I. — DES PROCÈS-VERBAUX
Quels agents ont qualité pour dresser les procès-verbaux. — Toute poursuite pour contravention de grande voirie doit avoir pour point de départ un procès-verbal dressé par un agent compétent.
Parmi les agents qui ont qualité pour dresser les procès-verbaux, il faut distinguer ceux qui peuvent verbaliser pour toute espèce de contraventions, et ceux qui ne le peuvent que pour des contraventions déterminées.
Les agents à qui la loi reconnaît une compétence générale sont : en premier lieu, les officiers de police judiciaire, compétents pour rechercher et constater les crimes, délits et contraventions de toute nature (art. 8 et suiv., C. instr. crim.) ; en second lieu les agents énumérés par la loi du 29 floréal an X (art. 2), savoir : les maires ou adjoints, les ingénieurs et les conducteurs des ponts et chaussées, les agents de la navigation, les commissaires de police, les gendarmes (1. Les gendarmes ont qualité pour verbaliser dans toute l’étendue du territoire, à la différence des autres agents ci-dessus dénommés qui n’ont qualité que dans le ressort où ils exercent leurs fonctions. (Décret du 1er mars 1851, art. 1er ; — Conseil d’État, 7 juin 1851, Dudefoy.)) ; en troisième lieu, les agents que différents textes relatifs à la grande voirie ont investis de la même compétence générale, savoir : les préposés des contributions indirectes et des octrois (décret du 18 août 1810, art. 1er) ; les gardes [657] champêtres (décret du 16 décembre 1811) ; les cantonniers chefs et autres agents secondaires des ponts et chaussées commissionnés et assermentés (loi du 23 mars 1842, art. 2).
Les agents qui ont une compétence spéciale pour la surveillance d’ouvrages publics détermines sont : pour les ports et le domaine public maritime, les officiers et maîtres de ports, les syndics des gens de mer, les gardes maritimes et gendarmes de la marine (décret du 21 février 1852, art. 4) ; — pour les ouvrages flottants établis dans l’intérêt de la navigation maritime (feux flottants, balises, bouées), les mêmes agents, et en outre les officiers commandant les bâtiments de l’État, les officiers mariniers commandant les embarcations garde-pêche, les guetteurs des postes sémaphoriques, les pilotes assermentés, les agents et préposés des douanes (loi du 27 mars 1882, art. 8) ; — pour les chemins de fer, les ingénieurs des mines, gardes-mines, les agents de surveillance et gardes nommés ou agréés par l’administration et dûment assermentés (loi du 15 juillet 1845, art. 2 et 23) ; — pour les canaux concédés, les agents assermentés des compagnies concessionnaires ; — pour la police du roulage, les agents voyers, les agents forestiers et des douanes, les employés des poids et mesures ayant le droit de verbaliser (loi du 30 mai 1851, art. 15) ; — pour les lignes télégraphiques, les commissaires, sous-commissaires et agents assermentés chargés de la surveillance des chemins de fer, les inspecteurs des lignes télégraphiques (décret du 27 décembre 1851, art. 10) ; — pour le domaine public militaire et la zone frontière, les gardes du génie (lois du 17 juillet 1819, art. 11, et du 7 avril 1851, art. 6) (1. Les gardes-pêche, exclusivement compétents pour constater les délits de pêche, n’ont pas qualité pour constater les contraventions de grande voirie commises sur les cours d’eau ou sur leurs chemins de halage ; — 25 avril 1890, Pénin.).
Formes des procès-verbaux, affirmation, enregistrement. — La loi n’a tracé aucune forme spéciale pour la rédaction des procès-verbaux de grande voirie, mais leur validité n’en est pas moins subordonnée, à raison de la nature même de ces actes, à certaines conditions substantielles, notamment la date et la signature de l’agent verbalisateur ; mais il n’est pas indispensable que le procès-verbal [658] soit écrit tout entier de sa main (1. Conseil d’État, 20 janvier 1888, Marié). La loi n’exige pas non plus que le procès-verbal soit rédigé dans un délai déterminé à partir du jour où la contravention a été relevée par l’agent (2. Conseil d’État, 20 février 1880, min. des trav. pub. c. Le Maux.).
En règle générale, et à moins d’exception prévue par un texte, les procès-verbaux doivent être affirmés par leur auteur, c’est-à-dire que l’agent verbalisateur doit se présenter devant un magistrat (le juge de paix ou le maire) et y affirmer la sincérité des déclarations contenues dans son procès-verbal. Le décret du 18 août 1810 (art. 2) dispose expressément qu’à défaut d’affirmation les procès-verbaux « ne pourront faire foi et motiver une condamnation (3. La même règle est rappelée par le décret du 16 décembre 1811 (art. 112) ; par la loi du 30 mai 1851 sur la police du roulage (art. 18) ; par le décret du 10 août 1853 sur le classement des places de guerre (art. 40) ; par la loi du 27 mars 1882 sur la protection du balisage (art. 9).) ».
Des textes spéciaux ont dispensé de l’affirmation : en matière de police des chemins de fer, tous les agents qui ont le caractère de fonctionnaires publics, tels que les ingénieurs, conducteurs, gardes-mines ; mais non les agents assermentés des compagnies (4. Loi du 15 juillet 1815, art. 24.) ; — en matière de police du roulage, les ingénieurs, les maires et adjoints, les commissaires et les agents de police (5. Loi du 30 mai 1851, art. 18.) ; — en matière de protection du balisage, les officiers commandant les bâtiments de l’État, les officiers de port, de gendarmerie et de douanes (6. Loi du 27 mars 1882, art. 9 in fine.) ; — en toute matière, les gendarmes (7. Loi du 17 juillet 1856. La règle contraire avait d’abord été édictée par l’article 493 du décret du 1er mars 1854 sur la gendarmerie.).
L’affirmation doit avoir lieu dans un délai de trois jours qui a pour point de départ le jour de la clôture du procès-verbal, et non le jour de la constatation (8. Conseil d’État, 28 avril 1864, Granger ; — 13 mars 1867, Piot. — L’inobservation du délai de trois jours n’entraine pas la nullité du procès-verbal 11 février 1881, Arlot ; — 5 mai 1894, min. des trav. publ. c. Vigouroux ; — 23 janvier 1885, Lhomme.). Elle consiste dans une déclaration purement verbale, qui n’a pas besoin d’être faite sous serment, ni d’être attestée par la signature de l’agent ; il suffit qu’elle soit constatée par le magistrat qui reçoit l’affirmation (9. Conseil d’État, 5 février 1867, Delord ; — 11 février 1881, Arlot ; —22 juin 1883, min. des trav. publ. c. Rédarès.).
[659] L’enregistrement n’est pas requis, en général, pour les procès-verbaux de grande voirie ; la loi du 29 floréal an X et le décret du 18 août 1810 ne mentionnent pas cette formalité ; l’article 493 du décret du 1er mars 1854 en avait même expressément dispensé les procès-verbaux dressés par la gendarmerie (1. Ce texte a été remplacé par l’article 498 du décret du 24 août 1858, qui est moins absolu, mais d’après lequel les procès-verbaux de la gendarmerie « ne peuvent être annulés sous prétexte de vice de forme ou pour défaut d’enregistrement ».). Mais l’enregistrement est exigé pour la plupart des procès-verbaux relatifs à la police des chemins de fer (loi du 15 juillet 1845, art. 24) et à la police du roulage (loi du 30 mai 1851, art. 19). Dans ce dernier cas, la loi de 1851 prononce expressément la nullité du procès-verbal non enregistré.
