I. — NOTIONS GÉNÉRALES
Différences entre le recours en cassation et le recours pour excès de pouvoir. — Toutes les décisions rendues en dernier ressort, soit par des juridictions administratives, soit par des autorités ou par des commissions spéciales faisant office de juridictions, peuvent être l’objet d’un recours en annulation devant le Conseil d’État.
Ce recours a une double base législative : d’une part, les dispositions générales des lois des 7-14 octobre 1790 et 24 mai 1872 ; d’autre part, des textes spéciaux qui déterminent, pour certaines juridictions, les conditions dans lesquelles le recours peut être formé.
Ces textes sont : — l’article 17, § 2, de la loi du 16 septembre 1807, qui prévoit la cassation d’arrêts de la Cour des comptes pour violation des formes ou de la loi ; — l’article 32 de la loi sur le recrutement de l’armée du 15 juillet 1889, qui prévoit l’annulation des décisions des conseils de révision, pour incompétence, excès de pouvoir et violation de la loi. — Telles étaient aussi les dispositions relatives à des juridictions aujourd’hui abolies, telles que les jurys de révision de la garde nationale dont les décisions pouvaient être attaquées, pour incompétence, excès de pouvoir et violation de la loi, d’après l’article 26 de la loi du 14 juillet 1837 et l’article 30 de la loi du 13 juin 1851.
[576] Lorsqu’il n’existe pas de textes prévoyant le recours en cassation à l’égard d’une juridiction déterminée, ce recours n’en est pas moins ouvert en vertu des principes généraux : en effet, les décisions rendues en dernier ressort par une juridiction spéciale ont un caractère administratif en même temps qu’un caractère juridictionnel ; elles sont soumises, par cela seul, à l’application des lois des 7-14 octobre 1790 et 24 mai 1872. La jurisprudence du Conseil d’État a fait, à toute époque, application de cette règle, notamment : — au conseil supérieur de l’instruction publique (1. Voy. les arrêts cités ci-après, page 580.) ; — aux conseils de révision, avant que la loi du 27 juillet 1872, puis celle du 15 juillet 1889 eussent expressément prévu le recours (2. Voy. les arrêts cités t. Ier, page 419.) ; — aux commissions scolaires (3. Conseil d’État, 16 mars 1883, min. de l’instr. publ. ; — 13 novembre 1885, Passerait de la Chapelle.), — aux commissions instituées par la loi du 30 avril 1826 pour la liquidation des indemnités de Saint-Domingue (4. Conseil d’État, 24 août 1832, Thévenard ; — 22 juillet 1835, Gamichon.), — par la loi du 7 avril 1873 pour la réparation des dommages résultant de l’insurrection de 1871 (5. Conseil d’État, 12 juin 1874, Meunié.), — par la loi du 30 juillet 1880 pour le rachat des ponts à péage (6. Conseil d’État, 23 mai 1890, préfet de l’Isère.), — par les lois du 30 juillet 1881 et du 7 août 1882 pour l’allocation d’indemnités aux victimes du coup d’État du Deux-Décembre (7. Conseil d’État, 6 juillet 1883, Allègre.).
Dans ces cas et autres analogues, l’existence du recours a été reconnue, non seulement malgré le silence des lois spéciales, mais encore malgré des dispositions de ces lois qui qualifiaient les décisions de définitives, ou déclaraient qu’elles étaient rendues sans recours et même sans aucun recours. Ces expressions, sans en excepter la dernière, quelque absolue qu’elle paraisse, ont été interprétées par la jurisprudence comme n’excluant que l’appel, mais non le recours en cassation en cas d’incompétence ou d’excès de pouvoir (8. Voy. la loi du 22 mars 1831 sur les jurys de révision de la garde nationale des départements, art. 26, et les arrêts du 6 janvier 1849, Bertrand, et du 1er décembre 1849, Couturier. — Voy. aussi le décret du Gouvernement de la Défense nationale du 18 novembre 1870, relatif au conseil de révision pour le recrutement des compagnies de guerre de la garde nationale pendant le siège de Paris, et l’arrêt du 3 janvier 1871, Barizel. Il y a eu cependant des décisions à l’égard desquelles le Conseil d’État n’a admis aucun recours, même pour excès de pouvoir : ce sont les décisions que les conseils généraux avaient été appelés à rendre sur l’élection de leurs membres, en vertu de l’article 16 de la loi du 10 août 1871. Ce texte, abrogé par la loi du 31 juillet 1875, disposait : « Le Conseil général vérifie les pouvoirs de ses membres, il n’y a pas de recours contre ces décisions. » Plusieurs arrêts ont décidé que cette disposition excluait même le recours pour excès de pouvoir (4 juillet 1872, élection de Calacuccia ; 25 juillet 1872, élection de Montpezat). Mais cette jurisprudence était fondée, moins sur le texte de l’ancien article 16 de la loi de 1871, que sur la nature des décisions rendues par les conseils généraux, et qui ne constituaient pas des décisions contentieuses en matière électorale, mais de véritables vérifications de pouvoir, faites souverainement par un corps délibérant. Ainsi s’explique cette unique dérogation à la jurisprudence ci-dessus rappelée.).
Mais si les lois des 7-14 octobre 1790 et 24 mai 1872 sont applicables de plein droit aux décisions juridictionnelles rendues en [577] dernier ressort, ces lois ne sont pas aussi largement appliquées, quant aux moyens d’annulation, que lorsqu’il s’agit d’actes administratifs proprement dits. A l’égard des décisions juridictionnelles, la jurisprudence s’est toujours renfermée dans la stricte notion de l’excès de pouvoir ; elle n’a admis comme moyens d’annulation que l’incompétence et le vice de forme, quelquefois le détournement de pouvoir ; mais elle a toujours écarté les moyens tirés de la violation ou de la fausse application de la loi et de l’atteinte aux droits acquis.
Pourquoi cette différence ? Pour deux raisons : — la première c’est que le législateur, ayant indiqué lui-même plusieurs cas où des décisions juridictionnelles peuvent être attaquées pour violation de la loi, est présumé avoir écarté ce moyen toutes les fois qu’il ne l’a pas mentionné et surtout lorsqu’il a dit que les décisions seraient rendues sans recours ; — la seconde raison, c’est que les décisions rendues par des juridictions, délibérant après une instruction contradictoire, offrent moins de chances de précipitation et d’erreur que les actes administratifs proprement dits, qui résultent le plus souvent de l’initiative des autorités, sans débat préalable avec les intéressés. Ajoutons que les décisions juridictionnelles ne tranchent que des questions peu nombreuses et nettement déterminées, tandis que les actes de puissance publique ont un champ beaucoup plus vaste et peuvent affecter de mille manières les droits des citoyens.
[578] Une autre différence doit être signalée entre le recours en cassation et le recours pour excès de pouvoir : elle est relative à l’effet des décisions rendues par le Conseil d’État. A l’égard des actes administratifs, nous avons vu que l’annulation produit ses effets erga omnes, et que l’acte annulé disparaît comme s’il avait été rapporté par son auteur ou par le supérieur hiérarchique ; au contraire, l’annulation des décisions juridictionnelles ne produit ses effets que inter partes, et les tiers étrangers au recours ne peuvent pas s’en prévaloir ; elle est à leur égard res inter alios judicata. Cette différence tient à ce que le Conseil d’État, qui fait à la fois office de juge et d’autorité administrative supérieure lorsqu’il annule un acte de puissance publique, fait seulement office de juge quand il annule une décision ayant un caractère juridictionnel.
