I. — ORGANISATION DES CONSEILS DE PRÉFECTURE
Il existe un conseil de préfecture dans chaque département de France et d’Algérie et dans la partie du département du Haut-Rhin conservée à la France, et formant le territoire de Belfort.
Les conseils de préfecture se composent d’un nombre de conseillers déterminé par la loi, d’après les besoins présumés du service, et qui est de 4 dans 29 départements de la France continentale, énumérés par l’article 1er de la loi du 21 juin 1865 (1. La loi de 1865 énumère trente et un départements, mais il y a lieu de retrancher de cette énumération le département du Bas-Rhin et de réunir en un seul les départements de la Meurthe et de la Moselle. Voy. ci-dessus, dans la partie historique, page 282, les projets de loi qui ont été mis à l’étude de 1888 à 1892, sur l’organisation des conseils de préfecture.), et de 3 dans les autres.— A Paris, ce nombre est de 9, d’après la loi du 23 mars 1878 modifiant sur ce point les lois antérieures qui l’avaient successivement fixé à 7 et à 8. — En Algérie, il est de 5 dans le département d’Alger et de 4 dans les départements d’Oran et de Constantine (décret du 25 mars 1865).
Les conseillers de préfecture sont nommés par décret du Président de la République sur la proposition du ministre de l’intérieur. Ils doivent être âgés de 25 ans et licenciés en droit ou avoir rempli pendant 10 ans des fonctions rétribuées, administratives ou judiciaires, ou celles de conseiller général ou de maire (loi du 21 juin 1865, art. 2).
Le préfet est membre de droit du conseil de préfecture, et, lorsqu’il [356] y siège, il le préside avec voix prépondérante. Nous avons vu, dans la partie historique, que cette disposition, empruntée à la loi du 28 pluviôse an VIII (art. 5), n’avait pas été maintenue sans contestation par la loi du 21 juin 1865 (art. 4). Les inconvénients qu’elle présente, — moins à raison d’abus réels qu’à raison de ceux que l’on peut craindre et du caractère anormal qui semble en résulter pour la juridiction administrative de premier ressort — ont été atténués par l’institution d’un vice-président qui est chargé de présider le conseil de préfecture en l’absence du préfet et qui est, dans la pratique, le président effectif du conseil. Les fonctions de vice-président sont remplies par un conseiller de préfecture désigné chaque année par décret (loi du 21 juin 1865, art. 4).
Le secrétaire général de la préfecture, lorsqu’il remplace le préfet en vertu d’une délégation régulière, pourrait-il présider le conseil de préfecture? M. Aucoc se prononce pour l’affirmative (1. Conférences, t. I, p. 554.), mais nous pensons que la solution contraire doit prévaloir, et cela pour deux raisons : d’abord parce que, aux termes de l’article 4 de la loi du 21 juin 1865, c’est le vice-président du conseil de préfecture qui « devra présider le conseil en cas d’absence ou d’empêchement du préfet » ; cette disposition crée, en ce cas, une suppléance spéciale qui doit l’emporter sur la suppléance générale ; en second lieu, parce que le secrétaire général est chargé de plein droit, à moins d’empêchement, des fonctions du ministère public qui sont incompatibles avec la présidence du conseil.
Le conseil de préfecture de la Seine n’est pas présidé par le préfet, il a à sa tête un président spécial, assisté de deux conseillers chargés de présider, en son absence, les deux sections ou chambres composant le conseil (décret du 17 mars 1863) (2. Ce décret, abrogé en 1870, a été remis en vigueur par un décret du 12 mars 1871.).
Les fonctions du ministère public près les conseils de préfecture sont remplies par le secrétaire général de la préfecture, qui prend le titre de commissaire du Gouvernement. Elles peuvent l’être également par un auditeur au Conseil d’État attaché à la préfecture (loi du 21 juin 1865, art. 8), ou par un conseiller de préfecture [357] appelé en vertu de l’ordonnance du 29 mars 1821 à remplacer le secrétaire général absent ou empêché (1. L’usage d’attacher des auditeurs aux préfectures paraît être tombé en désuétude depuis la réduction que le nombre des auditeurs a subie en 1872. Il était resté en vigueur dans le département de Seine-et-Oise, où les fonctions de commissaire du Gouvernement près le conseil de préfecture ont été remplies par des auditeurs au Conseil d’État jusqu’au mois d’avril 1886.).
A Paris, les fonctions du ministère public sont remplies par quatre commissaires du Gouvernement qui n’exercent aucune fonction de l’administration active. Aux termes de l’article 2 du décret du 28 juillet 1881 qui régit actuellement la matière, les commissaires du Gouvernement près le conseil de préfecture de la Seine sont choisis parmi les auditeurs ou anciens auditeurs au Conseil d’État, ou, à défaut, parmi les candidats remplissant les conditions requises pour être nommés conseillers de préfecture.
Le conseil de préfecture est assisté d’un secrétaire-greffier nommé par le préfet et choisi parmi les employés de la préfecture.
Le conseil de préfecture doit toujours siéger en nombre impair (2. Disposition nouvelle de la loi du 22 juillet 1889 (art. 47).) ; il ne peut rendre de décisions que si trois membres au moins y prennent part, quel que soit d’ailleurs le nombre de membres dont le conseil est normalement composé. Le préfet, bien qu’il ait voix prépondérante en cas de partage, ne peut jamais compter que pour un membre. En cas d’insuffisance du nombre des membres, il y est pourvu conformément aux dispositions de l’arrêté des consuls du 19 fructidor an IX et du décret du 16 juin 1808, auxquelles renvoie l’article 6 de la loi du 21 juin 1865.
D’après ces textes, le conseil de préfecture se complète en appelant un membre du conseil général désigné à la pluralité des voix ; mais ce choix ne peut pas tomber sur un conseiller général qui serait en même temps membre d’un tribunal. Cette dernière disposition de l’arrêté de l’an IX a pour but d’empêcher tout cumul de la juridiction administrative avec la fonction judiciaire, cumul que nos lois interdisent à des membres isolés des corps administratifs ou judiciaires aussi bien qu’à ces corps eux-mêmes, par application du principe de la séparation des pouvoirs. Aussi l’incompatibilité prévue par l’arrêté de l’an IX s’applique-t-elle à tout magistrat [358] ou fonctionnaire de l’ordre judiciaire, y compris les membres des tribunaux de commerce.
La faculté de remplacer un conseiller de préfecture par un membre du conseil général peut-elle s’étendre à plusieurs membres absents ou empêchés ?
La négative semblait résulter de l’arrêté de l’an IX, qui prévoyait uniquement la désignation d’un membre du conseil général ; elle pouvait aussi s’induire de ce qu’il serait anormal de voir une juridiction composée en majorité de membres qui lui sont étrangers. Mais le décret du 16 juin 1808 a résolu cette question dans le sens le plus large et a même été beaucoup trop loin en admettant le remplacement de tous les membres du conseil de préfecture. D’après l’article 1er de ce décret, « les membres des conseils de préfecture qui, tous à la fois, seraient forcément empêchés d’exercer leurs fonctions, seront suppléés par un égal nombre de membres du conseil général ». On peut donc dire que tous les membres du conseil général qui n’exercent pas de fonctions judiciaires sont virtuellement membres suppléants des conseils de préfecture, dans les cas prévus par l’arrêté et le décret précités. Mais il n’en est pas de même des membres des conseils d’arrondissement; aucune loi ne les appelant à cette suppléance, leur participation à une décision d’un conseil de préfecture la frapperait d’une nullité radicale (1. Conseil d’État, 11 août 1849, Lara-Minot; — 30 novembre 1883, Renouard.).