Mais la jurisprudence n’a pas admis que cette nullité fût encourue lorsque la loi ne l’a pas expressément prononcée ; elle a déclaré inapplicable, en matière de grande voirie, l’article 34 de la loi du 22 frimaire an VII, qui prononce d’une manière générale la nullité des exploits et procès-verbaux d’huissiers, lorsqu’ils n’ont pas été enregistrés dans les délais. Ce texte, de même que l’article 47 de la même loi relatif aux jugements, ne vise que des actes intéressant des particuliers ; mais, ainsi que le Conseil d’État l’a fait remarquer par un arrêt du 1er février 1851 (Bertron), la loi de frimaire an VII « a voulu conserver toute leur force aux actes qui intéressent l’ordre ou la vindicte publique, et ne pas subordonner leur effet aux intérêts pécuniaires du fisc, sauf le recouvrement des droits à la charge de qui il appartient » (2. Cf. Conseil d’État, 19 avril 1854, Bouvier ; — 27 août 1961, Express de la Seine ; — 4 mars 1881, min. des trav. pub. c. Filoque ; — 8 août 1882, Tourdonnet.).
Autorité des procès-verbaux. — Les procès-verbaux de grande voirie font foi jusqu’à preuve contraire. Des dispositions expresses de la loi seraient nécessaires pour qu’ils fissent foi jusqu’à inscription de faux. Cette disposition exceptionnelle se trouve dans l’article 40 du décret du 10 août 1853, relatif aux procès-verbaux des gardes du génie, et dans l’article 11 de la loi du 9 floréal an VII, relatif aux procès-verbaux dressés par les agents des douanes.
[660] Les procès-verbaux ne font foi que des faits dont leur auteur a été personnellement témoin, et non de ceux qu’il aurait relatés d’après d’autres témoignages ; dans ce cas, ils ne peuvent valoir que comme simples renseignements (1. Conseil d’État, 27 juin 1865, bateaux du Rhône ; — 26 juillet 1878, Toledano ; — 16 mai 1884, Lhomme ; — 18 mai 1888, Clémançon.).
Le procès-verbal étant, comme nous l’avons dit, le point de départ nécessaire des poursuites, il en résulte que la poursuite tombe si le procès-verbal est déclaré nul, comme émanant d’un agent incompétent, ou comme n’ayant pas été affirmé dans les cas où cette formalité est requise par la loi. Il résulte également de là que si le fait constaté au procès-verbal est reconnu inexistant, et si les débats révèlent un autre fait à la charge du contrevenant, aucune condamnation ne peut être prononcée. Mais la jurisprudence admet que l’aveu du contrevenant peut suppléer, dans l’un et dans l’autre cas, à l’absence de preuves légales (2. Conseil d’État, 7 décembre 1859, Blanc et Parat ; — 3 août 1866, Mortier.). Il a même été jugé que si un tiers, ayant eu communication du procès-verbal, s’est reconnu le véritable auteur de la contravention, il peut être légalement condamné, bien qu’aucun procès-verbal n’ait été dressé contre lui (3. Conseil d’État, 20 septembre 1859, Viriol.). Les énonciations d’un procès-verbal peuvent-elles être complétées par l’audition de témoins ? Le doute qui pouvait exister sur ce point avant la loi de procédure du 22 juillet 1889, faute de dispositions sur l’organisation de la preuve testimoniale devant les conseils de préfecture, sont actuellement levés par les articles 26 et 27 de cette loi, qui établissent la procédure d’enquête. Mais si la preuve par témoins peut s’ajouter au procès-verbal, elle ne peut pas le remplacer, cet acte étant le point de départ nécessaire de la poursuite. Aussi on ne doit pas admettre qu’une contravention de grande voirie puisse être prouvée par témoins en l’absence de tout procès-verbal. La règle n’est pas ici la même que pour les contraventions de simple police qui peuvent être prouvées par témoins à défaut de procès-verbaux (C. instr. crim., art. 134).
[661]
II. — POURSUITE ET PROCÉDURE DEVANT LE CONSEIL DE PRÉFECTURE
Lorsque les contraventions de grande voirie ont été constatées, leur répression ne peut être poursuivie devant le conseil de préfecture que par l’autorité préposée, dans chaque département, à la conservation et à la police du domaine public, c’est-à-dire par l’autorité préfectorale. Le procès-verbal est notifié par ses soins au contrevenant dans le délai de dix jours à partir de sa rédaction, ou de son affirmation si elle est requise, avec citation devant le conseil de préfecture (1. Loi du 22 juillet 1889, art. 10. — Le délai est d’un mois pour les contraventions à la police de roulage (L. du 30 mai 1851, art. 23). — Voy. aussi les règles spéciales tracées par le décret du 19 août 1853 pour les contraventions commises sur le domaine public militaire.). La jurisprudence ne considère pas ce délai comme prescrit à peine de nullité (2. Conseil d’État, 8 août 1890, min. des trav. pub. c. Giraudel. — La jurisprudence était la même, avant 1889, pour le délai de cinq jours prévu par le décret du 12 juillet 1865 ; — 27 novembre 1874, Dayol ; — 18 décembre 1874, Dodé et Burdy.).
La répression d’une contravention ne peut donc être poursuivie ni par le maire d’une commune qui a souffert de la contravention (3. Conseil d’État, 21 novembre 1873, ville d’Hyères.) ; ni par une compagnie concessionnaire exploitant l’ouvrage public sur lequel elle a été commise, même si le procès-verbal a été dressé par un de ses agents (4. Conseil d’État, 12 janvier 1850, chemin de fer de Rouen ; — 7 août 1874, Duluat ; — 27 avril 1883, min. des trav. publ. c. Moreau. — Il résulte de là que les compagnies concessionnaires ne peuvent pas être condamnées à des dépens ou à des dommages-intérêts lorsque la poursuite échoue. (18 août 1862, Duval ; — 11 mai 1872, Dudouet.) — Mentionnons toutefois des dispositions toutes spéciales et très rares qui ont donné aux concessionnaires de certains canaux le droit de poursuivre la répression des contraventions. (Canal du Midi, décret du 12 août 1807, art. 197.) — Voy. sur ces questions et en général sur celles qui sont relatives à la poursuite des contraventions : Aucoc, Conférences, t. III, chap. V.) ; ni, à plus forte raison, par un particulier alléguant qu’il a personnellement intérêt à ce que la contravention soit réprimée. Plusieurs arrêts ont seulement reconnu à ces parties le droit d’intervenir (5. Voy. ci-après, p. 674.).
La citation doit indiquer au contrevenant qu’il est tenu de fournir [662] ses défenses écrites dans le délai de quinze jours, et l’inviter à faire connaître s’il entend présenter des observations orales. La notification et la citation sont constatées par un acte spécial qui est transmis au conseil de préfecture. (L. du 22 juillet 1889, art. 10.)
Après l’accomplissement de ces formalités, la procédure suit son cours devant le conseil de préfecture dans la forme ordinaire des affaires contentieuses. Le conseil de préfecture ordonne « s’il y a lieu » la communication des défenses à l’administration et celle des réponses de l’administration à la partie poursuivie. La loi de 1889, comme le décret de 1865, ne prévoit que des communications facultatives ; il serait désirable qu’elles eussent toujours lieu et que le droit de réplique fût assuré à la partie poursuivie ; mais l’absence de communication n’est pas un vice de forme pouvant entraîner l’annulation de la décision (1. Conseil d’État, 18 juillet 1873, Baillache.).
