recours était, pour le contribuable, le délai de trois mois à partir de la notification administrative de la décision.
Sur ces deux points les règles antérieures ont été modifiées par la loi du 22 juillet 1889 (art. 57 à 61). La requête, au lieu d’être nécessairement déposée à la préfecture, peut également l’être à la sous-préfecture ou au secrétariat du Conseil d’État. En outre, le délai du recours est réduit de trois à deux mois, plus les délais de distance pour les parties domiciliées hors de la France continentale.
On aurait pu se demander si la disposition générale de la loi de [314] 1889 qui réduit de trois à deux mois le délai du recours contre les décisions du conseil de préfecture, était applicable aux pourvois en matière de contributions, cette loi ayant réservé la plupart des règles antérieurement en vigueur pour le contentieux des contributions directes. Mais d’une part l’article 11 de la loi de 1889, qui contient cette réserve, ne parle que de « l’introduction et l’instruction des demandes », ce qui ne comprend pas l’appel des décisions ; d’autre part les recours contre les arrêtés des conseils de préfecture rendus en matière de contributions sont expressément prévus dans les dispositions de la loi de 1889 relatives au pourvoi devant le Conseil d’État (art. 61).
Le délai de deux mois court de la notification faite au contribuable par le directeur des contributions directes. La qualité de cet agent pour notifier la décision résulte des dispositions combinées de la loi du 2 messidor an VII (art. 28) et de l’arrêté du 24 floréal an VIII (art. 23) dont l’application a été consacrée par des instructions successives du ministre des finances ou du directeur général des contributions directes (16 septembre 1825 ; 22 avril 1829 ; 18 septembre 1845 ; 31 mai 1849 ; 5 février 1883). On a cependant soutenu que la notification ne pouvait être valablement faite sous l’empire de la loi du 22 juillet 1889, que par le préfet que l’article 51 de cette loi charge de notifier les décisions « lorsque l’instance a été engagée par l’État ou contre lui ». Mais le Conseil d’État, qui avait toujours reconnu, avant 1889, cette attribution du directeur des contributions directes (1. Conseil d’État, 26 mai 1876, Paradan ; — 13 janvier 1893, Bouillant.) l’a de nouveau consacrée depuis la loi du 22 juillet 1889, en se fondant sur ce que l’article 51, §3, de cette loi dispose « qu’il n’est pas dérogé aux règles spéciales établies pour la notification des décisions en matière de contributions directes et de taxes assimilées (2. Conseil d’État, 29 mars 1895, Société nouvelle des raffineries de la Méditerranée.) ».
La jurisprudence est également fixée en ce sens que la notification faite par le directeur, ou à lui signifiée par la partie, ne fait pas courir le délai du pourvoi contre le ministre. Même sous l’empire de la loi de 1889, dont l’article 59 attribue cet effet aux notifications faites par le préfet, le délai ne court contre le ministre des finances [315] que de la réception des pièces au ministère ou de la communication de la décision au ministre par le directeur des contributions directes du département (1. Conseil d’État, 16 juin 1876, ministre des finances c. Supply ; — 9 novembre 1877, Martin ; — 25 janvier 1885, ministre des finances c. Duhamel ; — 13 janvier 1893, Bouillant.).
Le recours n’étant pas suspensif, on ne saurait interpréter comme un acquiescement rendant le recours non recevable le paiement fait par le contribuable dont la requête a été rejetée (2. Conseil d’État, 16 avril 1886, Henry.), ni le remboursement fait par l’administration au contribuable qui a obtenu gain de cause devant le conseil de préfecture (3. 27 avril 1877, ministre des finances c. Richard ; — 23 janvier 1885, ministre des finances c. Roux-Lavergne.). Il va de soi que le pourvoi ne saurait arrêter des poursuites en cours (4. Conseil d’État, 17 juillet 1885, Carraud.). On ne pourrait pas même faire obstacle à ces poursuites par un arrêt de sursis demandé au Conseil d’État par application de l’article 3 du décret du 22 juillet 1806, en effet, ainsi que nous l’avons vu, les poursuites n’ont pas lieu en vertu d’une condamnation prononcée contre le contribuable par le conseil de préfecture, mais en vertu de la force exécutoire qui est inhérente au rôle et à la contrainte.
Les pourvois en matière de contributions directes ne sont pas soumis, en principe, à la double procédure des affaires contentieuses ordinaires, d’abord devant la section du contentieux puis devant l’assemblée du Conseil d’État statuant au contentieux. Ils sont directement jugés, sur le rapport du rapporteur et sur les conclusions du commissaire du Gouvernement, par la section (permanente ou temporaire) à laquelle ils ont été distribués, et cela même s’il y a constitution d’avocat. La loi du 26 octobre 1888 a modifié sur ce point les règles antérieures d’après lesquelles toute affaire, quelle que fût la nature, dans laquelle un avocat était constitué, était portée de plein droit devant l’assemblée du contentieux sur le rapport de la section. Elle a autorisé la section à connaître, en audience publique, des affaires de contributions (et d’élections) dans lesquelles il y a constitution d’avocat, et l’assemblée du contentieux n’en est exceptionnellement saisie que si leur renvoi a été réclamé par un [316] conseiller d’État de la section ou par le commissaire du Gouvernement conformément à l’article 19 de la loi du 24 mai 1872.