En Algérie, la suppléance peut être exercée, aux termes du décret du 25 décembre 1858, soit par un conseiller général, soit par un chef de bureau de la préfecture.
La suppléance suppose l’absence ou l’empêchement du fonctionnaire suppléé, son empêchement forcé, d’après les termes du décret de 1808 ; on ne saurait donc y recourir arbitrairement ni surtout en vue de substituer, dans une affaire déterminée, un juge exceptionnel à celui que la loi a donné aux parties. Aussi la participation d’un conseiller général à une décision du conseil de préfecture doit-elle toujours être justifiée, à peine de nullité de la décision, par la mention de l’absence ou de l’empêchement ayant donné lieu à l’application de l’arrêté de fructidor an IX, non qu’il [359] soit nécessaire de mentionner la nature de l’empêchement, mais encore faut-il en constater l’existence dans les visas mêmes de l’arrêté (1. Conseil d’Etat, 23 janvier 1880, Mesrine ; — 20 avril 1883, département du Jura ; — 9 décembre 1892, Grandidier; — 8 février 1895, Bénardet-Tabarant. Ces arrêts ont fixé la jurisprudence qui était antérieurement hésitante, ainsi qu’il résulte des arrêts du 14 juillet 1859, Belseur, et du 6 mars 1872, commune de Bains-de-Rennes.).
II. — ATTRIBUTIONS DES CONSEILS DE PRÉFECTURE
Les conseils de préfecture exercent trois sortes d’attributions : 1° comme conseils consultatifs placés auprès du préfet, qui doit demander leur avis dans les cas prévus par la loi et qui a toujours la faculté de le demander dans les autres cas. Cette attribution est étrangère à notre étude actuelle ; — 2° comme juges de premier ressort, et sauf appel à la Cour des comptes, de la comptabilité des communes et des établissements publics dont le revenu n’excède pas 30,000 fr. Nous reviendrons sur cette attribution dans le chapitre consacré à la Cour des comptes ; — 3° comme juges de premier ressort, et sauf appel au Conseil d’État, des affaires administratives contentieuses, autres que les affaires de comptabilité, qui leur sont déférées par la loi. C’est cette dernière attribution que nous avons à étudier.
Caractères généraux de la juridiction. — La juridiction des conseils de préfecture comme juges de contentieux administratif présente ce triple caractère : elle est territoriale ; elle ne s’exerce que sur les litiges prévus par la loi ; elle n’est jamais que de premier ressort.
Nous nous sommes déjà expliqué sur ce dernier point en mentionnant les attributions du Conseil d’État comme juge d’appel. Examinons les deux autres.
La juridiction des conseils de préfecture est territoriale, c’est-à-dire qu’elle se détermine non d’après le domicile des parties ou le siège des administrations que le litige intéresse, mais d’après le [360]
lieu où se sont produits les faits litigieux. Ainsi les réclamations relatives à des contributions, à des élections, à l’exécution de travaux publics, à des dommages causés par ces travaux, sont portées devant le conseil de préfecture du lieu de l’imposition ou de l’élection, du lieu où le travail public s’est effectué, où des propriétés ont été endommagées par ce travail, et non du lieu où est domicilié le contribuable, le candidat élu, l’entrepreneur ou le propriétaire. La compétence ne se règle donc pas ratione personae mais ratione loci, ou plutôt elle se règle d’après la notion même de l’administration départementale à laquelle la juridiction administrative départementale se rattache étroitement— si étroitement que l’une et l’autre ont été confondues de 1790 à l’an VIII dans les mêmes autorités. Or, cette administration, comme toutes celles qui sont établies pour gérer un territoire déterminé, s’applique aux faits accomplis dans son ressort plutôt qu’aux personnes dont ils émanent ; le domicile adopté par elles pour l’exercice de leurs droits civils ne sert donc pas, en général, à déterminer la compétence.
Il y a cependant un cas où il a paru nécessaire de déroger à cette règle, c’est celui où un travail public est exécuté par un même entrepreneur dans plusieurs départements, et surtout celui où les travaux ont fait l’objet d’une concession s’étendant à de vastes étendues de territoires, telles que les concessions de chemins de fer. Dans ce cas, on prévient les difficultés de compétence en déterminant d’avance la juridiction départementale devant laquelle sera porté le contentieux des marchés ou de la concession. Pour les marchés, cette indication résulte, en général, d’une élection, de domicile, qui doit être contenue dans la soumission et qui devient une des clauses de l’adjudication ; pour les concessionnaires, elle résulte d’une clause du cahier des charges. Ainsi les cahiers des charges des grandes compagnies de chemins de fer ayant leur siège à Paris contiennent tous une clause portant que « les contestations qui s’élèveraient entre la Compagnie et l’administration, au sujet de l’exécution et de l’interprétation des clauses du cahier des charges, seront jugées administrativement par le conseil de préfecture du département de la Seine, sauf recours au Conseil d’État ». Mais il est bien entendu que cette clause n’a d’effet [361] qu’entre l’administration et le concessionnaire ou entrepreneur, et qu’elle laisse subsister tout entière la règle de la compétence territoriale entre ceux-ci et les tiers réclamant des indemnités pour dommages ou pour extraction de matériaux.
La juridiction des conseils de préfecture est essentiellement une juridiction d’attribution, c’est-à-dire qu’elle ne résulte que de dispositions de loi déférant à ces conseils des catégories d’affaires déterminées, et non de règles générales les instituant juges de premier ressort du contentieux administratif. A ce titre, le rôle des conseils de préfecture ne saurait être assimilé à celui des tribunaux civils de première instance. Ceux-ci sont les juges ordinaires des contestations civiles, c’est-à-dire qu’ils ont qualité pour en connaître, par cela seul qu’aucune disposition de loi ne les a distraites de leur compétence générale pour les déférer à des juridictions spéciales, tribunaux de commerce ou justices de paix. Quant aux conseils de préfecture, ils exercent une juridiction étendue, fréquente, — habituelle même, à ne considérer que les chiffres d’affaires révélés par les statistiques — mais ils n’exercent point une juridiction ordinaire dans le sens juridique du mot.
En effet, une juridiction ordinaire, c’est-à-dire compétente de plein droit sur tous les litiges que la loi n’attribue pas à une autre juridiction, ne peut être instituée que par un texte. Ce texte n’existe pas ; à peine est-il besoin d’ajouter qu’on ne saurait y suppléer, en se fondant sur l’intention présumée des auteurs de la loi du 28 pluviôse an VIII, notamment sur le rapport du conseiller d’État Roederer, ou sur d’anciens monuments de la jurisprudence, par exemple, sur le décret au contentieux, souvent cité, du 6 décembre 1813. Nous avons déjà eu occasion de nous expliquer sur la portée de ces documents en faisant l’historique de la législation de l’an VIII (1. Voy, ci-dessus, page 220.).
Quant à la jurisprudence du Conseil d’État, elle est depuis longtemps fixée en ce sens qu’aucune affaire contentieuse ne peut être portée devant les conseils de préfecture si elle ne leur a été attribuée par une disposition législative. De nombreux arrêts se sont fondés pour leur dénier compétence sur cet unique motif : « qu’aucune [362] disposition de loi n’a attribué au conseil de préfecture la connaissance de la contestation (1. Conseil d’État, 14 décembre 1877, commune de Mont-Saint-Sulpice ; — 6 janvier 1882, ministre des travaux publics.) ».