III. — DES CONDAMNATIONS
Les contraventions de grande voirie donnent lieu à trois sortes de condamnations, qui peuvent être, selon les cas, séparées ou cumulées, savoir : l’amende ; — la réparation du dommage, y compris la suppression de toute construction illicite ; — le paiement des frais du procès-verbal.
La confiscation des matériaux était prononcée par plusieurs des anciens règlements conservés par la loi des 19-22 juillet 1791, mais elle n’a pas été maintenue par la loi du 13 mars 1842 qui a révisé les pénalités prévues par ces règlements ; la jurisprudence du Conseil d’État la considère comme abolie (2. Conseil d’État, 9 juin 1882, de Mérode : « Considérant qu’aucune loi en vigueur n’a maintenu, en matière de contraventions de voirie, la peine de la confiscation prononcée par les anciens règlements. »).
Examinons successivement les trois espèces de condamnations qui peuvent être encourues par le contrevenant.
Amende. — L’amende ne peut être prononcée que si elle a été prévue par un texte. Elle n’est pas un mode de répression constant [663] et nécessaire des Contraventions de grande voirie. Aucune disposition générale de la loi ne l’a déclarée applicable à toutes les infractions de cette nature et n’en a uniformément fixé le taux ; beaucoup de dispositions spéciales, antérieures ou postérieures à la loi des 19-22 juillet 1791, ont omis de l’appliquer aux contraventions qu’elles prévoyaient ; il en est de même de la loi du 29 floréal an X qui, lorsqu’elle est seule applicable, ne permet de prononcer que la cessation et la réparation du dommage.
Il n’existe donc pas, dans notre législation, d’amende qu’on puisse qualifier d’amende de grande voirie, et qui soit encourue de plein droit partout auteur d’une contravention. Il est d’autant plus utile de le rappeler, que le législateur lui-même s’est mépris sur ce point, lorsqu’il a rédigé la loi du 19 février 1880, qui supprime les droits de navigation intérieure et prescrit aux patrons et mariniers de déclarer la nature et le poids de leurs chargements. Son article 2 dispose que les contraventions à cette disposition et aux règlements relatifs à son application « seront assimilées aux contraventions de grande voirie et punies des mêmes peines ». Quelles peines ? La disposition générale à laquelle la loi de 1880 semble se référer n’existe pas.
I. Taux des amendes. — En ce qui touche le taux des amendes prévues par les lois et règlements en vigueur, il faut distinguer, selon que le texte qui les prononce est un texte ancien ou moderne, c’est-à-dire antérieur ou postérieur à la loi des 19-22 juillet 1791.
Les amendes prévues par les textes modernes doivent être appliquées telles qu’elles ont été édictées, dans les limites du maximum et du minimum que ces textes ont fixées (1. Le taux de ces amendes est très variable, et il est quelquefois élevé : ainsi, d’après la loi du 15 juillet 1845 (art. 14), les amendes encourues par les concessionnaires de chemins de fer dont les travaux compromettent la viabilité des routes ou chemins ou l’écoulement des eaux, sont de 300 à 3,000 fr. ; de même, en cas d’interruption de lignes télégraphiques. (Décret-loi du 27 décembre 1851, art. 8.)).
Les amendes prévues par les textes anciens ne peuvent être appliquées que sous réserve des restrictions que leur a fait subir la loi du 23 mars 1842, destinée à tempérer ce qu’elles avaient d’excessif et souvent d’arbitraire.
[664] En effet, les anciens édits, déclarations du roi, arrêts du conseil prononçaient deux sortes d’amendes : des amendes fixes (ordinairement 300 ou 500 livres, quelquefois 1,000 livres), que le juge ne pouvait pas atténuer ; des amendes arbitraires pour lesquelles le contrevenant était à la discrétion du juge (1. On trouve encore dans des textes modernes, et, chose singulière, dans le Code civil lui-même, des exemples d’amendes arbitraires. Ainsi l’article 192 du Code civil dispose que si un mariage est célébré sans publications régulières, le procureur de la République fera prononcer contre les parties contractantes ou ceux sous la puissance desquels ils ont agi, une amende proportionnée à leur fortune. D’après l’article 193, il en est de même en cas de contravention à l’article 165 sur la compétence de l’officier-de l’état civil. — Ce sont là des exemples de ces amendes civiles qui, de même que les amendes fiscales et les amendes de grande voirie, sont étrangères à la législation pénale.). Bien que ces dispositions eussent été provisoirement maintenues par la loi de 1791, elles étaient si peu en harmonie avec l’esprit de la législation moderne que les conseils de préfecture refusaient de les appliquer, ils abaissaient les amendes fixes, réduisaient à néant les amendes arbitraires, quelquefois même ils faisaient tomber la poursuite pour n’avoir pas à choisir entre des pénalités excessives et des atténuations illégales.
Pour mettre fin à cet état de choses, la loi du 23 mars 1842 a décidé que les amendes fixes « pourront être modérées, eu égard au degré d’importance ou aux circonstances atténuantes des délits, jusqu’au vingtième desdites amendes, sans toutefois que ce minimum puisse descendre au-dessous de 16 francs », et que les amendes arbitraires « pourront varier entre un minimum de 16 fr. et un maximum de 300 fr. » (2. Le projet de loi du Gouvernement proposait, dans tous les cas d’amendes fixes ou arbitraires, l’adoption d’un taux uniforme de 16 à 300 fr., mais la Chambre des pairs écarta ce système, notamment parce qu’il aurait eu pour conséquence d’élever le taux des amendes fixes lorsqu’il était inférieur au maximum de 300 fr. (Voy. Duvergier, Lois et Décrets, 1842, p. 58, note 1.)).
Qu’il s’agisse des anciennes amendes prévues par la loi de 1842, ou d’amendes édictées par des textes modernes, ni le conseil de préfecture, ni le Conseil d’État n’ont le droit d’en abaisser le taux au-dessous du minimum légal. On ne pourrait plus appliquer aujourd’hui une jurisprudence que le Conseil d’État avait cru pouvoir adopter avant que la loi du 24 mai 1872 lui eût conféré une juridiction propre, et d’après laquelle il se reconnaissait le droit [665] d’abaisser l’amende au-dessous de 16 fr., en combinant le droit de grâce du Chef de l’État avec l’exercice de sa justice retenue (1. Conseil d’État, 9 janvier 1861, Anglade.).
Cette jurisprudence, qui était déjà très contestable à cette époque, — car le Conseil d’État, délibérant au contentieux, n’avait pas qualité pour soumettre des grâces à la signature du Chef de l’État, — n’a pas été maintenue depuis 1872. Après plusieurs décisions implicites (2. Conseil d’État, 24 janvier 1873, min. des trav. pub. c. Le Planchec.), le Conseil d’État s’est explicitement prononcé sur ce point, dans une affaire où le ministre des travaux publics avait lui-même conclu à ce que l’amende fût abaissée à un franc : « Considérant, dit un arrêt du 25 juin 1880 (min. des travaux publics c. Théry-Lepreux), qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 23 mars 1842, les amendes dont le taux était laissé à l’arbitraire du juge pourront varier entre un minimum de 16 fr. et un maximum de 300 fr. et que, d’après l’article 9 de la loi du 24 mai 1872, il n’appartient pas au Conseil d’État statuant sur les recours en matière contentieuse de réduire le taux desdites amendes à un chiffre inférieur au minimum fixé par la disposition précitée. » A plus forte raison y a-t-il lieu d’annuler toute décision du conseil de préfecture qui opérerait cette réduction (3. Conseil d’État, 21 mai 1875, Meyer ; — 4 juillet 1884, compagnie du canal du Midi ; — 8 août 1890, min. des trav. pub. c. Giraudel.).
