I. — CONSEILS DE REVISION
Les conseils de revision ont une double mission : ils procèdent, comme corps administratifs, à la revision des opérations de recrutement et ils impriment à ces opérations un caractère authentique et définitif. D’un autre côté, ils statuent comme juges de premier et dernier ressort, soit sur les réclamations dirigées contre les opérations du recrutement, soit sur les cas d’exemption et de dispense prévus par la loi.
Cette double mission est nettement indiquée par l’article 18 de la loi du 15 juillet 1889 : « Les opérations du recrutement sont revues, les réclamations auxquelles ces opérations peuvent donner lieu sont entendues, les causes d’exemption et de dispense sont jugées en séance publique par un conseil de revision (1. Cette définition des fonctions du conseil de revision est empruntée à l’article 27 de la loi du 27 juillet 1872, qui reproduisait l’article 15 de la loi du 21 mars 1832.). »
Le conseil de revision est composé de cinq membres, savoir : — le préfet qui préside, et qui peut être suppléé par le secrétaire général et exceptionnellement par le vice-président du conseil de préfecture ou par un conseiller de préfecture délégué par le préfet ; — un conseiller de préfecture désigné par le préfet ; — un membre du conseil général et du conseil d’arrondissement désignés l’un et l’autre par la commission départementale, et qui ne peuvent être [418] les conseillers élus par le canton où s’opère la revision ; — un officier général ou supérieur désigné par l’autorité militaire.
La loi admet en outre aux séances du conseil de revision : un membre de l’intendance qui est entendu dans l’intérêt de la loi, toutes les fois qu’il le demande, et qui peut faire consigner ses observations au registre des délibérations ; le commandant du recrutement ; un médecin militaire ou un médecin civil délégué par l’autorité militaire. Le sous-préfet et les maires des communes auxquelles appartiennent les jeunes gens appelés devant le conseil assistent aux séances et peuvent être entendus en leurs observations.
Si le conseil est réduit à quatre membres au lieu de cinq, il peut délibérer lorsque le président, l’officier général ou supérieur et deux membres civils restent présents ; mais la voix du président n’est pas prépondérante ; en cas de partage, la décision est ajournée. Si le conseil est réduit à moins de quatre membres, il ne peut prendre aucune décision.
La juridiction du conseil est départementale et ambulatoire ; elle s’exerce successivement dans les différents cantons du département ; toutefois, un arrêté du préfet peut décider que plusieurs cantons seront réunis pour former une seule circonscription de revision.
Les conseils de revision jugent les cas d’exemption et de dispense, d’après des constatations ou des certificats prévus par la loi et après avoir convoqué et entendu les intéressés. Leurs décisions ne sont pas susceptibles d’opposition quand elles sont rendues par défaut.
Les réclamations soumises au conseil de revision par les jeunes gens portés sur les tableaux de recensement peuvent soulever des questions d’âge, de nationalité, de jouissance ou de privation des droits civils, de filiation, de domicile. Le conseil de revision, juridiction administrative, ne saurait résoudre ces questions sans empiéter sur les attributions de l’autorité judiciaire. Il doit donc en renvoyer l’examen aux tribunaux avant de statuer sur la réclamation ; le tribunal compétent est celui du domicile de l’appelé. Le conseil de revision peut aussi rendre une décision conditionnelle dont les effets demeureront suspendus jusqu’à ce que les tribunaux [419] aient prononcé sur la question préjudicielle. Cette question leur est soumise par la partie la plus diligente, le préfet ou le réclamant ; ils la jugent comme affaire sommaire et urgente après avoir entendu le ministère public (1. Loi du 15 juillet 1889, art. 31. — Les lois antérieures n’avaient rien décidé sur l’appel et le pourvoi en cassation, concernant le jugement des questions préjudicielles. On en avait conclu que les délais ordinaires de ces recours étaient applicables ; l’article 31 a fixé un délai spécial de quinze jours pour chacun d’eux.).
Les décisions des conseils de revision ne sont susceptibles d’appel devant aucune juridiction. Elles ont été qualifiées de définitives par toutes les lois de recrutement qui ont institué ces conseils. La loi du 10 mars 1818 et celle du 21 mars 1832 ne prévoyaient même aucun recours devant le Conseil d’État statuant comme juge de cassation, excepté si le conseil de revision passait outre au jugement de questions préjudicielles du ressort des tribunaux (2. Loi du 10 mars 1818, art. 13 ; — loi du 21 mars 1832, art. 25.).