Nous avons vu d’autre part que la juridiction ordinaire en matière administrative, après des controverses et des hésitations prolongées, a été reconnue par la jurisprudence appartenir au Conseil d’État (2. Voy. ci-dessus, page 322.).
Matières contentieuses déférées aux conseils de préfecture. — Les textes qui ont attribué juridiction aux conseils de préfecture sont nombreux et épars dans toute notre législation administrative. Ils se sont inspirés de considérations d’opportunité administrative, plutôt que de vues bien arrêtées sur le rôle à donner aux conseils de préfecture dans le jugement du contentieux administratif. Il n’y a guère que trois matières qui aient été à cet égard l’objet de quelques vues d’ensemble : les contributions directes, les travaux publics et la grande voirie.
Pour les deux premières, la loi du 28 pluviôse an VIII, confirmant les règles déjà posées par la loi des 7-11 septembre 1790, a établi sur des bases assez larges la juridiction des conseils de préfecture ; plusieurs lois postérieures et la jurisprudence du Conseil d’État l’ont affermie ou étendue, de telle sorte qu’elle peut être aujourd’hui considérée comme une juridiction générale, embrassant l’ensemble du contentieux des contributions directes et des travaux publics.
Le même résultat s’est produit pour la matière de la grande voirie, mais non par le seul effet de la loi de pluviôse an VIII. Celle-ci avait maintenu la distinction faite par la loi des 7-11 septembre 1790 entre les contraventions de grande voirie, déférées à l’autorité judiciaire, et les autres difficultés relatives à « l’administration en matière de grande voirie » réservées à l’autorité administrative. Ces dernières seules étaient soumises aux conseils de préfecture par la loi de pluviôse an VIII. Mais peu après, la loi du 29 floréal an X retira aux tribunaux et remit aux conseils de préfecture la [363] répression des contraventions commises sur les routes, rivières, canaux et leurs dépendances ; plus tard, des lois particulières appliquèrent le même régime de protection légale aux autres parties du domaine public, rivages de la mer, ports maritimes, places de guerre, chemins de fer, lignes télégraphiques, etc.
Grâce à ce mouvement de la législation, la juridiction des conseils de préfecture est devenue assez étendue en matière de grande voirie pour qu’on puisse lui attribuer un caractère général.
Une tendance analogue a d’abord paru se manifester pour le contentieux électoral ; les lois du 21 mars 1831 et du 22 juin 1833 ont déféré aux conseils de préfecture les élections des conseils généraux, municipaux et d’arrondissement ; la loi du 1er juin 1853 a disposé de même pour les conseils de prud’hommes. On pouvait s’attendre à ce que le législateur persistât dans cette voie, sauf à attribuer au conseil de préfecture, de la Seine les opérations électorales qui ne sont effectuées ou recensées qu’à Paris, telles que les élections au conseil supérieur de l’instruction publique et aux conseils académiques.
On aurait ainsi réalisé une certaine unité de juridiction en matière de contentieux électoral, mais il n’en a rien été. Le législateur, au lieu de compléter son œuvre en ce sens, est revenu sur ses pas. Il a retiré aux conseils de préfecture et a déféré d’abord aux conseils généraux, puis au Conseil d’État jugeant en premier et dernier ressort, le contentieux des élections aux conseils généraux : et cela sans autre motif que le désir de ménager les susceptibilités de quelques membres de ces conseils à qui il déplaisait d’être les justiciables des conseils de préfecture, quoiqu’ils l’eussent été pendant près de quarante ans. Il a remis au ministre de l’instruction publique, sauf recours au Conseil d’État, les élections aux conseils universitaires. De son côté la jurisprudence, cédant encore à l’impulsion de l’ancienne doctrine du ministre-juge, a renvoyé au ministre des travaux publics le contentieux des élections des associations syndicales, bien que ce fût là, par excellence, une matière du ressort des conseils de préfecture. Les élections des consistoires et des conseils presbytéraux ont été attribuées au ministre des cultes, celles des chambres de commerce au ministre du commerce. Le contentieux électoral, qu’il eût été si aisé d’unifier [364] au point de vue des compétences, est ainsi devenu une matière fort complexe.
Bornons-nous, quant à présent, à en tirer cette conclusion que la juridiction des conseils de préfecture n’a point un caractère général en matière d’élections administratives, mais uniquement un caractère de juridiction spéciale et d’attribution, pour les élections des conseils d’arrondissement et pour l’ensemble des élections municipales, c’est-à-dire celles qui concernent les conseils municipaux, les maires et adjoints et les délégués sénatoriaux.
Des lois spéciales ont également attribué aux conseils de préfecture le contentieux des élections des prud’hommes (loi du 27 mai 1848) et des délégués mineurs (loi du 8 juillet 1890).
Les autres attributions des conseils de préfecture nous présentent moins encore une apparence de juridiction générale sur des branches déterminées du contentieux administratif ; elles sont peu homogènes, mais on ne peut pas dire qu’elles soient tout à fait arbitraires. Presque toutes, en effet, peuvent se ramener à l’un de ces trois objets : ou bien il s’agit d’opérations administratives locales, comportant des réclamations contentieuses pour lesquelles on a voulu rapprocher, autant que possible, les intéressés de leur juge; — ou bien il s’agit de contrats, ayant un caractère administratif et destinés à assurer un service public ; — ou enfin, de travaux qui, sans avoir le caractère de travaux publics, répondent à un intérêt général et auxquels on a cru devoir appliquer, en tout ou en partie, la même compétence qu’aux travaux publics.
Parmi les opérations administratives dont le contentieux appartient aux conseils de préfecture, nous mentionnerons :
1° — Les autorisations données aux établissements dangereux, incommodes ou insalubres, contre lesquelles les voisins peuvent former opposition devant le conseil de préfecture en vertu du décret du 15 octobre 1810 ;
2° — Les décisions prises par les conseils municipaux en matière de logements insalubres, que les propriétaires peuvent contester devant les conseils de préfecture, en vertu de la loi du 13 avril 1850 ;
3° — Les partages de biens communaux qui peuvent donner lieu à diverses réclamations contentieuses, touchant leur validité, leurs effets à l’égard des communes, des copartageants et des tiers, et [365] l’attribution ou le mode de jouissance des lots (loi du 10 juin 1793 et loi du 9 ventôse an XII) ;
4° — Les décomptes dressés par la régie pour établir, à rencontre des cultivateurs de tabac indigène, les manquants dont ils peuvent être redevables à l’État. Le conseil de préfecture connaît des réclamations des cultivateurs contre ces décomptes en vertu des articles 200 et 201 de la loi du 28 avril 1816 ;
5° — Les décisions prises par les préfets pour interdire les fouilles ou travaux souterrains qui peuvent altérer ou diminuer une source d’eaux minérales déclarée d’intérêt public. L’opposition à ces décisions peut être portée devant le conseil de préfecture en vertu de l’article 4, § 2, de la loi du 14 juillet 1856 ;
6° — Les décisions prises dans l’intérêt de la pêche fluviale et portant interdiction de la pêche dans les parties de cours d’eau réservées pour la reproduction du poisson, et celles qui ordonnent l’établissement d’échelles à poissons dans les barrages de particuliers. Ces décisions ne peuvent pas être contestées au point de vue de leur opportunité, mais elles peuvent donner lieu, au profit des propriétaires riverains, à des indemnités qui sont réglées par le conseil de préfecture en vertu de l’article 3 de la loi du 31 mai 1865.