Mais si le droit de grâce ne peut pas être exercé par la juridiction contentieuse, il peut l’être par le Chef de l’État ; les amendes de grande voirie, malgré leur caractère tout spécial, n’échappent pas à sa prérogative.
Par la même raison, les contraventions de grande voirie pourraient être l’objet d’une loi d’amnistie ; dans ce cas, aucune condamnation à l’amende ne pourrait être prononcée pour des faits antérieurs à l’amnistie et, si elle l’avait été, l’amende devrait être restituée (4. Voy. décret du 14 août 1869 et Conseil d’État, 16 février 1870, Ferey ; — 19 juillet 1872, compagnie du canal du Midi.). Mais, ainsi que nous le verrons ci-après, la contravention ne serait pas effacée par l’amnistie, en tant qu’elle constituerait une atteinte au domaine public inaliénable et imprescriptible, ou qu’elle donnerait lieu à la réparation d’un dommage.
[666] Enfin, l’amende peut être prescrite. Nous reviendrons sur ce point en traitant de la prescription.
II. Cumul des amendes. — Les amendes de grande voirie ne sont pas soumises à la règle du non-cumul des peines ; elles sont encourues autant de fois qu’il y a de contraventions constatées, non seulement si ces contraventions sont successives et ont donné lieu à des procès-verbaux différents, mais encore si elles sont simultanées et ont été constatées par un même procès-verbal.
En consacrant cette règle, la jurisprudence du Conseil d’État ne s’est pas uniquement inspirée de la jurisprudence de la Cour de cassation qui admet le cumul des peines en matière de contraventions de simple police (1. Une telle assimilation devrait être écartée, car on ne saurait établir de comparaison entre les amendes de simple police dont le maximum est de 15 fr. et les amendes de grande voirie dont le minimum est toujours supérieur à ce chiffre, et dont le maximum atteint quelquefois celui des amendes correctionnelles les plus élevées. D’un autre côté, la juridiction administrative ne peut guère s’inspirer de l’article 365 du Code d’instruction criminelle qui, en prohibant le cumul des peines « en cas de conviction de plusieurs crimes ou délits », et en gardant le silence sur le cas de contraventions multiples, a paru admettre à contrario le cumul pour ces dernières infractions ; ce texte n’a certainement pas entendu étendre implicitement la même solution aux contraventions de grande voirie.) ; il a surtout tenu compte de la nature des contraventions de grande voirie et des textes qui, dans plusieurs cas, prévoient expressément le cumul des amendes. Ainsi, celui qui abat les arbres d’une route encourt, pour chacun d’eux, une amende triple de leur valeur ; de telle sorte que le cumul s’impose, même si la destruction de plusieurs arbres est simultanée (2. Décret du 16 décembre 1811, art. 99 et 101 ; — Conseil d’État, 31 mars 1874, Deligny. — Le Code forestier contient une disposition semblable (art. 192).). De même, une compagnie de chemins de fer qui, par l’exécution d’un même travail, intercepte une route et arrête l’écoulement des eaux, ou qui intercepte plusieurs routes, où une seule sur plusieurs points, encourt autant d’amendes qu’elle commet d’infractions (3. Loi du 15 juillet 1845, art 12 et suiv. ; — Conseil d’État, 4 août 1876, chemin de fer de Lille à Valenciennes (1re, 2e et 3e esp.).). De même encore, le propriétaire d’une maison sujette à reculement qui effectue simultanément, à plusieurs étages, des travaux confortatifs distincts, commet plusieurs contraventions dont les amendes doivent être cumulées (4. Conseil d’État, 23 juillet 1840, Juestz.).
[667] Restitutions et réparations. — De même que l’amende de grande voirie n’est pas, à proprement parler, une peine, de même la poursuite en restitution du sol usurpé et en réparation du dommage causé à un ouvrage public ne doit pas être confondue avec l’action civile prévue par le Code d’instruction criminelle (art. 1er et suiv.), et par le Code civil (art. 1382 et suiv.).
S’il fallait qualifier l’action que l’administration exerce pour obtenir ces restitutions et réparations, nous dirions volontiers que c’est l’action domaniale par excellence ; destinée à assurer l’intégrité du domaine public inaliénable et imprescriptible, elle ne saurait avoir de similaire en droit privé. Ce qui domine ici ce n’est donc pas l’idée d’une faute à réparer, d’une responsabilité à mettre en jeu, c’est la nécessité de défendre une propriété publique. On la défend contre les atteintes matérielles dont elle peut être l’objet, soit en lui restituant à toute époque le sol usurpé, soit en faisant cesser à toute époque les dommages qui lui sont causés. C’est pourquoi ces revendications sont imprescriptibles, comme le domaine public lui-même.
Cette règle bien comprise porte avec elle ses tempéraments. C’est pour ne pas s’être suffisamment pénétrée de son esprit, que la jurisprudence de la Cour de cassation en est arrivée à déployer contre la propriété privée, en matière de petite voirie, des rigueurs inutiles que la jurisprudence du Conseil d’État lui épargne. Trop souvent, en effet, la Cour suprême a considéré la démolition des constructions illicites comme la punition d’une désobéissance à la loi ou aux ordres de l’administration, tandis qu’elle ne doit être que la réparation d’un dommage, la cessation d’un empiétement portant atteinte au domaine public.
De là des dissidences nombreuses, et dont plusieurs durent encore, entre la jurisprudence judiciaire et celle du Conseil d’État. Ainsi, la Cour de cassation a longtemps décidé qu’une construction faite sans autorisation ni arrêté d’alignement devait être démolie, même quand elle n’empiétait pas sur le sol de la voie publique. Il y a, disait-elle, « besogne mal plantée » dans le sens de l’édit de décembre 1607, puisqu’elle a été faite contrairement aux règlements, elle doit donc disparaître (1. Cass. 27 décembre 1832, Massa ; — 15 février 1845, Michelini.). Le Conseil d’État, au contraire, [668] a toujours décidé que l’amende seule doit être prononcée dans ce cas, mais qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la démolition, parce qu’il n’y a point de restitution à faire au domaine public (1. Conseil d’État, 17 février 1859, Catillon ; 8 décembre 1876, Forner, et nombreux arrêts antérieurs.). La Cour de cassation s’est ralliée à cette doctrine depuis 1846 (2. Cass. 30 avril 1846, Guidicelli, et nombreux arrêts postérieurs.).
La Cour de cassation décide encore aujourd’hui que les travaux exécutés sans autorisation au mur de face d’une maison soumise à la servitude de reculement doivent être démolis, sans que le juge de la contravention ait à rechercher si ces travaux sont ou non confortatifs (3. Cass. 17 novembre 1866, Batisse ; — 20 novembre 1873, Villuet ; — 3 janvier 1874, Gosselin, et nombreux arrêts antérieurs. — Pendant un temps, la Cour de cassation a admis que la question de savoir si les travaux étaient ou non confortatifs pouvait faire l’objet d’un renvoi préjudiciel devant l’autorité administrative (5 octobre 1837, Caillot ; — 13 septembre 1844, Thomas) ; mais elle a renoncé à cette réserve.). Le Conseil d’État, au contraire, ne prescrit la démolition que lorsque les travaux sont confortatifs parce qu’ils peuvent, dans ce cas seulement, prolonger la durée de l’immeuble en saillie, et ajourner l’époque où la voie publique pourra s’élargir conformément à ses nouveaux alignements (4. Conseil d’État, 19 juin 1872, Desobry ; — 18 juillet 1873, Baillache ; — 14 juillet 1876, min. de l’intérieur c. Leroy ; — 28 novembre 1884, Bourget, et nombreux arrêts antérieurs.).
