I. — ORGANISATION DES CONSEILS DU CONTENTIEUX
A la différence de l’Algérie, où il existe des conseils de préfecture soumis aux mêmes règles que ceux de la métropole, les colonies ont des tribunaux spéciaux qui portent le nom de conseils du contentieux administratif.
Cette institution, qui a son origine dans les ordonnances de la Restauration (1. Ordonnances du 21 août 1825 et du 9 février 1827.), avait d’abord été limitée aux colonies les plus importantes et les plus anciennes, la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion; elle a été étendue à toutes les colonies par le décret du 7 septembre 1881, et, depuis 1881, par des décrets spéciaux applicables à des territoires coloniaux plus récemment organisés (2. Un décret du 31 octobre 1894 institue un conseil de contentieux administratif à Diégo-Suarez, pour les territoires de Diégo-Suarez, Nossi-Bé et Sainte-Marie-de-Madagascar). Leur organisation et leur procédure ont été réglées en dernier lieu par le décret du 5 août 1881.
Les conseils du contentieux se composent du conseil privé, corps consultatif placé auprès du gouverneur pour l’assister dans son administration, — ou du conseil d’administration dans les colonies les moins importantes qui n’ont pas de conseil privé, — et en outre de deux magistrats de l’ordre judiciaire désignés chaque année par le gouverneur. L’organisation des conseils du contentieux ne répugne donc pas, comme celle des conseils de préfecture, à l’introduction de fonctionnaires judiciaires dans un tribunal administratif; elle y admet en réalité trois membres des corps judiciaires [384], car en dehors des deux magistrats désignés par le gouverneur, le procureur général est membre de droit du conseil privé.
La prédominance du conseil privé dans le conseil du contentieux a fait donner aussi à ce tribunal administratif le nom de « conseil privé constitué en conseil du contentieux administratif ».
La présidence appartient au gouverneur, avec voix prépondérante en cas de partage, et, à son défaut, au fonctionnaire qui vient immédiatement après lui dans l’ordre hiérarchique. Les fonctions du ministère public sont remplies par l’inspecteur des services administratifs et financiers de la marine et des colonies, qui prend le titre de commissaire du Gouvernement (1. Les fonctions du ministère public étaient antérieurement remplies par les contrôleurs coloniaux, qui ont été supprimés par le décret du 15 avril 1873. Les ordonnateurs, qui exerçaient des fonctions importantes dans l’administration coloniale, ont été également supprimés par le décret du 15 septembre 1882, qui a réparti leurs attributions entre le directeur de l’intérieur et le chef du service administratif de la marine.). Le secrétaire-archiviste du conseil privé fait office de greffier.
II.— ATTRIBUTIONS EN MATIÈRE CONTENTIEUSE
Les attributions des conseils du contentieux ont encore aujourd’hui pour principale base législative l’ordonnance du 21 août 1825 (art. 160) relative à la Réunion, et celle du 9 février 1827 (art. 76) relative à la Martinique et à la Guadeloupe, dont les dispositions, modifiées sur quelques points par le décret du 5 août 1881, ont été rendues communes à toutes les colonies par le décret du 7 septembre 1881.
On peut distinguer, dans la compétence des conseils du contentieux, trois séries d’attributions.
La première comprend des affaires contentieuses proprement dites, énoncées par voie d’énumération par les textes précités, savoir : 1° Les contestations qui s’élèvent entre l’administration et les entrepreneurs, tant en matière de marchés de travaux publics que de marchés de fourniture ; — 2° les demandes d’indemnité formées par les particuliers à raison de dommages causés soit par l’exécution des travaux ou fournitures, soit par l’extraction de matériaux [385] nécessaires aux travaux publics ; — 3° les réunions de terrains au domaine prononcées contre les concessionnaires ou leurs ayants droit qui n’ont pas rempli les clauses des concessions ; — 4° les contestations ayant pour objet l’ouverture, la largeur, le redressement, l’entretien des routes et chemins, ainsi que les servitudes d’utilité publique. Cette compétence s’étend à la grande et à la petite voirie, et même aux chemins particuliers qui conduisent à l’eau, aux villes ou aux chemins publics ; — 5° les contestations relatives à l’établissement des embarcadères, ponts, bacs et passages d’eau, ainsi qu’à la pêche dans les rivières ou étangs domaniaux ; — 6° les empiétements sur les propriétés publiques, y compris la réserve des cinquante pas géométriques qui borne les concessions ; — 7° les demandes formées par les comptables en mainlevée de séquestre ou d’hypothèques établis à la requête de l’administration ; — 8° les difficultés auxquelles peut donner lieu la réclamation, faite par l’administration, de toutes pièces dépendant des archives ou devant en faire partie, quels qu’en soient les détenteurs (1. Ordonnance du 21 août 1825, art. 160, § 12, par référence à l’article 132. — Cette ordonnance énonçait d’autres attributions que le décret du 5 août 1881 a supprimées, savoir : le jugement des conflits, actuellement déféré au Tribunal des conflits de la métropole ; les décisions relatives à l’état des individus dont la liberté était contestée, sous réserve de la compétence des tribunaux judiciaires lorsque la possession de la liberté était appuyée sur un acte de l’état civil (ordonnance de 1825, art. 160, §§ l et 11). L’ordonnance déférait aussi aux conseils du contentieux, par une singulière dérogation au principe de la séparation des pouvoirs, l’appel des décisions rendues par le tribunal de première instance, sur les contraventions aux lois et règlements concernant la traite des noirs, le commerce étranger, les douanes et la ferme des Guildives. (Art. 162, abrogé par le décret du 5 août 1881, art. 4.)).