Les effets de l’annulation diffèrent encore à un autre point de vue. Lorsqu’un acte administratif est annulé, l’autorité administrative n’est nullement tenue de le refaire dans d’autres conditions ; au contraire, lorsqu’une décision juridictionnelle est annulée, il faut, en général, qu’elle soit remplacée par une autre décision afin que la question à juger ne reste pas sans solution au fond : c’est pourquoi l’arrêt d’annulation emporte de plein droit le renvoi de l’affaire à la juridiction qui avait irrégulièrement statué, — à moins, bien entendu, que le vice de sa décision ne consiste dans une incompétence faisant obstacle à ce que cette juridiction soit saisie de nouveau.
Décisions susceptibles de recours en cassation. — Les décisions rendues en dernier ressort sont seules susceptibles d’un recours en cassation devant le Conseil d’État.
Si donc une décision est sujette à appel, soit devant le Conseil d’État, soit devant la Cour des comptes ou devant le conseil supérieur de l’instruction publique, elle ne peut pas être directement déférée au Conseil d’État par la voie du recours en annulation, et cela même si l’on invoque contre elle le grief d’incompétence ou de vice de forme. Ce grief doit d’abord être dénoncé à la juridiction d’appel, dont le contrôle s’étend aux illégalités de toute nature qui peuvent être relevées dans la décision des premiers juges.
[579] Il suit de là que les décisions des conseils de préfecture, qui sont toujours susceptibles d’appel devant le Conseil d’État, ne peuvent jamais être l’objet d’un recours en cassation devant ce Conseil ; elles ne peuvent donc jamais lui être déférées sans le ministère d’un avocat, dans les matières qui le comportent, même si elles ne sont attaquées que pour incompétence et pour excès de pouvoir (1. 16 août 1887, commune de Giry ; — 15 décembre 1887, Courvesy. On ne saurait considérer comme contraire à cette doctrine un arrêt du 5 mars 1886, Legré, annulant un arrêté du conseil de préfecture qui avait condamné un avocat à 200 fr. d’amende pour outrage envers le conseil. On ne peut attribuer qu’à une inadvertance un passage de la notice qui précède cet arrêt dans le Recueil des arrêts du Conseil d’État (1886, p. 190), et où l’arrêtiste énonce, comme une des solutions résultant de l’arrêt, que « lorsqu’un arrêté du conseil de préfecture est susceptible d’appel au Conseil d’État, les parties auxquelles cet arrêté fait grief peuvent en demander l’annulation pour excès de pouvoir ». Il n’y a pas un mot, dans cet arrêt ni dans ses visas, qui puisse être invoqué à l’appui d’une telle proposition. Si l’arrêt se borne à annuler la condamnation prononcée par le conseil de préfecture, c’est parce qu’il n’y avait pas autre chose à décider du moment que la condamnation disciplinaire prononcée par le conseil de préfecture était reconnue illégale. — Voy. sur la question jugée par cet arrêt (et qui a d’ailleurs été tranchée par l’article 56 de la loi du 22 juillet 1889), notre tome Ier, p. 370.).
Il pourrait en être autrement à l’égard de décisions rendues, non par le conseil de préfecture, mais par son président, si celui-ci avait exercé une attribution qui n’appartient qu’au conseil et avait ainsi commis un véritable excès de pouvoir non susceptible d’être réprimé par la voie de l’appel (2. Conseil d’État, 13 avril 1894, fabrique de Ségur. Cet arrêt annule, sur une procédure de recours pour excès de pouvoir, un arrêté du vice-président du conseil de préfecture du Cantal qui avait statué sur une demande en règlement des honoraires dus à un architecte, et avait ainsi excédé le droit de décision qui lui appartient pour le règlement des frais d’expertise et des dépens. (Loi du 22 juillet 1889, art. 23, 63 et 66.)).
Après ces explications générales, nous devons maintenant étudier l’application du recours en cassation aux trois principales juridictions qui rendent des décisions définitives, savoir : le conseil supérieur de l’instruction publique, la Cour des comptes et les conseils de révision.
[580]
II. — RECOURS EN CASSATION CONTRE LES DÉCISIONS DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE
(( Voy. sur l’organisation et les attributions du conseil supérieur de l’instruction publique et des conseils qui lui rassortissent, t. Ier, p. 421 et suiv. ))
Aucune disposition des lois actuellement en vigueur ne prévoit de recours contre les décisions du conseil supérieur de l’instruction publique.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Avant 1850, plusieurs textes aujourd’hui abrogés avaient soumis certaines décisions du conseil de l’université et du conseil royal de l’instruction publique à des recours devant le Conseil d’État qui avaient quelquefois le caractère d’un véritable appel (2. Décret du 17 mars 1808, art. 82 et 144 ; — Décret du 15 novembre 1811, art. 149 ; — Ordonnance du 4 juillet 1820, art. 10.). Mais la loi du 15 mars 1850 (art. 5) a décidé que le conseil supérieur de l’instruction publique prononcerait « en dernier ressort », et la loi du 27 février 1880 a confirmé cette règle. Son article 7 dispose que « le conseil statue en appel et en dernier ressort sur les jugements rendus par les conseils académiques en matière contentieuse ou disciplinaire. Il statue également en appel et en dernier ressort sur les jugements rendus par les conseils départementaux, lorsque ces jugements prononcent l’interdiction absolue d’enseigner contre un instituteur primaire public ou libre. »
Cette disposition doit être complétée par la loi du 30 octobre 1886 sur les conseils départementaux (art. 39), qui étend la juridiction d’appel et de dernier ressort du conseil supérieur aux cas où le conseil départemental prononce, en matière contentieuse, sur les oppositions faites à l’ouverture d’écoles libres, et, en matière disciplinaire, sur les pénalités encourues par les instituteurs privés (3. On sait que la dénomination d’instituteur privé remplace, dans la loi du 30 octobre 1886, celle d’instituteur libre.).
Ces textes excluent manifestement tout appel au Conseil d’État ; mais le recours en cassation n’en est pas moins ouvert, en vertu des dispositions générales des lois des 7-14 octobre 1790 et 24 mai 1872. La jurisprudence n’a jamais varié sur ce point ; elle s’est [581] implicitement affirmée par toutes les décisions qui ont statué sur des recours de cette nature.
Mais comme il n’existe, en dehors de ces textes généraux, aucune disposition qui ait explicitement prévu le recours pour violation de la loi, le Conseil d’État s’est toujours refusé à connaître de ce grief ; il n’a admis, comme moyens d’annulation recevables contre les décisions du conseil supérieur, que l’incompétence et le vice de forme, c’est-à-dire l’excès de pouvoir stricto sensu.
