I. — OBSERVATIONS GÉNÉRALES
Nature des obligations de l’État. — Les obligations pécuniaires de l’État en matière de traitements, de soldes et de pensions, ne naissent pas d’un contrat, comme on l’a dit quelquefois, mais de la loi.
Les bases et la quotité de ces allocations sont fixées par le législateur quand il s’agit de pensions à la charge de l’État. Lorsqu’il s’agit de soldes ou de traitements, elles sont fixées soit par lui, soit par le pouvoir exécutif, d’après les distinctions qui ont souvent varié. Les prestations pécuniaires que l’État doit fournir à ses fonctionnaires en activité ou en retraite, n’ayant pas un caractère contractuel, il s’ensuit qu’elles peuvent être modifiées par des décisions nouvelles, aussi bien à l’égard des fonctionnaires en exercice que des fonctionnaires à venir.
Ce point est hors de doute pour les traitements, qui sont alloués en vue de la fonction plutôt que de la personne qui l’exerce. Aussi, toutes les fois que des modifications se produisent sans être accompagnées de réserves spéciales, les agents en fonction doivent profiter de l’augmentation ou subir la diminution, sans que ni eux ni l’État puissent se prévaloir des décisions qui étaient en vigueur à l’époque de la nomination. Il est même plus d’une fois arrivé que des lois spéciales, voulant alléger les charges du Trésor, ont imposé après coup aux agents de l’État le sacrifice d’une partie [194] de leurs émoluments, dans une proportion qui a varié de 2 à 30 p. 100, d’après les besoins des finances publiques et l’importance des traitements (1. Voy. loi du 27 floréal an VII (retenue de 5 à 10 p. 100 jusqu’à la paix générale) ; — loi du 18 avril 1831 (retenue de 2 à 25 p. 100) ; — décret-loi du 6 avril 1848 (retenue de 4 à 30 p. 100).).
En ce qui touche les pensions, l’obligation de l’État peut paraître plus stricte ; elle l’est, en effet, à un double point de vue : d’abord au point de vue moral, parce que la pension a, dans une certaine mesure, le caractère d’une provision alimentaire fournie par l’État à des agents vieillis à son service ; puis au point de vue du droit, parce que les pensions concédées sont inscrites au grand livre de la Dette publique et participent à son inviolabilité. Mais tant que le droit à pension n’est qu’éventuel, les conditions peuvent en être modifiées par la loi, soit au profit des fonctionnaires, soit à leur détriment. Ceux-ci ne sauraient se prévaloir, au moment de la liquidation de leur retraite, des tarifs plus avantageux qui auraient été en vigueur lors de leur entrée en fonctions, et réciproquement l’État ne peut leur refuser, à moins de dispositions particulières, le bénéfice des nouveaux tarifs sanctionnés par la loi (2. Comme exemples de modifications apportées aux tarifs de pensions et ne s’appliquant qu’aux pensions qui n’étaient pas inscrites à la date de la promulgation des nouveaux tarifs, on peut citer : — la loi du 4 mai 1892 et le règlement du 17 août suivant relatifs aux pensions des agents forestiers ; — la loi du 26 janvier 1892 et le règlement du 21 avril suivant, portant unification progressive des anciennes pensions militaires et du service actif des douanes.).
La pension n’a pas un caractère contractuel, même quand elle est régie par la loi du 9 juin 1853, qui impose aux fonctionnaires civils visés par cette loi, une retenue sur leur traitement, en vue de la retraite. Le fonctionnaire amovible ne peut pas se prévaloir de ces prélèvements pour soutenir qu’il a le droit de conserver son emploi jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge et le temps de service requis pour la retraite, ni pour réclamer le remboursement des retenues, lorsqu’il quitte le service sans obtenir de pension (3. Conseil d’État, 20 février 1868, Tournier.). Remarquons d’ailleurs que les pensions de l’État dites sur fonds de retenue sont, dans une large mesuré, des pensions sur fonds [195] généraux, car les retenues faites en vertu de la loi de 1853 n’atteignent annuellement que 22 à 23 millions, tandis que les pensions correspondantes dépassent 60 millions. La retenue ne doit donc pas être considérée comme la prime d’une sorte d’assurance mutuelle, ou comme un élément d’un contrat do ut des passé entre le fonctionnaire et l’État, mais plutôt comme une sorte d’impôt spécial, destiné à rendre le service des pensions moins onéreux pour le Trésor.
Par une juste réciprocité, nous ne pensons pas l’État puisse assimiler le défaut de versement des retenues à une inexécution de contrat, imputable au fonctionnaire et autorisant l’État à décliner, en tout ou en partie, ses propres obligations. A la vérité, l’article 18, § 5, de la loi du 9 juin 1853 dispose que « la pension n’est liquidée que pour le temps pendant lequel les fonctionnaires auront subi la retenue ». Mais s’il est vrai que les traitements soumis à retenue doivent seuls entrer en compte, il n’en résulte pas que ces traitements et les services auxquels ils correspondent soient non avenus, par cela seul que l’État aurait omis de percevoir les retenues auxquelles il avait droit. En effet, la retenue n’est pas, à proprement parler, versée par le fonctionnaire, elle est prélevée et, comme le dit son nom, retenue par l’État, qui doit se payer de ses propres mains, au moment où il acquitte le traitement (1. Le mécanisme des retenues est ainsi réglé par l’article 5 du décret du 9 novembre 1853 : — « Les traitements ou allocations passibles de retenues, qui sont acquittés par les comptables du Trésor, sont portés pour le brut dans les ordonnances et mandats, et il y est fait mention spéciale des retenues à exercer pour pension. Les comptables chargés du paiement de ces ordonnances ou mandats les imputent en dépense pour leur montant intégral, et ils constatent en recette les retenues opérées au crédit du budget de chaque exercice et à un compte distinct intitulé : « Retenues sur traitements pour le service des pensions civiles. » Exceptionnellement, l’article 13 du même décret a prévu un cas où certains fonctionnaires doivent effectuer eux-mêmes le versement des retenues à la caisse du receveur des finances. Ces fonctionnaires sont ceux qui, tout en appartenant au cadre permanent d’une administration publique, sont rétribués en tout ou en partie sur les fonds des départements, des communes ou des compagnies concessionnaires. (Loi du 9 juin 1853, art. 4, § 3.)). L’omission étant le fait de l’État, il ne serait ni juridique ni équitable qu’elle préjudiciât au fonctionnaire (2. Cette solution a d’abord paru faire doute en jurisprudence. Un avis de la section des finances du 12 novembre 1878 exige que la retenue ait été effectivement subie. — Un autre avis du 7 juillet 1880 est moins absolu : on y lit « que si le versement de la retenue n’est pas, il est vrai, une condition proprement dite du droit à pension, il faut reconnaître que, d’après le texte de la loi de 1853, il y a corrélation entre le droit à pension et le prélèvement des retenues ». Mais un avis du 12 juillet 1892 (Larue) se prononce nettement dans le sens le plus favorable au droit à pension ; il décide que « si le défaut de retenues peut motiver un arrêté de débet, il ne saurait faire obstacle à la reconnaissance du droit à pension ». Le Conseil d’État statuant au contentieux a consacré la même solution, d’abord par des décisions rendues dans des espèces particulières où le paiement du traitement avait été suspendu, et où cependant l’administration entendait se prévaloir de l’absence de retenues (24 janvier 1879, Michelet ; — 3 janvier 1881, Bernard) ; — puis par une décision formelle, dans une espèce où le traitement avait été effectivement touché, sans prélèvement de retenues (3 mars 1893, Rassaya). On lit dans ce dernier arrêt : « que la circonstance qu’il n’a pas été opéré de retenues sur son traitement au profit du Trésor public n’est pas de nature à lui faire perdre ses droits à pension, alors qu’il offre de verser au Trésor le montant de ces retenues ».). Mais, d’un [196] autre côté, celui-ci ne doit pas s’enrichir aux dépens de l’État ; c’est pourquoi le montant des retenues omises peut être répété contre lui, soit en cours de fonction (comme s’il s’agissait de tout autre trop-perçu sur le traitement), soit lors de la concession de la pension, par imputation sur les arrérages (1. Voy. à la note précédente, l’arrêt du 3 mars 1893 (Rassaya), et l’avis de la section des finances du 12 juillet 1892 (Larue).). Toutefois, cette imputation ne pourrait avoir lieu que jusqu’à concurrence du cinquième desdits arrérages, limite fixée pour le recouvrement des débets envers l’État, par l’article 26 de la loi du 9 juin 1853.
Influence de la loi du budget. — Parmi les lois qui forment titre entre le fonctionnaire et l’État, quelle place appartient à la loi du budget ? Cette place est prépondérante, s’il s’agit non de l’obligation, mais des moyens de l’acquitter. En effet, nulle dépense ne peut être ordonnancée sans crédit, et la loi du budget, qui règle annuellement les recettes et les dépenses de l’État, peut lui refuser les moyens de s’acquitter. Mais l’insolvabilité, si impérieuses qu’en puissent être les causes, n’est pas un mode d’extinction des obligations, et elle ne saurait dispenser le juge de condamner le débiteur.
La question n’est donc pas de savoir si la loi du budget peut supprimer ou réduire les voies et moyens, mais si elle peut éteindre ou restreindre les obligations de l’État en matière de traitements ou de pensions, telles qu’elles résultent des lois et règlements [197] en vigueur. Ainsi posée, la question comporte certaines distinctions.
On ne peut nier que le Parlement, par cela seul qu’il fixe annuellement les crédits ouverts à chaque ministère, et qu’il les spécialise dans des chapitres déterminés, n’ait le droit de contrôler les services prévus dans ces chapitres et les dépenses y afférentes ; c’est même la corrélation de ce droit de contrôle avec le droit de voter les crédits, qui a fait attacher de tout temps une grande importance au mode de présentation et de vote du budget. Les droits du Parlement, trop restreints si le budget est voté par ministère, trop étendus s’il est voté par article, ont paru s’exercer dans une juste mesure au moyen du vote par chapitre. Il paraît juste que, dans cette même mesure, ce vote produise tous ses effets à l’égard des ministres, qu’il les amène à conformer leurs décisions aux vues du Parlement, à réduire un personnel que celui-ci juge trop nombreux, des traitements qu’il déclare trop élevés.
Mais il n’en saurait être de même si la résolution budgétaire était en opposition, non avec de simples décisions administratives, mais avec une loi qui aurait créé elle-même le service et réglé son organisation. Le rejet du crédit équivaudrait alors à un refus d’exécuter la loi, refus auquel ni le pouvoir exécutif ni la juridiction contentieuse n’auraient le droit d’obtempérer, parce qu’ils ont l’un et l’autre pour premier devoir d’assurer l’exacte observation des lois tant qu’elles ne sont pas régulièrement abrogées. On se trouverait ainsi en présence d’obligations contradictoires : d’une part, le juge ne pourrait pas se dispenser de condamner l’État, en la personne du ministre, à payer ce qu’il doit en vertu de la loi ; d’autre part, le ministre ne pourrait pas exécuter la condamnation, faute de crédits pour acquitter la dette. Une telle situation serait contraire au bon ordre de l’État. C’est pourquoi le patriotisme des Assemblées l’a toujours conjurée, lorsque les dissentiments entre les deux Chambres ont paru sur le point de la faire naître [1. Voici quels sont, sur cette question, les principaux précédents parlementaires. Lors du vote du budget de 1877, la Chambre des députés a supprimé le crédit relatif aux aumôniers militaires, créés par la loi du 20 mai 1874. Le Sénat ayant rétabli ce crédit, la Chambre a adhéré à ce rétablissement sous réserve d’abroger ultérieurement la loi de 1874. Cette abrogation a été régulièrement prononcée par la loi du 3 juillet 1880. Le budget de 1877 supprimait aussi le crédit affecté aux sous-préfectures de Sceaux et de Saint-Denis, établies par la loi du 28 pluviôse an VIII et par l’arrêté des consuls du 17 ventôse an VIII. Le crédit fut rétabli par le Sénat, mais la Chambre persista dans la suppression. Le Sénat décida alors, pour tenir compte d’autres concessions faites par la Chambre dans un budget très discuté, que les crédits demeureraient supprimés ; mais en fait, le Gouvernement a maintenu les deux sous-préfectures jusqu’à ce qu’elles aient été régulièrement supprimées par la loi du 2 avril 1880 ; il a pourvu aux dépenses au moyen de crédits supplémentaires alloués par les Chambres. (Voy. les rapports présentés au Sénat par M. Pouyer-Querlier et par M. Tenaille-Saligny. — J. off. 1887, p. 804, et 1880, p. 2197.) Lors des budgets de 1877 et de 1881, la Chambre des députés avait inséré dans la loi de finances une disposition proposée par M. C. Sée et portant « qu’il ne serait plus pourvu aux vacances qui se produiraient dans le chapitre de Saint-Denis. Le crédit qui y est affecté sera annulé au fur et à mesure des extinctions ». Le chapitre de Saint-Denis ayant une base législative dans le décret du 20 février 1806, le Sénat prononça le rejet de cet article, qui ne fut pas maintenu par la Chambre. M. Gambetta disait à cette occasion : « Il est indubitable que nous sommes en présence de dispositions législatives d’un caractère permanent, dont les effets se prolongent au-delà des budgets, au-delà des exercices, jusqu’à ce qu’elles aient été abrogées formellement par d’autres dispositions législatives. » (Voy. aussi le rapport de M. Varroy au nom de la commission du Sénat. — J. off., 1881, p. 677.) Lors du budget de 1884, la Chambre des députés a adopté un amendement de M. Jules Roche supprimant le crédit relatif aux bourses des séminaires. Le Sénat a rétabli le crédit, conformément au rapport de M. Dauphin, où on lit : « Votre commission se tient ici dans l’application d’un principe que le Sénat a toujours maintenu intact et que la Chambre des députés a consacré chaque fois qu’il a été invoqué : à savoir que les lois qui organisent un service public ne peuvent être abrogées ou modifiées que suivant les formes et avec les garanties exigées par la Constitution. Cette abrogation ou cette modification ne saurait être opérée d’une manière détournée par voie budgétaire. » — (J. off., 1883, p. 1154.) La Chambre des députés a consenti au rétablissement du crédit (séance du 29 décembre 1883).].