La seconde série d’attributions, également énumérées par les ordonnances de 1825 et de 1827, comprend des affaires qui ont moins le caractère de réclamations contentieuses que d’affaires administratives instruites et décidées en forme contentieuse, savoir les concessions d’eau et toutes les questions d’autorisation et de répartition qui s’y rattachent. Toutes les eaux courantes des colonies étant réputées domaniales, à raison de l’intérêt public qui s’attache à leur usage pour les besoins de l’agriculture ou de l’industrie, l’administration s’en est réservé la concession et la distribution, ainsi que la haute surveillance de tous les travaux de construction et d’entretien intéressant le régime des eaux.
[386] Mais à raison même du haut prix qui s’attache à la jouissance de ces eaux, la législation coloniale a voulu prévenir tout soupçon de faveur et de décision arbitraire, et elle a transféré les décisions qui s’y rapportent de l’administration active à la juridiction contentieuse; non qu’elle ait entendu transformer en questions d’ordre juridique des décisions qui conservent leur caractère de haute appréciation administrative et d’équitable conciliation des intérêts en présence, mais afin d’assurer à ces intérêts les garanties d’une instruction et d’un débat contradictoires devant des arbitres impartiaux.
La troisième série d’attributions est la plus large, car elle s’étend à toutes les affaires appartenant au contentieux administratif colonial non comprises dans les énumérations qui précèdent. Les textes qui contiennent ces énumérations se terminent par une disposition portant que les conseils du contentieux connaissent « en général du contentieux administratif ». Cette disposition crée, comme on voit, une notable différence entre la juridiction de ces conseils et celle des conseils de préfecture ; elle a pour effet d’instituer aux colonies, ce qui n’existe pas en France, une juridiction ordinaire de premier ressort devant laquelle sont portées, sauf dispositions contraires, toutes les affaires administratives contentieuses.
La jurisprudence du Conseil d’État a fait application de cette règle à de nombreuses contestations, et notamment aux réclamations en matière de contributions directes. Ces réclamations ne figurent pas dans l’énumération des ordonnances et l’on s’était d’abord demandé s’il appartenait aux conseils du contentieux d’en connaître. La raison de douter pouvait venir de ce que l’article 157, § 5, de l’ordonnance du 21 août 1825 mentionne « le contentieux en matière de contributions directes » parmi les affaires sur lesquelles le gouverneur prononce administrativement en conseil privé, et non parmi celles que juge ce conseil constitué en conseil du contentieux. Mais les décisions rendues par l’administration active dans les matières susceptibles de devenir contentieuses, ne font point obstacle, en principe, à l’intervention d’une juridiction ; elles la provoquent au contraire en accentuant le désaccord de l’administration et de la partie et en rendant définitivement contentieuse une matière qui ne le serait pas devenue si l’administration [387] avait adhéré aux prétentions de la partie. Le législateur de 1825 a si bien reconnu cette vérité que, dans le § 6 du même article 157, il a déféré au conseil privé statuant administrativement le contentieux du domaine, de l’enregistrement, des douanes, etc., et a en même temps expressément réservé le recours des parties devant les tribunaux ordinaires. Les décisions du conseil privé n’ont donc, en cette matière, que le caractère d’actes de gestion, et elles ne font pas obstacle à ce que le conseil constitué en conseil administratif fasse ultérieurement acte de juridiction. Aussi la jurisprudence du Conseil d’État n’a-t-elle pas hésité à comprendre les réclamations en matière de contributions directes parmi les affaires dont le conseil du contentieux doit connaître, en vertu de l’attribution générale de compétence prévue par les articles 160 de l’ordonnance de 1825 et 176 de l’ordonnance de 1827 (1. Conseil d’État, 23 mars 1854, Vermeil; — 22 juin 1854, Descamps; — 19 mars 1880, Jablin.).