On s’est demandé sous l’empire de ces lois si, en dehors de ce cas unique, le Conseil d’État pouvait être saisi de recours en annulation pour violation de la loi, ou tout au moins pour incompétence, excès de pouvoir ou vice de formes. Le ministre de la guerre, dans une instruction en date du 19 juillet 1819, avait interprété l’expression « décision définitive » comme n’interdisant que l’appel, et non le recours en annulation « pour excès de pouvoir, pour contravention au texte de la loi et pour violation des formes ». Un projet d’ordonnance fut préparé en ce sens, en 1820, et soumis aux sections de législation et de la guerre qui lui donnèrent leur approbation. Mais le 27 juillet 1820, l’assemblée générale du Conseil d’État émit l’avis que ces solutions ne pouvaient pas résulter d’une simple ordonnance, et qu’une loi était nécessaire pour autoriser un recours en dehors du seul cas prévu par le législateur de 1818, celui d’un empiétement sur la compétence des tribunaux judiciaires : « s’il paraît indispensable, disait cet avis, d’admettre, dans l’intérêt de l’État et des familles, un recours contre les décisions, afin de remédier aux inconvénients inséparables de leur divergence, et de prévenir les funestes effets de l’arbitraire qui peut s’y glisser tant qu’elles ne seront sujettes à aucun recours, même pour violation manifeste de la loi, ce recours ne peut être établi que par une disposition législative qui modifie la loi existante ».
[420] Le Conseil d’État signalait ainsi avec raison la différence existant entre le recours pour incompétence qui pouvait atteindre, en vertu du principe général de la loi des 7-14 octobre 1790, les décisions déclarées définitives, et le recours pour violation de la loi qui exigeait une disposition spéciale. Toutefois, peut-être restreignait-il trop la portée du recours autorisé par la loi des 7-14 octobre 1790 en ne l’appliquant pas, du moins explicitement, au cas de vice de forme, et notamment de composition irrégulière du conseil. Cette lacune de la doctrine de l’avis fut comblée par la jurisprudence du Conseil d’État au contentieux (1. Conseil d’État, 21 janvier 1829, Brière.).
Lorsque fut élaborée la loi du 21 mars 1832, la commission de la Chambre des députés proposa d’admettre le recours contre les décisions des conseils de revision « pour incompétence, excès de pouvoir et violation de la loi » et de déférer le jugement de ce recours à la Cour de cassation. Le législateur de 1832 estima qu’une telle procédure troublerait l’ordre des juridictions et porterait atteinte à la séparation des autorités administrative et judiciaire puisque les conseils de revision sont préposés à des opérations administratives qui ne sauraient ressortir à la Cour de cassation, corps judiciaire. Il s’abstint aussi de consacrer expressément le droit de recours au Conseil d’État, même limité aux cas d’incompétence et d’excès de pouvoir, bien qu’il fût déjà admis par la jurisprudence. Celle-ci continua à le déclarer recevable par application des principes généraux, mais en se refusant à l’étendre aux cas de violation et de fausse application de la loi.
Cependant l’absence de tout recours pour violation de la loi présenta des inconvénients : les « décisions divergentes » qu’entrevoyait l’avis du Conseil d’État du 27 juillet 1820 se produisirent, et compromirent plus d’une fois les droits de l’État ou celui des parties par une fausse appréciation des cas de dispense ou d’exemption.
Pour remédier à cet état de choses, l’article 30 de la loi du 27 juillet 1872 consacra une double innovation : d’une part, il reconnut expressément au ministre de la guerre et aux parties le droit, déjà admis en jurisprudence, de se pourvoir au Conseil d’État [421] dans le cas d’incompétence et d’excès de pouvoir ; d’autre part, il créa le recours pour violation de la loi, mais seulement sous la forme d’un recours dans l’intérêt de la loi, réservé au ministre de la guerre et refusé aux parties. Toutefois, l’article 30 décida que l’annulation prononcée à la requête du ministre de la guerre profiterait « à la partie lésée ». Cette dérogation aux règles du pourvoi pour violation de la loi, lequel ne doit pas plus profiter aux parties que leur nuire, fut une transaction entre les membres de l’assemblée qui voulaient ouvrir à tous les intéressés le pourvoi pour violation de la loi, et le Gouvernement qui voulait le réserver exclusivement au ministre de la guerre.