[198]
II. — CONTESTATIONS RELATIVES AU TRAITEMENT ET A LA SOLDE
Étendue et limites de la juridiction contentieuse. —Le contentieux des soldes et traitements est un contentieux de pleine juridiction qui s’étend à toutes les difficultés qui peuvent s’élever entre l’administration et le fonctionnaire civil ou militaire, au sujet des allocations auxquelles celui-ci prétend avoir droit.
Ces allocations peuvent dépendre, non seulement du taux du traitement afférent à la fonction d’après les lois et règlements, et [199] de la durée du service à rétribuer, mais encore des différentes positions dans lesquelles le fonctionnaire se trouve, soit en fait, soit par suite de décisions administratives. Telles sont, pour les fonctionnaires civils, les positions d’activité, de congé, de disponibilité ; pour les militaires, les positions générales de pied de paix et de pied de guerre, les positions individuelles d’activité, de non-activité, de réforme, de disponibilité, de cadre de réserve (ces deux dernières réservées aux officiers généraux). On distingue en outre : dans l’activité, la position de présence ou d’absence ; dans la position d’absence, celle qui résulte de congé, de séjour à l’hôpital, de captivité à l’ennemi, etc. (1. Règlement du 8 juin 1833 sur le service de la solde et sur les revues, art, 8 à 11.).
Toutes ces positions peuvent-elles être discutées, en fait et en droit, devant la juridiction contentieuse en tant qu’elles se rattachent à la liquidation de la solde ? Nous pensons qu’elles ne peuvent l’être qu’en fait, c’est-à-dire qu’elles peuvent être constatées et vérifiées au point de vue de leur existence de fait et de leur définition légale, mais non modifiées ou tenues pour non avenues au point de vue de la validité des décisions administratives qui les ont créées. Ainsi, le Conseil d’État peut rechercher si un fonctionnaire civil est en inactivité, en congé, en disponibilité avec ou sans traitement (2. Conseil d’État, 21 janvier 1887, Pihoret ; — 16 décembre 1881, Baude.) ; si un officier blessé, retenu sur territoire étranger, a droit à la solde de présence, de captivité ou d’hôpital (3. Conseil d’État, 18 décembre 1874, Mohammed.). Mais il ne pourrait pas, à propos d’une contestation sur la solde, rechercher si la mise en non-activité ou en réforme a été légalement prononcée. Les actes de puissance publique et d’autorité hiérarchique qui exercent une influence sur le traitement doivent produire tous leurs effets tant qu’ils n’ont pas été rapportés ou annulés.
Difficultés relatives au cumul. — Le contentieux du traitement comprend aussi toutes les questions relatives au cumul de ce traitement, soit avec un autre traitement d’activité, soit avec une pension, soit même avec une indemnité parlementaire. Sans doute, ainsi que nous l’avons expliqué, les réclamations d’un membre du [200] Parlement au sujet de la liquidation de son indemnité ne pourraient pas être portées devant la juridiction administrative (1. Voy. ci-dessus, p. 24. Conseil d’État, 26 janvier 1867, Le Bastard ; — 1er juin 1883, Datas ; — 23 novembre 1883, Freppel.), mais, dans le cas de cumul, la contestation ne porte pas sur cette indemnité, elle porte sur le traitement afférent aux fonctions civiles, militaires ou ecclésiastiques, dont le membre du Parlement serait investi. La décision attaquée étant la décision ministérielle qui refuse la liquidation de ce traitement, le Conseil d’État n’a jamais décliné sa compétence sur des litiges de cette nature, alors même qu’ils intéressaient les droits de membres du Parlement (2. Quoiqu’il s’agisse ici du contentieux du traitement, la jurisprudence du Conseil d’État admet que le recours peut être formé dans les formes du recours pour excès de pouvoir et sans le ministère d’un avocat, lorsqu’il se fonde sur l’illégalité dont serait entachée la mesure disciplinaire (1er février 1889, Sailhol ; — même date, Glena).).
Difficultés relatives aux retenues de traitement. — Les retenues ou suspensions de traitements peuvent être discutées par la voie contentieuse : non seulement si la retenue est opérée en vue de la retraite, mais encore si elle est prononcée par mesure disciplinaire.
La retenue disciplinaire est une sorte d’amende infligée au fonctionnaire qui a pris un congé sans autorisation ou qui a commis des fautes dans le service. La loi du 9 juin 1853 (art. 3) a prévu cette pénalité administrative, et le règlement d’administration publique du 9 novembre 1853 (art. 17) en a réglé l’application ; ainsi il a décidé que la privation de traitement pour congé non autorisé ne doit pas excéder une durée de traitement double de l’absence irrégulière, ni deux mois de traitement en cas de faute (3. Cette disposition générale du règlement de 1853 a été atténuée dans la plupart des règlements délibérés par le Conseil d’État sur l’organisation de l’administration centrale des ministères, et il a été reconnu que ces dispositions nouvelles ont pu valablement déroger au règlement de 1853 (avis du 17 janvier 1888 sur un projet de décret relatif à l’administration centrale du ministère de la guerre).). Le recours contentieux serait recevable sur la légalité de ces décisions disciplinaires, mais non sur leur opportunité [4. L’article 17 du décret du 9 novembre 1853 n’est pas applicable, ainsi que ce texte le déclare lui-même, aux magistrats, aux membres du corps enseignant et aux ingénieurs des ponts et chaussées et des mines, lesquels restent soumis aux dispositions spéciales qui les régissent en matière disciplinaire. Nous pensons qu’il n’est pas non plus applicable aux fonctionnaires qui ne sont pas régis, au point de vue de la retraite, par la loi du 9 juin 1853 ; en effet, c’est seulement en vertu d’une délégation de cette loi (art. 3-3°), et pour les fonctionnaires auxquels elle s’applique, que le règlement d’administration publique du 9 novembre 1853 a statué sur « les retenues pour cause de congés et d’absences, ou par mesure disciplinaire » ; ce règlement n’a donc jamais eu mission de statuer à l’égard d’autres catégories de fonctionnaires. Pour ceux-ci, il faudrait s’en référer aux règlements spéciaux qui les régissent, par exemple, pour les membres du Conseil d’État, au règlement du 2 août 1879, article 29. Les traitements ecclésiastiques ne sont pas non plus visés par le règlement de 1853 ; mais ils l’ont été par la loi de finances du 28 avril 1833 (art. 8), qui suspend le traitement de tout ecclésiastique « qui n’exercerait pas de fait dans la commune qui lui aura été désignée ». Il y a eu controverse sur le point de savoir si ce texte est limitatif, et si le Gouvernement a ou non le droit de retenir des traitements ecclésiastiques par mesure disciplinaire, en dehors du cas d’absence prévu par la loi de 1833. D’après un premier système, le Gouvernement est privé de ce droit par cela seul qu’aucun texte ne le lui donne. Les dispositions législatives qui ont été jugées nécessaires pour consacrer le droit du Gouvernement, à l’égard de fonctionnaires qu’il nomme et qui sont placés sous son autorité hiérarchique, auraient été plus nécessaires encore pour lui conférer des pouvoirs disciplinaires et discrétionnaires envers les ministres du culte catholique ou des autres cultes reconnus et salariés par l’État. Les partisans de cette première opinion la considèrent comme ayant été implicitement ratifiée par le législateur, soit lorsqu’il a limité au seul cas d’absence la retenue prévue par la loi du 28 avril 1833, soit lorsqu’il a refusé son adhésion à des propositions de loi tendant à consacrer la suspension de traitement par mesure disciplinaire, notamment la proposition présentée à la Chambre des députés par M. Paul Bert, le 7 février 1882. D’après un second système, il faudrait distinguer entre les traitements dits concordataires, qui sont alloués aux évêques et aux curés, ou vertu de l’article 14 du Concordat et des articles 61 et suivants de la loi du 18 germinal an X, et les simples indemnités ou allocations facultatives pour l’État, qui sont payées aux chanoines, desservants et vicaires. Cette distinction aurait été consacrée par le législateur lui-même, lorsqu’il a modifié, par la loi de finances du 30 décembre 1882, l’intitulé du chapitre IV du budget des cultes. Cet intitulé, qui ne faisait autrefois aucune différence entre ces diverses rétributions, a été ainsi libellé dans le budget de 1883 et dans les budgets suivants : « Traitements des curés ; allocations aux vicaires généraux, chapitres, desservants et vicaires ». On a voulu rappeler ainsi le caractère plus précaire de ces dernières allocations, et comme le disait le rapporteur de la Chambre des députés, « inviter le Gouvernement à surveiller de plus près encore les actes qui peuvent faire l’objet de justes punitions ». Enfin, d’après un troisième système, consacré par un avis du Conseil d’État du 26 avril 1883 (inséré au Journal officiel du 29 avril, p. 2137), la modification apportée à l’intitulé du chapitre IV n’aurait pas eu pour but, d’après les déclarations mêmes du rapporteur, d’étendre ou de restreindre les droits préexistants du Gouvernement. D’après cet avis, ces droits ont une double base : d’une part, la mission de l’État « qui possède, sur l’ensemble des services publics, un droit supérieur de direction et de surveillance qui dérive de sa souveraineté » ; d’autre part, les traditions de notre droit public, qui ont leur origine dans la saisie du temporel, telle qu’elle était pratiquée avant 1789. Lorsque les revenus propres du clergé ont été remplacés par des traitements à la charge du Trésor, le droit de saisir le temporel s’est appliqué de plein droit à la nouvelle forme que ce temporel a prise sous le régime concordataire ; il était d’ailleurs conforme à l’esprit du Concordat, notamment de l’article 16, que les anciennes prérogatives du Gouvernement fussent maintenues en cette matière comme en toute autre. L’avis de 1888 voit enfin une confirmation incessante de cette tradition dans les mesures que le Gouvernement a prises et dans l’approbation que le Parlement leur a donnée en 1832, en 1861 et en 1882 ; c’est pourquoi il conclut « que le droit du Gouvernement de suspendre ou de supprimer les traitements ecclésiastiques par mesure disciplinaire s’applique indistinctement à tous les ministres du culte salariés par l’État ». La solution proposée par cet avis a été consacrée par les deux arrêts du 1er février 1889 (Sailhol et Glena). L’arrêt Glena décide en outre que le ministre des cultes a seul qualité pour prononcer la suspension d’un traitement ecclésiastique, et que les préfets n’ont compétence à cet égard ni directement ni par délégation du ministre.].
[201] Le règlement du 8 juin 1883 (art. 416 et suiv.) prévoit d’autres retenues qui peuvent être opérées administrativement sur la solde [202] des officiers et employés militaires : 1° pour débet envers l’État et les corps de troupe ; 2° pour aliments dus à la femme, aux enfants ou aux ascendants ; 3° pour dettes, et spécialement celles qui ont pour objet la subsistance, le logement, l’habillement ou d’autres fournitures faites à l’officier. Ces retenues sont imposées, selon les cas, par le ministre de la guerre ou par les chefs de corps. Peuvent-elles être contestées par la voie contentieuse ? Cela nous paraît certain dans le cas de débet envers l’État, car il n’y a alors à débattre qu’une question de comptabilité ; mais nous hésiterions beaucoup à l’admettre dans les autres cas, parce que la décision du ministre de la guerre ou des chefs de corps touche à la fois à la discipline militaire et à une sorte de juridiction familiale et d’honneur que la solidarité des armes doit faire accepter. Nous ne connaissons d’ailleurs aucun exemple de pareils recours.
Dans tous les cas ci-dessus pouvant donner lieu à un débat contentieux, la réclamation doit être portée devant le ministre, sauf recours au Conseil d’État. Toutefois, si le ministre a statué spontanément, ce n’est pas devant lui qu’il faut porter le recours, mais directement devant le Conseil d’État.
III. — CONTESTATIONS EN MATIÈRE DE PENSIONS.
Division. — Les rapports des fonctionnaires avec l’État sont beaucoup plus complexes en matière de pensions qu’en matière [203] de traitements, et les contestations auxquelles ils donnent lieu peuvent avoir pour objet des décisions administratives de nature très diverse.
Parmi ces décisions, on doit d’abord distinguer celles qui se rattachent aux pouvoirs hiérarchiques du supérieur sur l’inférieur et qui, par suite, ont le caractère d’actes de la puissance publique et non de simples actes de gestion. Telles sont les décisions par lesquelles les ministres admettent les fonctionnaires civils à faire valoir leurs droits à la retraite, ou au contraire leur refusent cette admission et les retiennent malgré eux au service. Telles sont, en sens inverse, les décisions par lesquelles des fonctionnaires civils ou militaires, qui ne demandent pas à cesser leurs fonctions, sont admis d’office à faire valoir leurs droits à la retraite.
Une fois que la retraite, consentie ou imposée par le ministre, a fait cesser la fonction, l’autorité hiérarchique n’a plus à s’exercer. Les décisions qui interviennent alors pour régler les droits et obligations du fonctionnaire et de l’État ne sont plus des actes de puissance publique, mais des actes de gestion qui se traduisent par deux espèces de décisions : les unes sont celles par lesquelles les ministres déclarent s’ils reconnaissent ou non l’existence du droit à pension ; les autres sont les décrets de liquidation par lesquels le Président de la République concède la pension, sur la proposition du ministre compétent, et après avis de la section des finances du Conseil d’État.