Parmi les contrats réputés administratifs et dont le contentieux a été déféré aux conseils de préfecture, on peut citer :
1° — Les ventes de domaines nationaux, prévues par l’article 4, § 6, de la loi du 28 pluviôse an VIII ;
2° — Les concessions de terres en Algérie. Elles peuvent, tant qu’elles ne sont pas converties en un titre définitif de propriété, être retirées par des arrêtés de déchéance que le concessionnaire a le droit de contester devant le conseil de préfecture (décret du 30 septembre 1878, art. 19) ;
3° — Les marchés passés pour le service des pompes funèbres, qui doivent être dressés, d’après le décret du 23 prairial an XII, selon le mode établi pour les travaux publics, et que la jurisprudence soumet aux mêmes juges ;
4° — Les conventions intervenues entre les communes et les régisseurs intéressés de leurs octrois, dont le contentieux est déféré aux conseils de préfecture pour tout ce qui touche à l’administration [366] ou à la perception des octrois (décret du 17 mai 1809, art. 136, § 1er) ;
5° — Les baux passés entre les communes et les fermiers des octrois (même article, § 2), auxquels la jurisprudence a assimilé les baux passés avec les fermiers des droits de place dans les foires et marchés (1. Tribunal des conflits, 8 novembre 1851, Lombard.), et des droits de pesage, mesurage et jaugeage dans les communes (2. Conseil d’État, 10 juin 1857, Fraîche.). Toutefois, à l’égard de ces baux, la juridiction du conseil de préfecture est limitée, par l’article 136, § 3, du décret de 1809, aux contestations survenues sur le sens et la portée des contrats et ne s’étend pas aux difficultés d’exécution, lesquelles doivent être portées devant les tribunaux judiciaires ;
6° — Les baux passés entre les communes et les propriétaires de halles au autres bâtiments destinés aux dépôts et à la vente des denrées. La loi des 15-28 mars 1790 avait soumis à l’arbitrage des assemblées administratives les difficultés relatives soit à la location, soit à l’aliénation ; les tribunaux judiciaires connaissent actuellement des questions d’aliénation, mais les questions de location sont restées dans les attributions des conseils de préfecture, conformément à l’avis du Conseil d’État du 20 juillet 1836 ;
7° — Les abonnements à passer entre la régie et les débitants pour remplacer les droits de détail et de circulation à l’intérieur. L’article 73 de la loi du 28 avril 1816 charge le conseil de préfecture d’en déterminer les conditions, en cas de désaccord entre l’administration et les débitants.
Parmi les travaux qui, sans avoir le caractère de travaux publics, peuvent donner lieu à des réclamations portées devant le conseil de préfecture, on doit mentionner :
1° — Les travaux de recherches de mines exécutés antérieurement à la concession. L’indemnité due aux propriétaires de la surface par celui qui a exécuté ces travaux avec l’autorisation du préfet, est réglée par le conseil de préfecture en vertu de l’article 46 de la loi du 21 avril 1810. Il en est de même de l’indemnité due à l’auteur de ces travaux par le concessionnaire de la mine qui en a profité.
[367] 2° — Les travaux d’assèchement des mines ordonnés par l’administration et exécutés par le syndicat des concessionnaires intéressés, conformément à la loi du 27 avril 1838. D’après l’article 5 de cette loi, les réclamations relatives à l’exécution des travaux sont jugées par le conseil de préfecture comme en matière de travaux publics. Il en est de même des réclamations des concessionnaires sur la fixation de leur quote-part de dépenses.
Telles sont les principales attributions que les conseils de préfecture exercent en vertu de lois spéciales. Quant aux attributions plus générales que nous avons tout d’abord rappelées — contributions directes, travaux publics, grande voirie, élections municipales, — elles touchent à des parties importantes du contentieux administratif auxquelles nous consacrerons des chapitres spéciaux dans notre tome II.
III. — PROCÉDURE
Avant la loi du 22 juillet 1889, la procédure des conseils de préfecture n’était régie que par quelques articles de la loi du 21 juin 1865, par le décret du 12 juillet suivant, et par des dispositions de lois spéciales qui réglaient les formes des expertises dans des affaires déterminées. Le Conseil d’État s’était efforcé de combler les nombreuses lacunes de cette législation par une jurisprudence que la loi nouvelle a consacrée dans plusieurs de ses dispositions. Voyons quelles sont actuellement les règles essentielles de cette procédure (1. On trouvera un excellent commentaire de la loi du 22 juillet 1889 dans le Traité de la procédure devant les conseils de préfecture de MM. Teissier et Chapsal, auditeurs au Conseil d’État.).
Introduction des instances. — La partie peut, à son choix, saisir le conseil de préfecture par deux actes différents : une requête ou une assignation.
La requête doit être déposée au greffe avec autant de copies qu’il y a de défendeurs à mettre en cause ; la mise en cause est ordonnée par le conseil de préfecture et, si elle nécessite plus de copies que [368] la partie n’en a fourni, celle-ci en est avisée : faute d’en compléter le nombre dans le délai de quinzaine, sa requête est déclarée non avenue par le conseil de préfecture. Les copies de la requête sont notifiées, en forme administrative et par les soins du greffe, aux défendeurs mis en cause (1. Loi du 28 juillet 1889, art. 1 à 7.).
La partie peut également assigner par exploit d’huissier et, dans ce cas, la signification faite au défendeur dispense de la notification administrative. Mais ce mode de procéder ne saurait faire obstacle au droit qui appartient au conseil de préfecture de fixer le délai des défenses, ni même de prescrire la mise en cause de défendeurs que l’assignation n’aurait pas visés. Le dépôt au greffe de l‘original de l’assignation doit avoir lieu dans la quinzaine, à peine de nullité de l’exploit, car cet acte, comme la requête qu’il remplace, est la première pièce de l’instruction écrite devant le conseil de préfecture. On peut se demander s’il était opportun de créer ainsi deux modes parallèles d’introduction des instances.
Instruction écrite. — Devant le conseil de préfecture comme devant le Conseil d’État, l’instruction est écrite ; elle se poursuit sous la direction du rapporteur et du conseil de préfecture statuant en chambre du conseil : c’est par leurs soins, et non par des notifications émanées des parties, que sont communiquées les conclusions, les mémoires en défense et en réplique, les pièces justificatives produites de part et d’autre, les rapports d’expertise et autres. Tous ces documents devant être appréciés par le rapporteur et analysés dans le rapport qu’il présente au conseil de préfecture, il en résulte que les conclusions ou les pièces justificatives qui ne seraient présentées qu’à l’audience seraient non recevables.
La jurisprudence du Conseil d’État a toujours veillé à l’application de cette règle (2. Conseil d’État, 7 août 1874, ville de Paris ; — 2 février 1877, Martin ; — 6 décembre 1889, Chemin de fer de Lyon.). Elle ne fait d’exception que pour les notes explicatives présentées à l’appui de conclusions antérieures, ou pour les conclusions subsidiaires, en tant qu’elles ne sont qu’une conséquence des conclusions principales (3. Conseil d’État, 21 juillet 1869, Roca.).
Il n’est donc pas nécessaire, pour que des conclusions ou des [369] productions de pièces cessent d’être recevables, que le débat tout entier soit clos par l’audition du ministère public à l’audience, suivant la règle admise devant les tribunaux judiciaires ; il suffit que l’instruction écrite soit close, et le dernier terme qu’on puisse lui assigner est la lecture du rapport.