Cet état de choses a été modifié à son tour par la loi du 15 juillet 1889 dont l’article 32 décide que les décisions du conseil de revision « peuvent être attaquées devant le Conseil d’État pour incompétence, excès de pouvoir, ou violation de la loi », sans distinguer si le recours est formé par le ministre de la guerre ou par la partie intéressée. Ce même texte laisse cependant subsister la disposition exceptionnelle d’après laquelle le recours du ministre profite à la partie lésée, mais il ne dit pas s’il s’agit uniquement du recours ordinaire, formé par le ministre dans les délais légaux, ou bien aussi, comme en 1872, du recours dans l’intérêt de la loi qui ne saurait être refusé au ministre, quoique la loi de 1889 ait cessé de le prévoir expressément.
Ces questions sont de celles sur lesquelles nous aurons à revenir en traitant du recours en cassation contre les décisions des conseils de revision (1. Voy. au tome II, le livre VI, chap. V, § 4.).
II. — CONSEILS DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE.
La juridiction spéciale à l’instruction publique est exercée par trois conseils qui ont à la fois des attributions consultatives en matière administrative et des pouvoirs de décision en matière contentieuse et disciplinaire.
[422] Ces conseils sont :
1° Dans chaque département, le conseil départemental, dont les attributions ne concernent que l’enseignement primaire public ou privé (1. L’expression d’enseignement privé est substituée, par la loi du 30 octobre 1886, à celle d’enseignement libre, qui était employée par la loi du 15 mars 1850.).
2° Au siège de chaque académie le conseil académique, qui a compétence en matière d’enseignement secondaire et supérieur.
3° Pour toute la France, le conseil supérieur de l’instruction publique qui connaît, sauf quelques distinctions, des recours formés contre les décisions des conseils départementaux et des conseils académiques.
Le conseil supérieur et les conseils académiques ont été réorganisés par la loi du 27 février 1880, complétée par les décrets des 17 mars et 26 juin 1880. Le système électif domine dans cette organisation nouvelle qui a un caractère mixte et qui comprend à la fois : des membres élus par les corps enseignants, des membres de droit, des membres nommés par le Gouvernement, dont la désignation appartient au Président de la République pour le conseil supérieur, et au ministre de l’instruction publique pour les conseils académiques. Les membres élus ou nommés le sont pour quatre ans et leurs pouvoirs peuvent être renouvelés (2. Voir, pour la composition du conseil supérieur de l’instruction publique, la loi du 27 février 1880, art. 1 et 2 ; pour la composition des conseils académiques, la même loi, art. 9 et 10.).
Les conseils départementaux, qui n’avaient pas été compris dans l’œuvre de réorganisation accomplie en 1880, sont actuellement régis par la loi du 30 octobre 1886 sur l’enseignement primaire. Ils se composent de membres de droit, parmi lesquels le préfet président et l’inspecteur d’académie vice-président, et de quatre conseillers généraux, deux instituteurs et deux institutrices élus par leurs collègues. Il s’adjoint en outre deux membres de l’enseignement privé, l’un laïque, l’autre congréganiste, élus par leurs collègues, mais seulement pour l’examen des affaires intéressant l’enseignement privé. Les formes de l’élection sont fixées par le règlement d’administration publique du 10 novembre 1886.
Passons rapidement en revue les attributions juridictionnelles de [423] ces conseils, tant en matière contentieuse qu’en matière disciplinaire, et les recours auxquels leurs décisions peuvent donner lieu.
Juridiction des conseils départementaux. — La juridiction des conseils départementaux est limitée aux affaires contentieuses ou disciplinaires qui concernent l’enseignement primaire.
Les affaires contentieuses sont les oppositions auxquelles peut donner lieu la déclaration d’ouverture d’un établissement d’enseignement privé. Ces oppositions peuvent être formées par le maire « si le local n’est pas convenable pour raisons tirées de l’intérêt des bonnes mœurs ou de l’hygiène (1. Loi du 30 octobre 1886, art. 37.) » ; par l’inspecteur d’académie soit d’office, soit sur la plainte du procureur de la République dans l’intérêt de l’hygiène et des bonnes mœurs, et dans un intérêt d’ordre public lorsqu’une école privée est ouverte par un instituteur public révoqué (2. Loi du 30 octobre 1886, art. 38.). Le conseil départemental doit statuer sur les oppositions dans le délai d’un mois.
