SOMMAIRE DU LIVRE VIII
Observation préliminaire.
CHAPITRE Ier. — DES CONTRAVENTIONS DE GRANDE VOIRIE ET DES PERSONNES A QUI ELLES SONT IMPUTABLES.
- Caractères généraux des contraventions.
De l’anticipation et des contestations relatives aux limites du domaine public. — Dégradations et autres dommages. — Inobservation des servitudes d’utilité publique. — Inobservation des règlements de police ; distinction des compétences.
- Des personnes auxquelles les contraventions sont imputables.
- Des excuses et des questions préjudicielles.
Cas de force majeure. — Exception de propriété. — Droits privatifs acquis sur le domaine public. (Concessions antérieures à 1566 ; ventes nationales.) — Concessions et autorisations administratives.
CHAPITRE II. — POURSUITE ET RÉPRESSION DES CONTRAVENTIONS.
- Des procès-verbaux.
Quels agents ont qualité pour dresser les procès-verbaux. — Formes des procès-verbaux. — Affirmation. — Enregistrement. — Autorité des procès-verbaux.
- Poursuite et procédure devant le conseil de préfecture.
- Des condamnations.
Amende. (Taux des amendes ; Questions relatives à la grâce et à l’amnistie ; Cumul des amendes.) — Restitutions et réparations. — Frais du procès-verbal.
- Procédure devant le Conseil d’État.
Pourvoi des parties et du ministre. — Intervention.
- De la prescription.
Délai de la prescription. — Point de départ et calcul du délai. — Interruption de la prescription. — Règles de la prescription en cas d’appel.
[630] LIVRE VIII
OBSERVATION PRÉLIMINAIRE
La juridiction qui appartient aux tribunaux administratifs, en matière de contravention de grande voirie, a quelquefois été présentée comme une sorte de démembrement de la justice pénale ; on en a conclu qu’elle aurait dû rester dans les attributions de l’autorité judiciaire.
Tel ne nous paraît pas être le caractère de cette juridiction toute spéciale. Elle est administrative, parce qu’elle se rattache étroitement à la police et à la conservation du domaine public ; elle a pour but d’assurer l’intégrité de ce domaine, son affectation exclusive aux usages que la loi lui a assignés, la réparation des dommages qui lui sont causés. C’est pourquoi la législation de la grande voirie se préoccupe moins des personnes que des choses : à l’inverse de la législation pénale, dont l’objet essentiel est d’infliger des peines aux délinquants, elle tend avant tout à faire disparaître les conséquences matérielles de l’infraction.
A la vérité, les contraventions de grande voirie donnent lieu à des amendes. Mais l’amende ne saurait être, à elle seule, l’indice d’une juridiction pénale ; il y a des amendes civiles (1. Voy. Code civil, art. 192, 193.), des amendes fiscales, des amendes contractuelles souvent très élevées résultant de clauses de cahiers des charges ; les juridictions qui les appliquent ne sont pas pour cela des juridictions pénales. L’amende prévue pour les contraventions de grande voirie se rapproche beaucoup plus des amendes civiles ou fiscales que des amendes [631] pénales : ces dernières sont le premier degré d’une véritable pénalité dont le degré supérieur est l’emprisonnement, et cela est vrai même pour les contraventions de simple police, qui sont toujours punies d’emprisonnement en cas de récidive (art. 474, C. pén.). Au contraire, la répression des contraventions de grande voirie ne peut jamais être que pécuniaire.
Il y a plus : l’amende n’est pas un élément nécessaire de la répression en matière de grande voirie. Un grand nombre de contraventions ne la comportent pas ; la loi du 29 floréal an X, qui est un des textes fondamentaux de la matière, ne la prononce pas ; elle se préoccupe seulement d’assurer la cessation et la réparation des dommages causés au domaine public ; là est le but essentiel de la répression, l’amende n’est qu’un accessoire très secondaire.
Telles sont les raisons générales de la compétence administrative consacrée par la loi du 29 floréal an X. A l’époque où elle a été édictée, cette compétence a paru justifiée, eu outre, par l’expérience qui venait d’être faite d’un partage d’attributions, tenté par la loi des 7-11 septembre 1790, entre les tribunaux et l’administration ; cette loi avait attribué aux corps administratifs « l’administration en matière de grande voirie », et aux tribunaux de district « la police de conservation » ; mais comme les deux choses n’en font réellement qu’une, il en était résulté des confusions d’attributions et des désordres dont le domaine public avait sérieusement souffert, et auxquels la loi de floréal an X a eu pour but de mettre fin (1. Voy. dans notre partie historique (t. Ier, p. 221) les plaintes formulées contre cet état de choses par les auteurs de la loi du 29 floréal an X.).
La compétence administrative n’a pas seulement été l’œuvre du législateur de l’an X, elle a été confirmée sous les régimes ultérieurs par diverses lois qui l’ont successivement étendue : aux travaux de dessèchement et d’endiguement (loi du 16 décembre 1807) ; — aux ports maritimes et aux travaux de la mer (décret du 10 avril 1812) ; — aux places de guerre et aux zones de servitudes militaires (loi du 17 juillet 1819) ; — aux chemins de fer d’intérêt général (lois du 15 juillet 1845) ; — aux lignes télégraphiques (décret-loi du 27 décembre 1851) ; — aux travaux faits dans des vallées [632] submersibles (loi du 28 mai 1858) ; — aux chemins de fer d’intérêt local (loi du 11 juin 1865) ; — aux tramways (loi du 11 juin 1880) ; — aux conducteurs d’énergie électrique autres que les lignes télégraphiques et téléphoniques (loi du 25 juin 1895).
Pour embrasser dans son ensemble le régime répressif de la grande voirie, il faut joindre à toutes ces lois modernes un grand nombre d’anciens règlements, que la loi des 19-22 juillet 1791 a maintenus en vigueur : « provisoirement », dit cette loi ; mais ce provisoire dure encore. Ainsi se sont trouvés incorporés à la législation actuelle les anciens édits, déclarations, arrêts du Conseil, relatifs au domaine public, et spécialement : à la police et conservation des grandes routes et des rues de Paris et aux alignements (édit de décembre 1607, déclarations des 18 juillet 1729 et 18 août 1730, arrêts du Conseil des 17 juin 1721, 16 décembre 1759, 27 février 1765) ; — à la police des cours d’eau navigables et des canaux (ordonnance sur les eaux et forêts d’août 1669, ordonnances de décembre 1672 et de juillet 1723, arrêt du Conseil du 24 juin 1777) ; — à la police du domaine public maritime et des ports (ordonnance de la marine d’août 1681).
Il est même à remarquer que plusieurs de ces textes anciens ont été l’objet d’une nouvelle confirmation depuis 1791, notamment en vertu de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer, dont l’article 1er déclare applicables aux voies ferrées les anciens règlements destinés à assurer la conservation des grandes routes et des ouvrages qui en dépendent.
Telles sont les sources multiples auxquelles la jurisprudence du Conseil d’État a dû puiser pour régler ce contentieux spécial, que nous avons appelé le contentieux de la répression, et qui n’est en réalité qu’une branche d’un contentieux plus large, celui du domaine public et de sa conservation. On a été quelquefois porté, faute de vues d’ensemble, à ne voir là qu’un assemblage peu cohérent de règles et de pratiques administratives ; nous pensons qu’on peut y trouver de véritables doctrines juridiques, et ce sont elles que nous nous efforcerons de dégager, sans insister sur les règles de détail spéciales à chaque matière.
Table des matières