En ce qui touche l’incompétence, le Conseil d’État a retenu, comme se rattachant à ce grief : — la question de savoir si le conseil supérieur, saisi d’un appel contre une décision d’un conseil départemental, peut se déclarer incompétent pour en connaître, en attribuant à cette décision un caractère de dernier ressort qu’elle ne posséderait pas (1. Conseil d’État, 3 août 1883, Raveneau ; — 20 juin 1884, Poux-Berthe.) ; — si sa juridiction disciplinaire s’étend sur des agents administratifs, tels que les économes qui ne sont ni membres du corps enseignant, ni fonctionnaires de l’enseignement (2. Conseil d’État, 6 août 1881, Sicre.) ; — si elle peut s’exercer lorsque l’infraction a été commise sur un territoire étranger (3. Conseil d’État, 14 août 1866, Rey.), — ou lorsqu’elle a été déjà l’objet de poursuites devant les tribunaux judiciaires de répression (4. Conseil d’État, 25 février 1876, Dubuc.).
En ce qui touche le vice de forme, le Conseil d’État n’a guère eu à statuer que sur des questions de liberté des droits de la défense en matière disciplinaire (5. Conseil d’État, 15 novembre 1851, Pierquin ;— 23 janvier 1864, Petit-Colas.) ; mais il n’est pas douteux que toute infraction aux règles qui déterminent la composition du tribunal, les mesures d’instruction, la majorité à laquelle certaines condamnations doivent être prononcées, devrait entraîner l’annulation de la décision.
On doit au contraire tenir pour non recevables les moyens d’annulation tirés de la violation ou de la fausse application de la loi : par exemple, de la qualification donnée à une faute professionnelle. Le Conseil d’État refuse de contrôler les appréciations de cette nature, qui ne relèvent, en droit comme en fait, que du tribunal disciplinaire (6. Conseil d’État, 25 février 1876, Dubuc.).
[582] Le recours en cassation étant ouvert contre toute décision juridictionnelle définitive, le Conseil d’État a admis qu’il pouvait être formé contre des décisions des conseils départementaux de l’instruction publique, dans les affaires où ces conseils exerçaient une juridiction de dernier ressort (1. Conseil d’État, 4 août 1882, Fillion.).
Ces affaires étaient encore assez nombreuses sous l’empire de la loi du 27 février 1880 ; elles comprenaient notamment les affaires disciplinaires concernant les membres de l’enseignement primaire public ou libre, toutes les fois que la peine prononcée n’était pas l’interdiction absolue. Mais cette juridiction de dernier ressort nous paraît avoir été complètement supprimée par la loi du 30 octobre 1886, qui a soumis à l’appel devant le conseil supérieur toutes les décisions des conseils départementaux ayant le caractère de jugements disciplinaires (2. Loi du 30 octobre 1886, art. 32. — Il ne faut pas confondre avec les jugements disciplinaires rendus à l’égard des instituteurs privés, les avis motivés que le conseil départemental est appelé à rendre comme corps consultatif, quand il s’agit de peines disciplinaires moins graves que l’interdiction absolue, infligées à des instituteurs publics, par décision du préfet ou de l’inspecteur d’académie. Dans ce cas, il ne peut évidemment pas être question d’appel, puisque le conseil départemental ne rend pas de décision, mais seulement un avis.), ainsi que les décisions contentieuses rendues sur les oppositions à l’ouverture d’écoles libres (3. Antérieurement à la loi du 30 octobre 1886, le droit d’appel était déjà reconnu en matière d’ouverture d’écoles, par la jurisprudence du Conseil d’État, qui a été sanctionnée par l’article 39 de la loi de 1886. (Voy. t. Ier, p. 372 el 655.)).
Il en est de même des commissions scolaires. Avant la loi de 1886, elles étaient appelées à rendre des décisions définitives contre lesquelles le Conseil d’État avait admis la possibilité d’un recours en cassation (4. Conseil d’État, 16 mars 1883, ministre de l’instruction publique ; — 13 novembre 1885, Passerat de la Chapelle.). Mais depuis que l’article 59 de cette loi a érigé le conseil départemental en juridiction d’appel à l’égard des commissions scolaires, le recours en cassation ne pourrait plus être formé que contre les décisions rendues sur appel.
Quant aux conseils académiques, toutes leurs décisions sont rendues à charge d’appel devant le conseil supérieur (loi du 27 février 1880, art. 10) ; elles ne peuvent donc, dans aucun cas, être l’objet d’un recours direct devant le Conseil d’État.
[583] Le recours en cassation contre les décisions du conseil supérieur ayant pour base les lois des 7-14 octobre 1790 et 24 mai 1872, il est hors de doute qu’il peut être formé sans le ministère d’un avocat, conformément à l’article 1er, § 2, du décret du 2 novembre 1864.
III. — RECOURS EN CASSATION CONTRE LES ARRÊTS DE LA COUR DES COMPTES
(( Voy. sur l’organisation et les attributions de la Cour des comptes, t. Ier, p. 394 et suiv. ))
Des cas où le recours peut être formé. — Le recours en cassation contre les arrêts de la Cour des comptes est régi par un texte spécial, l’article 17 de la loi du 16 septembre 1807, qui dispose : « Les arrêts de la Cour contre les comptables seront exécutoires ; et dans les cas où un comptable se croirait fondé à attaquer un arrêt pour violation des formes ou de la loi, il se pourvoira, dans les trois mois pour tout délai à compter de la notification de l’arrêt, au Conseil d’État, conformément au règlement sur le contentieux. Le ministre des finances, et tout autre ministre pour ce qui concerne son département, pourront faire, dans le même délai, leur rapport à l’Empereur, et lui proposer le renvoi au Conseil d’État de leurs demandes en cassation des arrêts qu’ils croiront devoir être cassés pour violation des formes ou de la loi (2. Sur les origines de cette disposition et de la juridiction de cassation qu’elle confère au Conseil d’État, voy. t. Ier, p. 225. — Sur les modifications que cette disposition a passagèrement subies en vertu de l’article 90 de la Constitution de 1848, voy. t. Ier, p. 251.). »
Le recours ouvert contre les arrêts de la Cour des comptes par la loi du 16 septembre 1807 est, comme on le voit, un véritable pourvoi en cassation qui s’exerce aussi largement devant le Conseil d’État que le pourvoi contre les décisions judiciaires devant la Cour de cassation. Ces arrêts peuvent être attaqués « pour violation des formes et de la loi », ce qui comprend à plus forte raison, bien que l’article 17 ne le dise pas, l’incompétence et tous les cas d’excès de pouvoir.
[584] Il n’est donc pas douteux que le recours serait ouvert si la Cour excédait les limites de sa compétence, en prononçant des condamnations contre des ordonnateurs ou contre des comptables de matières, à l’égard desquels elle n’a pas de juridiction et ne peut prononcer que par voie de déclarations (1. Voy. t. Ier, p. 395 et 399.) ; ou bien si elle statuait sur des cas de responsabilité de comptables qui ne relèvent que de l’autorité ministérielle (2. Voy. t. Ier, p. 407.); ou bien encore si la Cour déclinait sa compétence sur des éléments de compte dont il lui appartiendrait de connaître (3. Conseil d’État, 5 mai 1882, Chasleau. — Cf. t. Ier, p. 398.).