La loi de 1886 consacre la jurisprudence du Conseil d’État d’après laquelle les décisions rendues par le conseil départemental en matière contentieuse sont susceptibles d’appel devant le conseil supérieur de l’instruction publique (3. Conseil d’État, 20 juin 1881, Poux-Berthe ; — Cf. 3 août 1883, Raveneau ; — 19 décembre 1884, dame Cochet.). Cet appel est recevable pendant un délai de dix jours, à partir de la notification de la décision ; et l’article 39, § 4, ajoute que « en aucun cas, l’ouverture ne pourra avoir lieu avant la décision sur l’appel ». On doit conclure de là que le droit d’appel appartient au maire ou à l’inspecteur d’académie, quand le conseil départemental a rejeté l’opposition, de même qu’il appartient à l’instituteur, quand l’opposition a été accueillie ; que l’appel formé par l’administration est suspensif, puisque l’école ne peut s’ouvrir qu’après une décision sur appel confirmant le rejet de l’opposition.
La juridiction disciplinaire des conseils départementaux s’exerce sur les instituteurs publics et privés dans les cas de faute grave commise dans l’exercice des fonctions, d’inconduite, d’immoralité.
[424] Mais tandis que les instituteurs privés sont soumis devant le conseil départemental à des pénalités graduées (censure, suspension, interdiction d’enseigner dans la commune ou dans le département, interdiction absolue d’enseigner), les instituteurs publics, qui sont des fonctionnaires révocables relevant de l’administration supérieure, ne sont justiciables du conseil départemental que s’il s’agit de prononcer contre eux l’interdiction temporaire ou absolue d’enseigner.
La peine de la censure est prononcée administrativement par l’inspecteur d’académie, et la révocation par le préfet après avis du conseil départemental.
Les décisions disciplinaires des conseils départementaux ne sont susceptibles d’appel que si elles prononcent l’interdiction absolue d’enseigner (loi du 27 février 1880, art. 7). Dans les autres cas, elles ont le caractère de décisions définitives et de dernier ressort. A ce titre, elles peuvent être l’objet d’un recours en cassation devant le Conseil d’État (1. Conseil d’État, 4 août 1882, Fillion.).
La loi du 30 octobre 1886 (art. 59) attribue en outre au conseil départemental une juridiction d’appel à l’égard des commissions scolaires. Cet appel doit être formé dans le délai de dix jours ; il est suspensif.
La procédure à suivre devant les conseils départementaux, notamment en matière disciplinaire, a été réglée par un décret du 4 décembre 1886 qui institue de véritables formes juridictionnelles : citation, délais, comparution de témoins, défense, formes du recours au conseil supérieur de l’instruction publique.
Juridiction des conseils académiques. — Les conseils académiques ont une juridiction disciplinaire et contentieuse.
Leur juridiction disciplinaire s’exerce sur les membres de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur public ou libre (loi du 27 février 1880, art. 11). D’après l’article 22 de la loi du 12 juillet 1875 sur la liberté de l’enseignement supérieur, c’était le conseil départemental de l’instruction publique qui était chargé d’exercer la juridiction disciplinaire à l’égard des membres [425] de l’enseignement supérieur libre ; il pouvait prononcer contre eux la réprimande et l’interdiction à temps ou à toujours. Mais cette disposition doit être considérée comme abrogée, non seulement par suite de l’attribution générale de compétence faite au conseil académique par l’article 11 de la loi de 1880, mais encore en vertu de l’article 7 de la même loi, qui ne reconnaît de juridiction disciplinaire aux conseils départementaux qu’à l’égard des membres de l’enseignement primaire.
Les conseils académiques sont aussi investis d’une juridiction disciplinaire à l’égard des étudiants, mais ils la partagent avec le conseil général des Facultés (1. Le conseil général des Facultés, établi par les décrets du 25 juillet et du 28 décembre 1885, exerce les attributions disciplinaires qui appartenaient aux Facultés en vertu des textes antérieurs, et spécialement du décret du 30 juillet 1883.) d’après les distinctions suivantes :
Le conseil académique prononce — sans préjudice des poursuites judiciaires s’il y a lieu — sur les faits délictueux et les désordres graves dont un étudiant se rendrait coupable en dehors de l’école (décret du 30 juillet 1883, art. 29). Il peut aussi connaître des fautes commises à l’intérieur de l’école, mais seulement si le conseil général des Facultés, de qui ces fautes relèvent, estime que la gravité des faits excède les pénalités dont il dispose et qu’il y a lieu de provoquer la répression plus sévère que le conseil académique peut seul appliquer (même décret, art. 28) (2. Les peines disciplinaires que le conseil général des Facultés peut prononcer contre les étudiants sont la réprimande, l’ajournement des inscriptions ou de l’examen, l’exclusion n’excédant pas deux ans. Le conseil académique peut prononcer l’exclusion à temps ou à toujours de la Faculté et même de toutes les Facultés de la République.).