La loi de 1889 parait même avoir été, sur ce point, plus sévère que la jurisprudence antérieure, car son article 45 écarte du débat non seulement les conclusions nouvelles, mais encore les moyens nouveaux. Nous pensons cependant que cette disposition ne saurait être appliquée à des moyens de droit ou à des éléments de discussion qui ne reposeraient pas sur des pièces nouvelles, et qui ne constitueraient en réalité que des arguments nouveaux. Le conseil de préfecture peut, d’ailleurs, s’il le juge nécessaire, rouvrir l’instruction écrite tant qu’il n’a pas rendu sa décision ; les parties recouvrent alors le droit de présenter des conclusions ou des pièces nouvelles (1. Conseil d’État, 1er avril 1869, Berneau.) ; mais le supplément d’instruction doit alors faire l’objet d’un nouveau rapport suivi d’un nouveau débat à l’audience, et l’arrêté serait annulable si le conseil de préfecture y procédait en chambre du conseil, au cours de son délibéré (2. Conseil d’État, 13 juin 1890, Chemin de fer de Lyon.).
Débat oral. — La loi du 21 juin 1865, tout en instituant le débat oral devant les conseils de préfecture, ne lui attribuait qu’une importance très secondaire ; elle le considérait comme une faculté offerte à la partie, plutôt que comme une obligation imposée au juge ; aussi n’exigeait-elle la convocation des parties à l’audience que si elles avaient fait connaître leur intention de présenter des observations orales. La loi de 1889 supprime cette restriction, du moins dans les affaires ordinaires, et sauf les règles particulières qu’elle réserve, sur ce point et sur plusieurs autres, pour des affaires spéciales, notamment pour les contributions directes. La partie ou son mandataire doivent, dans les affaires ordinaires, être avertis du jour de l’audience : l’omission de cet avis constituerait un vice de forme.
Des doutes ont longtemps subsisté sur le caractère à attribuer au [370] ministère des avocats devant les conseils de préfecture. Le décret du 12 juillet 1865 ne parlait que des « mandataires » et ne prévoyait pas expressément la présence des avocats. Quelques conseils de préfecture en avaient conclu que l’avocat ne pouvait se présenter que comme un mandataire de la partie et non avec les prérogatives spéciales qui appartiennent aux membres du barreau.
Mais le Conseil d’État avait reconnu par un arrêt du 5 mars 1886 (Legré) que l’avocat se présentant en robe à la barre d’un conseil de préfecture pour y assister son client, fait acte de sa profession devant ce tribunal administratif comme devant les tribunaux judiciaires, que par suite, en cas d’irrévérence envers le conseil, il ne saurait être passible des pénalités édictées par l’article 91 du Code de procédure civile à l’égard des personnes étrangères, mais seulement des mesures disciplinaires applicables aux membres du barreau. La loi de 1889 (art. 50) a expressément reconnu aux avocats le droit de venir plaider en cette qualité, et elle admet que des injonctions peuvent leur être adressées par le conseil de préfecture; mais elle ne reconnaît pas à ce conseil le droit de statuer lui-même sur les peines disciplinaires que l’avocat pourrait encourir, ni sur les demandes en dommages-intérêts qui seraient formées contre lui pour diffamation ou injures, par application de l’article 41 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881. Ces questions devraient être renvoyées à l’examen des juridictions disciplinaires ou judiciaires compétentes pour en connaître.
La règle serait la même pour les avoués ; mais les mandataires qui ne sont ni avocats ni avoués, et les parties lorsqu’elles présentent en personne leurs observations orales, demeurent soumises aux dispositions des articles 85 et 91 Code de procédure civile.
Mesures d’instruction. — Avant la loi de 1889, les mesures d’instruction et de vérification auxquelles les conseils de préfecture peuvent recourir n’étaient prévues que par des dispositions de lois spéciales réglant les formes de l’expertise dans des affaires déterminées : contributions, occupations temporaires, dommages causés par les travaux publics.
L’expertise en d’autres matières et les mesures d’instruction autres que l’expertise (enquêtes, visites de lieux, etc.) n’étaient [371] réglées que par la jurisprudence du Conseil d’État qui s’inspirait des dispositions du Code de procédure civile, mais seulement en ce qui touche les formes substantielles de ces mesures d’instruction, et non les détails de la procédure.
La loi de 1889 a consacré un titre entier aux différents moyens de vérification : expertises, visites de lieux, enquêtes, interrogatoires sur faits et articles, vérification d’écritures. Les règles qu’elle trace se rapprochent de celles qui sont en vigueur dans la procédure civile, mais avec des simplifications.
Ainsi, l’expertise n’est pas nécessairement faite par trois experts, le conseil de préfecture peut en charger un expert unique et le désigner d’office si les parties ne s’entendent pas pour le choisir. Quand l’expertise est faite par trois experts, ceux-ci doivent opérer de concert et déposer un seul rapport sauf à signaler leurs dissentiments dans des avis séparés. Il n’y a plus, comme il y avait autrefois en matière de dommages et d’occupations temporaires, des opérations successives d’expertise et de tierce expertise. Il n’y a plus surtout cette expertise obligatoire de l’ingénieur en chef du service intéressé qui avait soulevé de justes critiques (1. Nous écrivions dans notre première édition : « une réforme en ce sens serait souhaitable et ferait disparaître un des griefs les plus souvent invoqués contre la procédure administrative ».).
L’article 56 de la loi du 16 septembre 1807 est abrogé sur ce point par l’article 17 de la loi de 1889, d’après lequel les fonctionnaires qui ont pris part aux travaux qui donnent lieu à une réclamation ne peuvent être désignés comme experts (2. Loi de 1889, art. 17.).
Les visites de lieux (3. Loi de 1889, art. 25.) sont faites par le conseil de préfecture tout entier ou par un de ses membres délégué à cet effet ; leur caractère contradictoire doit être assuré par la convocation des parties ; leurs résultats sont consignés dans un procès-verbal versé au dossier.
Les enquêtes (4. Loi de 1889, art. 26 et suiv.) peuvent se faire soit à l’audience, soit sur les lieux ; dans ce dernier cas il y est procédé par un des membres du conseil. Les parties, averties par une notification administrative [372] convoquent leurs témoins sans qu’une citation par huissier soit nécessaire. Les témoins prêtent serment ; ils ne peuvent être récusés que s’ils sont parents ou alliés des parties en ligne directe, ou s’ils sont atteints d’incapacité par suite de condamnations judiciaires ; la loi a passé à dessein sous silence les autres cas de récusation prévus par le Code de procédure civile.
L’interrogatoire des parties (1. Loi de 1889, art. 36.) peut avoir lieu à l’audience ou en chambre du conseil.
La vérification d’écriture (2. Loi de 1889, art. 37.) se fait par experts, en présence d’un membre du conseil de préfecture délégué à cet effet.
Si une pièce est arguée de faux, la partie qui l’a produite est mise en demeure de déclarer si elle entend en faire usage, mais sa réponse affirmative n’empêche pas le conseil de préfecture de la rejeter comme inutile au jugement de l’affaire. Si la pièce est retenue à la fois par la partie et par le conseil, l’inscription de faux suit son cours et le conseil de préfecture surseoit jusqu’à ce que le juge civil ou criminel ait statué.
Les dispositions de la loi de 1889 sont-elles limitatives et font–elles obstacle à ce que le conseil de préfecture ordonne de simples vérifications administratives ainsi que le Conseil d’État l’avait antérieurement admis (3. Conseil d’État, 12 mai 1876, ville de Louviers; — 21 janvier 1881, chemin de fer d’Orléans.) ?