Enfin, la Cour de cassation décide qu’il y a lieu de démolir les travaux exécutés sans autorisation, non seulement au mur de face de la maison sujette à reculement, mais encore en arrière de ce mur et sur toute la partie retranchable de l’immeuble (5. Cass. 17 juillet 1863, Giraud-Pinard.). Le Conseil d’État, au contraire, considère que la servitude n’atteint que le mur de face, et non les travaux faits en arrière ; il en conclut que ceux-ci ne peuvent être démolis que s’ils joignent ce mur et lui servent d’appui ; ils sont alors de véritables travaux confortatifs du mur de face, et c’est seulement à ce titre qu’ils doivent disparaître (6. Conseil d’État, 12 mai 1869, Clément.).
On voit quels écarts peuvent se produire entre les doctrines, et à quels régimes différents peut être soumise la propriété privée, selon que l’on applique ou que l’on néglige l’idée qui doit dominer [669] toutes les questions de démolition, l’idée de l’intégrité du domaine public, qui seule explique et justifie les sacrifices imposés à la propriété. Ajoutons que la jurisprudence du Conseil d’État n’est pas seulement ici la plus libérale et la plus conforme aux principes de la domanialité publique ; elle est aussi la plus conforme aux textes, même les plus anciens, qui ont fait application de ces principes, notamment à l’édit de décembre 1607 et à l’arrêt du Conseil du 27 février 1765 ; ces textes ne considèrent comme besogne mal plantée, condamnée à disparaître, que les travaux faits au préjudice du domaine public et non tous ceux qui sont exécutés sans autorisation et contrairement aux ordres de l’administration ; en d’autres termes, ils ne suppriment pas tous les travaux non autorisés, mais seulement les travaux non autorisables. La démonstration a été faite sur ce point par M. Aucoc avec une érudition et une force d’argumentation qui ne laissent rien à y ajouter (1. Aucoc, Conférences, t. III, p. 96 et suiv., et p. 113 et suiv.).
S’il ne s’agit pas d’empiétement ou de « besogne mal plantée », mais de dégradations causées à un ouvrage public, l’intégrité du domaine est toujours en jeu ; mais ce n’est plus le contrevenant, c’est l’administration qui doit faire disparaître les suites de la contravention, car à l’administration seule appartient la réfection des ouvrages publics. Dans ce cas, la réclamation de l’administration a un caractère purement pécuniaire, soit qu’elle n’exécute la réparation qu’après la condamnation du contrevenant, soit qu’elle l’ait exécutée auparavant et d’urgence ainsi qu’elle y est autorisée par l’article 3 de la loi du 29 floréal an X. La jurisprudence de la Cour de cassation voyant là l’exercice d’une « action civile », en conclut que la réparation du dommage se prescrit en même temps que l’amende, c’est-à-dire dans le délai d’un an, par application de l’article 640 du Code d’instruction criminelle. Le Conseil d’État, au contraire, estimant que l’action est domaniale, qu’elle a pour but d’assurer la conservation des ouvrages publics en fournissant à l’administration les moyens de les réparer, n’admet pas qu’elle soit soumise à la même prescription que l’amende ; il décide que la réparation des ouvrages, l’enlèvement des dépôts, des épaves, etc., peuvent être ordonnés à toute époque « à raison de l’imprescriptibilité [670] des ouvrages et de l’intérêt toujours subsistant du domaine public » (1. Conseil d’État, 13 novembre 1874, André ; — 28 mai 1880, min. des trav. pub. c. la compagnie transatlantique ; — 19 janvier 1883, Thirel ; — 26 décembre 1890, min. des trav. pub. c. Van Cronenburg.).
Faut-il conclure de là que l’action en réparation du dommage est imprescriptible, comme celle qui tend à réprimer les anticipations de toute nature ? Nous ne le pensons pas : s’il est vrai que les deux actions sont domaniales et non civiles, il est vrai aussi qu’elles diffèrent sensiblement : en effet, l’action en restitution du sol usurpé est une action réelle, qui vise la chose qui empiète et la suit en quelques mains qu’elle passe ; l’action en réparation du dommage est une action personnelle, qui vise seulement l’auteur ou le co-auteur de la dégradation. Le caractère de créance domine donc en elle, et dès lors nous pensons qu’elle peut être éteinte par la prescription trentenaire, en vertu du principe général de l’article 2227 du Code civil. La question présente d’ailleurs peu d’intérêt pratique, car si des empiétements durent quelquefois plus de trente ans sans être réprimés, des dégradations ne subsistent jamais aussi longtemps sans que l’administration les répare et se fasse rembourser le montant de ses travaux. C’est sans doute pour cela que la jurisprudence n’a pas eu à se prononcer explicitement sur la question de prescription trentenaire.
Il appartient au juge de la contravention d’évaluer le montant des réparations incombant au contrevenant, et il peut à cet effet ordonner une expertise. Mais il doit se borner à prononcer une condamnation pécuniaire, et il n’a pas le droit de prescrire à l’administration l’exécution de travaux déterminés (2. Conseil d’État, 23 mai 1884, min. des trav. pub. c. Guérin.). La jurisprudence admet aussi qu’il peut condamner à la réparation du dommage, en se réservant d’en fixer ultérieurement le chiffre (3. Conseil d’État, 11 février 1881, Arlot.). Le montant de cette condamnation doit être acquitté en argent, et son recouvrement peut être assuré au moyen d’une contrainte administrative, comme en matière de contributions directes, en vertu de l’article 4 de la loi du 29 floréal an X.
Le Conseil d’État a pensé que ce mode de perception, ainsi que [671] les principes généraux en matière de créances de l’État, ne permettait pas aux propriétaires de navires, condamnés à la réparation de dommages, d’invoquer l’article 216 du Code de commerce, et de se libérer par l’abandon du navire et du fret (1. Conseil d’État, 15 juin 1870, Grenet ; — 28 mai 1880, min. des trav. pub. c. la compagnie transatlantique.).
Cette jurisprudence, fondée en droit, était très rigoureuse dans la pratique lorsqu’elle imposait au propriétaire d’un navire coulé dans les passes d’un port l’obligation coûteuse de faire disparaître l’épave. Elle a été en partie modifiée par la loi du 12 août 1885, qui dispose que « en cas de naufrage du navire dans un port de mer ou havre, dans un port maritime ou dans les eaux qui lui servent d’accès, comme aussi en cas d’avaries causées par le navire aux ouvrages d’un port, le propriétaire du navire peut se libérer, même envers l’État, de toute dépense d’extraction ou de réparation, ainsi que de tous dommages-intérêts par l’abandon du navire et du fret des marchandises à bord ». En conséquence, le refus, de la part d’un propriétaire qui a fait abandon, de relever le navire sombré dans les eaux maritimes ne constitue plus une contravention (2. Conseil d’État, 10 juin 1887, Chégaray.), et l’administration qui procède d’office au relèvement ne peut désormais rien réclamer au-delà de la valeur de l’épave et du fret. Mais la loi du 12 août 1885 n’a rien statué sur les dégradations ou échouages survenus dans les fleuves ou canaux et dans leurs ports, d’où il semble résulter que la jurisprudence antérieure à la loi de 1885 conserve toute sa force en pareil cas.