Toutes les décisions du conseil académique en matière disciplinaire peuvent être frappées d’appel devant le conseil supérieur de l’instruction publique. Cet appel est suspensif, mais le conseil académique peut ordonner l’exécution provisoire de sa décision (loi du 27 février 1880, art. 11).
Le conseil général des Facultés connaît sauf son droit de renvoi au conseil académique, des fautes contre l’ordre et la discipline commises par l’étudiant dans l’intérieur de la Faculté et de certaines infractions aux règlements scolaires prévues par les articles 6, 15 et 16 du décret de 1883. Ses décisions sont définitives ; [426] elles ne peuvent être frappées d’appel ni devant le conseil académique, ni devant le conseil supérieur de l’instruction publique (même décret, art. 28). Mais à raison même de leur caractère définitif, nous n’hésitons pas à penser qu’elles pourraient être l’objet d’un recours en cassation devant le Conseil d’État, par application des principes généraux (1. Les dispositions que nous venons de résumer de la loi du 27 février 1880 et du décret du 30 juillet 1883, rendent désormais sans intérêt une question qui a été souvent discutée, celle de savoir si, antérieurement à ces textes, et en vertu des dispositions combinées du décret du 9 mars 1852 et de la loi du 14 juin 1854, la juridiction disciplinaire à l’égard des étudiants avait été transférée des conseils académiques au ministre de l’instruction publique. Un arrêt du Conseil d’État du 14 août 1856 (Rey) s’était prononcé pour la négative ; mais il n’avait pas éteint la controverse, qui n’a plus de raison d’être en présence des textes actuellement en vigueur.).
En matière contentieuse, la juridiction des conseils académiques n’est pas définie par la loi avec une précision suffisante, mais son existence est affirmée en termes formels par les articles 7 et 11 de la loi du 27 février 1880, pour les affaires intéressant l’enseignement secondaire ou supérieur, public ou libre.
Pour ces enseignements comme pour l’enseignement primaire, les affaires contentieuses les plus importantes sont celles qui résultent des oppositions faites à l’ouverture d’un établissement libre. Nul doute que ces sortes d’affaires ne relèvent du conseil académique quand il s’agit d’établissements d’enseignement secondaire ; mais, à l’égard des établissements ou des cours libres d’enseignement supérieur, la question présente une réelle difficulté.
Cette difficulté vient de ce que l’article 11 de la loi du 27 février 1880 énonce en termes généraux la compétence du conseil académique sur les affaires contentieuses d’enseignement supérieur public ou libre, tandis que la loi du 12 juillet 1875 sur la liberté de l’enseignement supérieur consacre expressément la compétence judiciaire en cas d’opposition à l’ouverture d’une Faculté ou d’un cours. D’après l’article 20 de cette loi, cette opposition est formée par le procureur de la République et elle est jugée par le tribunal civil dont la décision ne peut être déférée qu’à la Cour de cassation. C’est assurément là une grave dérogation aux règles ordinaires de la compétence, mais cette dérogation a été voulue par le législateur de 1875. Elle a été signalée à l’Assemblée nationale par un [427] amendement de M. Alfred Giraud, qui proposait de confier le jugement des oppositions aux conseils académiques, et cet amendement a été rejeté. Il n’est donc pas douteux que les auteurs de la loi du 12 juillet 1875 ont voulu soustraire l’enseignement supérieur libre à toute juridiction contentieuse universitaire, et qu’ils ont cru trouver dans la juridiction du tribunal civil une garantie spéciale pour un état de choses nouveau.
Cela étant, faut-il admettre que l’article 11 de la loi du 27 février 1880, en affirmant en termes généraux la compétence du conseil académique en matière contentieuse, a implicitement abrogé l’article 20 de la loi du 12 juillet 1875 et supprimé la compétence des tribunaux judiciaires dans le cas qui nous occupe ?