Le doute est permis ; à la vérité la loi de 1889 (art. 45, § 2) autorise le conseil de préfecture à appeler devant lui les agents de l’administration pour leur demander des explications et renseignements, mais c’est seulement à l’audience et sous forme de déclarations orales ; d’autre part, nous avons vu qu’elle interdit aux fonctionnaires intéressés de prendre part aux expertises ; cette prohibition pourrait être éludée si ces fonctionnaires étaient chargés de vérifications administratives. Aussi nous semble-t-il plus conforme à l’esprit de la loi nouvelle de s’en tenir aux procédés d’instruction très complets qu’elle a prévus.
Procédures spéciales. — La loi de 1889, en traçant des règles [373] générales de procédure qui faisaient, presque entièrement défaut dans la législation antérieure, n’a pas entendu déroger aux règles spéciales que des lois particulières ont édictées, en matière de contributions directes, d’élections, de contravention de grande voirie ; elle a voulu combler les lacunes de la procédure ordinaire, mais non supprimer les procédures particulières que la nature des affaires et des besoins de célérité ont fait depuis longtemps établir.
C’est pourquoi plusieurs dispositions de la loi de 1889 ont expressément maintenu ces procédures. « Les réclamations en matière électorale et en matière de contributions directes, dit l’article 11, continueront à être présentées et instruites dans les formes prescrites par les lois spéciales de la matière. » L’article 10, relatif aux contraventions de grande voirie, réserve également « les règles établies par des lois spéciales (1. Voy. aussi les articles 35, 44 § 3, 61, 63 § 3.) ».
Nous examinerons ces procédures particulières en traitant des matières qu’elles concernent. Mais, nous ferons dès à présent remarquer que les dispositions spéciales antérieures à la loi de 1889 sont maintenues non seulement pour l’introduction des demandes, les délais, les notifications, etc., mais encore pour les formes particulières d’expertise que les lois spéciales ont consacrées. Ainsi, l’expertise en matière de contributions directes continue d’être régie par la loi du 21 avril 1832, et la tierce expertise par celle du 29 décembre 1884. Le législateur de 1889 a voulu que, dans toutes ces matières, on appliquât la règle specialia generalibus derogant, et non la règle posteriora anterioribus.
Constatations urgentes. Référé administratif. — On s’est longtemps demandé si, en dehors des mesures d’instruction ordonnées en cours d’instance par des décisions préparatoires ou interlocutoires, la procédure des conseils de préfecture pouvait comporter des constatations urgentes à titre purement conservatoire, et en vue d’instances futures et éventuelles. Le Conseil d’État, quoique favorable à des mesures de cette nature à raison du grand intérêt pratique qu’elles peuvent présenter, ne s’était pas cru permis de reconnaître, par voie de jurisprudence, au préfet ou au vice-président [374] du conseil de préfecture des pouvoirs analogues à ceux que les articles 806 et suivants du Code de procédure ont confiés au président du tribunal civil statuant en référé.
Mais le Conseil d’État avait admis que le conseil de préfecture, sinon son président, pouvait, sans excéder ses pouvoirs, ordonner des constatations urgentes en vue d’affaires de son ressort (1. Conseil d’État, 26 décembre 1873, ville d’Alger ; — 2 mai 1884, Maquenne.).
Toutefois, afin de prévenir une extension abusive de cette faculté, afin d’empêcher qu’on ne procédât à de véritables expertises contentieuses en dehors de tout litige né et actuel, cette jurisprudence limitait ainsi les conditions du référé : — il faut que les vérifications requises présentent une réelle urgence, elles ne doivent donc porter que sur des faits qui risqueraient de disparaître et d’échapper : à des constatations ultérieures ; ces vérifications ne peuvent pas consister en de véritables expertises aboutissant à des avis d’experts sur les droits des parties ; elles doivent être réduites à de simples mesures de constat, d’où l’on tirera ultérieurement telles conclusions que de droit. En un mot le référé administratif doit strictement se conformer à la règle d’après laquelle le juge des référés « peut statuer dans tous les cas d’urgence, mais à la condition de ne porter aucune atteinte au principal (2. Berlin, Ordonnances sur requête et sur référé, t. II, p. 49. — Parmi les arrêts qui ont fait application des règles ci-dessus, on peut citer : — 11 juin 1886, Crillon; — 29 mai 1886, Ministre des travaux publics; — 16 décembre 1887, Ministre des travaux publics c. Legrand.) ».
Tel était l’état de la jurisprudence lorsqu’est intervenue la loi du 22 juillet 1889. L’article 24 attribue au président du conseil de préfecture le droit de décision que la jurisprudence n’avait pas pu lui reconnaître. D’après ce texte, « en cas d’urgence le président du conseil de préfecture peut, sur la demande des parties, désigner un expert pour constater des faits qui seraient de nature à motiver une réclamation devant ce conseil. Avis en est immédiatement donné au défendeur éventuel ». Il résulte de là que les pouvoirs du président du conseil de préfecture ne sont pas aussi étendus que ceux du président du tribunal civil ; ils n’impliquent aucun droit de juridiction provisoire, d’injonction, d’interdiction, en vue de cas graves et urgents, mais seulement le droit de faire [375] procéder à des constatations. Ils demeurent ainsi circonscrits dans les limites que la jurisprudence du Conseil d’État avait précédemment assignées aux pouvoirs du conseil de préfecture statuant en référé ; ceux-ci sont délégués au président, mais sans être modifiés quant à leur nature ni à leur étendue.
L’arrêté du président du conseil de préfecture est-il susceptible d’opposition ou d’appel ? En ce qui touche l’opposition, on doit répondre négativement, car le référé n’est pas soumis à une instruction contradictoire ; le défendeur n’est qu’ « éventuel », ainsi que le dit l’article 24, il ne reçoit qu’un simple avis n’ayant pas le caractère d’une mise en cause ; il ne saurait donc être défaillant, ni par suite opposant (1. Conseil d’État, 24 juillet 1891, Société des téléphones.). Ajoutons que, d’après l’article 809, § 2, du Code de procédure civile, qui peut être invoqué par analogie, les ordonnances de référé ne sont jamais susceptibles d’opposition.
En ce qui touche l’appel, ce même texte l’admet. Nous pensons cependant que le défendeur, puisqu’il n’est qu’éventuel, n’aurait pas qualité pour se pourvoir contre l’arrêté du président ; d’un autre côté, le référé administratif, plus restreint que le référé judiciaire, ne comporte que des mesures d’instruction préalable et a toujours un caractère de décision préparatoire qui exclut la faculté d’appel (2. Antérieurement à la loi de 1889, le Conseil d’État a admis des appels formés contre des décisions de conseils de préfecture ordonnant des vérifications préalables (28 mai 1886, ministre des travaux publics; — 16 décembre 1887, Legrand). Mais ces appels étaient fondés sur ce que les décisions, au lieu d’être purement préparatoires, avaient un caractère interlocutoire et pouvaient préjudicier aux droits d’une des parties. Il ne semble pas qu’il y ait lieu de réserver ce cas d’appel, depuis que la loi de 1889 a attribué le droit de statuer en référé au président; celui-ci ne peut, en effet, ni juger ni préjuger le fond qui ressortit exclusivement au conseil de préfecture.). Quant au demandeur à qui la mesure d’instruction sollicitée aurait été refusée, le droit d’appel lui était reconnu par le Conseil d’État antérieurement à la loi de 1889, lorsque la décision émanait du conseil de préfecture (3. Conseil d’État, 28 mai 1886, Bontaud.) ; aucune disposition de cette loi ne nous paraît faire obstacle à ce que ce droit subsiste à l’égard de l’arrêté du président (4. Voy. dans le même sens, Teissier et Chapsal, op. cit. , p. 172.).