Nous n’avons pas à insister sur le moyen d’annulation tiré de la violation des formes : l’article 17 l’a expressément prévu ; mais le Conseil d’État n’a jamais eu à se prononcer sur un grief de cette nature, ce qui prouve avec quel soin la Cour surveille la régularité de ses procédures.
Quant au moyen d’annulation résultant de la violation de la loi, il comprend, comme en matière judiciaire, tous les cas où une erreur de droit influe directement sur le dispositif de l’arrêt, soit que la loi ait été mal interprétée, soit qu’elle ait été mal appliquée aux faits constatés. Tel serait le cas où la qualification de gestion occulte serait attribuée à des actes qui ne la comporteraient pas ; le cas où la Cour exigerait, à l’appui d’un paiement, des pièces justificatives qui ne sont pas prévues par les lois et règlements (4. Conseil d’État, 8 septembre 1839, ministre des finances ; — 22 mars 1841, id. — Cf. t. Ier, p. 405.) ; le cas où l’arrêt qui règle le compte admettrait ou refuserait d’admettre des recettes ou des dépenses par suite d’une erreur sur leur légalité (5. Conseil d’État, 8 avril 1842, Duvergier.). Mais si le Conseil d’État peut ainsi contrôler les conséquences juridiques des faits relevés par l’arrêt, il ne peut pas contrôler ces faits eux-mêmes ni en laisser discuter devant lui l’exactitude : ce serait transformer sa juridiction de cassation en juridiction d’appel. Toutefois, le Conseil d’État s’est toujours reconnu le droit de puiser les éléments de son contrôle juridique non seulement dans les motifs de l’arrêt attaqué, mais encore dans les pièces soumises à la Cour et qui ont servi ou dû servir de base [585] à sa décision sur un point de droit. S’il en était autrement, les questions mêmes de violation ou de fausse application de la loi, notamment en matière de comptabilité de fait, ne pourraient pas être utilement discutées devant le Conseil d’État qui serait lié par les appréciations juridiques de la Cour (1. Conseil d’État, 22 février 1889, commune du Mont-Dore ;— 9 mai 1890, bureau de bienfaisance de Semur. Ces deux arrêts, tout en rejetant le pourvoi, contiennent un énoncé des faits emprunté soit aux arrêts attaqués, soit aux pièces visées. Dans l’affaire du bureau de bienfaisance de Semur, le Conseil d’État a été amené à ne pas s’approprier sur tous les points les constatations que la Cour avait tirées de ces pièces. — Dans une autre affaire, 13 février 1891, commune de Plancher-Bas, l’arrêt constate « qu’aucune des circonstances relevées par la commune, non plus qu’aucun des documents produits à la Cour des comptes et au Conseil d’État, n’est de nature à faire reconnaître le caractère de deniers publics… »).
Contre quels arrêts le recours en cassation est ouvert. — On sait que les arrêts de la Cour des comptes ne sont pas tous de même nature : les uns sont provisoires, les autres définitifs ; en outre, la Cour peut réformer elle-même ses arrêts définitifs par des arrêts de révision. Le recours n’est pas recevable contre les arrêts provisoires (2. Conseil d’État, 20 juillet 1883, Monnier : — « Considérant que c’est devant la Cour des comptes que les comptables doivent contester les arrêts provisoires de situation à eux notifiés, que les pourvois au Conseil d’État pour violation des formes ou de la loi ne peuvent être formés par lesdits comptables que contre les arrêts par lesquels la Cour, après expiration du délai imparti au comptable pour débattre le premier arrêt rendu par elle et faire les justifications requises, statue définitivement… ») : c’est une application des règles générales exposées plus haut, qui n’admettent le recours en cassation que contre des décisions définitives ; d’ailleurs, l’article 17 de la loi du 16 septembre 1807 ne prévoit ce recours qu’à l’égard des arrêts « exécutoires ». Mais, dès qu’ils ont ce caractère, ils sont susceptibles de recours en cassation, nonobstant la révision dont ils peuvent être l’objet à la requête du comptable ou du procureur général, et même d’office (3. Loi du 16 septembre 1807, art. 14. — Voy. sur la révision, t. Ier, p. 410.). Le recours en révision n’enlève pas, en effet, sa force exécutoire à l’arrêt attaqué ; tant que celui-ci n’est pas effectivement révisé, il subsiste et peut être annulé par le Conseil d’État. Mais si un arrêt définitif, attaqué devant le Conseil d’État, venait à être révisé avant que le recours en cassation fût jugé, ce recours perdrait toute raison d’être, et l’instance devrait être [586] close par un non-lieu à statuer ; on ne concevrait pas en effet la cassation d’un arrêt qui aurait déjà cessé d’exister.
L’arrêt de révision peut évidemment être l’objet d’un recours en cassation comme tout arrêt définitif ; mais en est-il de même de l’arrêt qui refuse de prononcer la révision ?
Nous ne le pensons pas ; en effet, l’article 17 de la loi du 16 septembre 1807 n’a donné au comptable et au ministre qu’un délai de trois mois pour déférer au Conseil d’État un arrêt exécutoire. Le recours en révision devant la Cour des comptes n’étant soumis à aucun délai par l’article 14 de la même loi, rien ne serait plus facile aux parties que d’éluder l’article 17, et de proroger à leur gré le délai, en formant d’abord un recours en révision et en se réservant d’attaquer l’arrêt qui en prononcerait le rejet. Nous pensons que, dans ce cas, l’arrêt de rejet aurait le caractère d’une décision purement confirmative qui, d’après les règles ordinaires, ne fait point revivre le délai, parce qu’elle laisse simplement subsister la décision primitive.
Si cependant l’arrêt qui rejette la révision était entaché d’un vice de forme, ou s’il contenait une violation de la loi distincte de celles qu’on aurait relevées dans l’arrêt définitif, il pourrait être, de ce chef, déféré au Conseil d’État. Mais son annulation ne pourrait pas avoir d’autre effet que de rouvrir devant la Cour la procédure de révision.
Quelles parties ont qualité pour former le recours en cassation. — L’article 17 de la loi du 17 septembre 1807 prévoit le recours des comptables, du ministre des finances et de tout autre ministre pour ce qui concerne son département.
Cette disposition est-elle limitative ? Les communes et les établissements publics, dont l’article 17 ne parle pas, sont-ils privés du droit de se pourvoir, par les soins de leurs représentants légaux, et doivent-ils avoir recours au ministre compétent pour déférer un arrêt qui leur fait grief ? Il n’est pas impossible que telle ait été la pensée du législateur de 1807, car l’article 17 ne prévoit que deux formes d’introduction du recours : pour les comptables, la forme ordinaire des requêtes contentieuses ; pour les ministres, un rapport au chef de l’État lui proposant le renvoi au Conseil d’État [587] de leurs demandes en cassation. La comptabilité publique était d’ailleurs beaucoup plus centralisée en 1807 que de nos jours, les communes et les établissements publics avaient moins d’autonomie, enfin il pouvait paraître plus conforme à la hiérarchie administrative et aux égards dus à la Cour des comptes de ne pas laisser attaquer ses arrêts par toutes les administrations locales dont la comptabilité pouvait être soumise à la Cour.