Les travaux préparatoires de la loi du 27 février 1880 sont muets sur la question ; on doit conclure de leur silence même qu’elle a échappé aux auteurs de la loi. Or, s’il est vrai que l’abrogation de dispositions législatives peut quelquefois n’être qu’implicite, il est difficile d’admettre qu’elle puisse être tout à fait inconsciente, et qu’il suffise d’une formule générale et vague pour abroger des textes formels et spéciaux sur lesquels ne s’est point portée l’attention du législateur. Il nous semble plus juridique d’appliquer en pareil cas l’adage : generalia specialibus non derogant. Dans le cas qui nous occupe, non seulement les auteurs de la loi du 27 février 1880 n’ont pas manifesté l’intention de déroger à l’article 20 de la loi du 12 juillet 1875, mais encore la loi du 18 mars suivant, sur la collation des grades, qui énumère dans son article 9 toutes les dispositions de la loi de 1875 dont elle prononce l’abrogation, ne comprend pas ledit article 20 dans cette énumération.
Il semble bien résulter de là que les affaires contentieuses de l’enseignement supérieur libre sont restées en dehors de la compétence des conseils académiques. Mais, tout en adoptant cette solution, nous reconnaissons que la question prête à controverse et qu’on ne pourra la tenir pour résolue que lorsqu’elle l’aura été par les hautes juridictions d’ordre administratif ou judiciaire auxquelles elle peut ressortir et, s’il y a lieu, par le Tribunal des conflits.
La compétence des conseils académiques a aussi donné lieu à une question délicate en ce qui touche les recours formés contre les opérations des jurys d’agrégation. L’article 14 de la loi du [428] 15 mars 1850 attribuait à ces conseils la connaissance des « affaires contentieuses relatives aux concours devant les facultés ». Mais la loi du 27 février 1880 n’a pas reproduit cette disposition ; d’un autre côté, les concours d’agrégation n’ont plus lieu, comme en 1850, « devant les Facultés », mais devant un jury spécial, institué pour chaque concours, et dont la compétence n’est pas limitée au ressort d’une Faculté déterminée. Enfin le règlement du 30 juillet 1887, édicté par le ministre de l’instruction publique en vertu des pouvoirs qui lui ont été conférés par l’article 42 du décret du 28 décembre 1885, dispose expressément que les réclamations auxquelles peuvent donner lieu les opérations du concours sont portées devant le ministre. Cette disposition ne saurait assurément infirmer par elle-même l’article 14 de la loi de 1850 s’il était encore en vigueur, mais elle prouve que le ministère de l’instruction publique ne le considérait plus comme applicable après la loi de 1880. Le Conseil d’État s’est prononcé dans le même sens par un arrêt du 16 novembre 1894 (Brault) qui reconnaît la compétence du ministre. Mais les décisions ministérielles rendues en cette matière ne sont pas à l’abri de tout recours ; elles peuvent être déférées au Conseil d’État, et par voie de conséquence, les opérations du concours peuvent être attaquées devant cette juridiction, sinon au fond, du moins pour composition irrégulière du jury ou pour tout autre vice de forme (1. Cette solution résulte de l’arrêt précité du 16 novembre 1894, qui prononce sur des griefs de vice de forme relevés par le pourvoi contre les opérations du jury d’agrégation de médecine.).
En matière contentieuse comme en matière disciplinaire, toutes les décisions des conseils académiques peuvent être déférées en appel au conseil supérieur de l’instruction publique. Cet appel est suspensif, à moins que le conseil académique n’ait ordonné l’exécution provisoire (loi du 27 février 1880, art. 11).
Juridiction du conseil supérieur de l’instruction publique. — Le conseil supérieur n’exerce sa juridiction que comme tribunal d’appel. Cette attribution nous est connue par les explications qui précèdent. Notons seulement que toutes les décisions du conseil [429] supérieur qui affectent la situation d’un professeur titulaire de l’enseignement supérieur, ou qui prononcent, contre un membre de l’enseignement public ou libre, l’interdiction du droit d’enseigner ou de diriger un établissement, ou enfin qui excluent des étudiants de toutes les académies, doivent être prises aux deux tiers des suffrages (loi du 27 février 1880, art. 7).
Le recours au Conseil d’État contre les décisions du conseil supérieur n’est prévu par aucun texte. Il en résulte qu’il ne peut s’exercer que conformément aux principes généraux, c’est-à-dire dans les cas d’incompétence, d’excès de pouvoir, de vice de forme, mais non de violation ou de fausse application de la loi.
Nous reviendrons sur ce sujet lorsque nous étudierons, dans notre tome II, les recours en cassation contre les décisions des juridictions administratives qui statuent en dernier ressort (1. Voy. tome II, livre VI, chap. V.).
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