VIII. — RÈGLES SPÉCIALES AUX TAXES ASSIMILÉES
On désigne sous la dénomination générale de « taxes assimilées » un grand nombre de taxes ayant des origines et des destinations diverses, et qui sont perçues : soit au profit de l’État (taxe des biens de mainmorte, redevances des mines, taxe sur les billards, sur les cercles, etc.) ; — soit au profit des communes (prestations pour les chemins vicinaux, taxe des chiens, taxe de pavage, de balayage, de pâturage, etc.) ; — soit au profit des associations syndicales, des établissements publics et des associations d’habitants dûment autorisées. Cette dénomination s’applique aussi d’une manière générale à toutes les perceptions, même les plus spéciales et les plus accidentelles, qui doivent être, d’après la loi, « recouvrées dans la forme des contributions directes » ou « des contributions publiques ».
Il résulte de ces expressions, dont l’équivalence a été reconnue par la jurisprudence, que la perception doit avoir lieu en vertu d’un rôle rendu exécutoire par le préfet, et que les réclamations auxquelles elle peut donner lieu ressortissent au conseil de préfecture.
Il ne faut pas confondre, avec les perceptions ainsi faites au moyen de rôles, celles qui se font, au profit des communes, au moyen d’états dressés par le maire et visés par le préfet. Les lois municipales du 18 juillet 1837 (art. 63) et du 5 avril 1884 (art. 154), qui ont prévu ces états, ont eu en vue, ainsi que l’expliquait le rapporteur de la loi de 1837, « un certain nombre de recettes communales dont le recouvrement éprouve quelques difficultés parce qu’elles ne peuvent pas s’effectuer dans la forme rapide et énergique que la loi a imprimée au recouvrement des contributions directes, par exemple le prix d’une vente mobilière, d’une location, etc. ».
A la vérité, l’article 154 dit que ces états sont « exécutoires », mais ils diffèrent à un double point de vue des véritables rôles exécutoires : d’abord en ce que leur effet est suspendu par le seul fait [317] d’une opposition ; puis en ce que cette opposition ressortit aux tribunaux judiciaires toutes les fois que la réclamation de la commune est relative à des matières de leur ressort (art. 154, § 2). Les états dont il s’agit n’ont donc en réalité d’autre effet que d’obliger les débiteurs prétendus de la commune à prendre l’initiative d’une opposition et à agir comme demandeurs, au lieu d’attendre que la commune les poursuive devant la juridiction compétente. C’est pourquoi le Conseil d’État a toujours soigneusement distingué les recouvrements par états et les recouvrements par rôles, tant au point de vue de leur force coercitive que de la compétence (1. Conseil d’État, 19 juillet 1878, ville d’Issoudun ; — 5 janvier 1883, Thélolan ; — 26 mars 1836, Michaud ; — 23 mai 1890, ville de Granville ; — 5 août 1892, Lempérière. ).
Avant la loi du 22 juillet 1889, les réclamations auxquelles donnent lieu les taxes assimilées recouvrées au moyen d’un rôle étaient soumises aux mêmes règles que les contributions directes, sauf certaines particularités spéciales à quelques-unes de ces taxes.
Mais une distinction a été faite par l’article 11 de la loi de 1889, selon que l’assiette et la répartition des taxes sont confiées à l’administration des contributions directes ou aune autre administration.
Dans le premier cas, il y a assimilation complète du contentieux de la taxe à celui des contributions directes et cette règle est applicable notamment : à la taxe des biens de mainmorte, des chevaux et voitures, des billards, à la taxe militaire, à la redevance sur les mines, aux prestations pour chemins vicinaux ou ruraux. Toutes les règles ci-dessus exposées sont applicables au contentieux de ces taxes.
Dans le second cas, celui où l’assiette de la taxe est confiée à d’autres agents que ceux du service des contributions directes, par exemple aux ingénieurs des ponts et chaussées, aux représentants des communes ou des associations syndicales, les réclamations sont formées et instruites conformément aux règles édictées par les articles 1 à 9 de la loi de 1889. En conséquence, l’instance est introduite par requête déposée au greffe du conseil de préfecture ou par assignation (2. Voy. t. 1er, p. 367, 368.), et l’instruction se poursuit par les soins du rapporteur et du conseil (3. Voy. t. 1er, p. 367, 368.). Cette procédure est applicable notamment : [318] aux taxes de curage, d’assèchement des mines, d’affouage, de pâturage, de balayage, de pavage, aux taxes syndicales, etc.
On s’est demandé si, dans ce dernier cas, l’expertise doit ou non se faire d’après les règles spéciales aux contributions directes. La raison de douter vient de ce que l’article 11 ne déclare applicables aux taxes de la seconde catégorie que les règles de procédure ordinaires établies dans les articles 1 à 9 de la loi, et que ces textes ne visent pas l’expertise.