Mais cette interprétation n’a pas prévalu en jurisprudence ; il ne pouvait guère en être autrement, du jour où les conseils de préfecture ont été chargés, d’abord par l’ordonnance du 23 avril 1823, puis par la loi du 18 juillet 1837 de juger, sauf appel à la Cour, les comptes des communes et des établissements publics ayant un revenu déterminé. Le droit d’appel appartenant nécessairement aux représentants des établissements intéressés aussi bien qu’aux comptables, on ne pouvait pas leur refuser le droit de déférer eux-mêmes au juge de cassation l’arrêt rendu sur leur appel. Aussi le Conseil d’État a interprété l’article 17 de la loi du 16 septembre 1807 comme s’il n’était qu’énonciatif ; en conséquence, il a admis que les représentants légaux des communes et des établissements publics ont qualité pour former le recours en cassation contre les arrêts rendus sur leur comptabilité, soit en premier et dernier ressort, soit en appel ; il a même reconnu qualité au contribuable, agissant dans l’intérêt de la commune avec l’autorisation du conseil de préfecture (1. Conseil d’État, 8 avril 1842, Duvergnier. — Cf. 5 mai 1882, ministre de l’intérieur, et les conclusions du commissaire du Gouvernement, au Recueil, p. 419.).
On doit conclure de là que les ministres n’ont qualité pour déférer au Conseil d’État les arrêts de la Cour des comptes que s’ils agissent au nom de l’État, ou dans l’intérêt de la loi. Il ne serait pas admissible, en effet, que le ministre puisse, en cette matière plus qu’en toute autre, se pourvoir au nom des communes ou des établissements publics, concurremment avec leurs représentants légaux (2. Voy. les deux arrêts cités à la note précédente. Celui du 5 mai 1882 peut paraître contraire à notre solution, car il statua sur un recours formé par le ministre de l’intérieur dans une affaire qui intéressait une commune (la ville de Paris). Mais il résulte des visas de l’arrêt et des conclusions du commissaire du Gouvernement que le pourvoi avait été fait à la demande du préfet de la Seine, qui agissait au nom de la ville, et dont le rapport était joint au pourvoi. Dans ces conditions, on comprend que le Conseil d’État n’ait pas relevé d’office le défaut de qualité du ministre de l’intérieur.).
[588] Les recours en cassation contre les arrêts de la Cour des comptes peuvent-ils être formés sans le ministère d’un avocat ? Le doute est permis ; en effet, le décret du 2 novembre 1864 ne dispense du ministère de l’avocat que « les recours portés devant le Conseil d’État, en vertu de la loi des 7-14 octobre 1790, pour incompétence ou excès de pouvoir » ; or les recours qui nous occupent se font en vertu de l’article 17 de la loi du 16 septembre 1807 ; peut-être même le Conseil d’État ne se serait-il pas reconnu juridiction sur la Cour des comptes, si ce texte spécial n’avait pas existé, et si l’on n’avait pu invoquer que la loi des 7-14 octobre 1790. Cependant, le Conseil a admis, au moins implicitement, que le décret du 2 novembre 1864 est applicable, car il a statué sur des pourvois formés sans le ministère d’un avocat (1. Conseil d’État, 20 juillet 1883, Monnier.). On voit là une nouvelle preuve des tendances de la jurisprudence à unifier tous les recours qui se rattachent au contentieux de l’annulation.
Effets de l’annulation. — La cassation d’un arrêt de la Cour des comptes par décision du Conseil d’État ne peut avoir d’autre effet que de mettre cet arrêt à néant, et de provoquer le renvoi de l’affaire à la Cour elle-même pour qu’elle rende un nouvel arrêt. D’après l’ordonnance du 1er septembre 1819 (art. 1 et 2) et le décret du 31 mai 1862 (art. 424 et 425), l’affaire doit être renvoyée devant une des chambres qui n’en ont pas connu ; si parmi les membres de cette chambre il s’en trouve qui avaient siégé dans celle qui a rendu le premier arrêt, ils doivent s’abstenir, et ils sont remplacés, si besoin est, par d’autres conseillers-maîtres.
On s’est demandé si le Conseil d’État, après avoir annulé un arrêt de la Cour des comptes, peut évoquer l’affaire et juger lui-même le fond du litige. L’affirmative a été présentée comme certaine par la Commission de la Chambre des députés qui avait préparé, en 1840, un des projets de loi relatifs au Conseil d’État (2. On lit dans le rapport de M. Dalloz, en date du 10 juin 1840 : « Votre Commission a porté ses regards sur ce qui se passe dans le cas où, sur le recours au Conseil d’État contre un arrêt de la Cour des comptes, la cassation de cet arrêt est prononcée. Il lui a paru résulter clairement de la combinaison de l’article 17 de la loi du 16 septembre 1807 et de l’ordonnance royale du 1er septembre 1819 que, dans ce cas, le Conseil d’État a la faculté de statuer lui-même sur le fond de l’affaire ou de la renvoyer devant une autre chambre de la Cour des comptes. »).
[589] Cette commission croyait pouvoir s’appuyer sur l’article 1er de l’ordonnance du 1er septembre 1819 qui dispose: « Lorsqu’après cassation d’un arrêt de notre Cour des comptes le jugement du fond aura été renvoyé à notredite Cour, l’affaire sera portée devant l’une des chambres qui n’en auront pas connu » , on concluait de ces mots : « lorsque le jugement aura été renvoyé… » qu’il pouvait ne pas l’être, que le renvoi était purement facultatif, et que le Conseil d’État était libre d’évoquer le fond. Cet argument de texte était assurément peu concluant, surtout quand il s’agissait de consacrer une solution contraire aux règles fondamentales de la juridiction de cassation.
Il est en effet de principe que le juge de cassation, à la différence du juge d’appel, ne peut jamais statuer sur le fond du litige. La raison de cette différence se comprend aisément. Le juge d’appel est juge du fond ; lorsqu’il évoque un litige, il ne s’empare pas de questions étrangères à sa compétence, il se borne à les juger avant qu’elles aient subi le premier degré de juridiction ; le juge de cassation au contraire n’est point appelé à juger les procès, mais seulement à se prononcer sur la légalité des décisions qui les jugent ; en évoquant le fond, il s’attribuerait sur le litige même une compétence qui ne lui appartient pas. Ni l’article 17 de la loi du 16 septembre 1807, ni l’ordonnance de 1819 n’ont entendu créer une dérogation à ces principes ; l’ordonnance dit comment la Cour doit procéder lorsqu’une affaire lui est renvoyée après cassation, mais elle ne décide pas et n’avait point à décider si le renvoi doit ou non avoir lieu. Remarquons enfin qu’il y a un cas où la cassation de l’arrêt ne devrait être suivie d’aucun renvoi, c’est le cas où la Cour aurait statué en dehors de ses attributions et où son arrêt aurait été cassé pour incompétence ratione materiæ. Peut-être est-ce l’hypothèse que les rédacteurs de l’ordonnance de 1819 avaient en vue.