Cette compétence a été reconnue également applicable aux contrats administratifs autres que les marchés de travaux et de fournitures déjà prévus par l’ordonnance, et notamment : aux traités passés entre une colonie et le Crédit foncier colonial, spécialement pour les clauses relatives à la garantie due par la colonie en cas de pertes subies par le Crédit foncier sur la réalisation de gages hypothécaires (2. Conseil d’État, 12 juillet 1878, 4 février 1881, 30 janvier 1891, Crédit foncier colonial.) ; — à des contrats passés entre la colonie et une congrégation hospitalière pour la direction d’un pénitencier et d’un hospice colonial (3. Conseil d’État, 13 juin 1879, Congrégation du Saint-Esprit.) ; — à un marché passé pour le service postal maritime et fluvial de la Cochinchine sur lequel le conseil du contentieux de cette colonie s’était à tort déclaré incompétent (4. Conseil d’État, 11 mai 1883, Dussutour.).
En vertu de la même disposition, les conseils du contentieux sont juges des contestations relatives aux traitements des fonctionnaires coloniaux (5. Conseil d’État, 3 mars 1876, d’Esménard.), à leurs émoluments accessoires tels que les remises touchées par les receveurs des finances (6. Conseil d’État, 24 mai 1878, Veyrières.), et généralement à toutes les réclamations pécuniaires formées contre la colonie par [388] ses agents, y compris les demandes d’indemnité pour révocation ou licenciement (1. Conseil d’État, 20 juillet 1877, Garnier; — 28 juillet 1882, Rampant.).
Le conseil du contentieux est juge du contentieux électoral, qu’il s’agisse d’élections au conseil colonial, général ou municipal, de l’élection des maires et adjoints, et cela alors même que les lois spéciales n’auraient pas expressément prévu sa compétence.
Si larges que soient les attributions des conseils du contentieux, il ne faut pas cependant en exagérer l’étendue. On ne doit pas perdre de vue que le contentieux administratif sur lequel s’exerce leur juridiction générale est exclusivement le contentieux colonial et ne s’étend pas au contentieux d’État, c’est-à-dire aux contestations dirigées contre l’administration centrale, à moins qu’elles ne soient formellement attribuées à ces conseils, comme elles le sont en matière de travaux publics et de fournitures. En effet, les ordonnances de 1825 et de 1827 n’ont pu avoir en vue que les affaires contentieuses intéressant la colonie, celles sur lesquelles le gouverneur statuait administrativement avant l’institution d’une juridiction contentieuse locale ; or ce fonctionnaire n’avait évidemment aucun pouvoir ni sur les actes du Chef de l’État, ni sur les décisions ministérielles ; il ne pouvait pas non plus engager les finances de la métropole en statuant sur des réclamations dirigées contre le Trésor. Les mêmes bornes s’imposent à la juridiction des conseils du contentieux.
Aussi n’est-ce pas devant ces conseils, mais devant le ministre, sauf recours au Conseil d’État, que doivent être portées les réclamations tendant à rendre l’État pécuniairement responsable des fautes de ses agents (2. Conseil d’État, 12 décembre 1884, Puech ; — 17 mai 1889, Ministre de la marine contra Ban-Soon-Ann ; — 27 décembre 1889, Ministre de la marine contre Compagnie du Sénégal ; — 25 avril 1890, Administration pénitentiaire de la Guyane.), à faire infirmer des arrêtés de débet ou des déclarations de responsabilité prononcées contre des comptables (3. Conseil d’État, 31 mars 1876, Veyrières. — Cf. Décret du 26 décembre 1855 sur la comptabilité coloniale, art. 212.), et en général à faire déclarer l’État débiteur. Par application du même principe, les pensions de retraite des fonctionnaires coloniaux, pensions qui sont régies par la loi du 18 avril 1831 sur les [389] pensions de l’armée de mer, et qui font l’objet de décisions ministérielles et de décrets de liquidation, ne peuvent donner lieu qu’à des recours devant le Conseil d’État.