Enfin, lorsque la pension est concédée, il peut encore intervenir des décisions concernant l’inscription au grand livre de la Dette publique, la revision de la pension ou son retrait pour cause de déchéance.
Examinons successivement ces diverses espèces de décisions et les contestations dont elles peuvent être l’objet.
Admission à la retraite et mise à la retraite d’office. — L’admission à la retraite, soit d’office, soit sur la demande du fonctionnaire, est soumise à des règles différentes, selon qu’il s’agit des fonctions civiles ou militaires.
Parlons d’abord des fonctions civiles.
I. Fonctions civiles. — Pour les fonctionnaires civils, l’admission [204] à la retraite doit nécessairement précéder toute demande de liquidation de pension ; il ne suffit pas que le fonctionnaire ait acquis des droits à la retraite, il faut que le ministre l’autorise à les faire valoir et lui permette de quitter le service de l’État. « Aucune pension n’est liquidée, dit l’article 19 de la loi du 10 juin 1853, qu’autant que le fonctionnaire aura été préalablement admis à faire valoir ses droits à la retraite par le ministre au département duquel il ressortit. »
Le droit qu’a le ministre de retenir au service un fonctionnaire civil qui est dans les conditions voulues pour obtenir une pension de retraite se justifie par un double motif. D’une part, l’acquisition du droit à pension n’est pas nécessairement le terme des fonctions civiles ; le ministre est juge des services que le fonctionnaire peut encore rendre à l’État et il peut exiger, dans l’intérêt du service public, qu’il continue à lui prêter le concours de son travail et de son expérience ; il peut l’exiger aussi dans un intérêt budgétaire, afin d’éviter que l’État n’ait à rétribuer deux personnes pour un même emploi, l’une par un traitement d’activité, l’autre par une pension de retraite. Aussi les décisions par lesquelles le ministre refuse d’admettre un fonctionnaire à la retraite sont-elles discrétionnaires et ne comportent-elles point de débat contentieux (1. Conseil d’État, 15 novembre 1872, de Langle de Cary ;— 8 juillet 1887, Janvier.).
Pour que le refus d’admission à la retraite échappe à tout recours, il faut qu’il ait le caractère que nous venons d’indiquer, celui d’une décision qui retient le fonctionnaire au service pour des raisons d’ordre administratif ou budgétaire. Mais, si le refus d’admission à la retraite constituait une dénégation du droit à pension fondée sur ce que le fonctionnaire n’aurait pas l’âge ou le temps de services voulu, ou sur ce qu’il aurait encouru la déchéance, le caractère de la décision ministérielle serait entièrement modifié. Elle ne serait plus alors un acte d’autorité hiérarchique s’imposant au fonctionnaire, mais une appréciation prématurée de ses droits à pension, appréciation qui pourrait être l’objet de réclamations de l’intéressé.
Le pourvoi formé contre une telle décision peut-il avoir pour effet de faire reconnaître de piano, par la juridiction contentieuse, [205] le droit à pension que le ministre aurait dénié à tort ? En droit strict, il semble difficile que le pourvoi puisse avoir ce résultat. En effet, s’il appartient au Conseil d’État d’annuler une décision ministérielle qui prononce sur le droit à pension au lieu de prononcer sur l’admission à la retraite, il ne lui appartient pas de se substituer au ministre, d’admettre lui-même le fonctionnaire à la retraite et de faire ainsi un véritable acte d’administration par décision contentieuse (1. Conseil d’État, 17 février 1853, Carbonnel.).
Il est cependant plusieurs fois arrivé que le Conseil d’État, après avoir annulé un refus d’admission qui déniait le droit à pension, a renvoyé le requérant devant le ministre pour faire valoir, s’il y a lieu, les droits qu’il prétend avoir à une pension (2. Conseil d’État, 15 mars 1889, Leprince.). Mais, dans ces espèces, le Conseil d’État n’a pas entendu admettre lui-même le fonctionnaire à la retraite, il a interprété les décisions attaquées comme impliquant cette admission au point de vue administratif et comme ne refusant d’y donner suite que pour des motifs étrangers à l’exercice du pouvoir hiérarchique. Ainsi entendus, ces arrêts se concilient avec les droits réservés au ministre.
Le Conseil d’État peut, à plus forte raison, statuer directement sur le droit à pension si le ministre, sans admettre expressément le fonctionnaire à la retraite, l’a remplacé d’office par mesure administrative. Cette décision prouve que la cessation de l’activité ne présentait pas d’inconvénients au point de vue du service ; aussi l’arrêt qui intervient sur la réclamation du fonctionnaire remplacé sans admission à la retraite peut le renvoyer devant le ministre pour qu’il soit statué sur son droit à pension (3. Conseil d’État, 7 avril 1869, Chéroutre ; — 27 novembre 1885, Lacombe.).
Supposons maintenant que le fonctionnaire a été admis à la retraite d’office sans qu’il ait demandé à faire valoir ses droits. Une décision de cette nature, lorsqu’elle atteint un fonctionnaire ayant des droits à pension, n’est pas susceptible, en principe, de recours contentieux (4. Conseil d’État, 4 avril 1879, Houlié.) ; elle dérive des droits du ministre sur son personnel, et le fonctionnaire ne peut pas en demander l’annulation sous [206] prétexte qu’il n’aurait pas atteint la limite d’âge prévue par les règlements. Cette limite d’âge n’est, pour les fonctionnaires révocables, qu’un terme maximum qui ne doit pas être dépassé, mais que le ministre n’est pas obligé d’attendre (1. Conseil d’État, 7 janvier 1876, de Brives.).
Il en est autrement pour les fonctionnaires à qui des dispositions spéciales de la loi assurent l’inamovibilité jusqu’à un âge déterminé : tels sont les magistrats, qui ne peuvent être mis d’office à la retraite, avant cet âge, que dans le cas d’infirmités graves et permanentes les mettant hors d’état d’exercer leurs fonctions, et sur l’avis conforme de la Cour de cassation constituée en conseil supérieur de la magistrature (2. Décrets des 1er et 19 mars 1852. — Loi du 30 août 1883, art. 15.). Tels sont aussi les professeurs des facultés, des écoles supérieures de plein exercice, des lycées et des collèges, qui ne peuvent être mis à la retraite, même lorsqu’ils ont acquis des droits à pension, que sur leur demande ou après avis de la section permanente du Conseil supérieur de l’instruction publique (3. Décret du 4 novembre 1882, art. 1er.).
Il est à remarquer que, depuis la loi de finances du 30 mai 1888 (art. 22), le droit de fixer la limite d’âge n’est plus entièrement dans les attributions du pouvoir exécutif. Sa compétence subsiste pour étendre cette limite, non pour la restreindre, pour prolonger le temps d’activité mais non pour le réduire. Dans ce dernier cas, le législateur s’est réservé le droit de statuer lui-même, craignant que l’abaissement du temps de service réglementaire ne puisse devenir onéreux pour le Trésor (4. Loi du 30 mars 1888, art 22 : « La limite déjà fixée pour la mise à la retraite des fonctionnaires civils ou militaires par les décrets, arrêtés et décisions actuellement en vigueur ne peut être abaissée que par la loi. »).
L’admission d’un fonctionnaire à faire valoir ses droits à la retraite n’implique pas par elle-même la reconnaissance du droit à pension ; plus d’une fois elle a été prononcée à l’égard de fonctionnaires qui ne remplissaient pas les conditions d’âge et de services requises par la loi. Elle n’est alors qu’une formule de révocation déguisée : formule polie, a-t-on dit quelquefois, formule ironique, dirions-nous plus volontiers, et peu conforme à la bonne foi qui [207] doit toujours présider aux rapports de l’État avec ceux qui le servent, même mal. On doit donc, en bonne administration, n’admettre à faire valoir leurs droits à la retraite que les fonctionnaires que l’on sait ou que l’on croit en possession de ces droits. Mais la révocation indirecte prononcée sous cette forme n’en échappe pas moins au recours contentieux comme la révocation directe (1. Conseil d’État, 9 juin 1882, Du Bois de Romand ;— 28 décembre 1883, Bernard. ).
La mise à la retraite d’office, à raison de son assimilation avec la révocation administrative, est soumise aux mêmes formes lorsque la loi a assuré certaines garanties au fonctionnaire contre un renvoi discrétionnaire. Tel est le cas pour les ingénieurs, qui ne peuvent être révoqués qu’après avis du conseil général des ponts et chaussées ou des mines ; pour les maîtres des requêtes ou les auditeurs au Conseil d’État, qui ne peuvent l’être qu’après avis du vice-président du Conseil délibérant avec les présidents de section. Une mise à la retraite d’office prononcée en dehors des formes prévues par la loi pourrait être annulée pour excès de pouvoir, comme constituant une révocation illégale.
II. Armées de terre et de mer. — A la différence des fonctionnaires civils, les officiers des armées de terre et de mer peuvent faire valoir leurs droits à la retraite sans avoir besoin d’y être autorisés par une décision du ministre. Pour eux, en effet, la retraite est la dernière modalité du grade dont ils sont propriétaires ; elle est une des positions qui se rattachent à leur état. « La retraite, dit l’article 14 de la loi du 19 mai 1834 sur l’état des officiers, est la position définitive de l’officier rendu à la vie civile et admis à la jouissance d’une pension de retraite. » C’est pourquoi les lois des 11 et 18 avril 1831 sur les pensions de l’armée de terre et de l’armée de mer débutent par cette disposition : « Le droit à la pension de retraite est acquis à trente ans « accomplis de service effectif. » L’officier qui a accompli le temps de service voulu est donc, par cela seul, en possession de droits à la retraite. Le ministre ne pourrait pas l’obliger à rester au service jusqu’à la limite d’âge que les lois et règlements ont prévue pour les différents grades ; l’indication de cette limite empêche le ministre [208] de conserver l’officier au-delà de l’âge prévu, mais elle ne l’oblige ni même ne l’autorise à retenir l’officier malgré lui jusqu’à ce que cet âge soit atteint.
De ce que l’officier est en possession de droits à la retraite il ne s’ensuit pourtant pas qu’il puisse toujours s’affranchir du service de l’État en réclamant la liquidation de sa pension : il pourrait être retenu sous les drapeaux pour des raisons d’ordre supérieur, telles qu’une entrée en campagne ou un embarquement.
Il résulte de ce qui précède que la mise à la retraite d’office ne peut pas être prononcée par le ministre à l’égard d’un officier qui n’a pas accompli son temps de service (1. Nous ne parlons ici, bien entendu, que des pensions d’ancienneté, non des pensions pour infirmités et blessures, qui peuvent être liquidées à toute époque.). Mais, une fois que le temps est échu, le droit est réciproque, et le ministre peut mettre l’officier à la retraite (2. Conseil d’État, 27 avril 1847, Auriscote de Lazarque ; — 29 novembre 1851, Championnet-Rey ; — 30 juin 1853, Dumas; — 12 mars 1875, Vimont ; — 14 mars 1879. Chazotte.), même s’il n’a pas atteint la limite d’âge prévue par les règlements (3. Conseil d’État, 16 avril 1851, Béchameil ; — 9 mars 1877, Labrousse.). La décision ministérielle constitue alors, pour l’officier comme pour le fonctionnaire civil, un acte d’autorité hiérarchique dont les motifs ne peuvent pas être discutés par la voie contentieuse.
Ces règles cessent d’être applicables quand il s’agit d’officiers généraux. En vertu de dispositions spéciales de la loi du 4 août 1839 (art. 7), relative à l’armée de terre, et de la loi du 17 juin 1841 (art. 8), relative à l’armée de mer, ces officiers ont le droit de n’être mis à la retraite que sur leur demande, ou s’ils ont été l’objet des mesures disciplinaires prévues par la loi du 19 mai 1834 sur l’état des officiers. Le baron Dupin, rapporteur de la loi du 4 août 1839, faisait remarquer que cette prérogative est strictement limitée aux officiers généraux : « C’est seulement en leur faveur, disait-il, que le Gouvernement veut faire un grand abandon de ses droits. »
Mais jusqu’où va cet abandon des droits du Gouvernement ?
La référence des lois de 1839 et de 1841 à la loi de 1834 sur l’état des officiers est conçue en termes assez vagues : « Les officiers [209] généraux autres que ceux auxquels seraient appliquées les dispositions de la loi du 19 mai 1834 ne seront admis à la retraite que sur leur demande. » Le Conseil d’État en a d’abord conclu, par un arrêt du 16 décembre 1852 (Chadeysson), que toutes les mesures prévues par la loi de 1834, y compris la simple mise en non-activité, ouvraient, au profit du Gouvernement, le droit de prononcer la mise à la retraite d’office. Mais cette interprétation était certainement contraire à l’esprit de la loi de 1839, car le Gouvernement étant maître de l’emploi et pouvant toujours le retirer à un officier général, il dépendrait de lui de réduire à néant la prérogative que cet officier tient de la loi de 1839. Aussi cette jurisprudence de 1852, qui se ressentait peut-être des influences politiques du temps (1. Le général de brigade Chadeysson avait été mis en non-activité, puis à la retraite, par une décision en date du 12 décembre 1851, motivée par la non-acceptation d’un commandement dans un des départements qui venaient d’être mis en état de siège à la suite du coup d’État du 2 décembre.), a-t-elle été abandonnée par le Conseil d’État. Un arrêt du 28 décembre 1877 (West) a décidé que les officiers généraux ne peuvent être mis d’office à la retraite que « dans les cas et suivant les formes prévues pour la mise en réforme des officiers par la section III du titre II de la loi du 19 mai 1834 (2. D’après ces dispositions de la loi du 19 mai 1834, les cas de mise en réforme pour cause de discipline sont : l’inconduite habituelle, les fautes graves dans le service ou contre la discipline, les fautes contre l’honneur. Les formes à suivre sont : la comparution devant un conseil d’enquête, un avis de ce conseil et une décision du Président de la République qui ne peut modifier les conclusions de cet avis que dans un sens favorable à l’officier. Cette procédure, dont l’application aux officiers généraux est très rare, a été suivie en 1889 à l’égard de M. le général de division Boulanger.) ». En conséquence, il a annulé pour excès de pouvoir une décision présidentielle qui avait admis d’office un intendant militaire à faire valoir ses droits à la retraite à la suite d’une mise en non-activité par retrait d’emploi.