L’opinion émise par la Commission de 1840 ne saurait donc être admise. On doit au contraire décider qu’en dehors du cas d’incompétence, le renvoi à la Cour des comptes résulte de plein droit [590] de l’arrêt de cassation. Il n’est même pas nécessaire que le Conseil d’État le prononce ; si son arrêt est muet sur ce point, la partie qui l’a obtenu ou le ministre chargé de son exécution n’en a pas moins le droit de solliciter de la Cour une décision nouvelle sur le fond.
IV. — RECOURS EN CASSATION CONTRE LES DÉCISIONS DES CONSEILS DE REVISION
Ce recours est actuellement régi par l’article 32 de la loi sur le recrutement de l’armée du 15 juillet 1889 qui dispose : « …Les décisions du conseil de révision sont définitives. Elles peuvent néanmoins être attaquées devant le Conseil d’État pour incompétence, excès de pouvoir ou violation de la loi. — Le recours au Conseil d’État n’aura pas d’effet suspensif et il ne pourra en être autrement ordonné. — L’annulation prononcée sur le recours du ministre de la guerre profite aux parties lésées. »
Cette disposition ouvre plus largement le recours que celles qui l’ont précédée. Nous avons eu déjà occasion de rappeler que, sous l’empire des lois de recrutement du 10 mars 1818 et du 21 mars 1832, les textes étaient muets sur le recours en cassation, et que le Conseil d’État avait dû se fonder, pour l’admettre dans les cas d’incompétence et d’excès de pouvoir, sur les dispositions générales de la loi des 7-14 octobre 1790 (1. Voy. t. Ier, p. 419.).
Plus tard la loi du 27 juillet 1872 (art. 29) a expressément prévu le recours dans le cas d’incompétence et d’excès de pouvoir ; elle l’a même étendu au cas de violation de la loi, mais en disposant qu’il ne pourrait être formé, dans ce dernier cas, que par le ministre de la guerre agissant dans l’intérêt de la loi. Elle admettait cependant, par une disposition exceptionnelle, que le pourvoi pour violation de la loi ainsi formé par le ministre profiterait à la partie lésée.
La loi du 15 juillet 1889 a, comme on vient de le voir, complété et unifié le système ; elle a ouvert un même recours aux parties lésées et au ministre de la guerre, et elle l’a autorisé dans le cas de [591] violation de la loi aussi bien que d’incompétence et d’excès de pouvoir. Elle a en même temps voulu que les parties puissent profiter de toute annulation prononcée, même à la requête du ministre de la guerre, quoiqu’elles aient obtenu la faculté de la faire prononcer elles-mêmes et dans les mêmes cas que le ministre. Cette dernière disposition déroge aux règles ordinaires sur les effets de la chose jugée, mais elle s’explique et se justifie, comme la disposition analogue de la loi de 1872, par un intérêt d’ordre public et d’équité. Il est bon, en effet, que la surveillance exercée par l’autorité militaire sur les décisions des conseils de révision puisse profiter à des parties moins bien placées qu’elle pour rechercher et faire redresser les erreurs de cette juridiction (1. Cette question a fait l’objet d’un échange d’observations dans la séance du Sénat du 25 juin 1888 (Journal officiel, 1888, p. 1013). M. Paris a demandé la suppression de la disposition qui accorde au jeune soldat le bénéfice de l’annulation prononcée à la requête du ministre de la guerre. Il ne contestait pas que cette disposition ne fût équitable, mais il estimait qu’elle était inutile, l’annulation devant, selon lui agir de plein droit erga omnes. Mais, ainsi que le fit observer M. Clément, là était précisément la question, et il était utile de la trancher par un texte. En effet, s’il est vrai que l’annulation pour excès de pouvoir d’un acte administratif met l’acte à néant erga omnes, il n’en est pas de même de la cassation d’une décision juridictionnelle, qui ne produit effet qu’à l’égard des parties en cause, à moins qu’une disposition spéciale de la loi ne décide le contraire. (Voy. ci-dessus, p. 578.)).
Il y a donc lieu désormais d’assimiler, au point de vue du droit de recours, les cas de violation de la loi à ceux d’incompétence et d’excès de pouvoir, tout en continuant à les distinguer au point de vue de leur définition légale.
Recours pour incompétence. — La loi du 15 juillet 1889, comme celles qui l’ont précédée, a nettement distingué la compétence des conseils de révision de celle des tribunaux civils dans toutes les questions de recrutement qui se lient à des questions d’état ou de droits civils. D’après l’article 31 (conforme sur ce point à l’article 29 de la loi du 27 juillet 1872), « lorsque les jeunes gens portés sur les tableaux de recensement ont fait des déclarations dont l’admission ou le rejet dépend de la décision à intervenir sur des questions judiciaires relatives à leur état ou à leurs droits civils, le conseil de révision ajourne sa décision ou ne prend qu’une décision conditionnelle ».
[592] L’annulation pour incompétence doit donc être prononcée si le Conseil de révision, ayant à statuer sur une demande d’exemption ou de dispense, tranche une question de nationalité, d’âge, de filiation, de domicile, d’où dépend le sort de cette demande, et juge ainsi des questions de droit civil que la loi réserve expressément aux tribunaux judiciaires (1. Parmi les arrêts nombreux rendus sur cette matière, on peut citer : Sur les questions de nationalité : — 26 juillet 1865, Magne ; — 4 décembre 1874, Dillon ; — 28 novembre 1890, Ben Yami. Sur les questions de domicile : — 12 décembre 1873, Vidal ; — 19 janvier 1877, Gilles. Sur les questions d’âge : — 8 juin 1877, Gonthier. Sur les questions de filiation et de légitimation : — 5 août 1887, Lhermet ; — 20 mars 1891, Conté ; — 23 juin 1893, Leclerc.). A la vérité, la loi n’oblige pas le conseil de révision à suspendre entièrement sa décision en présence de ces questions préjudicielles ; il peut passer outre, mais à condition que la décision qu’il prend sur le fond ne soit que provisoire et conditionnelle.
Convient-il d’aller plus loin et d’admettre qu’un conseil de révision peut rendre une décision même définitive, en présence d’une réclamation fondée sur une question d’état ou de droits civils, en se fondant sur ce que cette question ne soulèverait aucune difficulté sérieuse de nature à être réservée aux tribunaux judiciaires ?
Dans le sens de l’affirmative, on peut dire que ce droit du conseil de révision serait conforme aux règles ordinaires en matière de questions préjudicielles. En effet, ainsi que nous l’avons expliqué en exposant les règles générales de compétence, la première condition pour qu’il y ait une question préjudicielle, c’est qu’il y ait une question, c’est-à-dire une difficulté à résoudre, et il est admis en jurisprudence que le juge du fond peut passer outre à de simples allégations ne pouvant susciter de doutes sérieux (2. Voy. t. Ier, p. 498.).