Une autre restriction doit encore être faite à la juridiction ordinaire des conseils coloniaux. On doit considérer qu’à l’époque où les ordonnances de la Restauration leur ont déféré d’une manière générale le « contentieux administratif » elles n’ont pu prendre ces mots que dans l’acception limitée qu’ils avaient alors, c’est-à–dire comme s’appliquant au contentieux de pleine juridiction, mais non au contentieux de l’annulation et spécialement au recours pour excès de pouvoir dont l’usage était alors très restreint et qui n’avait pas encore droit de cité dans le contentieux administratif. Il s’ensuit que les recours en annulation pour excès de pouvoir, même s’ils sont formés contre les actes d’autorités coloniales, ne peuvent pas être portés devant le conseil du contentieux, mais seulement devant le Conseil d’État, juge des excès de pouvoir de toutes les autorités administratives en vertu de l’article 9 de la loi du 24 mai 1872. Sous réserve, bien entendu, du recours hiérarchique que la partie a d’abord le droit de former devant l’autorité administrative supérieure, notamment devant le ministre des colonies, supérieur hiérarchique des gouverneurs (1. Conseil d’État, 23 novembre 1883, Société des mines d’or de la Guyane.).
Les décisions contentieuses des conseils des colonies, comme celles des conseils de préfecture, peuvent toujours être déférées en appel au Conseil d’État. L’article 161 de l’ordonnance du 21 août 1825 dit expressément que « les parties peuvent se pourvoir devant le Conseil d’État par la voie du contentieux contre les décisions rendues par le conseil privé sur les matières énoncées dans l’article précédent » ; or, l’article précédent est celui qui énumère toutes les attributions contentieuses des conseils privés, et qui se termine par l’attribution générale que nous venons d’expliquer, il s’ensuit que le droit de recours est absolu. Il est d’ailleurs confirmé par l’article 86 du décret du 5 août 1881, portant que « les décisions du conseil du contentieux peuvent être attaquées devant le Conseil d’État ».
Antérieurement au décret de 1881, il y avait un cas où les décisions [390] des conseils du contentieux n’étaient pas susceptibles d’appel devant le Conseil d’État, c’était le cas, prévu par l’article 164 de l’ordonnance, où ces conseils faisaient eux-mêmes fonction de tribunaux d’appel, ou, comme on disait, de « commissions d’appel » à l’égard des tribunaux judiciaires de première instance statuant sur quelques contraventions spéciales, en matière de traite des noirs et de régime douanier. Leurs décisions n’étaient alors susceptibles que de pourvoi en cassation. Mais cette attribution ayant été expressément supprimée par l’article 4 du décret du 5 août 1881, le droit d’appel ne comporte plus aujourd’hui d’exception.
III. — PROCÉDURE
Les conseils du contentieux des colonies ont eu, bien avant les conseils de préfecture de la métropole, un Code de procédure réglant avec précision la marche des instances, les mesures d’instruction, les formes des décisions, les recours dont elles sont susceptibles. Ces règles ont d’abord été édictées par l’ordonnance du 31 août 1828, qui a été appliquée pendant plus d’un demi-siècle, mais à laquelle on pouvait reprocher un trop grand luxe de formes judiciaires, entraînant des frais souvent exagérés et des lenteurs qui s’accommodaient mal avec le mouvement croissant des affaires. Pour remédier à ce double inconvénient, le Gouvernement a chargé le Conseil d’État, en 1881, d’élaborer une révision de l’ordonnance de 1828, révision qui a été opérée par le décret du 5 août 1881.
Ce décret simplifie les règles antérieures sur deux points importants : en autorisant les parties à présenter leurs requêtes et défenses sans le ministère d’avocats, et en substituant un système de notifications et de communications administratives à celui des notifications par actes extrajudiciaires.
Nous n’entrerons pas dans l’explication de ces règles de procédure qui se rapprochent beaucoup de celles qui sont en vigueur devant les conseils de préfecture. Nous dirons seulement quelques mots des décisions et du recours au Conseil d’État. Les décisions (1. Décret du 5 août 1881, titre II, chap. IV.) sont revêtues d’une formule exécutoire. Les [391] expéditions portent en tête la mention « au nom du peuple français » et se terminent par cette formule : « La République mande et ordonne au gouverneur de… en ce qui le concerne, et à tous huissiers à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision. » Les décisions emportent hypothèque. Elles sont exécutoires par provision et nonobstant appel. Toutefois le conseil du contentieux peut, sur la demande de la partie intéressée, et en présence de la partie adverse ou elle dûment appelée, ordonner que la décision ne sera exécutée qu’à la charge de donner caution.