Frais du procès-verbal. — La répression des contraventions de grande voirie comprend la condamnation aux frais du procès-verbal. Pendant longtemps, le Conseil d’État a admis qu’elle pouvait être prononcée comme peine unique, lorsque l’infraction n’entraînait pas d’amende et qu’aucune dégradation n’était imputable à son auteur ; il estimait que, dans ce cas, le fait d’une désobéissance aux règlements suffisait pour constituer la contravention et pour entraîner, à défaut d’autre répression, la condamnation aux frais du procès-verbal (3. Conseil d’État, 4 mai 1859, Leleu ; — 29 juin 1869, Gombaud.). Mais depuis 1877, le Conseil d’État a souvent [672] décidé que la condamnation aux frais du procès-verbal ne peut être qu’une peine accessoire, et ne doit être prononcée que comme conséquence d’une condamnation à l’amende ou à la réparation du dommage (1. Conseil d’État, 6 juillet 1877, min. des trav. pub. c. Pécher ; — 17 mai 1878, min. des trav. pub. c. Moreau ; — 2 juillet 1880, min. des trav. pub. c. Maquinnehau ; — 14 avril 1883, Fleury (4e esp.).).
Entre ces deux jurisprudences, absolues en sens inverse, il y aurait place pour une distinction. Il est vrai que toute infraction aux règlements, toute désobéissance aux ordres de l’administration ne constitue pas nécessairement une contravention de grande voirie justifiant la rédaction d’un procès-verbal aux frais du contrevenant ; mais il ne s’ensuit pas que les frais ne puissent jamais être que l’accessoire d’une autre condamnation ; il existe, en effet, des contraventions pour lesquelles aucune amende n’est prévue et qui n’occasionnent aucun dommage, mais qui sont de nature à en occasionner (2. Voy. ci-dessus, p. 638.) ; à la désobéissance se joint alors un dommage éventuel, imminent, peut-être même un dommage réel, mais dont la réparation peut ne pas appartenir à la juridiction administrative ; tel est le cas où un capitaine, en désobéissant à l’officier de port, aborde d’autres navires et leur fait des avaries dont la réparation ne pourra être réclamée que devant le tribunal de commerce. En pareil cas, c’est à bon droit qu’un procès-verbal est dressé et que le contrevenant est condamné à en supporter les frais, même en l’absence de toute autre répression (3. Conseil d’État, 8 juillet 1887, min. des trav. pub. c. Oger ; — 15 février 1896, Jal.).
IV. — PROCÉDURE DEVANT LE CONSEIL D’ÉTAT
Pourvoi des parties et du ministre. — Conformément aux principes généraux, la partie condamnée par le conseil de préfecture peut toujours faire appel au Conseil d’État, quel que soit le chiffre de la condamnation. Cet appel est dispensé du ministère d’un avocat ; il peut avoir lieu par simple mémoire déposé soit au Conseil d’État, soit à la préfecture ou à la sous-préfecture, qui le transmet [673] au Conseil d’État après en avoir délivré récépissé et avoir constaté sa date d’arrivée par un timbre apposé au pourvoi (1. Loi du 22 juillet 1889, art. 61.). Le recours est dispensé de tous frais, même ceux du papier timbré. Le délai du pourvoi est le délai ordinaire de deux mois à partir de la notification de l’arrêté.
Le pourvoi ne peut être formé contre la décision qui renvoie l’inculpé des fins du procès-verbal, ou qui prononce une condamnation insuffisante, que par le ministre, qui ne saurait être suppléé à cet effet par aucun chef de service de son ministère, même déclarant agir avec l’autorisation du ministre : en effet, le droit de former un pourvoi n’est pas susceptible de délégation (2. 21 novembre 1890, min. des trav. pub. c. Mezon ; — 16 janvier 1891, min. des trav. pub. c. Jeltsch. — Voy. t. Ier, p. 330.). Ce droit doit être aussi refusé au préfet, même si celui-ci prétend agir dans l’intérêt de la grande voirie départementale (3. Conseil d’État, 23 avril 1880, département de Seine-et-Oise ; — 15 mai 1891, préfet de l’Aube. — Le ministre compétent pour former le pourvoi est celui qui a la haute direction du service intéressé.). A plus forte raison un pourvoi ne peut-il pas être formé par les compagnies de chemins de fer ou autres concessionnaires ayant intérêt à la répression de la contravention (4. Conseil d’État, 28 mai 1880, Yvert ; — 1er avril 1881, même partie.), et en général par les personnes qui n’auraient pas eu qualité pour poursuivre le contrevenant devant le conseil de préfecture. Par contre, le droit de recours appartiendrait aux compagnies concessionnaires de certains canaux, auxquelles des textes spéciaux ont exceptionnellement accordé le droit d’intenter des poursuites (5. Voy. ci-dessus, p. 661.).
A l’égard du ministre, le délai court du jour où l’arrêté a été rendu, et non du jour où il lui a été communiqué par le service compétent (6. Loi du 22 juillet 1889, art. 59. — La même règle était édictée par la loi du 30 mai 1851 sur la police du roulage (art. 25), que la jurisprudence avait appliquée par analogie aux contraventions de grande voirie : — Conseil d’État, 6 mars 1874, min. des trav. pub. c. Billault ; — 30 avril 1880, min. des trav. pub. c. Monge, et nombreux arrêts antérieurs.).
Le ministre peut former soit un pourvoi au fond, soit un pourvoi dans l’intérêt de la loi, à condition, dans ce dernier cas, de ne se pourvoir qu’après l’expiration du délai imparti au contrevenant. [674] Mais il n’aurait pas le droit de former un recours incident, et de demander, en réponse au pourvoi formé par la partie, l’aggravation de l’amende ou des réparations prononcées par le conseil de préfecture, si les délais de son recours principal étaient épuisés (1. Conseil d’État, 17 juin 1887, Collignon ; — 4 mai 1888, Bouilliez.).
Intervention. — Les parties qui n’ont pas qualité pour former un recours, mais qui ont un intérêt direct et personnel à ce que l’arrêté attaqué soit maintenu ou réformé, sont recevables à intervenir. On ne saurait argumenter en sens contraire ni des règles de la procédure civile qui associent le droit d’intervention au droit de former tierce opposition, — lequel ne saurait assurément être reconnu à ces parties (2. Conseil d’État, 7 mars 1890, commune de Saint-Christophe.) — ni des règles de la procédure criminelle, qui n’admettent pas l’intervention en matière répressive, ou plutôt qui la remplacent par la constitution de parties civiles. En l’absence de textes directement applicables à la matière de la grande voirie, le Conseil d’État s’est inspiré de la tendance générale de sa jurisprudence, qui est d’admettre l’intervention des personnes intéressées, même dans des instances entre la puissance publique et un tiers. Nous en avons vu une application très large dans la matière du recours pour excès de pouvoir.
En conséquence, les compagnies de chemins de fer sont recevables à intervenir pour demander la réparation de dommages causés aux voies ferrées, à leurs clôtures et autres dépendances (3. Conseil d’État, 5 février 1875, min. des trav. pub. c. Pinguet ; — 7 avril 1873, id. c. Lainé ; — 12 décembre 1884, id. c. Forneret.). Une ville peut également intervenir s’il s’agit d’une contravention commise sur un quai (4. Conseil d’État, 1er août 1890, min. de l’intérieur c. Buffelville.). Il en est de même d’un syndicat de dessèchement, d’irrigation, d’endiguement, en cas de dommages causés à ses ouvrages. Mais il en serait autrement d’un particulier qui ne serait ni propriétaire, ni concessionnaire des ouvrages, et qui n’invoquerait que l’intérêt du public à en user librement ; ainsi des mariniers fréquentant un canal ne seraient pas recevables à intervenir contre celui qui l’aurait dégradé.