En sens contraire, on pourrait invoquer les dispositions, qui semblent très impératives, de l’article 31, d’après lequel le conseil de révision doit ajourner sa décision lorsque les appelés « ont fait des déclarations dont l’admission ou le rejet dépend de la décision à intervenir sur des questions judiciaires relatives à leur état ou à leurs droits civils… »
[593] En présence d’une disposition ainsi rédigée, on peut se demander si le législateur a voulu laisser à une juridiction aussi spéciale que le conseil de révision, le soin de distinguer entre les déclarations sérieuses et celles qui ne le seraient pas, et s’il n’a pas au contraire entendu que toutes, sur leur simple énoncé, fussent renvoyées aux tribunaux.
La jurisprudence paraît se prononcer pour l’application des règles ordinaires en matière de questions préjudicielles, et autoriser les conseils de révision à passer outre à des allégations qui ne lui paraîtraient pas pertinentes et admissibles. On peut citer notamment en ce sens un arrêt du 15 janvier 1892 (Wadsworth), rendu contrairement aux conclusions du ministre de la guerre, qui a rejeté le recours formé contre une décision d’un conseil de révision qui avait passé outre à une question de nationalité ne paraissant pas soulever de difficulté sérieuse.
Nous avons vu, en traitant du recours pour excès de pouvoir, que l’annulation pour incompétence atteint la décision par laquelle une autorité administrative décline sa compétence sur une affaire de son ressort. Cette incompétence négative rendrait également annulable la décision d’un conseil de révision qui refuserait de juger des réclamations relatives à certaines opérations de recensement, par le motif que ces opérations seraient le fait d’autorités administratives non justiciables de ce conseil. En effet, l’article 18 de la loi du recrutement dispose que « les opérations du recrutement sont revues, les réclamations auxquelles ces opérations peuvent donner lieu sont entendues… par un conseil de révision… » Aussi est-ce avec raison qu’un arrêt du 28 janvier 1887 (Hervoite) a annulé pour infraction aux règles de la compétence une décision d’un conseil de révision refusant de statuer sur une réclamation contre la décision d’un sous-préfet qui avait rayé un jeune homme des listes du canton où il se prétendait domicilié. Par voie de conséquence, si le Conseil d’État était saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre une décision de cette nature, ce recours serait non recevable, comme soulevant une question réservée au conseil de révision. Ce serait là une application de la doctrine du recours parallèle.
[594] Autres cas d’annulation pour excès de pouvoir. — En dehors des différents cas d’incompétence, les décisions des conseils de révision sont susceptibles d’annulation si elles ont été rendues contrairement aux dispositions de la loi sur l’organisation et le fonctionnement de ces conseils. Ainsi, l’article 32 de la loi sur le recrutement de 1889 (conforme à l’article 30 de la loi de 1872) dispose que les décisions des conseils de révision sont définitives ; il y aurait donc lieu d’annuler toute décision qui rétracterait ou modifierait une décision antérieure à la suite d’une instruction nouvelle (1. Conseil d’État, 28 février 1879, min. de la guerre ; — 5 août 1837, min. de la guerre c. Massip.).
Il y aurait également excès de pouvoir si le conseil de révision était irrégulièrement composé, notamment s’il statuait étant réduit à trois membres, alors que l’article 18 de la loi de 1889 lui impose un minimum de quatre membres (2. Conseil d’État, 5 décembre 1890, min. de la guerre.), ou bien si, étant réduit à ce dernier nombre, le président avait usé, en cas de partage, de la voix prépondérante que le même texte lui refuse.
Avant la loi du 15 juillet 1889, il y avait quelquefois lieu de discerner si certains vices de forme constituaient des cas d’excès de pouvoir ou de violation de la loi. Dans ce dernier cas en effet, le recours était refusé aux parties par la loi de 1872, et il ne pouvait être exercé que par le ministre de la guerre. La jurisprudence du Conseil d’État, — moins large pour les recours en cassation contre les décisions juridictionnelles que pour les recours pour excès de pouvoir contre les actes administratifs, — n’assimilait pas tout vice de forme à un excès de pouvoir ; elle s’inspirait d’une distinction, consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation, entre les vices de forme qui altèrent le fonctionnement légal d’une juridiction, et qui constituent ainsi de véritables excès de pouvoir, et les infractions moins graves aux règles de la procédure qui ne constituent qu’une violation de la loi.
Mais cette distinction ne présente plus d’intérêt pratique depuis que les parties peuvent, de même que le ministre de la guerre, se pourvoir pour violation de la loi aussi bien que pour excès de pouvoir.
[595] La notion du vice de forme reprend ainsi, dans notre matière, la même extension que lorsqu’il s’agit de recours contre les actes administratifs, et l’on peut dire que toute infraction aux règles essentielles de l’instruction et de la procédure peut être invoquée contre les décisions des conseils de révision, soit comme excès de pouvoir, soit comme violation de la loi.
Recours pour violation de la loi. — Avant la loi de 1889, le grief de violation de la loi ne pouvait être invoqué que par le ministre de la guerre. En conséquence, l’appelé qui prétendait qu’une exemption ou une dispense lui avait été refusée à tort par suite d’une fausse interprétation de la loi, ne pouvait pas attaquer la décision du conseil de révision (1. Conseil d’État, 26 février 1875, Renaud ; — 28 juin 1878, Dury ; — 5 août 1887, Kervran.) ; il ne pouvait que se mettre en instance auprès du ministre de la guerre pour lui demander de former un pourvoi pour violation de la loi, qui profitait à la partie lésée en vertu d’une disposition spéciale de la loi du 27 juillet 1872. La partie peut désormais former elle-même le pourvoi en vertu de l’article 32 de la loi de 1889.
Le recours pour violation de la loi comprend, conformément aux règles ordinaires, les cas de fausse application de la loi ; mais il est nécessaire, pour que le pourvoi soit recevable, qu’il dénonce une véritable erreur de droit et non une simple erreur de fait.
Il y a erreur de droit et le recours est recevable si les faits constatés par le conseil de révision ont été mal qualifiés au point de vue légal, ou si le conseil en a déduit des conséquences juridiques qu’ils ne comportaient pas.
Ainsi, il y a violation de la loi de la part du conseil de révision qui dispense un appelé comme fils aîné de veuve, sachant qu’il a un frère utérin plus âgé ; l’erreur de droit consiste à penser qu’il est nécessaire que les deux frères dont on compare l’âge soient issus du même mariage (2. Conseil d’État, 23 novembre 1877, min. de la guerre c. Darnaudpeys. — Cf. 23 juin 1893, min. de la guerre c. Blanvillain.) ; — de la part d’un conseil de révision qui assimile les enfants naturels aux enfants légitimes pour l’application de la dispense établie en faveur des fils aînés de veuve et des [596] aînés d’orphelins (1. Conseil d’État, 13 mars 1891, min. de la guerre ; — 1er avril 1892, Marot.) ; — ou qui dispense, comme frère d’un soldat mort sous les drapeaux celui dont le frère avait été seulement compris dans le contingent, mais n’avait pas été incorporé et n’avait pas, par suite, pris place sous les drapeaux (2. Conseil d’État, 6 août 1887, min. de la guerre c. Biebuck.) ; — ou qui déclare exclu du service militaire, comme indigne, l’individu qui a été condamné à une peine correctionnelle de deux ans de prison, mais qui n’a pas été en outre frappé d’une privation de droits alors que cette aggravation de peine est exigée par la loi (3. Conseil d’État, 19 juillet 1878, min. de la guerre c. Delfosse ; — 22 novembre 1889, min. de la guerre c. Rivaud ; — 26 juillet 1895, min. de la guerre c. Gady.) ; — ou qui assimile au cas d’absence légale du père de famille, le fait de sa résidence en dehors du territoire français (4. Conseil d’État, 26 juillet 1895, min. de la guerre c. Marot.).