Dépens. — La question des dépens était de celles que la loi du [376] 21 juin 1865 avait réservées et qui devaient être l’objet d’un règlement d’administration publique. Aucune disposition réglementaire n’étant intervenue, la jurisprudence du Conseil d’État avait dû y suppléer sur les points essentiels. Elle admettait, en principe, la règle posée par l’article 130 du Code de procédure civile, d’après laquelle la partie qui succombe est condamnée aux dépens, sauf compensation s’il y a lieu ; mais cette règle, appliquée sans difficulté aux parties privées, puis étendue aux administrations locales et aux établissements publics, n’était pas considérée comme applicable à l’État, qui est toujours présumé agir dans un intérêt général, et à l’égard duquel il n’existait, pour les instances devant les conseils de préfecture, aucune disposition analogue à celle que le décret du 2 novembre 1864 a édictée pour les instances devant le Conseil d’État.
La loi de 1889 a comblé cette lacune, en décidant par son article 63 que toute administration, y compris l’État, peut être condamnée aux dépens dans les contestations relatives à son domaine, à l’exécution de marchés et aux réclamations pour dommages.
En ce qui touche les frais entrant en taxe, les dispositions de la loi de 1889 (art. 64) sont conformes au dernier état de la jurisprudence du Conseil d’État qui n’admettait que les frais d’expertise, les droits de timbre et d’enregistrement des requêtes et les frais de signification des décisions (1. Pendant longtemps le Conseil d’État n’avait admis en taxe que les frais d’expertise et autres vérifications ordonnées par le conseil de préfecture, telles que les visites de lieux (13 décembre 1878, Bossu; — 17 décembre 1880, Mayoux). Puis il avait compris dans les dépens les frais de requête et de signification de la décision (15 février 1884, ville de Paris;— 16 avril 1886, Radiguet).). Toutefois, elle exclut les frais de citation par huissier lorsque la partie a eu recours à ce mode d’introduction de la demande ainsi que la loi l’y autorise (2. Loi de 1889, art. 4, § 2. Cette exclusion est peut-être trop rigoureuse, puisque la loi admet que la citation par exploit d’huissier est un mode légal d’introduction de la demande et équivaut à la requête. Le législateur de 1889 a sans doute pensé que le demandeur n’est présumé avoir eu recours à cette forme plus coûteuse que dans son propre intérêt, par exemple en vue d’interrompre une prescription ; mais même en admettant cette manière de voir on peut trouver anormal que les frais de timbre et d’enregistrement, qui entrent en taxe pour la requête n’y entrent pas pour la citation.).
Le tarif applicable aux actes entrant en taxe a été arrêté par le [377] règlement d’administration publique du 18 janvier 1890, en vertu de la délégation contenue dans l’article 67 de la loi de 1889.
La liquidation des dépens autres que les frais d’expertise est faite par le conseil de préfecture, s’il en a les éléments en temps utile pour les comprendre dans sa décision. Dans le cas contraire, la liquidation est faite, le rapporteur entendu, par le président du conseil de préfecture dont la décision peut être déférée au conseil, statuant en chambre du conseil, dans un délai de huit jours à dater de la notification (art. 65 et 66).
La décision rendue par le conseil de préfecture sur l’opposition faite à la liquidation du président est-elle susceptible d’appel ? En l’absence de toute disposition spéciale, il y a lieu d’admettre ce recours, non seulement lorsqu’il y a appel sur le fond (ainsi que le décret du 16 février 1807 le décide en matière judiciaire), mais encore, et par application des principes généraux, si la taxe seule est discutée. Il ne serait d’ailleurs pas désirable que des articles du tarif susceptibles de contestation fussent livrés à des jurisprudences divergentes des conseils de préfecture.
En ce qui touche les frais d’expertise, le président est seul compétent pour les liquider ; le conseil de préfecture ne peut en connaître que s’il est saisi d’une opposition contre la décision du président. Cette opposition doit être formée dans le délai de trois jours; elle est jugée en chambre du conseil (art. 23). Si donc le conseil de préfecture statuait sur les frais d’expertise en même temps que sur le fond, il empiéterait sur les pouvoirs du président et sa décision devrait être annulée de ce chef (1. Conseil d’État, 19 janvier 1894, Dumortier.).
Forme et exécution des décisions. — Les décisions contentieuses des conseils de préfecture portent le nom d‘arrêtés. Elles doivent toujours être rendues à la suite d’un délibéré dans lequel le rapporteur soumet au conseil son projet de décision. De même que les arrêts du Conseil d’État, les arrêtés du conseil de préfecture contiennent trois parties : les visas qui correspondent aux qualités des jugements et qui contiennent l’analyse des requêtes et conclusions [378] des parties ; l’énoncé des principales pièces produites et des lois appliquées (1. L’article 48 de la loi de 1889 exige que les dispositions législatives appliquées soient textuellement rapportées lorsque le conseil statue en matière répressive.) ; les motifs et le dispositif.
Les arrêtés doivent en outre contenir les mentions qui constatent l’accomplissement des formalités essentielles ; audition des parties et du commissaire du Gouvernement, noms des membres qui ont concouru à la décision.
En ce qui touche les motifs, la jurisprudence du Conseil d’État admet qu’ils peuvent être très laconiques et consister dans une simple référence à des rapports d’experts ou à des avis joints au dossier dont le conseil déclare adopter les conclusions (2. Conseil d’État, 10 novembre 1882, Perré ; — 11 juin 1886, Lemmens.). Cette tolérance est vraisemblablement résultée de la pratique qui s’est presque imposée aux conseils de préfecture dans la plupart des affaires de contributions directes ; on comprend que ces affaires, à raison de leur nombre, de leur urgence et de leur mode d’instruction, puissent donner lieu à des rédactions très sommaires se bornant à constater l’adoption pure et simple d’un des avis consignés sur la feuille d’instruction à laquelle est ordinairement jointe la minute de l’arrêté. Mais l’extension de cette tolérance à des affaires d’autre nature où les éléments d’instruction sont moins étroitement rapprochés de la décision qui s’y réfère, aurait peut-être pu être évitée.
En tout cas, si le Conseil d’État admet qu’un arrêté peut être motivé par simple référence à une pièce de l’instruction, encore faut-il que cette référence soit expresse, et l’on ne saurait l’induire d’un simple rapprochement de mots ou de chiffres entre le dispositif de l’arrêté et les conclusions d’un rapport ou d’un avis. Dans ce cas, en effet, il n’y a plus aucun motif, si concis qu’il soit, qui émane du juge, il n’y a qu’un rapprochement de textes qui est l’œuvre du lecteur de la décision.
Aussi est-ce avec raison que plusieurs arrêts ont annulé des décisions qui se bornaient à mentionner dans les visas, sans s’y référer dans les motifs, les rapports ou avis dont les conclusions étaient adoptées (3. Conseil d’État, 11 janvier 1853, Lison; — 10 janvier 1865, Pioch ; — 7 septembre 1864, Sénéchault. Cette jurisprudence ne saurait être considérée comme infirmée par un arrêt postérieur (28 janvier 1876, Haudost-Sauvage) qui est tout à fait isolé.).