[675]
V. — DE LA PRESCRIPTION
Délai de la prescription. — La législation de la grande voirie n’a pas prévu la prescription. Nous avons vu qu’elle ne saurait exister quand il s’agit de restitutions à faire au domaine public, car on ne peut pas prescrire contre ce domaine. Mais on peut prescrire contre le fisc, et le Conseil d’État, dans le silence de la loi, a dû rechercher quelle prescription était applicable par voie d’analogie aux amendes de grande voirie.
A raison de la nature répressive de ces amendes et de la dénomination de « contravention » qu’on applique aux infractions, il a emprunté les règles de cette prescription à l’article 640 du Code d’instruction criminelle, d’après lequel « l’action publique et l’action civile pour une contravention de police seront prescrites après une année révolue à compter du jour où elle aura été commise, même lorsqu’il y aura eu procès-verbal, saisie, instruction ou poursuite, si dans cet intervalle il n’est point intervenu de condamnation ».
En conséquence, une jurisprudence très ancienne et toujours maintenue décide que les amendes de grande voirie sont prescrites si le conseil de préfecture ne les a pas prononcées dans le délai d’un an ; les nombreux arrêts rendus en ce sens visent l’article 640 du Code d’instruction criminelle (1. Conseil d’État, 13 mai 1836, Pierre ; — 13 avril 1842, Guyard ; — 3 août 1852, Messager ;— 8 mai 1874, Boucher ; — 9 août 1893, min. des trav. pub. c. Lhotellier.).
Cette jurisprudence a été combattue à plusieurs reprises par le ministre des travaux publics, qui renouvelait ses critiques dans une affaire jugée le 8 mai 1874 (Boucher). Il a fait observer qu’en admettant que le Code d’instruction criminelle pût faire loi, on ne devrait pas se référer à l’article 640, relatif aux contraventions de simple police, mais à l’article 638 qui prévoit la prescription des délits et qui en fixe la durée à trois ans. Les amendes de grande voirie, disait-il, se rapprochent beaucoup plus, par leur taux, des amendes correctionnelles que des amendes de police ; d’ailleurs les [676] infractions ont été souvent qualifiées de délits, notamment par la loi du 24 mars 1842. Enfin, un grand nombre de contraventions ne peuvent être jugées sans des vérifications qui entraînent des délais, et qui peuvent ainsi compromettre la répression.
On ne peut nier que ces objections ne soient sérieuses ; elles empruntent une force particulière à la jurisprudence du Conseil d’État qui ne fixe pas de délai entre la date de l’infraction et celle du procès-verbal, de sorte que, pour peu que la constatation soit tardive, le délai imparti au juge se trouve singulièrement réduit. La brièveté de ce délai peut même rendre la mission du juge impossible lorsqu’il a besoin de procéder à des vérifications du domaine public naturel qui ne peuvent avoir lieu qu’à des époques déterminées, par exemple aux époques des grandes marées pour les rivages de la mer.
Si donc la jurisprudence était à faire, ou si le pouvoir législatif était saisi de la question, nous pensons qu’on devrait adopter la prescription de trois ans de l’article 638, C. instr. crim., plutôt que la prescription annale de l’article 640.
Point de départ et calcul du délai. — Le délai a pour point de départ le jour où la contravention a été commise, non le jour où elle a été constatée. Il peut y avoir doute sur ce point de départ, lorsque la contravention résulte d’un fait permanent ou prolongé, tel qu’une occupation ou une construction illicite. Nous pensons que, dans ce cas, le délai ne commence pas nécessairement à courir du jour où l’on a fait une première entreprise sur le domaine public, mais du jour où cette entreprise a été consommée par l’achèvement ou par un avancement suffisant des travaux. S’il s’agit de faits successifs et distincts ayant causé des dégradations, si, par exemple, un ouvrage public a été détérioré par l’action prolongée d’eaux corrosives déversées par une usine, le délai ne courra pas dès la première infraction, mais du jour où des dégradations d’une certaine gravité auront pu être constatées (1. Conseil d’État, 11 février 1881, Arlot.). Si la contravention résulte du refus d’enlever des plantations ou une épave dans un délai fixé par les règlements ou par une mise en demeure, la prescription [677] ne court pas du refus, mais de l’expiration des délais impartis (1. Conseil d’État, 28 décembre 1878, Yvonneau.).
Il peut donc arriver qu’un contrevenant soit déjà passible de poursuites depuis un temps plus ou moins long, sans que la prescription commence à courir à son profit ; mais le point de départ du délai ne peut jamais être reculé au-delà de la date des constatations consignées au procès-verbal.
Le délai de la prescription est d’une année révolue (art. 640) ; c’est donc un délai franc, qui ne comprend ni le jour de la contravention ni celui du jugement.
Il n’est pas nécessaire que le jugement à rendre dans l’année soit contradictoire ; un jugement par défaut interromprait aussi la prescription, car il ne saurait dépendre du contrevenant de prescrire son infraction en s’abstenant de se défendre. Dans ce cas, la prescription ne recommencerait à courir que du jour où le contrevenant aurait notifié son opposition à la condamnation par défaut (2. Conseil d’État, 8 février 1865, Dussol d’Héraud ; — 17 février 1888, min. de l’intérieur c. Larrieu.).
Mais il est nécessaire que le jugement à rendre dans l’année soit un jugement de condamnation. L’article 640 est formel sur ce point. Ce texte ajoute que la prescription n’est interrompue par aucun acte d’instruction et de poursuite (3. La prescription des contraventions de toute nature diffère sur ce point de celle des crimes et des délits, qui est interrompue par les actes d’instruction et de poursuites. (Art. 637 et 638, C. instr. crim.)) ; d’où il suit qu’elle continuerait de courir nonobstant un arrêté préparatoire qui ordonnerait une mesure d’instruction (4. Voy. Faustin Hélie, Instruction criminelle, t. II, p. 685 et 707, et les arrêts de la Cour de cassation cités par cet auteur.).
Interruption de la prescription. — Mais si aucun empêchement de fait, aucun retard de procédure, si justifié qu’il puisse être, ne peut interrompre la prescription, il en est autrement d’un empêchement de droit, résultant de l’obligation légale qui s’impose au juge de la contravention d’attendre la solution d’une question préjudicielle avant de statuer sur le fond. La jurisprudence de la Cour de [678] cassation et la doctrine des auteurs sont constantes sur ce point : « Attendu, dit un arrêt de la chambre criminelle du 27 mai 1843, que si, en thèse générale et d’après les termes de l’article 640, la prescription des contraventions de police n’est pas interrompue par des actes d’instruction, il est impossible d’appliquer cette règle au cas où l’action publique est suspendue pour le jugement d’une question préjudicielle renvoyée à une autre juridiction (1. Cf. Faustin Hélie, op. cit., t. II, p. 707. — Cf. Cass. 11 décembre 1869, Michaut.).