Au contraire, le Conseil d’État a jugé que la fausse application de la loi résulte d’une erreur de fait, non d’une erreur de droit, dans les espèces suivantes : — dispense accordée à tort à un individu considéré comme aîné d’orphelins, sur le vu de certificats qui laissaient ignorer l’existence d’un frère plus âgé que lui ; — dispenses accordées à des individus que le conseil de révision a crus être fils uniques de veuve ou d’un père aveugle, alors qu’ils n’étaient pas fils uniques, ou que la cécité du père, admise en fait par le conseil, était contestée par le ministre (5. Conseil d’État, 28 février 1879, min. de la guerre c. Celette ; — 13 décembre 1878, min. de la guerre c. Degert.) ; — appréciation inexacte de la situation de famille de jeunes gens demandant à être dispensés comme soutiens de famille (6. Conseil d’État, 29 juin 1888, Taillandier.).
Effets du recours du ministre à l’égard des parties lésées. — Nous avons vu que, d’après l’article 32, § 3, de la loi du 15 juillet 1889, « l’annulation prononcée sur le recours du ministre de la guerre profite aux parties lésées ». Cette disposition, inspirée par l’article 29 de la loi du 27 juillet 1872, en diffère cependant à un double point de vue. En premier lieu, la loi de 1872 ne disposait ainsi que pour le recours formé par le ministre dans l’intérêt de la loi, tandis que le recours de l’article 32, § 3, n’est plus ainsi qualifié ; [597] il a le caractère d’un recours ordinaire du ministre considéré comme partie, et est assujetti au délai ordinaire des pourvois. En second lieu, sous l’empire de la loi de 1872, c’était seulement le recours du ministre pour violation de la loi qui profitait à la partie lésée, tandis que la disposition nouvelle est générale et doit s’appliquer quel que soit le grief relevé par le recours ministériel, incompétence, excès de pouvoir ou violation de la loi.
La loi du 15 juillet 1889 est muette sur le pourvoi dans l’intérêt de la loi formé par le ministre de la guerre. Faut-il en conclure qu’elle exclut implicitement ce recours ? Nous n’hésitons pas à penser que non, car le pourvoi dans l’intérêt de la loi, prérogative normale de l’autorité ministérielle, ne pourrait être interdit que par un texte formel ; il ne saurait d’ailleurs faire double emploi avec le recours prévu par l’article 32, puisqu’il en diffère à un double point de vue : d’abord parce qu’il ne peut être formé qu’après l’expiration du délai de trois mois imparti au ministre et aux parties intéressées pour former le pourvoi ordinaire ; et en second lieu parce que l’annulation qu’il provoque, dans un intérêt supérieur d’ordre public et de légalité, n’a que le caractère d’une censure doctrinale et laisse subsister les effets de la décision. Le pourvoi dans l’intérêt de la loi n’ayant été l’objet d’aucune disposition spéciale de la loi de 1889 conserve, par cela seul, son caractère propre, et il ne peut pas plus profiter aux parties que leur nuire.
Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de déclarer recevables comme recours dans l’intérêt de la loi, même s’ils ne sont pas ainsi qualifiés, les recours ministériels formés après l’expiration du délai de trois mois (1. On peut citer de nombreux exemples de pourvois du ministre de la guerre formés après les délais et introduits et jugés comme pourvois dans l’intérêt de la loi : 1er février 1895, min. de la guerre c. Vachier (pourvoi formé six mois après la décision) ; — 1er mars 1895, id. c. Doffin ; — 28 juin 1895, ici. c. Édy (pourvois formés quatorze mois après la décision).) ; mais les décisions dont l’annulation est ainsi prononcée dans l’intérêt de la loi n’en subsistent pas moins dans toutes leurs conséquences de fait et de droit, soit pour le ministre, soit pour les parties.
Interdiction du sursis. — Les pourvois contre les décisions des [598] conseils de révision présentent cette particularité qu’ils ne peuvent, dans aucun cas, faire l’objet d’arrêts de sursis suspendant l’exécution des décisions attaquées. Cette dérogation, d’ailleurs unique, à l’article 3 du décret du 22 juillet 1806, résulte de l’article 32, § 2, de la loi du 15 juillet 1889, aux termes duquel « le recours au Conseil d’État n’aura pas d’effet suspensif, et il ne pourra en être autrement ordonné ». Cette règle est absolue, et elle s’applique aux recours du ministre de la guerre aussi bien qu’à ceux des parties.
Cette disposition exceptionnelle ne peut évidemment s’étendre à des décisions autres que celles qu’elle a en vue, et l’on ne saurait s’en prévaloir pour refuser au Conseil d’État le droit d’ordonner le sursis en présence de décisions du ministre de la guerre attaquées pour excès de pouvoir. Sans doute l’article 32, par son esprit sinon par son texte, doit assurer le bénéfice de l’exécution provisoire aux décisions ministérielles prises en conformité des décisions des conseils de révision et tendant à leur exécution ; mais ce ne peut être là, pour le Conseil d’État, qu’un motif sérieux, non une obligation légale de refuser le sursis ; il pourrait d’ailleurs arriver que la question soulevée par le pourvoi fût précisément de savoir si le ministre s’est réellement conformé à la décision du conseil de révision, ou au contraire s’il s’en est écarté.
A plus forte raison aucun doute ne peut-il exister sur le maintien du droit de sursis à l’égard de décisions du ministre de la guerre qui seraient en opposition manifeste avec celles du conseil de révision. L’exécution provisoire que l’article 32 assure à ces dernières ne peut évidemment être revendiquée en faveur de celles qui les contrediraient. Cependant, dans une affaire jugée le 5 novembre 1892 (Pioche), le ministre de la guerre a opposé une fin de non-recevoir fondée sur l’article 32, à des conclusions de sursis prises devant le Conseil d’État par un jeune soldat qui avait attaqué pour excès de pouvoir une décision ministérielle l’appelant à faire trois ans de service, alors qu’une décision du conseil de révision lui avait accordé la dispense de deux ans de service prévue par l’article 23 de la loi sur le recrutement de l’armée.
Le Conseil d’État n’a pas hésité à écarter cette fin de non-recevoir, par le motif « que la décision attaquée a été prise par le ministre de la guerre pour maintenir le requérant sous les drapeaux [599] contrairement à une décision du conseil de révision lui accordant une dispense ; que si, aux termes de l’article 32 de la loi du 15 juillet 1889, le Conseil d’État ne peut accorder de sursis à l’exécution des décisions des conseils de révision, cette dérogation exceptionnelle à l’article 3 du décret du 22 juillet 1806 ne peut être étendue en dehors du cas prévu par ledit article 32 ; qu’ainsi la fin de non-recevoir présentée par le ministre doit être rejetée. »
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