Les garanties que la loi accorde aux officiers, en ce qui touche leur état et leur mise à la retraite, ont été étendues aux commissionnés de tous grades, sous-officiers, caporaux et soldats, par les lois qui se sont succédé depuis la loi du 15 mars 1875 sur les cadres et les effectifs de l’armée. Elles ont été consacrées à nouveau par la loi du 13 juillet 1894, d’après laquelle « la révocation ou la cassation du sous-officier rengagé, la mise à la retraite d’office ou [210] la révocation du sous-officier commissionné sont prononcées par le ministre ou par le général commandant le corps d’armée d’après l’avis d’un conseil d’enquête. La mise à la retraite d’office ou la révocation des caporaux, brigadiers et soldats commissionnés sont prononcées par la même autorité d’après l’avis d’un conseil de discipline ». Le Conseil d’État est ainsi devenu juge, à l’égard de ces militaires comme à l’égard des officiers, des questions de légalité que peut soulever leur mise à la retraite d’office.
Décision sur le droit à pension. — Lorsque le ministre reconnaît le droit à pension, sa décision n’est ordinairement qu’implicite ; elle se manifeste par la préparation et par l’envoi au Conseil d’État d’un projet de décret liquidant la pension. Dans ce cas, la partie n’a pas d’intérêt à ce qu’une décision spéciale soit rendue sur le droit à pension, bien que la liquidation proposée par le ministre puisse quelquefois révéler un désaccord sur le fond du droit : par exemple, si le ministre, saisi d’une demande de pension pour accident de service, ne propose qu’une pension pour infirmités, dont le taux est moins élevé. La partie peut, en attaquant le décret de concession, critiquer les bases de la liquidation.
Si, au contraire, le ministre refuse tout droit à pension, — soit spontanément, soit pour se conformer à un avis de la section des finances refusant d’approuver le décret de concession, — une décision explicite est nécessaire pour que la partie puisse faire valoir ses droits par la voie contentieuse. Le silence du ministre, quelque prolongé qu’il fût, ne pourrait pas être assimilé à une décision de rejet et fournir l’élément d’un débat contentieux. En effet, le décret du 2 novembre 1864 ne permet à la partie de se pourvoir contre le silence du ministre que lorsque celui-ci a été saisi d’un recours contre la décision d’une autorité subordonnée. La pratique ne présente d’ailleurs aucun exemple d’un ministre essayant de paralyser une demande de pension, si mal fondée qu’elle pût être, en s’abstenant systématiquement d’y répondre.
Il y a des cas exceptionnels où une décision déniant le droit à pension peut n’être qu’implicite. Tel est le cas où le ministre, saisi d’une demande de pension par un militaire réformé, se borne à lui accorder une gratification renouvelable. Une telle décision, [211] rapprochée de la demande de pension, en implique nécessairement le rejet ; aussi le Conseil d’État décide que le postulant doit se pourvoir contre elle, comme si elle prononçait expressément un refus de pension (1. Conseil d’État, 13 avril 1883, Ceret ; —22 mai 1885, Dompierre ; — 31 juillet 1885, Baud.). Il en serait autrement si l’allocation ou le retrait de la gratification renouvelable était prononcé d’office : la décision ministérielle ne devrait pas alors être interprétée comme impliquant le rejet d’une demande de pension, puisque celle-ci n’aurait pas encore été formée (2. Conseil d’État, 20 juin 1884, Dréau; — 6 mars 1885, Gérault ; — 18 mai 1888, Achard.).
La mise en réforme d’un officier constitue aussi une dénégation implicite mais absolue de tout droit à pension, car la réforme est « la position de l’officier sans emploi qui, n’étant plus susceptible d’être rappelé à l’activité, n’a pas de droits acquis à la pension de retraite » (loi du 19 mai 1834, art. 9). La position d’officier réformé étant incompatible avec celle d’officier retraité, il faudrait nécessairement que la réforme fût mise à néant pour que l’officier fût admis à faire liquider sa retraite. C’est pourquoi il doit former son recours contre la décision qui le met en réforme, sans attendre une décision expresse de refus de pension (3. Conseil d’État, 3 août 1877, Lesage; — 10 mai 1878, Chevé.).
Le contentieux auquel donnent lieu les refus de pension est un contentieux de pleine juridiction qui s’étend à toutes les questions de fait et de droit, de fond, de forme, de déchéance. — S’il s’agit de pension d’ancienneté, le Conseil d’État est juge de tout ce qui touche à l’âge et au temps de service. Toutefois, la dispense d’âge pour invalidité, prévue par l’article 5, § 3, de la loi du 10 juin 1853, ne peut être accordée que par le ministre agissant comme supérieur hiérarchique et reconnaissant que le titulaire est hors d’état de continuer ses fonctions. Aucun recours contentieux ne serait recevable contre le refus d’accorder cette dispense. — S’il s’agit de pension pour blessures ou infirmités, le Conseil d’État est juge de leur nature, de leur gravité, de leur origine, de la question de savoir si elles sont ou non incurables, si elles mettent le fonctionnaire hors d’état de continuer son service, l’officier hors [212] d’état de rester en activité et d’y rentrer ultérieurement, le sous-officier ou le soldat dans l’impossibilité de pourvoir à sa subsistance. Questions singulièrement complexes et souvent pleines de difficultés techniques ; aussi, la loi a-t-elle institué des procédés rigoureux d’instruction et des vérifications médicales qui tiennent une place importante dans la législation des pensions militaires, mais sur lesquelles nous n’avons pas à insister ici.
Questions de déchéance. — Les questions de suspension et de déchéance du droit à pension sont de celles que le ministre est appelé à résoudre en prononçant sur une demande de pension ; le Conseil d’État, saisi d’un recours, statue sur toutes les difficultés de fait ou de droit que peut soulever la déchéance opposée par le ministre. Mais, parmi ces difficultés, il en est qui touchent aux prérogatives de l’autorité hiérarchique, d’autres qui relèvent des tribunaux judiciaires, de telle sorte que la délimitation des compétences exige, en cette matière, une attention particulière.
Rappelons d’abord quelles sont les causes qui peuvent entraîner la suspension ou la perte définitive du droit à pension.
La suspension du droit à pension résulte des causes suivantes : — 1° Perte de la qualité de Français, durant la privation de cette qualité (loi du 9 juin 1853, art. 29 ; loi du 11 avril 1831, art. 26, § 3) ; — 2° condamnation à une peine afflictive ou infamante. Dans ce cas, la suspension dure jusqu’à la réhabilitation pour les pensions civiles (loi de 1853, art. 27, § 3), et seulement pendant la durée de la peine pour les pensions militaires (loi de 1831, art. 26, § 3) ; — 3° résidence hors du territoire français sans l’autorisation du Gouvernement. Ce cas de suspension n’existe que pour les pensions militaires (loi de 1831, art. 26, § 4).
La perte définitive du droit à pension a lieu, d’après la législation des pensions civiles (loi de 1853, art. 27, §§ 1, 2 et 3) : — 1° Si le fonctionnaire ou employé est démissionnaire ; — 2° s’il est destitué ou révoqué d’emploi ; — 3° s’il est constitué en déficit pour détournement de deniers ou matières, ou convaincu de malversations.
La perte définitive du droit à pension résulte, pour les militaires : — 1° De la peine de la destitution prononcée en exécution [213] du Code de justice militaire du 9 juin 1857 (art. 192) ; — 2° de la peine de la dégradation, mais à condition que la dégradation ait été non seulement prononcée, mais encore effectivement exécutée dans la forme prescrite par l’article 190 du même Code (1. Conseil d’État, 27 juin 1867, Chaspoul.).
Examinons maintenant les principales questions contentieuses auxquelles peut donner lieu la suspension ou la déchéance du droit à pension.
I. Quels droits sont atteints par la déchéance. — On s’est quelquefois demandé si la déchéance du droit à pension a pour effet de paralyser des droits acquis aussi bien que des droits purement éventuels et de simples espérances. L’affirmative résulte des termes généraux de l’article 27 de la loi de 1853, qui ne comportent aucune restriction ni réserve en faveur des fonctionnaires ayant l’âge et les services requis pour la retraite.
Des doutes ont cependant été émis sur ce point par le ministre des finances dans une affaire jugée le 23 novembre 1877 (Crochez) qui se présentait d’ailleurs dans des circonstances spéciales : Il s’agissait d’une pension de l’octroi de Paris, régie par l’ordonnance du 7 mai 1831, non par la loi du 9 juin 1853 ; une disposition spéciale de cette ordonnance limitait la déchéance au cas où l’employé révoqué ou démissionnaire n’avait pas 30 ans de services. Les conclusions du ministre des finances n’auraient donc prêté à aucune critique si elles s’étaient bornées à invoquer cette disposition, que les états de services du requérant lui rendaient applicables. Mais ses conclusions allèrent beaucoup plus loin : — « Il est de principe incontesté, disait le ministre, que la pension est le résultat d’un contrat à titre onéreux entre l’administration et le fonctionnaire. Lorsque celui-ci a acquis les deux conditions d’âge et de durée de services, son droit est acquis et l’administration ne peut se soustraire à l’obligation qu’elle a consentie. C’est ce qui résulte de l’article 5 de la loi du 9 juin 1853, auquel il n’est fait exception que dans les cas, spécialement prévus par l’article 27, de détournement et de malversation, et avec des garanties spéciales. »
[214] Nous avons déjà écarté l’assimilation des pensions à des contrats : nous n’y reviendrons pas ; nous ferons seulement remarquer qu’alors même qu’il y aurait contrat ses clauses n’en seraient pas moins dans la loi, et que c’est précisément la clause de déchéance, insérée dans l’article 27, qu’il s’agit d’interpréter. Or, l’avis ministériel de 1877 faisait une confusion entre le droit acquis à la jouissance d’une pension concédée et le droit acquis à l’obtention d’une pension demandée. Il est vrai que le droit à la jouissance d’une pension concédée ne peut être retiré ou suspendu que dans des cas déterminés (détournement, malversation, condamnation, perte de la qualité de Français), mais il est également certain que, d’après l’article 27, le fonctionnaire démissionnaire ou destitué perd ses droits à la pension ; quels droits ? Évidemment ceux qu’il avait au moment où il a donné sa démission ou subi une révocation : droits purement éventuels s’il n’avait pas l’âge et le temps de service voulus, droits acquis à l’obtention d’une pension, si ces conditions étaient remplies. Le Conseil d’État s’est plusieurs fois prononcé en ce sens, notamment par ses arrêts du 2 septembre 1862 (Descrimes) et du 2 décembre 1887 (Hébert).
II. Déchéance résultant de la destitution ou révocation. — La destitution d’un fonctionnaire et la révocation d’un employé sont des actes de discipline hiérarchique, qui ne peuvent être annulés par la voie contentieuse que s’ils sont contraires aux droits d’un fonctionnaire inamovible ou s’ils sont entachés de vice de forme. Mais, si le Conseil d’État n’a point à statuer sur le mérite de ces mesures, il peut ; comme juge des pensions, vérifier leur nature, apprécier leur influence sur les droits du fonctionnaire, rechercher si la déchéance a été réellement encourue.
En effet, la déchéance ne frappe pas tout fonctionnaire qui perd sa place, mais seulement celui qui la perd par mesure disciplinaire. C’est là une distinction que le Conseil d’État a souvent consacrée et qui a pour elle les textes et la nature même des choses.
En premier lieu, les textes : quand l’article 27 parle du fonctionnaire destitué, de l’employé révoqué d’emploi, il a en vue le renvoi d’un agent qui a démérité, non le remplacement d’un agent à qui des considérations d’ordre administratif ou politique font préférer [215] un autre titulaire. En vain dirait-on que ce texte prévoit à la fois la destitution et la révocation, et que cette dernière expression, rapprochée de la première, est plus large et semble viser toute privation des fonctions. Nous n’hésitons pas à penser que la portée des deux expressions est exactement la même : l’une vise le fonctionnaire destitué, l’autre le simple employé révoqué d’emploi ; toutes les deux ont en vue un agent frappé par ses chefs, et non pas simplement sacrifié à des convenances de service. Un autre argument est fourni par la loi du 30 mars 1872, qui admet à pension, sous certaines conditions, « les fonctionnaires et employés civils ayant subi une retenue qui, du 12 février 1871 au 31 décembre 1872, auront été réformés pour cause de suppression d’emploi, de réorganisation ou pour toute autre mesure administrative qui n’aurait pas le caractère de révocation ou de destitution ».
La nature des choses vient confirmer l’argument de textes. L’État a certainement le droit de ne pas pensionner des agents que leurs fautes font exclure de son service ; mais il manquerait à toute justice s’il privait de leur retraite tous ceux qu’il remplace, parce qu’il juge leurs aptitudes insuffisantes ou leur dévouement politique douteux. Sans doute, le fonctionnaire peut commettre des fautes d’ordre politique qui justifient sa révocation par mesure disciplinaire. Mais cette révocation ne saurait être confondue avec les mutations administratives qui s’opèrent sous l’influence de circonstances politiques générales (1. Cette distinction entre la révocation et le remplacement administratif a été très nettement indiquée par le Conseil d’État dans ses arrêts du 9 décembre 1879 (Thomas) et du 16 janvier 1880 (Le Goff) relatifs au remplacement d’instituteurs congréganistes. On y lit : « Considérant qu’il est de principe que les fonctionnaires publics nommés par le pouvoir exécutif peuvent toujours être relevés de leurs fonctions par la même autorité, à moins d’exceptions formellement prévues par la loi… Mais que les incapacités et déchéances édictées, en cas de révocation ou de destitution, par des lois générales ou spéciales, ne sont encourues que si la révocation ou destitution a été expressément prononcée, et qu’elles ne sauraient s’étendre au cas où les fonctionnaires sont relevés de leurs fonctions par mesure administrative. »).