Le recours au Conseil d’État, dont le mécanisme est peut-être un peu compliqué, se décompose en deux actes : la déclaration en recours et la requête en recours (1. Décret du 5 août 1881, chap. V, sect. III, art. 86 et suiv.).
La déclaration en recours se fait dans la colonie, au secrétariat du conseil du contentieux ; elle est inscrite sur un registre spécial et énonce sommairement les moyens de recours. C’est par cette déclaration que l’appel est interjeté. Le secrétaire qui la reçoit sur le registre en délivre expédition dans la huitaine. L’appelant, nanti de cette expédition, la signifie dans un nouveau délai de huit jours. La signification se fait, à son choix, soit par acte d’huissier, soit en la forme administrative, c’est-à-dire par les soins du secrétaire et par le ministère d’agents à ce préposés, qui font constater la remise de l’expédition par un récépissé du destinataire ou la constatent eux-mêmes par un procès-verbal (2. Décret de 1881, art. 86 à 88 et 17 et 19 combinés.).
Cette notification ou signification fait courir, tant à l’égard du défendeur que du demandeur, un délai de trois mois pendant lequel le demandeur doit compléter son appel et le défendeur commencer sa défense.
Le demandeur complète son appel en présentant la requête en recours qui doit être déposée au secrétariat du contentieux du Conseil d’État. Le défendeur commence sa défense en constituant avocat. Il n’est pas tenu de fournir immédiatement ses moyens de défense ; il peut arriver, en effet, qu’il constitue avocat avant même que la [392] requête soit déposée au Conseil d’État, puisque le délai de trois mois court pour les deux parties à dater de la signification de la déclaration en recours. Il n’est mis en demeure de répondre à la requête que par l’ordonnance de soit-communiqué, rendue dans la forme ordinaire par le président de la section du contentieux, mais qui est signifiée dans des formes particulières quand le défendeur habite hors de France (1. Décret du 5 août 1881, art. 91.). La procédure se trouve ainsi engagée contradictoirement.
Pour les affaires qui sont dispensées du ministère d’un avocat (affaires de contributions, d’élections, de voirie), l’article 93 du décret du 5 août 1881 trace une règle spéciale : le recours est déposé, au gré de la partie, soit au Conseil d’État, soit dans la colonie, au secrétariat du conseil du contentieux. Dans ce dernier cas, le gouverneur est chargé de le transmettre au Conseil d’État. Il y a là une simplification de la procédure d’appel. Mais quelle en est exactement la portée ?
Le texte de l’article 93 ne présente pas sur ce point toute la clarté désirable ; il dit que « le recours » doit être déposé ; mais, ainsi que nous venons de le voir, le recours comprend deux actes successifs, la déclaration et la requête ; or, l’article 93 ne dit pas s’il s’agit de l’un ou de l’autre, ou si les deux ensemble sont confondus en un seul et même acte pour les affaires dispensées du ministère d’avocat. Cette dernière interprétation a d’abord été admise par le ministère des colonies qui a transmis au Conseil d’État plusieurs recours consistant uniquement en une expédition de la déclaration en recours, ou bien en une requête en recours. Elle a paru acceptée, du moins implicitement, par un arrêt qui a statué sur un pourvoi en matière électorale introduit par une requête non précédée d’une déclaration en recours (2. Conseil d’État, 12 mars 1886, élection de Salazie.).
Mais, après un nouvel examen de la question, la solution contraire a prévalu, et le Conseil d’État décide actuellement que l’article 93 du décret de 1881 ne déroge pas à la règle générale exigeant deux actes distincts, la déclaration et le recours (3. Conseil d’État, 30 novembre 1888, élection de Lamentin (conseil général de la Guadeloupe) ; — 11 janvier 1889, Élection de Thoré.— Cette solution était précédemment résultée de communications faites par la section du contentieux au sous-secrétaire d’État des colonies, qui avaient provoqué une circulaire de ce chef de service en date du 20 mai 1887, rappelant la nécessité de la double formalité requise pour l’introduction des pourvois.).
[393] Toutefois cette règle subit une exception, et la double formalité n’est pas nécessaire pour les pourvois en matière d’élections municipales formés dans les colonies où la loi du 5 avril 1884 a été rendue exécutoire. Les règles du pourvoi sont alors les mêmes dans ces colonies que dans la métropole, et elles sont déterminées par l’article 40 de la loi municipale de 1884 ; par suite, la déclaration en recours est inutile, et le pourvoi est valablement formé par le dépôt de la requête au secrétariat de la colonie (1. Conseil d’État, 11 janvier 1889, élection de Capesterre.).
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