[379] Les arrêtés des conseils de préfecture sont exécutoires par eux–mêmes. Aucun visa ni mandement des préfets ou de toute autre autorité n’est nécessaire pour leur assurer les mêmes effets légaux qu’aux jugements des tribunaux, notamment l’hypothèque légale et toutes les mesures d’exécution sur les biens prévues par le droit commun, en tant que ces biens sont eux-mêmes soumis au droit commun à l’égard des créanciers nantis d’un titre exécutoire.
Il n’y aurait plus aujourd’hui qu’un intérêt historique à rappeler l’opinion émise autrefois par plusieurs auteurs, notamment par Merlin et par Proudhon, qui soutenaient que les décisions des conseils de préfecture devaient être rendues exécutoires par les préfets (1. Merlin, Répertoire V° Préfet; Proudhon, Traité du domaine public, t. I, p. 219.) ; et les déclarations en sens contraire contenues dans l’avis du Conseil d’État du 16 thermidor an XII et dans une lettre du Grand Juge du 18 janvier 1809 (2. L’avis du 16 thermidor an XII porte que « les administrateurs auxquels les lois ont attribué le droit de prononcer des condamnations ou de décerner des contraintes sont de véritables juges dont les actes doivent produire les mêmes effets et obtenir la même exécution que ceux des tribunaux ordinaires ». — La lettre du grand juge du 18 janvier 1809, provoquée par le refus fait par des huissiers d’exécuter des décisions de conseils de préfecture non revêtues de la formule exécutoire, décide que « ce motif ne saurait dispenser les huissiers de prêter leur ministère quand ils ne sont requis ». — Voy. ci-dessus la partie historique, p. 223.).
Plus encore que ces autorités, une pratique de plus de quatre-vingts ans avait depuis longtemps résolu la question, lorsque la loi du 22 juillet 1889 (art. 49) est venue expressément consacrer la solution acquise, en décidant que « les décisions des conseils de préfecture sont exécutoires et emportent hypothèque ». Aucune controverse n’est donc plus possible aujourd’hui.
Toutefois, la loi de 1889 ne décide pas que ces décisions seront revêtues d’une formule exécutoire, comme le sont toutes les autres décisions des tribunaux administratifs susceptibles d’exécution sur les biens, savoir : les arrêts de la Cour des comptes, depuis le décret du 28 septembre 1807, ceux du Conseil d’État, depuis la loi du 24 mai 1872, les décisions des conseils du contentieux des colonies, depuis le décret du 5 août 1881, et les arrêtés mêmes des conseils de préfecture lorsqu’ils statuent en matière de comptabilité, depuis [380] le décret du 31 mai 1862. C’est là une véritable omission de la loi de 1889 ; elle ne saurait créer de difficultés dans la pratique; mais elle a l’inconvénient de laisser subsister un défaut d’harmonie entre les dispositions qui régissent les différents tribunaux administratifs, et de paraître mettre en question le lien qui doit légalement exister, entre la force exécutoire d’une décision juridictionnelle et le mandement qui affirme son autorité et adresse une réquisition aux agents chargés de la faire respecter.
Voies de recours. — La loi de 1889 a consacré et précisé les règles que la jurisprudence avait déjà appliquées aux voies de recours ouvertes contre les décisions des conseils de préfecture, savoir : — l’opposition aux décisions par défaut ; — l’appel au Conseil d’État contre les décisions contradictoires ; — la tierce-opposition en faveur des tiers qui se prétendent lésés par une décision où ils ne figuraient pas comme parties.
L’opposition n’est recevable que dans le délai d’un mois à dater de la notification. Elle ne peut être formée que par le défendeur qui, ayant été mis en cause, n’a pas fourni de défenses écrites.
Il n’y a pas lieu à opposition si le défendeur, ayant conclu, n’a pas été convoqué à l’audience et mis en mesure de présenter des observations orales ; cette irrégularité ne pourrait donner lieu qu’à un appel et à une annulation de l’arrêté pour vice de forme. Lorsqu’il y a plusieurs défendeurs et qu’ils n’ont pas tous fourni de défenses, le conseil de préfecture rend un arrêté de sursis qui est notifié aux parties défaillantes avec invitation de produire leurs défenses dans un délai fixé par cet arrêté (art. 54). Après l’expiration de ce délai, le conseil de préfecture peut statuer et sa décision n’est susceptible d’opposition de la part d’aucune partie, fût-elle de nouveau défaillante. L’arrêté de sursis correspond ici au jugement de « défaut profit-joint » prévu par le Code de procédure civile, et il produit les mêmes effets. L’opposition suspend l’exécution de la décision par défaut, à moins que celle-ci n’en ait autrement ordonné.
L’appel au Conseil d’État, qui est admis en principe contre toutes les décisions contradictoires du conseil de préfecture, doit être formé dans le délai de deux mois (art. 57). La loi de 1889 a [381] réduit d’un mois le délai qui résultait antérieurement de l’article 11 du décret du 22 juillet 1806, applicable à tous les pourvois formés devant le Conseil d’État ; cette innovation est conforme à celle qui a été accomplie par la loi du 3 mai 1862 pour les appels civils ; les délais supplémentaires prévus par cette loi pour les parties domiciliées hors d’Europe sont également applicables. Les délais inférieurs à deux mois qui peuvent résulter de lois spéciales, notamment de l’article 40 de la loi du 4 avril 1884 pour les pourvois en matière d’élections municipales, sont maintenus. En ce qui touche le point de départ du délai, et les règles différentes qui le régissent selon que l’appel est formé par l’État ou par d’autres parties, il nous suffira de renvoyer à ce que nous avons dit en traitant du pourvoi devant le Conseil d’État (1. Voy. ci-dessus, page 333.).
La tierce-opposition peut être formée par toute partie contre une décision « qui préjudicie à ses droits et lors de laquelle ni elle ni ceux qu’elle représente n’ont été appelés ». La loi de 1889, en reproduisant textuellement cette disposition de l’article 474 du Code de procédure civile, a prouvé qu’elle entend emprunter à la procédure ordinaire toutes les règles générales relatives à la recevabilité de ce recours, règles que la jurisprudence du Conseil d’État avait d’ailleurs admises, antérieurement à 1889, aussi bien à l’égard des décisions des conseils de préfecture que de ses propres arrêts. Toutefois, d’anciens arrêts et des auteurs avaient laissé subsister une certaine confusion entre l’opposition et la tierce-opposition devant les conseils de préfecture (2. Serrigny, Compétence administrative, t. III, n° 1270 ; — Conseil d’État, 21 novembre 1839, Guizot.). Cette confusion présentait peu de danger lorsque les délais de ces recours n’étaient pas fixés par des textes ; mais il est nécessaire de l’éviter depuis que la loi de 1889 a limité à un mois le délai de l’opposition aux décisions par défaut, et n’a pas fixé de délai pour la tierce-opposition ; celle-ci ne subit ainsi d’autre forclusion ou prescription que celle qui attendrait l’action principale elle-même.
La distinction entre les deux recours peut d’ailleurs être facilement définie : l’opposition est le recours d’une partie mise en cause qui ne s’est pas défendue ; la tierce-opposition est le recours [382] d’un tiers qui n’a pas eu à se défendre, parce qu’il n’a pas été mis en cause et n’est pas intervenu spontanément dans l’instance. L’intérêt de ce tiers à discuter les questions soulevées par le litige est la base de son action, cet intérêt est le même que celui qui rend l’intervention recevable. Aussi pourrait-on dire que ces deux procédures tendent au même but: permettre au tiers non appelé au débat de venir défendre ses droits, soit en cours d’instance par l’intervention, soit après le jugement, par la tierce-opposition.
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