Le Conseil d’État, juge de la déchéance, doit donc vérifier si le retrait des fonctions a eu ou non le caractère d’une révocation disciplinaire. S’inspirant des termes de la décision, des rapports qui l’ont précédée, des circonstances qui l’ont provoquée, il décidera [216] si, en fait, l’agent a été révoqué dans le sens de l’article 27 de la loi de 1853 (1. Conseil d’État, 27 novembre 1885, Lacombe, et les conclusions du commissaire du Gouvernement ; — 29 juillet 1887, de Watteville.).
Le Conseil d’État pourrait-il, après avoir reconnu le caractère disciplinaire d’une révocation, la tenir pour non avenue, au point de vue de la déchéance, parce qu’elle aurait été prononcée illégalement, par exemple, en violation des formes auxquelles elle était soumise ? Il paraît juridique de résoudre cette question en matière de pensions comme nous l’avons résolue en matière de traitements : Tant que l’acte d’autorité hiérarchique qui a atteint le fonctionnaire n’a pas été annulé il doit produire tous ses effets, parmi lesquels la loi a placé la déchéance du droit à pension ; si cet acte est illégal, l’intéressé ne peut s’en prendre qu’à lui-même de ne l’avoir pas attaqué pour excès de pouvoir et de l’avoir laissé devenir définitif.
Que décider si la destitution est prononcée contre un ancien agent qui avait déjà quitté le service avec l’agrément de ses chefs, ou par suite d’un remplacement administratif ?
On a souvent soutenu que la destitution peut être ainsi prononcée après coup lorsqu’on découvre, après le départ de l’agent, des malversations qui l’auraient fait destituer si on les avait connues plus tôt. Plusieurs fois la déchéance a été, en pareil cas, opposée par le ministre, non seulement à l’agent incriminé, mais encore à sa veuve et à des titulaires de pensions déjà liquidées et inscrites au grand-livre. Cette prétention, d’abord écartée par le Conseil d’État en 1839 et en 1848 (2. Conseil d’État, 15 août 1839, Arnoux ; — 6 mai 1848, Boudet. Dans la première de ces affaires, il s’agissait d’une pension déjà concédée ; dans la seconde, d’une pension de veuve.), a été accueillie par un arrêt du 9 février 1850 (de Vailly) qui admet, comme cause de déchéance, une destitution prononcée trois ans après l’admission à la retraite. Un autre arrêt du 30 décembre 1858 (Vaissié) refuse à un agent, destitué postérieurement à son remplacement administratif, le droit de contester par la voie contentieuse cette destitution et la déchéance qui en était résultée.
Nous ne saurions nous rallier à cette doctrine. Les pouvoirs [217] disciplinaires de l’administration à l’égard de ses fonctionnaires ne survivent pas à la fonction ; l’autorité hiérarchique ne peut plus s’exercer sur une personne qui a cessé d’appartenir à la hiérarchie. Le ministre peut assurément destituer un agent démissionnaire dont il a refusé la démission, parce que l’agent reste sous ses ordres tant que sa démission n’est pas acceptée. Mais telle n’est pas la situation de l’agent remplacé ou admis à la retraite : au regard de l’administration, il cesse d’être un fonctionnaire pour devenir un simple particulier, ou bien un pensionnaire de l’État, contre lequel on peut seulement provoquer le retrait de la pension dans les cas et dans les formes prévus par la loi (1. Cette doctrine nous paraît avoir été acceptée par le Conseil d’État et par le ministre de l’intérieur dans une affaire jugée le 7 juillet 1870 (Moris). Le dispositif de l’arrêt se borne à déclarer sans objet le pourvoi d’un fonctionnaire qui avait été révoqué après avoir été admis à faire valoir ses droits à la retraite et avoir effectivement cessé ses fonctions, et à qui la pension avait été refusée à raison de cette révocation. Mais les motifs de l’arrêt constatent qu’au moment où le requérant avait été révoqué « il ne faisait plus partie de l’administration ; que notre ministre de l’intérieur a reconnu que, dans ces circonstances, l’arrêté par lequel le préfet a prononcé la révocation du sieur Moris devait être considéré comme non avenu, et que cet arrêté ne faisait pas obstacle à ce que le sieur Moris pût se prévaloir de l’arrêté du… (portant admission à la retraite) pour faire reconnaître par l’autorité compétente les droits qu’il prétendait avoir à une pension de retraite ». Cf. un avis de la section des finances du 2 avril 1878 qui décide que le fonctionnaire remplacé, puis réintégré dans un emploi, doit la retenue du douzième comme s’il n’avait jamais appartenu à l’administration.).
Si maintenant on se place au point de vue administratif et politique, on reconnaît qu’il peut se présenter des cas où le droit revendiqué par l’administration serait utile à exercer : par exemple le cas où des malversations ou autres fautes graves seraient tardivement découvertes à la charge d’un fonctionnaire admis à faire valoir ses droits à la retraite. Mais l’administration sera rarement désarmée en pareil cas, parce que l’article 27 de la loi de 1853 permet de retirer la pension, à toute époque, à un ancien agent reconnu en déficit, convaincu de malversations ou atteint de condamnations graves. Par contre, il y aurait de grands inconvénients à ce qu’un ministre pût frapper de déchéance, au moyen d’une destitution tardive, des fonctionnaires admis à la retraite par son prédécesseur.
III. Déchéance résultant de la démission. — D’après l’article 27 [218] de la loi de 1853, la démission entraîne, comme la révocation, la déchéance du droit à pension. A première vue, cette règle se comprend moins que la précédente. En effet, si la démission n’est pas acceptée, l’agent reste en fonctions ; si elle l’est, le consentement donné à la cessation de ses services semble absoudre l’initiative qu’il a prise. La vérité est que la loi n’admet pas cette initiative ; elle l’assimile à une sorte de désertion et elle punit le déserteur, même quand le ministre le laisse quitter son poste. On doit d’ailleurs reconnaître que le ministre n’a guère le moyen de retenir malgré lui un fonctionnaire civil décidé à quitter le service. La déchéance sert donc de sanction à la règle d’après laquelle les fonctionnaires civils ayant des droits à pension doivent, avant de quitter le service, être admis par le ministre à faire valoir leurs droits à la retraite. Aussi le Conseil d’État a-t-il appliqué cette déchéance à un juge de paix qui avait adressé sa démission au garde des sceaux, en termes d’ailleurs respectueux, et qui avait même obtenu que son fils fût nommé à sa place (1. Conseil d’État, 30 novembre 1862, Descrimes. ).
La déchéance subsisterait-elle si le ministre, après avoir accepté la démission, admettait le fonctionnaire démissionnaire à faire valoir ses droits à la retraite ? En droit strict, cette solution rigoureuse devrait peut-être prévaloir, car l’admission à la retraite ne préjuge rien sur le fond du droit, elle autorise le fonctionnaire à faire valoir tels droits qu’il peut avoir, droits nuls s’il a encouru une déchéance. Mais on peut dire, en sens inverse, que l’admission à la retraite couvre après coup la démission, qu’elle constate que le départ de l’agent a été librement consenti par le ministre, et n’entraîne aucun inconvénient pour le service, aucune charge imprévue pour le budget ; elle ferait ainsi disparaître ce que l’initiative du fonctionnaire avait eu d’incorrect. C’est en ce sens que l’arrêt du 30 novembre 1862 (Descrimes) nous paraît s’être implicitement prononcé : tout en appliquant la déchéance, il prend soin de constater que le fonctionnaire démissionnaire n’a été admis à faire valoir ses droits à la retraite ni par le décret qui acceptait sa démission, ni par aucun décret postérieur. C’est là une solution équitable et à laquelle nous nous rallions volontiers.
[219] La démission peut-elle exercer une influence sur les droits acquis à une pension militaire ? Nous avons vu que la loi de 1831 ne mentionne pas la démission comme cause de déchéance. Antérieurement à cette loi, un avis du Conseil d’État du 12 prairial an XI avait décidé que « l’officier qui donne sa démission après trente ans de service est susceptible de la solde de retraite si sa démission n’a pas été donnée en temps de guerre, ou si, en ce cas, elle a été acceptée par le ministre ». Cet avis, qui admet implicitement que la démission n’aurait besoin d’être acceptée qu’en temps de guerre, ne pourrait plus s’accorder avec l’article 1er de la loi du 19 mai 1834, d’après lequel toute démission doit être acceptée par le roi ». Il est même à remarquer que, lors du vote de cette loi, la Chambre des pairs n’a pas voulu adopter un amendement qui proposait de réserver des cas où la démission serait entièrement libre pour l’officier. Aussi la jurisprudence du Conseil d’État décide-t-elle que le refus de démission relève entièrement de l’appréciation du ministre et ne peut pas être l’objet d’un recours par la voie contentieuse (1. Conseil d’État, 23 mars 1872, Pichon ; — 27 janvier 1888, Germaix ; — 20 février 1891, Dève.).
La doctrine de l’avis de l’an XI ne saurait donc trouver aujourd’hui son application. L’officier dont la démission n’est pas acceptée reste dans les liens de la discipline militaire ; il ne peut s’en affranchir qu’en prenant sa retraite dès qu’il a acquis des droits ; le Gouvernement n’a pas alors à intervenir pour l’autoriser, par une décision spéciale, à rentrer dans ses foyers après liquidation de sa retraite (2. Il arrive quelquefois que des officiers, ayant des droits acquis à la retraite, joignent l’envoi d’une démission à leur demande de liquidation de pension. Il n’y a pas lieu, dans ce cas, d’accepter la démission et il suffit de donner suite à la demande de pension. La pratique du ministère de la guerre et de la section des finances est depuis longtemps fixée en ce sens.). Mais il pourrait retarder cette liquidation s’il estimait que des raisons de service font obstacle au départ immédiat de l’officier.
Questions réservées à l’autorité judiciaire. — Parmi les questions que le droit à pension peut soulever, il en est qui ne peuvent pas être définitivement tranchées par l’autorité administrative, [220] parce qu’elles se rattachent à des questions d’état et de nationalité qui sont du ressort des tribunaux judiciaires. Telle est la question de savoir si le demandeur en pension a perdu la qualité de Français, ou si, l’ayant perdue, il l’a recouvrée (1. Conseil d’État, 10 août 1844, Clouet.) ; si une veuve ou des orphelins avaient la qualité d’épouse ou d’enfants légitimes (2. Conseil d’État, 13 juin 1845, Sentenary ; — 23 juin 1846, de Vaudricourt.). Le renvoi de ces questions à l’autorité judiciaire a lieu conformément aux règles générales de la compétence en matière de questions préjudicielles, règles qui ont été exposées dans une autre partie de cet ouvrage. Bornons-nous à rappeler : que le renvoi ne doit être prononcé que si la question d’état ou de nationalité donne lieu à des difficultés sérieuses (3. Le Conseil d’État a souvent passé outre à des questions d’état ou de nationalité qui ne lui paraissaient pas de nature à suspendre son jugement sur le droit à pension ; par exemple à la question de savoir si une séparation de corps avait ou non pris fin (7 avril 1841, Mazian ; 2 janvier 1844, Philippon), ou si le réclamant était Français (7 juillet 1870, Rauner ; 19 février 1886, Siégel).) ; qu’il ne s’impose qu’à la juridiction contentieuse, saisie d’un véritable litige sur le droit à pension, non au ministre qui fait acte d’administrateur en appréciant ce droit, et qui n’est jamais tenu de suspendre ses décisions pour attendre la solution d’une question préjudicielle.
Liquidation et concession de la pension. — Le droit à pension étant reconnu, il faut en fixer le chiffre et en concéder le titre. C’est d’abord l’œuvre du ministre, qui fait la liquidation, puis celle du Gouvernement en Conseil d’État qui concède la pension. « La liquidation, dit l’article 24 de la loi du 9 juin 1853, est faite par le ministre compétent qui la soumet à l’examen du Conseil d’État avec l’avis du ministre des finances. Le décret de concession est rendu sur la proposition du ministre compétent. Il est contre-signé par lui et par le ministre des finances. »
La liquidation et la concession, bien que distinctes en droit, se confondent en fait, car la liquidation de la pension ne peut définitivement résulter que du décret de concession. Jusque-là elle ne constitue qu’une opération préparatoire et non une véritable décision. Aussi est-ce contre le décret de concession, et non contre la liquidation ministérielle, que doit être formé le recours au Conseil [221] d’État. Ce recours, prévu par l’article 25 de la loi de 1831 sur les pensions militaires, a été passé sous silence par la loi de 1853 sur les pensions civiles, mais il n’en existe pas moins d’après les principes du contentieux administratif, puisqu’il se fonde sur une atteinte portée à un droit. D’un autre côté, le décret qui sert d’objectif au recours n’est pas un acte de puissance publique, mais un acte de gestion ; il en résulte qu’il donne lieu à un contentieux de pleine juridiction, et que le Conseil d’État a qualité pour contrôler non seulement les bases de la liquidation, mais encore tous ses éléments appréciés en fait et en droit. Il n’excéderait même pas ses pouvoirs en rectifiant, par arrêt, le chiffre de la pension, car il a le droit de réformer la décision attaquée et non pas seulement de l’annuler. Mais, dans la pratique, il s’abstient d’arrêter lui-même une liquidation nouvelle ; il se borne à annuler le décret et à renvoyer devant le ministre pour liquidation. D’ailleurs, alors même que l’arrêt du Conseil d’État liquiderait la pension, il ne pourrait pas la concéder, et il faudrait toujours qu’un nouveau décret de concession fût rendu dans les mêmes formes que le premier.