Si donc le conseil de préfecture renvoie une question préjudicielle de propriété à l’autorité judiciaire, soit sur la demande du contrevenant, soit d’office, ou bien s’il renvoie au Conseil d’État l’interprétation d’une concession antérieure à 1566, la prescription est interrompue. Il en serait de même, selon nous, s’il s’agissait d’une question préjudicielle d’interprétation de vente nationale ressortissant au conseil de préfecture ; car elle nécessiterait, ainsi que nous l’avons dit, une instance distincte de celle qui a la contravention pour objet. Dans ce cas, la prescription ne recommence à courir que du jour où la question préjudicielle a été l’objet d’un jugement définitif.
Il est à remarquer que l’interruption dont il s’agit est bien une interruption dans le sens juridique du mot, et non une simple suspension ; elle supprime tout le temps écoulé et sert de point de départ à une nouvelle prescription d’une année. Cette solution, conforme à la règle générale posée par l’article 637 du Code d’instruction criminelle, a été spécialement affirmée par la jurisprudence de la Cour de cassation et par les auteurs, dans l’hypothèse d’une question préjudicielle soulevée au cours d’une poursuite pour contravention de police (2. Faustin Hélie, op. cit., t. II, p. 709 ; — Mangin, Action publique, n° 360.). Elle s’impose d’ailleurs comme une nécessité pratique ; en effet, ainsi qu’on l’a fait remarquer, le juge peut procéder au jugement de la contravention à une époque très voisine de l’expiration du délai ; si, à ce moment, une question préjudicielle venait à surgir, et si le temps écoulé depuis la contravention restait acquis à la prescription, le juge du fond pourrait n’avoir plus que quelques jours, peut-être un seul, pour réprimer la contravention (3. Mangin cite l’exemple d’une contravention commise le 2 janvier et sur laquelle le juge de paix avait sursis à statuer, par jugement du 31 décembre, à raison d’une question préjudicielle de propriété. Si la prescription n’avait été que suspendue, le juge n’aurait plus eu qu’un délai de deux jours pour statuer au fond avant que la prescription fût accomplie. (Mangin, Action publique, n° 360.)).
[679] Règles de la prescription en cas d’appel. — Lorsque le conseil de préfecture a statué sur la contravention, sa décision peut être frappée d’appel par le contrevenant en cas de condamnation, par le ministre en cas d’acquittement. Une nouvelle prescription commence alors à courir ; quel en est le délai ?
Remarquons d’abord que le droit d’appel, qui n’a jamais fait doute pour les contraventions de grande voirie, est plus largement ouvert que pour les contraventions de simple police. En effet, d’après l’article 172 du Code d’instruction criminelle, les jugements rendus en matière de police ne sont susceptibles d’appel que lorsqu’ils prononcent l’emprisonnement ou des condamnations pécuniaires excédant cinq francs. Ils ne le sont donc pas lorsqu’ils prononcent l’acquittement : le ministère public ne peut, dans ce cas, que se pourvoir en cassation (art. 177). Il résulte de là que l’article 640, — dont les termes pourraient prêter au doute si l’on ne tenait pas compte de cette règle, — n’a pu prévoir la prescription qu’en cas d’appel de la partie condamnée.
Ce texte dispose que, « s’il y a eu un jugement définitif de première instance de nature à être attaqué par la voie de l’appel (1. Ces mots se réfèrent à l’article 172, qui limite les condamnations susceptibles d’appel.), l’action publique et l’action civile se prescriront après une année révolue, à compter de la notification de l’appel qui en aura été interjeté ». La notification dont il s’agit ici est celle que l’appelant est tenu de faire au ministère public ; l’action publique est celle qui saisit le tribunal correctionnel afin qu’il statue sur l’appel de la partie ; en effet, celle-ci n’a pas qualité pour réclamer elle-même le jugement de son appel : elle n’y a pas non plus intérêt, puisque l’appel est suspensif (art. 173), et qu’une nouvelle prescription court au profit de la partie du jour de la notification qu’elle a faite.
Tel est le mécanisme de l’article 640. Ses dispositions ne peuvent pas être littéralement appliquées en matière de contraventions de grande voirie, et l’on n’en peut retenir qu’une seule chose : le délai de la prescription.
[680] En ce qui touche l’appel de la partie, il ne saurait avoir pour point de départ la notification au ministère public (c’est-à-dire au ministre), parce que la partie a le droit de déférer directement l’arrêté du conseil de préfecture au Conseil d’État ; c’est elle et non le ministre qui met, dans ce cas, la juridiction d’appel en mouvement. D’un autre côté, l’arrêté de condamnation, au lieu d’être paralysé par l’appel, comme en matière judiciaire, est exécutoire par provision, et il sera souvent exécuté au moment où la partie se présentera devant le Conseil d’État. Il n’est donc pas possible qu’une nouvelle prescription des poursuites vienne à courir en faveur de l’appelant, puisque ces poursuites ont abouti à une condamnation qui demeure acquise tant qu’elle n’est pas infirmée. C’est pourquoi le Conseil d’État décide que le contrevenant condamné par le conseil de préfecture ne peut pas se rouvrir à lui-même un nouveau délai de prescription en faisant appel (1. Conseil d’État, 23 mai 1884, Clavé. — Cette décision n’est qu’implicite, mais elle suppose nécessairement l’adoption des conclusions que le commissaire du Gouvernement avait prises en ce sens. (Voy. ces conclusions au Recueil, 1884, p. 480.)).
Il en est autrement lorsque le ministre fait appel d’un arrêté renvoyant le contrevenant des fins du procès-verbal. Dans ce cas, si une prescription nouvelle ne courait pas à partir de cet appel, la prescription s’accomplirait presque toujours sans qu’il fût possible au Conseil d’État de prononcer une condamnation dans le délai d’un an à compter des poursuites, car la procédure devant le conseil de préfecture et les délais de l’appel au Conseil d’État auraient le plus souvent épuisé le délai de la prescription. C’est pourquoi la jurisprudence a eu recours à l’article 640 ; elle lui a emprunté cette idée que « l’action publique se prescrit une année révolue après la notification de l’appel » ; elle en a conclu que le recours du ministre (assimilé à une action publique) fait revivre le délai de la prescription, à partir de la notification que la partie reçoit du recours, et que la prescription n’est acquise qu’un an après cette notification, si le Conseil d’État n’a prononcé aucune condamnation dans ce délai (2. Conseil d’État, 28 mai 1880, min. des trav. pub. ; — 26 janvier 1883, Teinturier ; — 14 décembre 1883, min. des trav. pub. c. Ferrère, et nombreux arrêts antérieurs.).
La jurisprudence est ainsi arrivée à ce résultat singulier, de ne [681] pas appliquer l’article 640 au cas d’appel de la partie, qui est seul visé par ce texte, et de l’appliquer au cas d’appel du ministère public, qui est exclu par ce même texte et par l’article 172.
Mais si cette solution peut être critiquée au point de vue d’une application littérale des textes, on doit reconnaître qu’elle concilie dans une juste mesure le droit d’appel qu’il était impossible de refuser au ministre, et le droit à la prescription, que la partie doit pouvoir invoquer contre lui, aussi bien que contre les autorités chargées de la poursuite devant le conseil de préfecture.
Les règles que nous venons d’indiquer sur la prescription en cas d’appel seraient applicables, si l’arrêté contre lequel le ministre se pourvoit s’était borné à déclarer l’incompétence du conseil de préfecture. Dans ce cas, comme dans celui où il y a acquittement, l’insuccès des poursuites devant les premiers juges autorise le ministre à les reprendre devant le juge d’appel ; dans ce cas aussi, la prescription est acquise si les poursuites n’aboutissent pas à une condamnation dans le délai d’une année, à partir de la notification de l’appel du ministre.
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