La direction générale des contributions directes (circulaire du 1er février 1890) et le ministre des finances (instruction générale du 31 juillet 1890) avaient pensé que la référence aux articles 1 à 9 n’était pas limitative et que les règles ordinaires de la procédure, y compris celles de l’expertise, étaient applicables dans leur ensemble aux taxes de la seconde catégorie.
Mais la doctrine et la jurisprudence se sont prononcées en sens contraire (1. Conseil d’État, 2 décembre 1893, Lambert et autres, et les conclusions du commissaire du Gouvernement. Cf. Picard, Traité des eaux, t. II, p. 277 ; — Teissier et Chapsal, Traité de la procédure devant les conseils de préfecture, p. 200.) et nous pensons que c’est à bon droit, car l’article 11 de la loi de 1889, en se référant aux articles 1 à 9, laisse de côté l’expertise ; et à supposer même que le texte soit douteux, on ne saurait facilement admettre que la loi de 1889 ait entendu retirer aux taxes qui ne sont pas établies par le service des contributions directes les bénéfices de la jurisprudence antérieure, c’est-à-dire le caractère obligatoire de l’expertise lorsqu’elle est demandée (2. Conseil d’État, 30 novembre 1883, Courot (taxe de curage).), et la faculté de tierce expertise en cas de désaccord des experts (3. Conseil d’État, 6 décembre 1890, ministre de l’agriculture.).
Il y a des taxes assimilées qui diffèrent, en outre, des contributions directes proprement dites, au point de vue de l’émission des rôles et du mode d’acquittement de la taxe : de là découlent certaines différences relativement aux délais des réclamations.
Ainsi la jurisprudence admet que la publication des rôles ne suffit pas toujours pour faire courir le délai quand il s’agit, non de taxes annuelles, mais de taxes qui correspondent à certains travaux et qui ne sont mises en recouvrement que plus ou moins longtemps [319] temps après leur exécution. On ne peut, en effet, obliger le redevable à rester indéfiniment en éveil pour surveiller un rôle de taxes syndicales ou de taxes de pavage qui se fera peut-être attendre pendant plusieurs années. Dans ce cas, le délai ne court que du jour où le redevable a eu effectivement connaissance de son imposition (1. Conseil d’État, 12 mai 1876, ville de Paris ; — Cf. 2 février 1883, Langlois. — Dans cette dernière affaire, la publication du rôle d’une taxe de pavage avait eu lieu un an après les travaux, et le Conseil a admis qu’elle avait fait courir le délai. Peut-être pourrait-on mettre fin à quelques incertitudes de la jurisprudence sur les effets de la publication du rôle, si l’on admettait que la publication ne suffit pas pour faire courir le délai, quand elle n’a eu lieu ni pendant l’année des travaux, ni pendant tout le cours de l’année suivante. On peut consulter aussi : 18 janvier 1884, ville de Paris ; — 16 mars 1888, Arizolli ; — 17 mai 1890, Duverdy ; — 29 décembre 1894, Dumont. Lorsque le rôle a été publié avant le 1er janvier, ainsi que cela arrive souvent en matière de prestations, le délai ne court que du 1er janvier et non de la publication du rôle : — 29 janvier 1892, Bonjour ; — 11 février 1893, Dumas.).
La jurisprudence n’a pas pu non plus soumettre à des règles identiques les taxes qui sont divisibles par douzièmes et celles qui ne le sont pas. Pour ces dernières (taxes syndicales, taxes de curage, etc.), il serait injuste que le redevable fût tenu de joindre à sa réclamation la quittance des termes échus, puisque ce serait l’obliger à payer d’avance la totalité de la taxe qu’il conteste. Aussi le Conseil d’État n’exige-t-il pas cette quittance (2. Conseil d’État, 3 mars 1876, Chabert ; — 3 août 1877, ville de Paris. — Cf. 30 janvier 1892, syndicat d’Alfortville.). Par contre, le redevable ne peut pas bénéficier d’une autre disposition qui se rattache également à la division par douzièmes, celle qui interdit à l’administration de poursuivre le recouvrement des termes venus à échéance plus de trois mois après la réclamation, lorsque la décision du conseil de préfecture n’a pas été rendue dans ce délai (loi du 21 avril 1832, art. 28). La taxe étant recouvrable en totalité dès que le rôle est publié, l’administration ne peut pas être entravée dans ses poursuites par les retards de la procédure contentieuse (3. Conseil d’État, 3 août 1877, ville de Paris.).
Nous n’insisterons pas davantage sur ces particularités. Celles que nous venons d’indiquer suffisent pour montrer que l’assimilation entre le contentieux des taxes assimilées et celui des contributions [320] directes n’est pas sans comporter quelques restrictions, surtout depuis la loi du 22 juillet 1889. Mais on ne doit déroger aux règles générales de la matière qu’avec beaucoup de réserve, et seulement si les règles spéciales de la taxe ne peuvent pas se concilier avec elles.
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