Décisions relatives à l’inscription des pensions au grand livre de la Dette publique. — Le décret de concession constitue le titre de créance du pensionnaire à l’égard de l’État, mais son droit au paiement ne peut résulter que de l’inscription de la pension au grand livre de la Dette publique.
Sous l’empire de la loi de finances du 25 mars 1817 et de l’ordonnance du 20 juin suivant, l’inscription de toutes les pensions, tant civiles que militaires, résultait d’un décret spécial émis sur la proposition du ministre des finances, sur le vu du décret de concession, lequel était rendu après son avis, mais n’était proposé et contresigné que par le ministre liquidateur. Le ministre des finances, avant de faire inscrire la pension au grand livre, avait toujours le droit de vérifier la régularité du décret de concession. Il ne pouvait pas remettre en question le fond du droit et réviser les éléments de la liquidation (1. Conseil d’État, 28 juin 1851, Sapia.), mais il devait vérifier si la pension était concédée dans les limites du maximum légal et [222] conformément aux lois sur le cumul, et si le décret de concession avait été rendu dans les formes voulues, notamment après avis du ministre des finances et du Conseil d’État. Dans ces différents cas, il pouvait, si quelque irrégularité était constatée, refuser d’inscrire la pension au grand-livre (1. Conseil d’État, 23 février 1850, de la Rochefoucauld ; — 28 juin 1851, de Ségur-Dupeyron ; — même date, Baudesson de Richebourg.).
Ces règles n’ont pas cessé d’être applicables aux pensions militaires, qui donnent toujours lieu à deux décrets distincts : le décret de concession et le décret d’inscription. Mais elles ont été modifiées, pour les pensions civiles, par l’article 24 de la loi du 9 juin 1853, d’après lequel « le décret de concession est rendu sur la proposition du ministre compétent. Il est contresigné par lui et par le ministre des finances. Il est inséré au Bulletin des lois. »
Il résulte de ce texte qu’un décret spécial n’est pas nécessaire pour inscrire une pension civile au grand-livre, et que, par suite, le ministre des finances ne peut pas exercer sur le décret de concession le même droit de contrôle qu’en matière de pensions militaires. Ce droit est remplacé par la participation obligée de ce ministre à la préparation et au contreseing du décret de concession. L’inscription de la pension n’est donc que l’exécution d’un décret rendu en présence du ministre des finances, et dont il est responsable en vertu de son contreseing, au même titre que le ministre liquidateur. Il en résulte qu’il ne saurait, en principe, refuser l’exécution de ce décret qu’il a fait sien, même s’il a été rendu sans son avis. Cette grave irrégularité autoriserait certainement le ministre des finances à refuser son contreseing, mais nous ne pensons pas qu’elle puisse l’autoriser à refuser l’exécution du décret après l’avoir contresigné.
Il y a cependant des cas où le ministre des finances pourrait encore refuser l’inscription d’une pension civile : — d’abord, cela va de soi, si on lui présentait un décret qu’il n’aurait pas contresigné ; — si le décret, régulier en la forme, n’avait pas été inséré au Bulletin des lois, ainsi que le prescrit l’article 23 de la loi de 1853 ; — si la pension concédée constituait une infraction à la loi du cumul, à raison d’une pension préexistante (2. La compétence du ministre des finances, pour l’application des lois sur le cumul, exclut celle du ministre liquidateur ; aussi une décision par laquelle ce dernier refuserait de transmettre au ministre des finances une demande tendant au cumul d’une pension avec un traitement d’activité devrait être considérée comme non avenue, ledit ministre n’ayant pas qualité pour statuer. — 15 juin 1888, Coulmy ; — 5 décembre 1890, Tourneix.) ; — si enfin [223] le ministre ajournait l’inscription en se fondant sur ce que les crédits affectés au service des pensions sont épuisés (1. Conseil d’État, 31 juillet 1822, Arnault ; — 12 janvier 1835, Barrot.).
Le recours contentieux est ouvert à toute partie qui se prétend lésée par un refus d’inscription au grand-livre, mais ce recours ne peut tendre qu’à l’annulation de la décision du ministre des finances, non à sa réformation ; le Conseil d’État ne pourrait pas ordonner par son arrêt l’inscription de la pension, parce que toute inscription sur le grand-livre de la Dette publique constitue un acte d’administration exclusivement réservé au ministre des finances, gardien du grand-livre.
Révision des pensions. — Les pensions concédées et inscrites au grand-livre de la Dette publique sont irrévocables, sauf les cas de révision et de retrait pour cause de déchéance.
La révision d’une pension ne peut avoir lieu qu’en vertu d’une disposition expresse de la loi, et non en vertu de décisions administratives modifiant après coup, dans l’intérêt du pensionnaire ou de l’État, une liquidation qui doit être définitive pour l’un et pour l’autre. La révision est prévue par la loi du 9 juin 1853 (art. 28), lorsque le fonctionnaire retraité est rentré en activité et qu’il y a lieu de tenir compte de ses nouveaux services pour la liquidation de sa retraite définitive. Elle a été prescrite, pour les pensions militaires, par la loi du 18 août 1881 qui, par une mesure de haute bienveillance, a fait bénéficier les sous-officiers et soldats retraités antérieurement à 1879 des tarifs que les lois des 5 et 18 août 1879 n’avaient établis que pour l’avenir. Mais cette révision a été limitée à l’application des tarifs, et le Conseil d’État n’a pas admis qu’on pût s’en prévaloir pour modifier les bases mêmes de la liquidation primitive (2. Conseil d’État, 18 juillet 1884, Davin. — En ce qui touche les officiers et leurs veuves, ayant obtenu pension antérieurement à 1879, la loi de 1881 n’a pas ordonné la révision, comme pour les sous-officiers et soldats, mais un supplément de pension dont elle a fixé le montant.).
[224] On peut assimiler aussi à une revision de pension la liquidation nouvelle à laquelle ont droit les militaires retraités pour blessures et infirmités, lorsque celles-ci atteignent, par suite d’une aggravation consécutive, un des degrés de gravité prévus par l’article 13 de la loi du 11 avril 1831 : cécité, amputation, perte de l’usage d’un membre (1. Décret du 10 août 1886, art. 1.).
Mentionnons aussi plusieurs lois, d’un caractère tout spécial, qui ont ordonné la revision de pensions, non plus dans l’intérêt des pensionnaires, mais dans celui de l’État : lois politiques, rendues après les révolutions de 1830, de 1848 et de 1870, qui ont voulu réagir contre des décisions de gouvernements disparus, considérées comme des largesses politiques, ou contre des liquidations suspectées de complaisance en faveur de fonctionnaires qui ne remplissaient pas les conditions requises pour obtenir une pension d’ancienneté (2. On peut citer : la loi du 29 janvier 1831 qui ordonne la revision des pensions accordées en vertu de la loi du 11 septembre 1807, qui visait les services exceptionnels de grands dignitaires de l’État ; elle révoque « celles de ces pensions qui n’auraient pas été accordées à la distinction des services et à l’insuffisance de la fortune », ainsi que l’exigeait la loi de 1807 ; — la loi du 19 mai 1849 qui ordonne la revision des pensions concédées depuis le 1er janvier 1848, en dehors des conditions d’âge et de services fixées par la loi, et soumet à un nouvel examen les infirmités qui avaient été invoquées à l’appui de ces pensions ; — la loi du 16 septembre 1871 qui reproduit les dispositions de la loi de 1831, en les appliquant aux pensions exceptionnelles allouées aux grands fonctionnaires de l’Empire en vertu de la loi du 17 juillet 1856 ; — la loi du 17 mars 1875, très analogue à celle de 1849, qui soumet à un nouvel examen les pensions pour infirmités pour lesquelles un crédit supplémentaire avait été demandé pour l’exercice 1874. ). Parmi ces lois, les unes ont pu paraître justifiées, comme abolissant des pensions créées en dehors de la législation générale, mais les autres ont plus ou moins porté atteinte à des droits nés de cette législation et à leur irrévocabilité. A ce titre, elles ont constitué de véritables lois d’exception, dérogeant aux principes de la Dette publique, et elles ne sauraient servir d’exemple au législateur à venir.
Nous avons dit qu’en dehors des cas prévus par ces lois générales ou spéciales, aucune revision ne peut être légalement opérée, soit d’office, soit sur la réclamation de la partie intéressée. La jurisprudence du Conseil d’État au contentieux est formelle en ce sens, soit qu’il s’agisse de changements à apporter aux bases de la liquidation [225] ou à la date de l’entrée en jouissance (1. Conseil d’État, 15 août 1839, Arnoux ; — 4 avril 1879, de Soland ; — 1er avril 1887, Aigle. — Sous la Restauration, une jurisprudence différente avait prévalu. Un arrêt du 18 juin 1823, Eltz, rejette le recours d’un pensionnaire à qui sa pension avait été retirée, quatre ans après la concession, comme ayant été liquidée par suite d’une erreur sur ses titres. On voit, par cet exemple, combien une telle jurisprudence pourrait être abusive.), soit même qu’il s’agisse de rectifier des erreurs matérielles ; ces erreurs, comme celles qui portent sur le fond du droit, ne peuvent être redressées que par une décision contentieuse, à la suite d’un recours formé contre le décret de concession dans les délais légaux (2. Conseil d’État, 8 janvier 1836, Barjon ; — 4 juillet 1838, Cotte ; — 7 décembre 1883, Astorg ; — 9 mars 1888, Dauriac. La jurisprudence de la section des finances est moins absolue en ce qui touche les erreurs matérielles. Elle admet que ces erreurs peuvent être rectifiées, mais seulement en faveur du pensionnaire, et à condition que celui-ci en ait fait la demande au ministre dans les trois mois de la notification du décret de concession. « Avis du 8 décembre 1858, Everl ; — 7 août 1880, Vigier; — 28 décembre 1881 et 29 mars 1882, Astor.) Mais on ne saurait considérer comme une simple erreur matérielle le fait qu’une pension aurait été liquidée pour ancienneté au lieu de l’être pour accident de service. (Avis du 11 février 1891.)).
Retrait de pension. — Nous avons vu que les faits entraînant déchéance du droit à pension n’entraînent pas toujours la perte d’une pension concédée et inscrite au grand-livre. Ainsi, la destitution, la révocation, la démission, font obstacle à l’obtention d’une pension civile, mais non à sa jouissance une fois qu’elle est concédée ; il y a cependant un cas où la démission entraînerait une déchéance complète de tous les droits, c’est si elle avait été donnée à prix d’argent (loi du 9 juin 1853, art. 28, § 3). Dans tous les autres cas prévus par la législation des pensions civiles (déficit, malversations, condamnation à une peine afflictive ou infamante, perte de la qualité de Français), la déchéance atteint la pension concédée. Il en est de même dans tous les cas de déchéance des pensions militaires prévus par la loi du 11 avril 1831, par celle du 18 avril 1831 et par le Code de justice militaire : condamnation à une peine afflictive ou infamante, perte de la qualité de Français, résidence à l’étranger sans l’autorisation du Gouvernement, destitution, dégradation.
Par quelles décisions et dans quelles formes sont prononcés les [226] retraits de pension ? Cette question est incomplètement résolue par les textes. L’article 43 du décret du 9 novembre 1853 dispose que la perte du droit à pension est prononcée par un décret rendu sur la proposition du ministre des finances, après avis du ministre liquidateur et de la section des finances du Conseil d’État. Mais cette disposition ne vise que les déchéances de pensions civiles « prononcées dans l’un des cas prévus par les deux derniers paragraphes de l’article 27 de la loi du 9 juin 1853 », ce qui laisse de côté la déchéance d’une pension civile résultant de la perte de la qualité de Français, et toutes les déchéances de pensions militaires. Un arrêt du 7 mai 1857 (Bèirand) en a conclu que ces dernières déchéances ne sont pas soumises aux règles de compétence et de procédure édictées par le décret de 1853, et qu’elles peuvent résulter de simples décisions ministérielles. Cet arrêt, d’ailleurs isolé, ne nous paraît pas justifié en droit. Nous reconnaissons que l’article 43 est rédigé en termes limitatifs qui ne permettent guère de l’appliquer textuellement à des cas autres que ceux qu’il a prévus. Mais, en dehors de ce texte, il existe une règle générale d’où nous paraît résulter la nécessité d’un décret dans tous les cas de retrait de pension. En effet, il est de principe qu’une décision ne peut être mise à néant que par une décision de même nature et rendue dans les mêmes formes, à moins d’exceptions prévues par la loi ; ces exceptions sont rares, et elles tendent presque toujours à soumettre l’acte révocatoire à des formalités plus sévères. Or le retrait d’une pension concédée supprime, pour un temps ou pour toujours, le titre créé par un décret. En vain dirait-on que le décret subsiste et que c’est seulement son exécution, la jouissance des arrérages, qui cesse pour un temps ou pour toujours ; cela n’est vrai que dans le cas où le paiement de la pension est suspendu par suite d’un rappel du pensionnaire à l’activité (loi du 9 juin 1853, art. 28), mais non quand il y a perte du droit à pension ; le titre est alors supprimé, la qualité de pensionnaire disparaît, et nous pensons, nonobstant l’arrêt de 1857, qu’un décret rendu dans les mêmes formes que le décret de concession, serait nécessaire, même en dehors des cas prévus par l’article 43 du décret du 9 novembre 1853.
A peine est-il besoin d’ajouter que, quelle que soit la nature de [227] la décision, elle peut donner lieu à un recours par la voie contentieuse, fondé sur ce que la déchéance alléguée n’aurait pas été encourue, en fait ou en droit (1. Conseil d’État, 17 décembre 1841, Lacaille ; — 16 juillet 1842, Spinola.). Le recours serait également recevable contre la décision qui refuserait de rétablir les droits d’un pensionnaire, déchu pour avoir perdu sa nationalité ou pour avoir encouru des condamnations entraînant la déchéance, et qui aurait recouvré la qualité de Français, ou aurait été réhabilité ou amnistié (2. Conseil d’État, 17 novembre 1873, Lacroix ; — 23 janvier 1886, Souvras ; 19 janvier 1883, Justa.).
IV. — RÈGLES DE PROCÉDURE
Délais de la demande de pension. — Les pensions civiles doivent être demandées dans un délai de cinq ans qui court, à l’égard du fonctionnaire, du jour où il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite, ou du jour où il a effectivement cessé ses fonctions, s’il a été autorisé à les continuer après cette admission (3. Loi du 9 juin 1853, art. 22.). Les fonctions sont réputées continuées aussi longtemps que le fonctionnaire touche un traitement, fût-ce un simple traitement de non-activité (4. Avis de la section des finances du 5 novembre 1873, de la Ferté.).
A l’égard des veuves, le délai court du décès du mari ; à l’égard des enfants, du décès qui les a rendus orphelins.
Le même délai de cinq ans est applicable aux pensions militaires d’ancienneté et aux pensions de veuves et d’orphelins. Cette règle n’a d’abord été édictée, par la loi du 17 avril 1833 (art. 6), que pour les pensions de l’armée de terre. Il en était résulté que la jurisprudence, à défaut de texte applicable aux pensions de la marine, décidait qu’elles n’étaient soumises qu’à la prescription trentenaire (5. Conseil d’État, 21 mai 1852, Leyritz ; — 11 janvier 1884, Gavard.). Mais la loi du 15 avril 1885 (art. 2) a mis fin à cette anomalie en soumettant ces pensions au même délai que celles de l’armée de terre.
En ce qui touche les pensions militaires pour blessures ou infirmités, [228] la question de délai a donné lieu à de sérieuses difficultés. Elle a paru d’abord nettement tranchée par l’article 1er de l’ordonnance du 2 juillet 1831 portant que « tout militaire qui aura à faire valoir des droits à la pension de retraite pour cause de blessures ou d’infirmités, devra faire sa demande avant de quitter le service. L’administration de la guerre fera procéder, immédiatement après la réception de cette demande, à la vérification des droits du réclamant ». Cette disposition a été longtemps interprétée par la jurisprudence comme obligeant le militaire non seulement à faire constater ses blessures ou infirmités, mais encore à saisir le ministre de sa demande de pension avant de quitter les drapeaux (1. Conseil d’État, 7 juillet 1865, L’Allour.). Cette interprétation est la plus conforme au texte de l’ordonnance ; mais la force obligatoire de ce texte, en ce qui touche le délai des demandes, a été contestée. L’ordonnance du 2 juillet 1831, a-t-on dit, est un règlement d’administration publique fait en vertu de l’article 12 de la loi du 11 avril 1831, qui n’avait donné délégation au Gouvernement que pour fixer les formes et délais des justifications, non pour fixer le délai des demandes ; le législateur s’était réservé de statuer lui-même sur ce délai, ainsi qu’il l’a fait par la loi du 17 avril 1833. A cela il a été répondu par un arrêt du 14 novembre 1879 (Dieulafait) qu’en admettant que l’article 1er de l’ordonnance de 1831 eût excédé la délégation législative, il aurait été ratifié par la loi même de 1833 (art. 6), qui a établi le délai de cinq ans, « sans préjudice des règles déjà fixées et des déchéances encourues ou à encourir d’après la législation en vigueur ».
Mais, la question s’étant posée de nouveau en 1881, le Conseil d’État l’a résolue en sens contraire par un arrêt du 6 août 1881 (Boyer), d’après lequel le militaire qui a fait régulièrement constater ses blessures ou infirmités avant de quitter le service, est recevable à former sa demande de pension pendant les cinq ans qui suivent sa libération. Tel est le dernier état de la jurisprudence ; le ministère de la guerre et la section des finances du Conseil d’État l’ont implicitement adoptée, en proposant et en liquidant des pensions pour blessures demandées dans ce délai.
[229] Cette dernière solution peut se justifier sans qu’on soit obligé de mettre en opposition l’ordonnance de 1831 et les textes législatifs qui l’ont précédée et suivie. En effet, si l’ordonnance renferme dans le même délai la vérification des blessures ou infirmités, et la demande de pension, c’est parce que, dans la pratique, elles sont ordinairement associées. Mais si ce plerumque fit ne se réalise pas, si l’administration procède aux constatations spontanément ou à la suite d’une demande irrégulière, pourquoi priver le militaire qui demande une pension pour blessures des délais accordés à celui qui demande une pension pour ancienneté ? L’erreur ou la fraude ne sont pas à craindre, du moment qu’il existe des certificats d’origine, de visite et de contre-visite dressés antérieurement à la libération, et empêchant que le postulant ne puisse se prévaloir d’accidents survenus depuis sa rentrée dans ses foyers. Le but de l’ordonnance étant ainsi rempli, on comprend que le Conseil d’État ait renoncé à un système d’interprétation littérale, que d’autres textes pouvaient mettre en échec, et dont les conséquences étaient souvent contraires à l’équité.
L’unification de délai que la jurisprudence a récemment établie entre les pensions pour blessures ou infirmités et les pensions d’ancienneté, a été étendue, par la législation elle-même, au cas où le droit à pension résulte d’une aggravation consécutive des blessures ou infirmités, survenues depuis la libération du service. D’après l’article 2 de l’ordonnance du 2 juillet 1831, ce délai était d’un an ou de deux ans selon les conséquences de l’aggravation ; il avait été porté à deux et trois ans par les décrets des 20 août et 27 novembre 1864, et encore augmenté par le décret du 22 septembre 1876, en faveur des soldats blessés pendant la guerre franco-allemande. Le délai a été fixé uniformément à cinq ans, à partir de la cessation de l’activité, par les décrets du 10 août 1886 et du 15 mai 1889. Mais pour que la demande soit recevable dans ce délai, il faut que les blessures ou infirmités aient été régulièrement constatées avant que le militaire ait quitté le service.
Toutes les forclusions résultant des délais ci-dessus sont de rigueur ; elles ne sont suspendues par aucune des causes qui suspendent ou interrompent la prescription. Si le Conseil d’État estime qu’elles n’ont pas été encourues, il annule la décision ministérielle [230] qui les a opposées et renvoie le réclamant devant le ministre. Ce renvoi peut avoir une portée différente selon les termes dans lesquels il est prononcé. Si le réclamant est renvoyé devant le ministre « pour faire liquider s’il y a lieu la pension à laquelle il peut avoir droit », rien n’est préjugé sur le fond du droit, la forclusion seule est écartée et la pension peut être refusée pour d’autres motifs ; s’il est renvoyé « pour faire liquider la pension à laquelle il a droit », le fond du droit est reconnu, et il n’y a plus qu’à procéder à la liquidation.
Recours au Conseil d’État. — Aux termes du décret du 2 novembre 1864 (art. 1, § 1), les recours « contre les décisions portant refus de liquidation ou contre les liquidations de pensions » sont dispensés du ministère d’un avocat et sont jugés sans autres frais que les droits de timbre et d’enregistrement. Cette règle doit-elle être étendue par analogie à toutes les contestations qui peuvent avoir lieu en matière de pensions, notamment en matière d’admission à la retraite, de suspension ou de retrait d’une pension concédée, de refus d’arrérages, etc. ? Le texte précité ne nous paraît pas se prêter à cette extension ; mais la question a peu d’intérêt pratique, parce que ces autres réclamations pourront être le plus souvent introduites sous forme de recours pour excès de pouvoir, et bénéficieront, à ce titre, de la même dispense de frais.
Le délai du recours est le délai ordinaire de trois mois, qui se compte à partir de la notification de la décision ministérielle ou du décret de liquidation (1. Dans la pratique, la notification du décret se fait par la remise du certificat d’inscription de la pension. Le Conseil d’État a admis que cette remise satisfait au vœu de la loi (17 août 1866, Dausse), mais une simple lettre d’avis, invitant le pensionnaire à retirer son certificat d’inscription, ne ferait pas courir le délai (même arrêt). — Cf. 31 mars 1874 (Greterin) ; 9 mars 1888 (Petibon).).
En matière de pensions militaires, l’article 25 de la loi du 11 avril 1831 dispose que le délai ne court que « du jour du premier paiement des arrérages, pourvu qu’avant ce premier paiement les bases de la liquidation aient été notifiées » (2. Cf. loi du 18 avril 1831, art. 27.).
Cette disposition était ainsi commentée par M. Allent, rapporteur [231] de la loi de 1831 : — « Le paiement de ce premier quartier a fait connaître aux intéressés, d’une manière certaine, le montant de la pension et leur a permis de la comparer avec les droits que leur donnent la nature et la durée de leurs services. C’est à compter de ce jour seulement que court pour eux le délai de trois mois, pendant lequel ils peuvent se pourvoir. De plus, le ministre est obligé à notifier d’abord les bases de la liquidation, en donnant au militaire la faculté de se pourvoir immédiatement contre cette décision. Ainsi, le militaire est admis à discuter successivement les bases de la liquidation ministérielle, et, si le ministre y persiste, l’ordonnance du roi qui aura fixé la pension d’après ses bases. » M. Allent faisait également remarquer que cette ordonnance seule pouvait être attaquée par la voie contentieuse, et que la liquidation ministérielle ne pouvait donner lieu qu’à des observations présentées au ministre par la voie administrative.
Malgré l’autorité de ce commentaire, il nous semble difficile que le délai ne coure pas si le paiement des arrérages a été précédé de la notification du décret contenant les bases, alors même que lesdites bases n’auraient pas fait antérieurement l’objet d’une notification spéciale (1. Conseil d’État, 31 mars 1874, Gréterin ; — 16 juin 1876, Favet. — Cf. 16 février 1880, Valentin.). Mais, dans aucun cas, il ne pourrait être suppléé à la notification individuelle par l’insertion du décret au Bulletin des lois.
Quelles parties ont qualité pour agir. — Lorsque le titulaire est vivant, la demande de pension ne peut être formée que par lui, ou bien par ses représentants légaux. Nous ne pensons pas qu’elle puisse être formée par ses créanciers, nonobstant l’article 1166 C. civ. qui leur permet d’exercer « tous les droits et actions de leur débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne ». On peut assurément discuter sur la question de savoir si les droits à pension sont de ceux que l’article 1166 a désignés sous la dénomination un peu vague de droits attachés à la personne (2. Voy. sur la portée de cette réserve Marcadé (Code civil, t. IV, n° 494). Il dit qu’il est difficile de bien préciser l’étendue de cette exception, et il distingue : 1° les droits purement moraux, qui sont toujours réservés ; 2° les droits à la fois moraux et pécuniaires, qui donnent lieu à des distinctions ; 3° les droits purement pécuniaires qui peuvent, en principe, être exercés par les créanciers ; « il en est cependant, dit Marcadé, que la loi restreint rigoureusement à la personne. C’est ainsi que les provisions ou pensions alimentaires ne peuvent pas être saisies par les créanciers, en principe du moins. » droits purement moraux, qui sont toujours réservés ; 2° les droits à la fois moraux et pécuniaires, qui donnent lieu à des distinctions ; 3° les droits purement pécuniaires qui peuvent, en principe, être exercés par les créanciers ; « il en est cependant, dit Marcadé, que la loi restreint rigoureusement à la personne. C’est ainsi que les provisions ou pensions alimentaires ne peuvent pas être saisies par les créanciers, en principe du moins. ») ; mais un fait est certain, c’est que ni la loi du 11 avril [232] 1831, ni celle du 9 juin 1853, n’ont entendu placer les pensions de retraite parmi les biens qui sont « le gage commun des créanciers », puisqu’elles déclarent ces pensions insaisissables pour les créanciers ordinaires, et n’en permettent la saisie, pour débet envers l’État ou pour dettes d’aliments, que jusqu’à concurrence du cinquième ou du tiers (1. Loi du 11 avril 1831, art. 28 ; loi du 9 juin 1853, art. 26.). Cela suffit, ce nous semble, pour résoudre la question : les créanciers sont sans qualité pour réaliser un bien qui n’est pas leur gage. Tout au plus la difficulté pourrait-elle subsister pour les créanciers d’aliments ; mais même pour ceux-ci, l’insaisissabilité l’emporte, et nous pensons, tout en reconnaissant que la question est plus délicate, que la même solution doit prévaloir.
Lorsque le titulaire est décédé, la question se pose pour ses héritiers. Un premier point est hors de doute, c’est qu’ils peuvent toujours demander que le droit à pension de leur auteur soit reconnu, lorsque ce droit est réversible sur eux, en leur qualité de veuve ou d’orphelins ; ils invoquent alors un droit personnel.
Lorsque les héritiers demandent que la pension de leur auteur soit liquidée, non pour servir de base à leur droit propre, mais pour produire les arrérages auxquels leur auteur aurait eu droit avant son décès et pour accroître ainsi le patrimoine qu’ils recueillent, la question est plus délicate et la jurisprudence de la section des finances a varié.
Un avis du 30 juillet 1874 (Trenqualye) a déclaré qu’il n’y avait pas lieu de liquider une pension à la requête des héritiers, « considérant qu’en principe le droit à pension doit être exercé par la personne qui est appelée par la loi à en bénéficier ».
La doctrine de cet avis était contraire à celle des deux arrêts au contentieux du 17 juin 1835 et du 23 mars 1836 (héritiers Duval). Le premier de ces arrêts renvoie les héritiers devant le ministre « pour qu’il soit procédé à la liquidation de la pension de leur père, [233] et pour y suivre leur demande conformément aux lois, tous droits et moyens réservés ». Le ministre s’étant autorisé de ces réserves pour refuser la pension, le second arrêt déclare « qu’il résulte de l’instruction que le sieur Duval est mort en possession de ses droits à une pension et qu’en conséquence il les a transmis à ses héritiers… les dames Duval sont renvoyées devant notre ministre des finances pour faire déterminer la quotité de la pension à laquelle le sieur Duval avait droit au jour de son décès, et faire liquider les arrérages auxquels les réclamantes ont droit comme héritières de leur père ».
La section des finances s’est ralliée à cette jurisprudence par un avis de principe du 18 janvier 1888 (dame Godin, veuve Lemarchand) (1. Cet avis décide que les héritiers d’une veuve décédée sans avoir fait liquider la pension à laquelle elle avait droit, sont recevables à en demander la liquidation dans les délais impartis à leur auteur. Il est ainsi motivé : — « Considérant que, pour refuser la liquidation de la pension à laquelle pouvait prétendre la dame Godin, on ne saurait s’appuyer sur ce que celle-ci devait personnellement faire valoir ses droits à pension ; qu’en effet les arrérages échus des pensions inscrites au Grand-Livre sont dus, non seulement aux titulaires desdites pensions, mais, après leur décès, le sont également à leurs ayants droit ; que dès lors ceux-ci ne sauraient être privés, en l’absence d’un texte de loi, de la faculté de poursuivre la liquidation de la pension de leur auteur, formalité nécessaire pour obtenir le paiement des arrérages auxquels ils peuvent prétendre. »).
Cette dernière solution nous paraît fondée en droit et en équité. En effet, l’héritier continue la personne du défunt et il exerce tous les droits et actions ayant appartenus à son auteur, en tant du moins qu’ils peuvent avoir une influence sur l’état du patrimoine ; ainsi, il n’est pas douteux que l’héritier pourrait réclamer, du chef de son auteur, une rente viagère, une provision alimentaire à laquelle celui-ci aurait eu droit de son vivant, à condition, bien entendu, de ne réclamer que les sommes qui étaient dues au jour du décès. Il en est de même des pensions, non seulement si elles sont déjà concédées et productives d’arrérages, mais encore si elles n’ont été ni concédées, ni demandées avant le décès. Dans ce dernier cas, les héritiers ne réclament en réalité au Trésor que la reconnaissance et le paiement d’une créance préexistante à laquelle leur auteur n’est pas présumé avoir renoncé.
De là se déduisent les règles à appliquer en cas de recours [234] contentieux. Si le titulaire est décédé sans avoir formé un pourvoi, mais sans avoir expressément renoncé à attaquer des décisions qui lui faisaient grief, ses héritiers ont qualité pour les attaquer, pourvu qu’ils soient encore dans les délais qui s’imposaient à leur auteur. Si le titulaire a formé un pourvoi et si l’affaire se trouve en état au jour de son décès, il est passé outre au jugement ; si l’affaire n’est pas en état, l’instance est suspendue jusqu’à ce que les héritiers reprennent l’instance ou soient mis en demeure de la reprendre. (Décret du 22 juillet 1806, art. 22.)
V. — QUESTIONS SPÉCIALES AUX PENSIONS DÉPARTEMENTALES, COMMUNALES ET AUTRES
Bases de la compétence administrative. — Bien que les dettes des départements et des communes ne relèvent pas de plein droit de la compétence administrative, et qu’aucun texte ne lui ait expressément attribué le contentieux des pensions de leurs employés, il est admis en doctrine et en jurisprudence qu’une liquidation de pension, quand elle concerne un fonctionnaire ou employé d’une administration publique, est une opération administrative. Un arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation, du 5 août 1874 (Caron), qualifie même les décisions en matière de pensions, ainsi que l’instruction à laquelle elles donnent lieu, de « mesures et actes de pure administration » ; à la vérité, cet arrêt vise une pension de l’État, mais la décision ne change pas de nature, quel que soit le service intéressé ; elle est toujours l’application de règlements administratifs qui touchent à l’organisation et à la discipline d’un service public ; souvent même elle est en relation étroite avec des actes de puissance publique et d’autorité hiérarchique, notamment en cas d’admission à la retraite et de déchéance. Aussi le Conseil d’État a-t-il formellement déclaré « que les contestations qui peuvent s’élever entre un département et un de ses agents, pour l’application des statuts de la caisse des retraites des employés de ce département à la liquidation de la pension à laquelle cet agent prétend avoir droit, à raison des fonctions qu’il a exercées, appartiennent au contentieux administratif » (1. Conseil d’État, 4 juillet 1884, Bussereau.).
[235] Autorités compétentes pour liquider et concéder les pensions. — Les pensions des agents communaux sont servies par des caisses de retraite dont le règlement est approuvé par décret en Conseil d’État ; elles sont concédées par les préfets en vertu du décret-loi du 25 mars 1852 (Tab. A, n° 38) ; mais elles ne peuvent l’être valablement qu’après un avis du conseil municipal, auquel il appartient de délibérer sur toutes les dépenses de la commune.
L’arrêté du préfet peut être déféré au Conseil d’État soit par la commune, soit par l’agent intéressé, il peut être attaqué, omisso medio, sans recours préalable au ministre, car il constitue par lui-même une décision exécutoire contre laquelle le recours contentieux est ouvert par cela seul qu’on invoque un droit lésé (1. Conseil d’État, 12 août 1868, Petiaux ; — 7 avril 1869, ville de Nîmes ; — 16 janvier 1874, ville de Lyon ; — 24 juin 1881, Bougard ; — 8 février 1889, Guy.).
Mais il est toujours loisible à la partie de déférer l’arrêté au ministre, supérieur hiérarchique, sauf à le faire dans le délai de trois mois à partir de la notification de l’arrêté préfectoral, si elle veut conserver le droit d’attaquer ensuite cet arrêté par la voie contentieuse, en même temps que la décision ministérielle confirmative (2. On doit appliquer ici les mêmes règles que celles qui sont exposées plus loin sur le délai du recours pour excès de pouvoir, en cas de recours préalable au ministre.).
En matière de pensions départementales, les règles sont plus complexes. Avant 1871, la concession se faisait par décret rendu sur l’avis de la section des finances, comme pour les pensions de l’État, et cette règle est encore en vigueur dans les départements où il n’y a pas été dérogé. Mais la loi du 10 août 1871 (art. 46, § 21) a donné aux conseils généraux le droit de statuer définitivement sur « l’établissement et l’organisation des caisses de retraite ou tout autre mode de rémunération en faveur des employés des préfectures et des sous-préfectures et des agents salariés sur les fonds départementaux ». Une jurisprudence du ministère de l’intérieur, sur laquelle nous avons les doutes les plus sérieux, a admis que les règlements faits par les conseils généraux peuvent statuer non seulement sur les conditions du droit à pension et sur les tarifs, mais encore sur la désignation de l’autorité compétente pour liquider (3. Circulaire ministérielle du 8 octobre 1871.). En conséquence, le Gouvernement s’est abstenu de [236] déférer au Conseil d’État, en vertu de l’article 47 de la loi de 1871, les dispositions des règlements qui substituaient la compétence du préfet et du conseil général à celle du Gouvernement en Conseil d’État, et ces dispositions sont devenues définitives.
Il est résulté de là un régime très disparate : dans plusieurs départements, les pensions sont encore concédées par décret en Conseil d’État ; dans d’autres, par arrêté du préfet, après avis du conseil général ; dans d’autres encore, par décision du conseil général rendue après avis du préfet, quelquefois même sans cet avis.
Pas de difficulté dans les deux premiers cas : le recours s’exerce contre le décret ou l’arrêté préfectoral. La question est plus délicate quand on est en présence de décisions des conseils généraux. On s’est demandé si ces décisions doivent être assimilées aux délibérations définitives prises par ces conseils en vertu de l’article 46 de la loi du 10 août 1871, et si elles ne peuvent être annulées qu’à la suite du recours administratif prévu par l’article 47 ; d’après ce système, on ne pourrait pas attaquer au contentieux la délibération même du conseil général, mais seulement l’arrêté préfectoral qui pourvoirait à son exécution.
C’est en ce sens que le ministre de l’intérieur a conclu dans une affaire jugée le 4 juillet 1884 (Bussereau). Mais cette doctrine ne saurait être admise ; en effet, les décisions rendues sur le droit à pension ou sur la liquidation sont, de leur nature, éminemment contentieuses ; en admettant (ce qui est douteux) que le Gouvernement puisse provoquer d’office leur annulation par décret en Conseil d’État en vertu de l’article 47, son droit ne saurait exclure celui qu’ont les parties, en vertu des principes généraux, d’attaquer par la voie contentieuse toute décision préjudiciable à leurs droits. En vain les renverrait-on à attaquer l’arrêté préfectoral pris en exécution de la décision du conseil général ; ce recours serait illusoire, car un arrêté préfectoral exécutant une délibération définitive d’un conseil général ne pourrait être attaqué qu’en tant qu’il y dérogerait ; non en tant qu’il en procurerait l’exacte application.
C’est pourquoi le Conseil d’État a admis le recours direct des parties contre les délibérations des conseils généraux rendue en matière de pension ; il a ainsi décidé, d’abord implicitement, par un [237] arrêt du 28 juillet 1882 (Arnozan) qui statue au fond sur un recours, puis explicitement par l’arrêt précité du 4 juillet 1884 (Bussereau), véritable arrêt de principe, où on lit : — « qu’aux termes des lois organiques du Conseil d’État et notamment de la loi du 24 mai 1872, article 9, il appartient audit conseil de statuer souverainement sur les recours en matière contentieuse; que les contestations qui peuvent s’élever entre un département et un de ses agents, pour l’application des statuts de la caisse des retraites des employés de ce département à la liquidation de la pension à laquelle cet agent prétend avoir droit à raison des fonctions qu’il a exercées, appartiennent au contentieux administratif ; que, par suite, le préfet du département de la Gironde n’est pas fondé à soutenir que le recours du sieur Bussereau n’est pas recevable » (1. Même solution : Conseil d’État, 6 juillet 1888, Pinot ; — 26 juin 1891, Dutey.).
En cas d’annulation de la décision du conseil général, le requérant est renvoyé devant lui pour qu’il fasse la liquidation ou pour qu’il la rectifie d’après les bases fixées par l’arrêt. Que décider si le conseil général refusait de déférer à cette décision ? Nous pensons que le requérant pourrait alors saisir le Conseil d’État de la difficulté ainsi survenue sur l’exécution de son arrêt et obtenir de lui une décision qui fixerait le chiffre de la pension ; en exécution de cette décision, qui constaterait, une dette exigible à la charge du département, le ministre de l’intérieur pourrait provoquer un décret inscrivant d’office la dépense au budget, par application de l’article 61 de la loi du 10 août 1871.
Dépens. — A la différence des pensions de l’État, qui ne peuvent donner lieu à aucune condamnation aux dépens contre lui (2. Conseil d’État, 11 juin 1875, Pierre ; — 15 décembre 1882, Grévin ;— 1er juin 1883, Datas.), les pensions des départements et des communes peuvent donner lieu à une condamnation aux dépens contre ces administrations (3. 1er août 1867, Barnabé ; — 24 janvier 1879, département de la Seine-Inférieure.). En effet, les contestations intéressant les départements et les communes ne sont pas soumises aux dispositions restrictives de l’article 2 du décret du 2 novembre 1864, relatif aux contestations de l’État ; elles comportent l’allocation des dépens dans des conditions [238] beaucoup plus larges, quand l’objet du litige n’est pas un acte de puissance publique, mais un acte de gestion. Remarquons toutefois que la condamnation aux dépens ne peut être prononcée que si la partie a pris des conclusions en ce sens, et qu’elle ne peut comprendre d’autres frais que les droits de timbre et d’enregistrement, puisque ce sont les seuls qui puissent être taxés en matière de pensions. (Décret du 2 novembre 1864, art. 1er, § 2.)
Pensions de la Banque de France. — Aux termes de l’article 21 de la loi du 22 avril 1806, « le Conseil d’État connaît, sur le rapport du ministre des finances, des infractions aux lois et règlements qui régissent la Banque et des contestations relatives à sa police et administration intérieures. Il prononcera de même définitivement et sans recours entre la Banque et les membres de son conseil général, ses agents ou employés, toute condamnation civile, y compris les dommages-intérêts. » Quoique cette disposition paraisse aujourd’hui peu d’accord avec les principes généraux de la compétence, elle est considérée comme étant toujours en vigueur (1. Dalloz, Répertoire, Ve Banque, n » 168. — Aucoc, Conférences, t. I, p. 505 ; — Ducrocq, Droit administratif, p. 201.), et comme s’appliquant aux contestations en matière de pensions. La compétence du Conseil d’État a d’ailleurs été reconnue par la Banque, par le ministre des finances et par la partie intéressée, lors d’une réclamation de cette nature sur laquelle il a été statué par arrêt du 9 février 1883 (Doisy de Villargennes). On pourrait se demander si la loi de 1806 a entendu créer un recours contentieux ouvert à toute partie intéressée, ou un recours administratif ne pouvant être introduit que « sur le rapport du ministre des finances ». Mais les difficultés que prévoit l’article 21, les expressions même qu’il emploie (contestations, condamnations), prouvent qu’il s’agit bien de recours contentieux, dont le ministre des finances ne pourrait prendre l’initiative que si des intérêts publics étaient en cause. Tel n’est pas le cas pour les pensions de la Banque, puisque le ministre reste étranger à leur liquidation et à leur paiement. Mais s’il n’a point qualité pour former le recours ou pour prendre des conclusions, nous pensons [239] qu’il pourrait, comme dans toutes les affaires entre parties, recevoir communication du dossier et émettre un avis sur le pourvoi. Il ne résulte cependant pas des visas de l’arrêt de 1883, — le seul qui ait été rendu par application de la loi du 22 avril 1806, — que cette communication ait été jugée nécessaire par le Conseil d’État.
Table des matières